[Début Juin 550] Se détourner de son passé [PV Arbhaal]

Le soleil déclinait déjà dans le ciel, le parant de belles couleurs chatoyantes. Un grand navire était à quai, loin des autres, comme abandonné. Personne n'avait osé s'y aventurer, il faut dire qu'avec ses voiles déchirées, sa coque noircie et l'atmosphère lugubre qui s'en dégageait dissuadaient le tout venant. Pas elle. Pas cette ombre qui avait levé les yeux vers lui, mélancolique, hésitante. Elle avait peur de ce qu'elle pouvait trouver dans son ventre. Des fantômes, des souvenirs perdus. Une vie achevée qu'elle devait oublier. Nimuë n'y était jamais vraiment parvenue. Ces derniers temps l'appel de l'Océan s'était fait plus puissant, la pressant de le rejoindre. Un soupir passa outre la barrière de ses lèvres. Son instinct lui disait de faire demi-tour. Sa curiosité la poussait à monter. Elle sauta lestement sur le pont, en arpenta les moindres recoins, caressant amoureusement le bastingage, les cordes qui se ballottaient au rythme de cette légère brise.

Finalement ses pas l'avaient porté jusqu'à la porte de sa cabine qu'elle n'osa franchir. Que trouverait-elle ? Probablement rien et c'était justement ce qui lui ferait le plus de mal. Constater l'absence de vie. Faire face à la réalité. Aussi dure soit-elle. La vie ne l'avait pas épargnée, la pirate avait dû abandonner sa liberté, se détourner des chants lancinants de la mer. Filles des eaux, le destin s'était pourtant montré capricieux, ayant dû revêtir l'Or, Nimuë avait dû trouver sa place. Ce ne fut pas chose aisée et elle n'était même pas certaine de pouvoir y arriver.

La porte grinça sur ses gonds et ce qu'elle découvrit la rendit muette de surprise. Tout était parfaitement rangé, à sa place, comme au premier jour. Non loin, dans la pénombre, une grande baignoire était remplie d'une eau qu'elle devinait chaude avec toutes ces volutes blanchâtre défiant le noir. Mais qui ?

- Te voilà enfin ! S'exclama une voix qu'elle reconnaîtrait entre mille autre. - Old John !

Elle l'enlaça avec effusion, déclenchant l'hilarité de son ami d'enfance qui lui rendit son étreinte. Il finit par lui expliquer qu'il était revenu pour garder son bateau jusqu'à ce qu'elle revienne. L'attention était si touchante que la jeune femme en fut émue aux larmes.

- Chaque soir je te préparais ton bain, au cas où. Il t'attends. Moi je vais aller chercher deux trois bricoles ! Profites en pour te laver, le sang est une odeur tenace. J'espère que tu n'es pas trop blessée.

Elle fit un « non » de la tête incapable de lui parler. Old John la quitta, la laissant seule avec ses pensées. La lune projetais son halo d'argent dans la pièce, éclairant chichement cette dernière. Pas besoin de bougie, ouvrir la fenêtre suffirait. Il faisait suffisamment doux au Cap Sounion pour se permettre cette petite folie. Après quoi la jeune femme se débarrassa de ses vêtements qu'elle laissa glisser le long de sa peau pâle, s'étaler sur le sol sans qu'elle se préoccupe d'apporter un peu de désordre. Old John rouspéterait mais elle en serait ravie. Elle se glissa dans l'eau non sans soupirer d'aise, ramenant ses genoux contre sa poitrine. Dos à la porte, Nimuë perçut des bruits de pas qui arrivaient.

- Old John ? Tu es déjà de retour ? Tu as fais vite !

Fis t-elle d'une voix enjouée tout en dénouant sa longue chevelure carmine qu'elle laissa dégringoler le long de son dos, se mêler à l'eau de son bain.

- J'ai tellement de choses à te raconter. Tu sais, tu m'as manqué, pourquoi n'es-tu pas venu au Sanctuaire ? J'avais vraiment besoin de toi. Je me sens un peu perdue là-bas, je ne m'y sens pas vraiment à ma place. 'John ?

Le silence lui répondit. Et rien d'autre. La surprise, en reconnaissant la voix d'Arbhaal fut la première chose qui s'empara d'elle, puis l'incompréhension, le doute. Il ne lui voulait pas de mal disait-il. Pour autant, que ferait-il si elle s'obstinait à ne pas lui répondre ? Ses pensées se bousculaient dans les limbes de son esprit. La jeune femme se sentait trahie, en colère de s'être montrée si imprudente. Ses retrouvailles avec son ami d'enfance cumulé à sa fatigue lui avait fait baisser sa garde. Muette, ne prenant pas la peine de se tourner pour le regarder, sans doute pour préserver le peu de dignité qui lui restait, Nimuë laissa le mystère enfler.

Sa bouche s'entrouvrit. Elle finit par lâcher la vérité, nue, sans détour.

- Ma petite fille va bien, elle est au Sanctuaire, elle t'y attends. Une pause. Arbhaal, c'est ça ? Si tu pouvais …

Elle attendit qu'il se détourne pour terminer ses ablutions et sortir de la baignoire. Elle se faufila dans le noir, derrière un paravent où elle commença à se sécher. Sa voix finit par éclater dans le noir, d'une neutralité froide, quoique méfiante.

- Elle a choisi de demeurer au Sanctuaire Sacré le temps que tu lui reviennes. Tout ce que je peux te dire c'est qu'elle s'est montrée conciliante. À sa façon, toute personnelle...

Un léger rire ponctua la fin de sa phrase. Sa tête, toujours masquée émergea du paravent. Elle lui désigna une armoire derrière lui.

- Si ça te gêne pas ? Je n'aime pas parler à de parfaits étrangers, nue comme un ver.

Une fois visible, la pirate s'extirpa des ombres pour aller prendre place sur sa chaise, derrière son bureau. D'un geste du menton alors qu'elle coiffait sa tête de son couvre-chef, elle l'invita à prendre place. Après quoi elle farfouilla dans les tiroirs de son bureau pour en ressortir une bouteille de rhum, ne se doutant pas un seul instant des similitudes entre elle et Satine.

- Je dois par contre te prévenir qu'elle … je ne sais pas comment te dire ça, bois un coup avant, ça passera peut-être mieux. Rah. Elle se prit la tête entre ses mains. Je ne l'explique pas mais ta bien-aimée est redevenue enfant. Je crois qu'il lui manque … quelque chose.

Elle l'observa sous cape, hésita encore.

- Je pense que ce quelque chose, c'est toi. Ne me demande pas pourquoi, je n'en sais foutrement rien. Franchement, je me serais bien passée de vos histoires, là ! J'ai déjà assez de soucis comme ça … découvrir que j'ai une petite-fille … excuse-moi du peu mais j'ai pris une sacré claque ! Et voilà qu'un ancien Juge se pointe alors que je prends mon bain. Vous avez de la chance que je sois du genre patiente.

Elle se renversa sur le dossier de sa chaise, poussant un long soupir exaspéré.

- Par contre ta Satine, elle m'en a fait voir des vertes et des pas mûres ! Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'a pas froid aux yeux. Tu aurais dû l'entendre parler au Grand Pope, j'ai cru que j'allais faire une attaque.

Son interlocuteur parut se radoucir en même temps que sa propre humeur. Nimuë n'aimait pas être surprise de la sorte, encore moins quand elle était vulnérable et qu'elle pensait s'ouvrir à un ami de longue date. Il eut au moins la délicatesse de ne pas mentionner ses doutes et ses incertitudes concernant sa place au Sanctuaire. Mais de cela non plus, la pirate n'était pas enchantée. Elle ne le connaissait pas, et une vague méfiance persistait dans son cœur. Il était en position de force quelque part, il savait qui elle était, dans le futur. Un futur très lointain qui avait tôt fait d'éveiller craintes et soupçons. Satine lui avait révélé deux ou trois petites choses mais elle s'était refusée à trop lui en parler. Révéler des pans entiers de son Destin n'était pas sans risque. Peut-être aurait-elle pu transgresser une loi divine ?

Qu'importe, chaque chose en son temps. Pour l'heure, elle avait des réponses à lui apporter. Et quelque chose lui disait qu'elles n'allaient pas rencontrer un franc succès.

- Un sacré choc ? C'est le cas de le dire, elle m'est apparue quand je suis arrivée dans le champ de roses de mon maître. Parmi la cendre et la poussière quand elles sont mortes devant mes yeux.

Son passé était mort avec les fleurs, son futur, très lointain, s'était présenté à elle de la plus étrange des façons. Elle allait devoir l'affronter et braver bien des périls. Que cet homme soit là devant elle avec ses interrogations, ses peurs, sa détermination, n'était que le point de départ à tout ceci.

- En toute franchise, je n'en sais rien. Le Grand Pope Bélisaire semble être au courant de votre … voyage dans le temps. Il m'a rejoint rapidement après cette découverte et il s'est montré … assez clair en lui laissant le choix de rester en sécurité ici, en tant qu'invité plutôt que d'errer sans but ou d'être enfermée dans les geôles.

Elle avait opté pour la première solution, gardée en toute sérénité par Lesath du Scorpion qui s'était proposé pour la garder.

- Il a senti le sang d'Athéna couler dans les veines de Satine et lui a accordé la bénédiction de la Déesse. Sache qu'elle est lavée de toutes souillures. Son sang n'est plus maudit comme le mien. Tu comprendras que je me suis trouvée dans l'obligation de la confier à un confrère. J'ai toute confiance en lui, le Scorpion à prit soin d'elle et continuera de le faire.

L’ersatz d'un sourire s'épanouit sous le couvert de son masque en les revoyant tous les deux, Satine s'essayant à faire sortir cet homme flegmatique de ses gonds. Rien ne semblait pouvoir contrarier Lesath et son pragmatisme cynique.

- Un service ? Je t'écoute.

Sur le coup elle ne comprit pas bien où il voulait en venir. L'évidence se fit au détour de sa dernière tirade. Un combat ? Ici et maintenant ? Elle allait décliner mais en voyant l'air qu'il affichait, la Sainte soupira.

- Ce n'est pas très prudent, mais … si ça peut t'aider. Je veux bien me dégourdir un peu les jambes. Mais … Armure ? Tu as une armure ?

Elle se redressa avec lenteur.

- Monte là-haut et prépare-toi.

La jeune femme avait des questions à lui poser. Mais celle-ci seraient posées pendant leur joute, au plus fort de leur duel « amical ». Certaines choses qu'elle allait découvrir, assurément, n'auraient pas le loisir de lui plaire. Une fois sur le pont, la jeune femme dégaina sa rapière, se mit en garde et attendit.

- Je ne t'attaquerais pas, ton but sera de me toucher. Prends une épée d'entraînement, là, derrière toi. Et voyons ce que tu as dans le ventre.

Ils apprendraient à se connaître ainsi.

Son attitude pouvait paraître effrontée, voire totalement fière mais Nimuë était tout simplement confiante en ses capacités martiales. De plus ses conditions n'étaient pas un hasard, s'il parvenait à briser sa défense, c'est qu'il était tout a fait assuré d'être au moins à son niveau. Elle ne connaissait pas la force des autres Saints, mais la sienne oui, et elle n'avait pas à rougir devant qui que ce soit. Levant sa garde, elle le laissa monter à l'assaut, sans se départir de son assurance quand, d'un coup, il ne disparut de son champ de vision. Sans trop de difficulté, la Sainte para le coup, usa de sa propre vitesse, inouïe, pour prévoir la dérobade de son adversaire. Ainsi se trouva t-elle à quelques centimètres de lui, son regard plongé dans le sien, lâchant un petit rire qui se voulait légèrement moqueur, par jeu, pour le pousser davantage. Elle voyait qu'il se retenait. Pourquoi ? Avait-il peur de la blesser ? De voir surgir son sang empoisonné ? C'était évidemment une assez bonne raison, mais Nimuë ne s'en souciait guère.

- Tu es mort. Lui glissa t-elle en se dérobant, faisant quelques pas en rengainant son arme, toujours par défi. Lentement elle attacha ses cheveux avec un lacet en cuir noir. C'est tout ce que tu sais faire, Arbhaal ? Je suis déçue. Sache qu'il n'y a pas plus rapide que moi. Tu ne te rendrais même pas compte que …

En un simple clignement de paupière la revoici à portée de frappe, dans son cercle vital comme on le désignait en escrime, la main plaquée contre le cœur de l'ancien Juge.

- ... tu es déjà mort, le cœur crevé par l'une de mes roses !

Elle ria aux éclats, bondit en arrière pour se remettre en garde, sa fine lame devant son masque de fer blanc. Une lueur farouche était perceptible dans ses yeux pers, à peine visibles sous le couvert de son masque.

- Ne te retiens pas face à moi, je ne te laisserai jamais aucune chance de pouvoir m'atteindre.

- Les roses démoniaques ? Oh, je vois. Mais ce n'est pas trop le genre de la maison. J'ai des techniques plus … personnelles !

Se battre de la sorte éveillait son esprit de combattante. Face à un tel adversaire, Nimuë se sentait pousser des ailes. Comme lorsqu'elle s'entraînait avec son maître, Lucius. Un bref instant, le souvenir de cet homme grand, pâle au visage de marbre et à la si longue chevelure blonde presque blanche se transposa sur celle d'Arbhaal. Cette seconde d'inattention, le heurt douloureux de son cœur contre sa cage thoracique suffit à lui offrir une ouverture, qu'il remarqua presque immédiatement. Elle sentit l'air se déplacer, un vague effleurement qui la contraria. Ils évoluèrent tous les deux de longues minutes sans se fatiguer, la lune pour seul témoin à leur joute endiablée. Alors qu'elle allait porter une nouvelle estocade, la silhouette de l'ancien Juge se porta à ses côtés. Sa voix, un murmure, un vague souffle chaud contre son oreille, la fit esquisser un sourire sardonique.

Elle lui répondit, suivant son ombre avec vélocité, se plaisant à sentir le vent chargé d'embruns dans ses cheveux.

- Le Taureau ? Cette espèce de grande montagne ? Je peine à croire qu'il puisse être aussi rapide que nous ! C'est qu'il faut la traîner, notre carcasse !

Elle courrait à ses côtés, glissant sur le pont tandis que le ciel finissait de se recouvrir d'un voile obscur, oppressant, colérique. Un orage s'annonçait, les fameux orage de la Grèce. Très vite, un premier éclair roula dans les nuages, les parant d'or, de pourpre et de rouge. Un autre éclat carmin profita d'un flash lumineux pour sauter sur sa proie. Son puissant cri fut couvert par le grondement furieux du tonnerre. Une rose avait quitté sa main, solitaire, sanguine, d'un fragrance particulière. Elle s'était fichée dans son vêtement sans attaquer ses chairs D'un claquement de doigt, les épines se changèrent en lien végétaux qui allèrent s'enrouler autour de leur victime. Elle récupéra l'épée en bois, la jeta au loin et pointa le bout de sa lame contre sa gorge.

- Quelle est ton armure ? Tu n'es plus un Spectre, n'est-ce pas ?

Son attitude avait radicalement changée, désormais son regard était aussi agressif que le tonnerre frappant le sol, liant la terre et le ciel. La pluie commençait à tomber sur eux.

- Réponds-moi.

Nimuë ne cilla pas quand quelque chose alla percuter son navire de plein fouet, à quelques centimètres de sa position. Une lueur dangereuse dansait dans ses prunelles, une once de mélancolie aussi. Sa réplique ne se fit pas attendre et, débarrassé de ses liens en les embrasant, il lui cracha une terrible vérité. Son sang ne fit qu'un tour.

- Traîtresse moi ? Mais ce sont ces félons de Berzerkers qui ont blessé mon ami ! Clama t-elle rageusement au visage d'Arbhaal. Nous … nous sommes ennemis, alors.

Contre toute attente, et malgré les apparences, la Sainte brisa sa posture d'attaque pour ranger sa lame dans son fourreau. Son cosmos s'évanouit, son visage masquée se tourna vers les nuées tempétueuse. Les explications d'Arbhaal étaient suffisantes, criantes d'une autre vérité, la sienne, qu'elle allait devoir concilier avec son statut de chevalier d'or. Elle se souvint alors des mots du Lion avant qu'il ne parte en mission et qu'il tombe face aux guerriers d'Arès, dans ces impitoyables desseins. Elle était entre deux Mondes, vacillant entre deux royaumes, le cœur et sa raison. Mais il n'y avait pas de place pour elle, juste celle qu'on lui imposait.

- Tu apportes la Guerre et la Mort dans ton sillage, Arbhaal. Je … je crois que si Satine est ici auprès de moi, c'est pour la protéger. La préserver du futur. Si tu es ici, c'est que je l'ai permis. D'où lui venait cette supposition ? Elle l'ignorait totalement. J'ai entrevue en toi un homme honorable et j'ose espérer ne pas m'être trompée.

L'eau coulait sur elle sans discontinuer, collant ses vêtements à sa peau d'une façon désagréable. Pour autant son humeur s'était apaisée aussi soudainement que l'orage avait éclaté. Son masque de fer blanc se tourna vers le jeune homme.

- Tu ne veux causer du tord à personne et pourtant tu as accepté de te plier aux règles sanglantes du Carnage. Peut-être es-tu prit dans un nouveau jeu des Dieux, comme moi, comme nous tous mais saches que je serai impitoyable avec ceux qui s'en prennent à mon sang. Ici et maintenant je veux que tu me fasses une promesse.

Elle retira alors son masque, dévoilant son beau visage, si semblable à celui de sa petite-fille.

- Je t'aiderais à repartir d'où vous venez tous les deux mais promets-moi. Oui promets-moi de ne pas être … comme eux. De devenir une bête de sang, un monstre avide. J'ai connu une telle créature autrefois et même aujourd'hui, encore, alors qu'il sommeille pour l'éternité, je reste profondément liée à lui.

Forgée à son image. Une créature aussi belle qu'empoisonnée.

La jeune femme lui tendit la main.

À ses premiers mots, la jeune femme se détendit légèrement, hocha la tête en signe d'accord. Elle n'oublierait pas. La suite, en revanche, faillit bien lui arracher un grondement mécontent. Au moins il était de ceux à user de franchise plutôt que de se risquer à un jeu plus dangereux de manipulation et de tromperie. Une qualité importante aux yeux des Poissons. Un mince sourire alla se glisser sur son faciès. Elle ne répondit pourtant rien, préférant conserver le silence. Cet homme l'inquiétait, autant qu'il l'intriguait. Cette dangerosité qui se dégageait de sa personne l'effrayait un tant soi peu, d'une façon qu'elle ne se l'expliquait pas. Une prémonition. Un vague sentiment éphémère. Elle le croyait, Nimuë ne saurait de toute façon pas remettre en cause sa parole. La parole d'un homme qu'elle ne connaissait pas.

- N'oublie pas que je ne te connais pas. Et je me fiche pas mal de mon futur, j'ai déjà bien assez à faire avec mon présent.

Satine lui avait révélé certaines choses par mégarde, comme il venait de le faire à l'instant. L'expression de son visage se durcit. Elle ne jugeait pas, elle constatait.

- La guerre approche, je la sens se presser à nos portes. Le monde va bientôt basculer, la roue tourner d'un cran. Un nouveau cycle …

Ses prunelles s'étaient voilés subitement, comme si elles voyaient bien au-delà des choses visibles et invisibles. Cela ne dura qu'un instant, mais cela avait suffit à la faire vaciller. Reprenant ses esprits, la Sainte avait pâlit, son corps, était transi de froid. Et cette pluie qui ne cessait de tomber ! Elle lavait toute souillure, présente et à venir. Tout se bousculaient dans sa tête, son esprit peinait à se focaliser sur une chose à la fois, aussi commença t-elle à repartir vers les profondeurs de son navire. Avant de redescendre, elle s'arrêta.

- Je ne te conseille pas de venir au Sanctuaire, vu ton allégeance, j'ai bien peur que certains voient ton arrivée d'un très mauvais œil. Qu'importe les ordres de Bélisaire ou la confiance que je peux ou plutôt pourrait te porter.

Une pause.

- Satine nous lie, d'une manière que je ne saurais complètement expliquer. Tu aurais peut-être dû te détourner de la Guerre et rester chez les atlantes. Un sourire. Ou peut-être pas. Arès connaît aussi les affres de l'amour, sans doute était-il le mieux placé pour te proposer un pacte ? Si j'avais su ce jour là … en te voyant percuter le toit du Palais du Grand Prêtre … Pour elle, pour toi … tout aurait pu être différent.

Finalement, elle se retourna, sentant ses forces lui revenir.

- Continuons un peu cette joute … je te rappelle que tu ne m'as toujours pas touché ! Tu n'es donc pas assez fort pour récupérer ta bien-aimée ?!

- Inutile d'essayer de m'aveugler ! Un chevalier d'Or n'a pas besoin de voir, mais de ressentir !

Aussi ses yeux s'étaient refermés sur le monde. N’existait plus que le murmure du vent à ses oreilles, le chant du feu et du guerrier. Il était très rapide, s'était un fait, mais il lui manquait quelque chose. Pas de conviction, ça s'était certain, mais, toute son astuce et son expérience n'y changeraient rien. Nimuë avait été forgée pour être pareille à une ombre, un poison qui insidieusement s'insinue pour tuer. Personne ne l'avait vu ainsi parmi ses compagnons d'Or, personne et ce visage là, celui d'un assassin silencieux et implacable, jamais elle ne saurait se résoudre à le leur présenter. Elle cachait sa magnifique monstruosité derrière un masque de fer. Maintenant qu'il n'était plus posé contre son faciès, la belle jeune femme se laissait aller à ses anciennes pratiques. Elle ne redoutait rien ni personne.

Qu'importe la force et la vitesse du jeune homme, sa danse à elle était plus subtile, plus mesurée, calculée aussi. Un seul faux pas et elle se savait perdue. Combien de fois son maître l'avait-elle corrigée ? Combien de coup de bâton avait-elle pu recevoir avant d'arriver à un pareil niveau ? L'exigence de son maître avait été froide et cruelle et elle resurgissait en cet instant où, habilement, il était presque parvenu à la toucher … Elle se fendit, rouvrit des yeux d'une froideur mordante et intransigeante avant de disparaître de sa vue.

- Je suis là.

Elle lui faisait face, se tenait immobile à quelques centimètres de son visage, ses yeux sondant les siens. Ce qu'elle put lire sembla raviver son humanité. Sa dureté à son endroit s'envola, elle lui offrit même un sourire.

- Fais comme moi, fermes les yeux, ressens les choses. Essaye d'entendre mon cœur battre, et calque le tien sur son rythme. Je ne t'apprends rien je pense, mais une victoire réside dans ta capacité à transcender l'autre. Deviens ton adversaire, fonds-toi en lui, saisis-toi de son cœur et …

Elle plaqua sa main contre la poitrine de l'ancien Juge des Enfers, sans qu'il ne ressente quoique ce soit, de prime abord.

- Tue-le.

Un léger malaise dû alors secouer le guerrier, mais rien de bien méchant car la Sainte aussitôt injecta un cosmos calme et doux là où elle avait frappé tantôt.

- Eh bien, à ton tour !

- Si sérieux que tu as dû tricher ah ah !

La jeune femme se rétablit sans trop de mal, malgré la surprise et la force de cette … réplique des plus intéressante ! Il avait de la ressource et cette démonstration sembla satisfaire une Nimuë jusqu'ici un peu obscure. La Sainte s'était détendue à vue d’œil. Plus encore quand il la complimenta pour sa technique. Encore, il n'en avait rien vu ! Elle aussi avait d'autres atouts dans sa poche.

- Bien sûr, je ne voudrais pas trop abîmer l'amoureux de ma petite-fille. Toi aussi, d'ailleurs tu n'as pas trop voulu m'esquinter. Oh, de toute façon, vu ce qui m'attends, j'en connais un qui va pas me louper.

Nimuë faisait allusion à Bélisaire. Avant de retourner au Sanctuaire, la jeune femme avait décidé d'arrêter ses pas pour faire ses adieux à son navire. Dans l'espoir de retrouver son ami d'enfance aussi. Il ne tarda pas d'ailleurs à arriver, tout essoufflé. Old John, le visage rubicond, avait sans doute prit peur en voyant de loin le bateau tanguer et l'air s'embraser. Les mains sur ses cuisses, le pauvre eut du mal à reprendre son souffle. Nimuë en profita pour faire les présentation, amusée par la situation.

- Je te présente « Old John » c'est mon ami d'enfance, il a toujours été là à mes côtés et c'est la personne en qui j'ai le plus confiance. Avec Lesath du Scorpion. Je sais que tous les deux prendront soin de Satine si il devait m'arriver malheur.

Le visage de son ami se décomposa de surprise puis d'horreur.

- Que veux-tu dire ?

- Rien, je ne fais qu'annoncer une vérité. Satine est … une enfant précieuse à mon cœur. S'il te plaît, promets moi de prendre soin d'elle.

Elle se tourna vers l'ancien juge.

- Je vais devoir vous quitter. N'oublie pas ce que je t'ai dis. Satine te seras rendue, en temps voulut.

Une fois son masque ramassé, la Sainte se détourna d'eux, laissant son ami dans l'incompréhension la plus totale.

Il était temps d'affronter son Destin.

FIN