[Mai 550] Regretteras-tu tes mots, Scorpion ? [PV Lesath]

Ainsi l’impossibilité de devenir mère la travaillait, au point de rendre sa voix presque chevrotante. C’était sans doute une douleur qu’il ne comprenait pas. S’il était clair qu’il ne pouvait devenir mère – pour des raisons évidentes – le fait ne pouvoir engendrer ne lui avait jamais traversé l’esprit. Avoir des enfants, alors qu’il arrivait tout juste à comprendre et à supporter ce qu’il était, était si loin de ses priorités, qu’il fut étonné parce qu’il entendit. Mais il comprenait. Chez certaines personnes, la famille était primordiale. Chez d’autres elle était secondaire. Enfin chez les individus de son espèce, c’était tout juste s’il lui attelait la moindre importance. Nimuë faisait sans doute partie de la première catégorie. Ou du moins, c’était ce qu’il devait supposer, vu l’impact que la nouvelle avait sur elle.

« Satine est la preuve que tu te trompes. » lâcha-t-il, lourdement. Qu’ils soient venus d’un futur qui allait se dérouler, ou non n’était pas important. Ce qui l’était c’était qu’elle allait avoir des enfants. Au moins un, à moins qu’elle n’emprunte une autre route que celle qui aurait du voir naître ce fameux Jack. « Tu peux avoir des enfants, mais tu ne sais pas encore comment. »

Lorsqu’elle tourna la tête, il ne vit rien. Si ce n’est ces deux prunelles qui le fixaient. Et il se perdit dedans. Il entendait, mais ne pouvait répondre. Que dire à celle qui annonçait que son seul amour avait disparu, emporté par sa propre main. Rien. Il aurait pu lui dire qu’il préférait le sort de la rousse, car même s’il était plus douloureux au moins il avait apporté quelque chose, au sien. Elle fit bifurquer la conversation et il la laissa, ne maîtrisant pas grand-chose de toutes manières, si ce n’était sa concentration. Ses bras le long de son corps n’auraient pu bouger même s’il leur avait ordonné. Cette étape était la moins agréable de son voyage noir. L’esprit voltigeait, lucide comme jamais, mais son corps meurtri, restait infiniment lourd. Elle roula vers lui, et il ne pu s’esquiver. Le voulait-il vraiment de toute façon ?

« Je ne sais pas s’ils seraient plus choqués par notre posture que notre conversation, à vrai dire. Et un ou deux se demanderaient pourquoi je ne bouge pas pour m’approcher. Aussi. Ils ne se douteraient pas que je suis incapable du moindre mouvement. Enfin, sauf s’ils voient mes yeux. »

N’importe qui ayant deux doigts de connaissance saurait que ces iris, ouverts jusqu’à l’agonie, étaient témoins de l’effet de l’opium, et en une grande quantité. D’un autre côté, s’il ne pouvait bouger rien d’autre que les lèvres, il s’évitait par la même occasion quelque supplice. Il réfléchit quelques secondes à la demande de la jeune femme. Car, à ses yeux, elle était simplement en train de lui demander s’il ne pouvait pas garder tout ceci pour lui. Pouvait-elle compter sur la discrétion du Scorpion. S’il avait pu mentir, il l’aurait fait. Mais il ne le pouvait. Pas dans cet état. Il ferma les yeux et réussit, dans un effort surhumain à soulever deux doigts tout en fermant le reste du poing. L’index et le majeur de la main droite. Il s’agissait d’un signe de bonne foi dans sa culture.

« Je n’oublie jamais rien. Mais je ferai semblant si tu le souhaites. Quel intérêt aurais-je à te rappeler cette conversation si elle t’est déplaisante ? » Il ouvrit les yeux et les plissa un peu. « Je suis désolé, mais je ne peux pas faire mieux. Et le fait que tu profites de mon état n’est pas un problème. Ainsi nous sommes deux. Au moins je n’ai pas l’impression de me faire arracher chaque os de mon corps à mains nues, en ce moment. » S’il avait pu sourire, il l’aurait fait.