[Avril 550] Comment un type comme ça... (Lesath)

Comment un type pareil avait pu devenir un Chevalier ? Un chevalier d'or en plus... et du Scorpion pour la totale. Le parchemin tournait entre les mains du Pope qui ne comprenait pas réellement cette nouvelle, comment sa moitié avait pu se satifaire d'un tel débauché ? Bélisaire avait envie de faire une visite de routine de toutes les Maisons du Zodiaque depuis un moment, c'était l'occasion de vérifier qu'ils en valaient tous la peine. Des femmes étaient devenues Chevaliers d'or, des choses qu'il acceptait si elles étaient fortes et puissantes, la faiblesse et ses marques très peu pour lui. Il prit son casque posé sur son bureau et le déposa sur sa tête avec un sourire sardonique. Et ce masque... Soufflant un instant, il le dévisagea et le prit lui aussi. La tradition était après tout la loi universelle qui régissait ce monde, mais la tradition ne devait pas permettre la défaite, c'était pour cela qu'il avait laissé des femmes aux postes à responsabilité.

Il quittait le temple en voyant sa garde personnelle l'entourer en quelques secondes, l'habitude de toujours être entourée était devenue une sale manie avec le temps. Mais il savait que les prédictions de Star Hill ne cachaient pas des difficultés à venir dans les prochains mois, autant d'aviser de la bonne marche de son domaine, de sa politique en un sens. Il savait qu'il était plus jeune que bien des Chevaliers en exercice mais il s'en foutait totalement, sa place il la devait à son talent pour la réussite et pour son don pour la manipulation mentale de ses ennemis. Tout était un vaste jeu d'échec selon son analyse des choses.

Après avoir franchi quelques temples, il était enfin arrivé au Temple du Scorpion. Son ancien temple. Fermant les yeux, des centaines d'images revenaient dans sa tête comme un film et il en avait presque peur. Bien des amis étaient passés par là, bien nombreux étaient les morts lors de la guerre à Rome. Il souffla un instant et fit signe aux gardes de le suivre en entrant dans ce domaine qu'il ne connaissait que trop bien. Pour ainsi dire, il s'attendait à trouver un pauvre type sans intérêt, en train de s'inoculer des plaisirs interdits... Mais il devait le voir par ses yeux, ceux qui savaient lire les talents des gens après tout. Puis bon, l'administration byzantine du Sanctuaire pouvait s'être plantée... mais il n'y croyait pas. Une fois dans le coeur du Naos, il leur fit signe de continuer leur chemin sans plus de cérémonies, ils devaient l'attendre à la porte sud du Temple. Puis, tournant la tête, il sentit une présence approcher dans son dos.

- Voici donc mon successeur. Je viens pour connaître celui que mon ancienne armure a accepté comme partenaire de combat !

Derrière mon masque, je regardais l'homme devant moi. Une loque. Il n'y avait pas d'autres termes, ses yeux avaient des légères lésions qui ne trompaient pas. Soit il venait d'un long voyage ou d'un long entraînement mais ce n'était pas la sueur qui apparaissait sur sa peau. Lentement, comme l'animal que j'étais, je prenais mon masque pour le retirer. Au fonds de moi, je tenais à ce que tous les chevaliers les plus importants de mon Ordre me connaisse autrement qu'avec ce symbole par devant trop froid pour discuter avec quelqu'un. J'étais à cheval sur pas mal de règles et sur la notion de la réussite avant tout, et qu'importait les moyens d'y parvenir !

Mais... Lesath du Scorpion me donnait plus l'impression d'être un perdant fini. Un homme devenu Chevalier par le fruit du hasard. Athéna avait pourtant salué quelque chose en acceptant que son ancienne armure ne vienne à lui. On le disait accro' à de multiples drogues, une sorte de parvenu qui profitait de la vie. Ce sentiment de décadence avait le don de me pousser dans mes retranchements. Cependant, le temps n'était pas venu pour moi de le juger ou encore de le mettre à l'épreuve. Mon ancienne armure ne l'avait pas choisi au hasard.

- Salut ! Tu es donc mon successeur ? J'ai entendu bien des termes sur toi... et je venais savoir si tout cela était vrai.

Ma pupille droite, ambrée et légèrement teintée de cosmos, semblait fixer plus intensément l'homme devant moi que le gauche. Chaque aspect de son physique était alors jugé quand je me rendis compte que son corps était comme... sous l'influence d'un pouvoir extérieur. Une drogue ? Peut-être mais cela m'intriguait assez pour ne pas le juger de suite, s'il se droguait, s'il allait dans les Lupanars, je m'en foutais royalement à la condition qu'il soit fort pour le bien de la Déesse de la Sagesse. Dans un sens, je faisais partie de ceux qui ne faisaient pas confiance au destin pour avancer, seule la réussite comptait et si Lesath avait eut assez de couilles pour évoluer à un tel niveau. C'est que, quelque part, il le méritait et le Scorpion devant moi n'était pas un branquignole. Enfin je l'espérais.

- Je suis Bélisaire, Grand Pope du Sanctuaire. Je souhaitais savoir si les choses se passaient bien pour toi, me succéder avec cette armure doit te donner des poids en plus sur les épaules. Dans un sens, je "la" connais pour savoir qu'elle ne choisit pas les faibles, dis moi, comment vois tu la victoire d'un point de vue général ?

Cette familiarité était aussi une façon de faire que j'aimais, franche et directe. J'aimais bien en imposer mais devant les personnes que je considérais pendant un temps comme mes égaux, je préférais agir avec un certain sens plus confraternel que la confrontation. Je verrai si cette optique suffirait dans un premier temps, avec le Sagittaire, je l'avais brisé pour montrer la puissance... Avec Lesath, je manquais encore du recul.

- Tu as raison de ne pas écouter les rumeurs, laisse cela aux femmes. Enfin, ne pas les entendre sur ton sujet, ce serait dire que je suis sourd, ce qui n'est pas le cas.

Les propos étaient acerbes. Mais c'était ma façon de penser sur la nature humaine, aux hommes les affaires de l'Etat, aux femmes les affaires de la Domus. Athéna avait toutefois une autre opinion et c'était bon gré mal gré que je ne m'opposais pas à la nomination des femmes dans la Chevalerie. Je les surveillais de loin pour prouver un jour à ma Déesse qu'elles ne servaient à rien qu'à affaiblir l'unité de notre force militaire. Alors que mes pensées vagabondaient sur certains de mes principes violés allégrement par des sourires hypocrites, je fus attiré par la phrase suivante de mon successeur.

- Je ne m'inquiète pas pour elle.

Non, pas elle. L'armure était forte et elle m'avait sauvé bien des fois des mains de mes ennemis. Tolérer ? Le terme me fit tiquer lourdement. Tolérer. Non. Son armure était pas du genre à accepter des clampins et si sa volonté était de protéger ce type, c'était qu'elle avait des raisons que je ne connaissais pas. Je n'étais pas le Chevalier du Bélier alors parler aux armures était loin de mes attributions. Un jour je comprendrais pourquoi elle avait choisi un tel type pour me succéder. Serrant légèrement le poing, il se réouvrit à la parole suivante du toxicomane de service. Ses paroles n'étaient pas prévues à mes oreilles, je m'attendais à voir une faignéasse du plus bel effet et voilà que sa philosophie rejoignait en grande partie la mienne. Mes lèvres s'ouvrirent alors en oubliant la brève crispation de mon visage.

- Tu me surprends. En bien. En effet, la victoire est fugace et éphémère. Mais je ne sais ce qui te pousse à cet esprit cynique, je te conseillerai de lire Marc Aurèle et son Stoïcisme sur la valeur des Guerriers. C'est en le lisant que j'ai compris que j'étais absolu, que j'étais le moyen de ma Déesse afin de conquérir la victoire et qu'importe les moyens. S'il le faut, je me battrais seul si les miens sont des incapables ou des faibles. Donc oui, elle est fugace mais elle est absolue en toute circonstance.

Pourquoi cette question ? Cet homme m'intriguait. Je pensais tombé sur un poivrot ou une chose de ce genre. Paradoxalement, je rentrais dans un discours philosophique avec lui et je devais bien m'avouer que cela m'apaisait, je comprenais peut-être un peu que cet homme avait connu tellement de défaites qu'il était capable de dépasser les situations les plus catastrophiques pour surprendre son ennemi. Cet homme attirait mes pupilles, oui, il venait d'attirer mon attention.

- A ton avis ?

Ma réponse était laconique mais il serait bien con de pas comprendre pourquoi je lui posais ce genre de questions. Les faibles n'avaient pas de place autour de moi, ou, alors...

Grand Pope sans raison ? Je ne doutais pas de mes qualités, de mon sens de l'observation pour savoir comment agir pour la victoire tant désirée. Mais la raison ? Oui, je n'avais pas de réponse, être devenu Pope avait été une surprise pour moi et je gérais les choses petit à petit. Athéna me guidait, me reconfortait chaque jour mais je n'avais pas le droit de montrer cette partie de moi même, je me devais d'être plus fort que les autres, plus dur pour moi même pour éviter que les miens ne meurent de nouveau. Ma supériorité intellectuelle pouvait être un défaut si je n'y prenais pas garde, car, elle risquait de m'enfermer dans une sorte d'autisme mauvaise conseillère. Soudain, mes épaules tombaient un peu pour gagner une forme de tranquillité.

Mon aura laissait dégager moins d'agressivité, un esprit plus confratrernel s'en échappait peu à peu comme si elle se libérait d'une gangue de certitude sur ma façon de faire.

- L'Histoire est évidemment écrite par les Vainqueurs et je te comprends, est ce que l'on doit agir sans vergogne à ce simple objectif ? Je n'ai pas de réponse.

Pour la première fois en présence du Scorpion, mes yeux vairons reprenaient leurs simples teintes écarlates.

- Si cela ne tenait qu'à moi, nous agirions avec noblesse et esprit d'ouverture... Mais l'époque, les invasions barbares qui ont ravagé Rome, non, je ne veux plus de cela pour l'Humanité. La guerre est à nos portes, elle est sale, sans vergogne et répondre avec droiture n'est plus la meilleure des manières. C'est con mon ami mais c'est ainsi. Prenant un temps de silence. C'est comme ma vision du Sanctuaire, nous formons une communauté qui ne vise qu'à une chose, assurer la victoire de l'Humanité, c'est à nous de salir les mains pour elle et pas le contraire...

En soit, il avait raison, les Saints devaient se salir les mains pour le bien de l'Empire et afin de sauvegarder les savoirs accumulés depuis des siècles dans les bibliothèques et monastères grecs. Je me rappelais trop les incendies à Romes pour ne pas oublier tout ce que l'Humanité avait perdu autrefois... Et encore, je savais que de nouveaux affrontements approchaient...

J'étais de plus en plus surpris par le ton et le recul de cet homme... Au fonds de moi même, je le prenais depuis un certain temps pour une merde sans nom et là, encore une fois, il me la clouait d'une certaine façon. Il fallait espérer que son art oratoire soit au niveau de son art au combat, si tel était le cas, il avait l'étoffe des meilleurs et cela me plaisait sans que j'y prenne garde. Silencieux, je prenais quelques secondes avant de lui répondre, prendre du recul pour estimer un sacrifice...

- En effet, juger cela après coup est une chose facile. Je ne le nie pas. Mais nous devons prendre des décisions difficiles dans le feu de l'action, les massacres, les viols, les rapines, la violence de tout cela lacère notre société sans aucune condamnation de la part des philosophes. Mais, ce qui se passe aux frontières de l'Empire participe aussi à la paix que Constantinople offre aux siens, c'est un sacrifice que j'accepte pour permettre aux nôtres, à ceux ayant encore envie de vivre dans la paix, de continuer à vivre librement et dans l'érudition. Théodoric le grand a tenté cela avec les Wisigoths... Il a été empoisonné selon mes sources, sa mort n'était pas pour le moins naturel et pourquoi ? Car il avait baissé sa garde quelques instants face à ses ennemis...

Cet homme était un érudit sous ses allures de camé de la dernière heure, il avait même ce cynisme que certains philosophes romains n'auraient pu renier. Lentement, je m'avançais dans le temple pour regarder autour de moi. Cinq ans. Cela avait été si vite qu'il en avait perdu l'habitude de voir les beautés de ce temple, ses lignes architecturales épurées et majestueuses.

- C'est dans la démesure que l'on bâtit une cité... Ceux qui croient à la paix doivent se battre pour cela.

Je savais que le nouveau Scorpion était plus pour la tranquillité et même l'humilité d'une vie rangée. Il lui manquait certainement quelque chose pour tomber dans les dépravations qui étaient les siennes mais il n'en avait pas perdu pour autant son esprit... c'était au moins une bonne chose, dans un sens, il pouvait servir à des manoeuvres diplomatiques dans le futur et le Grand Pope que j'étais pensait que toutes les armes étaient exploitables si on savait bien les utiliser.

La victoire n'existait pas. Voilà donc ... Dans un sens, oui, la victoire totale ne pouvait pas exister dans ce monde car il y aurait toujours des adversaires de l'Ordre sacré à se mettre au travers de notre route. Je devais bien convenir, alors que cela m'énervait au plus haut point, que les arguments de son sucesseur était empli d'une sagesse assez peu commune parmi les chevaliers d'Athéna. Je l'écoutais continuer son explications sans l'interrompre, tout cela prenait une tournure assez inattendue. En effet, j'étais à la base venu ici pour lui botter les fesses et que voyais je ? Que je discutais avec lui de la vision des uns et des autres sur le Monde était surprenant mais j'en prenais plus de plaisir finalement.

- Oui, tu as raison. Nos victoires conduiront fatalement à nos défaites. Je sais tout cela et j'en ai pleinement conscience, je ne nie pas que l'Empire est esseulé politiquement. Mais c'est une nécessité dans un premier temps, Constantinople vient de se révéler au Monde et je ne compte pas laisser notre vision du Monde entre les mains des Barbares et encore moins des Potentats Romains qui ne comprennent pas que la seconde Rome a supplanté la première.

Constantinople. La seconde Rome. C'était le surnom que l'on avait donné à cette cité lors de son édification et Rome était tombé peu à peu entre les mains du Pape et des princes Goths. Selon moi, elle n'était plus qu'un vague mirage d'une splendeur passée qui devait rappeler avec pertinence que les plus puissants Empires ne résistaient pas au temps. C'était mécanique, il y avait toujours une période de grandeur et de crépuscule, avant l'extinction totale. Au fonds de moi même, j'hurlais contre cet état des choses mais c'était la volonté des Dieux que tout cela changeasse en permanence, plus particulièrement d'Apollon mais heureusement que ce dernier n'était plus en activités pour lui mettre des bâtons dans les roues. Il savait que si ce dernier revenait sur la Terre, ce serait que les choses s'apprêtent à bouger, dans un sens ou dans l'autre.

- Je constate que je suis plus proche de toi chevalier que je ne l'avais cru de prime abord. Etonnant. Oui, très étonnant. Sache que je compte sur toi, tes défaites passées sont pour toi une raison de ne plus en connaître, de combattre pour notre Idéal en sachant que toute chose n'est ni noire ni blanche. Nous sommes tous liés les uns aux autres, comme les Dieux le sont par devers nous, le choix de notre place sera toujours le plus difficile ...

Des pions. C'était si vrai. On n'était que les outils d'un mécanisme plus complexe, comme chaque ouvrière d'une immense fourmilière entre les mains d'une reine. Je n'étais pas dupe non plus de la situation mais je l'avais accepté pour permettre à nos idéaux de gagner sur tous les fronts, le sacrifice n'avait pas été vain il fallait l'avouer mais je gardais toujours près de moi les souvenirs de ceux qui y avaient participé... L'ancienne génération s'était battue pour ce monde en paix, au moins au niveau des Eveillés, mais cela ne durerait pas longtemps. En effet, la mécanique reprendrait ses roulis et personne ne pouvait aller contre cela, même pas moi...

Ne voulant pas de réponses, je quittais les lieux, la discussion était terminée.