[Avril 550] Ronronnement et piqûre [PV : Lesath]

Lesath haussa un sourcil d'étonnement, puis se ravisa. Ce remue ménage ne durerait probablement pas, et, de toutes façons, il allait être rapidement fixé. Allongé comme il l'était sur le dur sol en mabre de son temple, il avait senti un cosmos s'approcher depuis quelques minutes déjà Le possesseur de cette aura s'était trimbalé tout le chemin depuis le temple de la Vierge, peut-être même plus mais ne semblait cependant pas décidé à s'arrêter. Remontant lentement mais sûrement les marches qui menaient jusqu'au palais du grand Pope, cet être semblait comme à la recherche de quelque chose. Dans quelques secondes il serait dans sa propre demeure et l'Ibère croisa les doigts pour que ce ne soit qu'une étape.

Raté, évidemment.

Immédiatement Lesath se demanda si, au final, ce que cet homme cherchait, ce n'était pas lui. C'était cependant fort peu probable. Ses contacts avec le reste de ses pairs avaient ete plutôt clairsemés. Car il ne doutait pas qu'un cosmos d'une telle intensité ne pouvais signifiée que deux choses. Soit il s'agissait d'un chevalier d'or, auquel cas l'entrevue risquait d'être longue et pénible mais tolerable. Soit il s'agissait d'un ennemi, qui aurait réussi à trainer sa carcasse jusqu'a son temple. Cette deuxième option lui semblait hautement improbable, mais pas impossible. Après tout, en ces temps de paix, un espion aurait bien pu se faufiler.

Lesath fut rapidement fixé. S'il était hautement improbable qu'un espion s'introduise au Sanctuaire, d'autant plus en affichant son cosmos de la sorte, il était très clairement impossible que ce dernier ne s'annonce en vociférant comme un forcené. Le Scorpion soupira en se redressant. Lui qui aspirait à une après midi placide, c'était plutôt loupé. Habillé simplement il s'extirpa de sa tanière. Lentement. L'idée de faire poiroter son collègue lui traversa la tête, mais Lesath se ravisa. Il n'y avait que peu de chances que ce dernier ne se décide à quitter sa Maison.

Lorsqu'il s'approcha du Lion, l'Ibère eut du mal à réprimer son étonnement. Un Barbare était donc chevalier d'or. Après tout, était-ce vraiment si étrange. Lui même avait beau avoir été élevé comme un romain, il ne procédait pas moins d'une province laissée à l'abandon et régie depuis par un " gouvernement " de Wisigoths. Il s'adressa à lui d'un ton légèrement fatigué.

" J'espère que tu sais communiquer autrement qu'en hurlant comme un possédé, sinon je crois que je vais te raccompagner sur le parvis de cette Maison assez vite, chevalier. " lança-t-il se passant la main sur le visage, sans lâcher le blond du regard.

L’homme était de bonne humeur, ça, c’était un fait inéluctable. A la simple évocation de le faire sortir du temple, il s’était mis à se gausser sans retenue. Au moins, on ne pouvait pas dire de lui qu’il ne s’avait pas s’amuser. Cependant, ne sachant pas s’il avait affaire à une façade, il préféra ne pas en tenir rigueur. Après tout, nombreux étaient les hommes qui mentaient sur leur propre personnalité en public pour mieux coller à ce qu’on attendait de lui. Bon, en l’état, il était fort peu probable que qui que ce soit ne s’attendre spécifiquement à rencontrer un chevalier d’or rigolard, je vous l’accorde. Un sourcil de Lesath se leva, alors qu’il vit l’invité lui jeter un projectile, pas assez fort pour lui ouvrir le crâne, mais assez pour abîmer les murs s’il allait s’y figer. D’un geste gracile, il attrapa le « cadeau » par l’une des petites anses, avant de le poser délicatement sur le rebord de l’une des colonnes.

« Rien ne se cache derrière le Scorpion d’Or, Childéric du Lion. »

C’était faux, vous en conviendrait, mais il n’allait tout de même pas tout dévoiler sous prétexte qu’on lui avait amené une jarre de ce qui semblait être un vin épicé, même si ce dernier se révélait être d’excellente facture. Déjà, l’ibère n’avait pas trop le vice de l’alcool. Il avait bien trop de difficultés à gérer ses autres démons pour se permettre de s’enivrer comme le dernier des saoulards. Cependant, en preuve de bonne volonté, il alla chercher deux coupes en métal, dont il se servait en général pour préparer son thé. Se versant un peu de liqueur, il proposa la bouteille au colosse qui semblait à l’aise assis sur le sol. Ayant vécu des années dans des taudis, ce n’était pas un peu de poussière qui effraya le Scorpion, qui s’assit non loin de lui.

« Je ne partage pas ton avis, Lion. » entama-t-il. Cela ne semblait augurer rien de bon. « Je ne sais pas ce qui te fait penser que je ferai un meilleur camarade sur le champ de bataille si tu connais mon histoire ou inversement. Ce sont des concepts qui me dépassent. Mais peut-être est-ce une tradition des tiens ? »

Car évidemment, les origines du franc l’avaient trahi. Tout comme l’accent de Lesath devait en faire de même. Les provinces de l’Ouest de l’Empire avaient des sonorités qui ne permettaient que peu de se tromper, après tout, et à la moindre phrase prononcée, on se doutait qu’il n’était pas de Constantinople. Il s’y était fait, et, au final, il se doutait que son interlocuteur en avait fait de même. Le statut de barbare ne devait pas attirer la plus grande sympathie de ceux que l’on croisait. Même si on portait une protection divine…

« Je suis Lesath. »

Ajouta-t-il. Lui aussi avait manqué à ses devoirs d’hôte et avait oublié de se présenter. Ce n’était pas bien grave d’un autre côté. Ce n’était pas lui qui s’était pointé sans prévenir !

L’homme avait l’air de bonne volonté, son rire aurait d’ailleurs pu convaincre n’importe qui. Il avait dans le regard une lueur qui donnait envie de le croire, et il semblait sans aucun doute être un bon camarade. De jeu, de beuverie, de combat. Au final, il avait plutôt l’air d’un chic type, c’est pourquoi le Scorpion fut légèrement dérangé de devoir recadrer, à sa façon, la demande de son nouveau compagnon d’infortune.

« Je ne suis personne, car je n'en ressens pas le besoin. Je suis le Scorpion, et rien de plus. » L'homme qu'avait été Lesath était mort dix ans plus tôt, et il ne résidait, dans sa carcasse qu’un ersatz de vie qui n’avait plus vraiment de but. Son nouveau rôle lui avait fourni une raison de se maintenir à flot, pour l’instant. Servir Athéna était, quelque part, une bouée qui s’était présenté à lui alors qu’il ne l’attendait plus. Il n’avait pas besoin de plus pour accomplir ce qu’il considérait comme son objectif personnel.

« Tu as surement besoin de faire confiance aux tiens. Ce n’est pas mon cas. » Lança-t-il en prenant une gorgée du vin épicé. Le liquide était bon, et étonnamment moins fort que ce qu’il avait pu s’imaginer venant de la part d’un gaillard comme Childeric. Il s’était attendu à un tord-boyaux qui lui aurait brulé l’œsophage. Réchauffé par l’alcool, il reposa la coupe quelques secondes sur le marbre du sol.

C’était un fait. L’Ibère n’avait jamais eu besoin de s’entourer pour se sentir protégé, car il ne savait que trop bien que toute personne trop proche était une lame qui pouvait le traverser au plus mauvais instant. Les camarades, les amis, les proches, les connaissances. Ce n’étaient que de mauvaises armures, sur qui on ne pouvait compter. Jamais. Son existence passée lui avait enseigné qu’il était déraisonnable de se reposer sur les autres. Un but devait être atteint seul, même si la difficulté d’une telle entreprise ne se voyait alors décuplée.

« Tu n’as cependant pas besoin de me considérer comme un ennemi. Je n’en ai jamais eu. » Continua-t-il après quelques secondes, pour éviter tout malentendu. S’il refusait cette main tendue, ce n’était pas par méchanceté, ni par mauvais esprit. C’était tout simplement qu’il n’avait aucune confiance en ce franc, qu’il porte une armure d’or, ou non.

« Et honnêtement, je ne comprends pas bien ce que je pourrais gagner à te trahir. Nous servons la même cause, cela devrait te suffire. » Conclut-il en se resservant une lichette de vin.

Cela était suffisant pour le Scorpion, pour l’instant. Oh, il comptait bien garder un œil sur les agissements de ce franc, plus pour sa propre culture que pour le bien fondé de la chose. Après tout, il n’avait concrètement pas grand-chose à lui reprocher, et ne pensait pas d’ailleurs en venir jusque là. Il se doutait que le colosse était aussi grand que bienveillant. Cependant, aux yeux de l’Ibère, ce n’était pas suffisant. Ce n’était jamais suffisant.

« Tu es donc franc. » répéta-t-il machinalement. Il n’avait pas grand-chose à reprocher aux différents "barbares" lui-même étant probablement aussi romain que Wisigoth, mais il lui semblait tout de même étrange que l’un des fiers guerriers délaisse ses convictions pour servir une déesse telle que Minerve. C’était pour le moins inattendu, à vrai dire. Surement une raison supplémentaire pour le suivre de près.

Il avait son récit, lui aussi. Peu de chevaliers avaient droit à une ébauche d’histoire, d’ailleurs, naissant, s’entrainant, mourant sous l’égide de la déesse de la Sagesse. Les élus qui parvenaient à vaincre le gardien de leur armure l’arboraient jusqu’à ce que la mort ou l’incapacité ne leur enlève cette protection divine. Les paroles du franc étaient étrangement tristes, s’éloignant de celles qu’il avait prononcées jusqu’alors. Ainsi derrière ce masque de bonhomie, il avait ses propres blessures… Lesath ne releva cependant pas ce détail à voix haute. Il n’était ni sa famille, ni son ami, et partager de tels moments avec un parfait inconnu serait surement plus dérangeant pour le Lion d’or qu’autre chose.

« Savoir de l’où on vient, pour deviner où l’on va. » murmura-t-il.

Il s’agissait d’un dicton qu’il avait entendu plus d’une fois, dans autant de bouches qu’il avait eu de vies. Il n’était pas tout à fait d’accord avec ces propos, notamment parce qu’ils impliquaient que le futur d’une personne était étroitement liée à son passé. Comme fixé sur un rail qu’il devait tordre pour pouvoir s’échapper de la route que ce même passé avait prévu pour lui. Cette image lui déplaisait fortement, car une réinvention de sa propre personne était non seulement possible, mais dans certains cas carrément souhaitable.

« L’accent est traitre. » dit-il tranquillement, en attrapant la fiole de vin qui se trouvait à ses pieds et en la lançant au colosse. Ce dernier avait fini sa coupe, et étant donné son aisance à boire il n’allait surement pas en rester là. Il était un piètre hôte, mais avait quelques rudiments de savoir être. Se rendant compte que sa phrase n’était pas tout à fait claire, il laissa Childeric se dépêtrer avec l’alcool avant de reprendre.

« Je ne suis pas Wisigoth, mais Hispano-Romain. Cet écart est très important pour nous et insignifiant pour le reste du monde, je suppose. »

L’occupation de la péninsule par ceux qui étaient jusqu’à peu considérés comme des barbares n’avait très clairement pas été un fait d’une importance cruciale pour les autres peuples. La Lusitanie et l’Hispanie Romaine n’étaient, au final, qu’une province de plus qui passait d’une main à une autre : des romains aux goths.

« Malheureusement, je ne suis pas le fils d’Athaulf ou un descendant d’Alaric. Mon histoire est bien moins légendaire que celle d’un prince. » Ajouta-t-il en haussant les épaules. « Le résultat, cependant, n'en reste pas moins le même. Nous ne sommes plus que des rôles, des chevaliers d’or. Du moins c’est de cette manière là que je le conçois. Je comprends qu’on ne soit pas du même avis. »