[Mi-Mars553] Les roses et les ronces (LIBRE)

Nos pas nous ont mené jusqu’ici, dans ce quartier qui se prénomme « Les Rouges-Crocs. » Un nom très évocateur. Nous découvrons les lieux et je suis captivée par l’architecture, l’atmosphère si particulière qui se dégage des vieilles pierres. Mais plus particulièrement, ma curiosité est piquée au vif par la forte symbolique autour des roses.
Je veux me rendre dans l’église Notre-Dame-des-Ronces, mue par une sorte de prémonition, à moins que ce sentiment vienne d’un fol espoir ?

Je marche dans l’ombre, possédant moi-même tous les attraits. Enveloppée d’une cape noire, on ne distingue rien de ma personne, pas même mes mains recouvertes de gants sombres, mon masque, d’une capuche. J’ai choisi d’être un fantôme. Un spectre déambulant en plein jour. Je veux me faire aussi discrète que possible, ne pas attirer l’attention sur moi, sur nous. Je lance un regard par-dessus mon épaule.

« J’ai l’impression d’être attirée là-bas, tu m’en veux si on devient des pèlerins en quête d’absolution ? »

Ma « voix », parce que je ne la libère pas de ma bouche, mais par la pensée, chante dans l’air une musique plus joyeuse. Preuve d’un certain entrain tout enfantin. Je désigne du doigt l’édifice religieux.

« Elle est magnifique ! »

Il ne le verra sans doute pas, mais mes yeux pétillent. Je m’engage sur le parvis, marque un temps d’arrêt et ferme mes paupières pour délivrer, dans un murmure, une vieille prière que la Sorcière Bleue m’a apprise. Mon sang celte s’éveille, mon cœur aussi.

« Il paraît qu’une drôle de légende circule autour d’une vieille statue. » Une pause. « Oui, j’ai laissé traîner mes oreilles… tu veux entrer ? Ne te sens pas obligé de m’accompagner. »

Sitôt arrivés, sitôt en chasse.
Cela me convient fort bien, à vrai dire. Et notre duo recomposé s'oriente au gré des envies de Morwenna. Je la laisse choisir, et me contente d'observer, de veiller sur elle, et de me fondre dans les ombres, à sa suite.
Nous sommes deux spectres, aujourd'hui. Loin des ruelles bruyantes et des échanges amicaux.
Juste deux ombres.
Nos pas nous mènent dans une zone pieuse, où je perçois chez ma sœur un enthousiasme que je ne crois pas lui avoir déjà revu, depuis Constantinople.

Je te suis.

Avec un sourire. Des pèlerins en quête d'absolution ? Elle ne pouvait trouver meilleure thématique pour nos âmes. Telle une enfant, Morwenna m'indique un édifice religieux, qui semble l'attirer comme une mouche avec du miel. L'ambiance lui sied. Épines et roses. Comment lui refuser cela ?

Je ne te quitte pas une seconde.

La phrase a fusé avec réflexe. Tel un gardien vigilant, je resterais prêt d'elle. Pour ne pas la perdre.

Et puis, visiter une église avec toi, cela commence à devenir une tradition.

Sauf que je doute de ressentir le doux cosmos d'Athéna dans celle-ci. Je me glisse à sa suite, et la taquine, en parvenant à sa hauteur.

Qu'as-tu donc fait avant notre départ ? Je ne t'ai que rarement vu aussi... Guillerette. Tu n'es plus la même.

Et dans ma bouche, difficile de trouver plus beau et vibrant compliment.

Utilisation d'Arcane rang 3

Je lâche un léger rire. « Tu as raison, ça va devenir une habitude, à force. » Sur le point de répondre à sa question, nous sommes interpellés par un homme.

Je me retourne vers lui. Cette personne… je la reconnais ! À Glastonbury elle s’était présentée comme Japheth Cappadocius, maître archiviste. Désormais, il délivre un titre qui fait sens. Un Thuatha, comme le Prince de l’île aux Cieux. Si je ne laisse transparaître aucune once de surprise dans mon aura, je suis davantage inquiète concernant mon frère. Comment peut-il connaître son nom. Je fais erreur, je pense à ma mentore et… ça ne colle pas. Alors comment ?

Je darde mes prunelles dans celle du Verseau. Déjà la première fois, Japheth était parvenu à nous débusquer avec facilité, Ariane et moi. Songeuse, je réponds à ce fantôme du passé :

« « Il » avait raison ? »

Je reste prudente, aussi bien dans mes mots que dans mon attitude. Mon intuition a l’air de se confirmer : j’ai été guidée jusqu'ici.

« Vous semblez bien informé, Seigneur Japheth, vous présumez bien, comme toujours ai-je envie d’ajouter. Vous nous attentiez ? » Je ne le quitte pas des yeux, or, ces derniers sont attirés par l’autel, les roses, cette statue étrange.

Quelque chose me laisse à penser qu’il nous nous apprêtons à nous engager dans une quête aussi dangereuse que risquée. Pourtant, je gage que l’archiviste a beaucoup à nous dire…

Notre périple discret venait de stopper par une rencontre bien étrange.
Un homme semblait nous attendre, placide et parfaitement maître sur ce territoire. Qu'il soit parvenu à me repérer, malgré ma discrétion, venait de piquer mon ego, mais je tâchais de ne rien en montrer.
L'inconnu se présenta rapidement, et pire encore, déclina nos identités. Difficile de faire pires espions...
Toutefois, Morwenna semblait le connaître, ce qui eut le don de me détendre. Un peu.
Je saluais donc cet homme d'un hochement de tête courtois, avant de m'adresser à lui, une fois que ma sœur eut finie.

J'espère l'être. Même si comparaison n'est pas raison. Je suis certain qu'en restant moi même et fidèle à mes engagements, je saurais rendre fier ceux qui m'ont précédés.

Narcisse du Verseau... Ce nom ne me disait strictement rien.
Certes, je n'étais pas vraiment un érudit, et je n'avais jamais eut le temps d'étudier l'histoire du Sanctuaire et des Saints des temps passés, mais ma curiosité était piquée. En un temps plus calme, je pourrais peut être interroger cet homme sur ses connaissances, visiblement étendues.
Tout comme Morwenna, je tiquais en entendant le fameux "Il" avait raison. De qui parlait-il ?
Quel individu pouvait à la fois nous connaître, mais aussi suffisamment s'intéresser à nous et à nos comportements pour deviner notre chemin ? Je me sentais espionné, prit au piège, observer. Et l'assassin en moi n'aimait vraiment pas ça.

Poussée par la curiosité, mue par cette puissante aura, je n’attends pas l’approbation du Verseau pour rejoindre Japheth. Je me demande s’il a reconnu qui se cachait derrière mon pseudonyme ? Cette éventualité m’effraie. Japheteh ne fait pas trop de mystères en dévoilant un nom totalement inconnu : Eole.
Cette personne semble en savoir long sur la malédiction du sang. Je reste méfiante, je m’attends à un piège, car… c’est trop beau. La coïncidence trop évidente. Je le regarde droit dans les yeux.

« Le Papillon m’a donné les réponses. Lucius est toujours en vie, oui. Il subsiste à cause de moi. De mon sang. » dis-je sombrement. « Elle m’a offert deux choix. Deux sacrifices. Le mien, ou celui d’un innocent. »

Je serre mes doigts, les nouent ensemble. « J’ai choisi. J’ai choisi l’amour et l’Humanité. Restaurer le Cycle qui s’est brisé. »

L’avouer devant mon frère qui se bat pour moi me coûte et je lui glisse un regard désolé. Je reviens vers le Cappadocien :

« Quel est votre intérêt dans cette histoire ? Que voulez-vous ? Lucius est un druide noir au service de Mebd, au même titre qu’un certain Eliavres que je recherche. Enfin, non, Ferdiad est un Fomoire... »

Peut-être est-il possible de nous entendre sur une quête commune ? Pourquoi Eole et l’archiviste sont-ils à la recherche de Lucius ? Tant de questions, et les doutes reviennent au grand galop, piétinant mon esprit. Oui, il est rongé par le poison d’Aphrodite.

Je meurs, mais je combattrais encore, je l’ai promis. Je ne vis plus pour moi.

« Pourtant, il existe une troisième solution. »

Je recherche dans les yeux du Cappadoce une quelconque once de dualité, ou une quelconque vérité.

Je me sentais totalement étranger à ce qui se déroulait devant moi.
Spectateur impuissant et solitaire.
Non par les paroles de notre mystérieux hôte, mais en raison des révélations assénées par Morwenna.
Je répondis à son regard désolé par un masque d'indifférence froide. Ainsi, il existait un moyen pour la guérir, et durant tout ce temps, elle m'a menti éhontément...
Je me retiens de quitter les lieux, pour l'abandonner à son sort. Mais mon devoir de chevalier d'or dépasse mon ego blessé de frère trahi. J'écoute donc avec attention, note chaque détail.
Un innocent ? Mais qui ?! Un nom, un seul, et ma lame sortirait de nouveau de l'ombre où je l'avais dissimulée. Cela fait bien longtemps que mes talents d'assassin n'ont pas été mis à contribution. Mais pour l'occasion, je serais prêt à retrouver mes anciennes habitudes.
De toute manière, je semble être bien plus doué pour donner la mort, que pour le repousser.
Morwenna mentionne une troisième voie, mais je n'en tiens pas compte. Un mensonge de plus dans sa bouche ? Tout est possible.
C'est alors que le dénommé Japheth s'adresse de nouveau à moi. Décidément, il semble savoir beaucoup de choses... Trop ? Peut être.

Mes talents sont à disposition, lorsqu'ils peuvent servir le bien, et les intérêts de notre déesse.

Ni un non catégorique, ni une affirmation. Je préfère attendre qu'il m'expose les conditions, tenants et aboutissants de ses projets.
Mes pensées reviennent sur le dénommé Eole... Le dieu des vents ? Peu probable. Qui peut-il donc être pour en connaître autant sur nous ? Est-il également au courant de notre lignée ? Si oui, le danger est plus grand que jamais, et le Grand Pope doit en être tenu informé au plus vite.
Il ne faudrait pas que ma cachottière de soeur et moi servions de matière à chantage pour Childéric.

J’ai anticipé sa réaction. Malgré le masque indéchiffrable qu’il m’oppose, je devine que Kilian est vexé. Le temps des explications viendra.
D’abord, il y a cet homme rencontré autrefois au détour d’une mission à Glastonbury. L’archiviste ne paraît pas avoir percé mon mystère. Pas encore. Je hoche gravement de la tête.

« Je cherche à obtenir le pardon d'Emer, l'amour de Ferdiad et de Setanta. Le Prince a dit ces mots : cet amour est celui qui le lie au corps de Setanta et à votre sang. »

Voilà la quête qui est la mienne. Bien hasardeuse. Je ne sais pas par où commencer alors, me trouver ici, entourée de roses, des secrets et de l’ombre du passé m’encouragent à m’accrocher dans cette voie. Mon seul espoir.

« Née le jour le plus froid du monde ? Vous êtes au moins aussi mystérieux que l’est Scáthach. Que pouvez-vous m’apprendre sur l’Amour d’Emer ? » je marque une pause. « Je veux bien vous prêter main forte si vous consentez à le faire de votre côté, mais… votre simple présence me pousse à penser que c’est là votre but. Une entraide. J'ai mentionné un certain Eliavres, vous en avez déjà entendu parler ? »

Les deux hommes nouent leur propre accord. Un infime espoir m’étreint.

« Je ne l’ai jamais rencontré, mais oui, il est… de retour ? » je me tourne vers mon frère pour qu'il confirme.

Je tique, mais ne relève pas plus. Décidément, nous avons beaucoup à nous apprendre l’un et l’autre, je lui propose :

« Peut-être devrions-nous nous retrouver dans un endroit moins… voyant. Pensez-vous qu’il serait possible que je rencontre Eole ? » j’ajoute. « Bien sûr, dans la plus grande discrétion. Si vous cherchez Lucius l’assassin alors nous pouvons nous entendre. »

J’use sciemment du surnom délivré par ma mentore. De quoi alimenter notre discussion et établir un semblant de confiance. Il semble que nous nous rendions dans la même direction. Autant unir nos forces.
Car les miennes sont déclinantes.

J'écoute attentivement les propos de chacun, mais je me sens plus perdu que jamais.
Des noms fusent, des principes, des histoires d'amour perdu, de sang, de lien, et je n'y comprends rien.
Alors je garde le silence, pour tenter de renouer le fil.
Morwenna propose une entraide,e t malgré ma colère à son encontre, je ne peux qu'approuver son initiative. Nous devons retrouver la trace de ce druide noir, et le relier à Jamir et à la mort de l'ancienne gardienne.

Quels mystères de la mort cherchez-vous exactement ? Est-ce là la source de votre intérêt pour l'alchimie ?

Cet homme tenterait-il de percer le mystère de l'immortalité ? La quête ultime de mon art... La pierre philosophale. Mais avant que je ne puisse obtenir de réponse, il pose une question sur l'un des nôtres.

J'ai déjà entendu son nom, mais je ne l'ai jamais croisé jusqu'à présent. Nous ne sommes pas les chevaliers d'or les plus... avenants du Sanctuaire. Vous le connaissez ?

Et Morwenna reprit la parole pour proposer de poursuivre cette conversation, avec davantage de discrétion. Je me tus de nouveau, la laissant s'imposer comme elle avait l'habitude de le faire. Sur de trop nombreux sujets.
Et le sujet de ce fameux Lucius revint sur le tapis. Qui était exactement cet homme et pourquoi obsédait-il à ce point ma sœur ? Une cible de plus sur mon tableau de chasse ? Seul l'avenir le dirait.

Hermès. Mon regard tombe sur mon frère, lourd de sous-entendu. Ainsi donc possèderait-il des clefs ? Je le laisse poser ses questions. Moi, mon esprit est embrouillé. Il est attisé par un fol espoir de voir ma guérison possible. Ne suis-je pas en train de me fourvoyer ? Je garde la tête froide, là où Japheteh montre des signes de rage.

Les explications ne tardent pas. La question aussi. Je lui réponds : « Il est recherché par les nôtres. Je ne vous cache pas que si nous lui mettons la main dessus, nous l’éliminerons. »

Ma « voix » est froide, dure, implacable. Il périra de ma main pour avoir tué la gardienne de Jamir. Ce druide noir ne mérite que cela. « Comment pourrions-nous décliner une si alléchante proposition ? » tenté-je sur un ton plus léger, histoire de détendre l’atmosphère électrique.

« Pas que je sache. » Nouveau regard vers mon frère. « Comme l’a dit mon compagnon, nous ne sommes pas les Saints les plus affables. » un léger rire ponctue cet état de fait. Une vérité que l’on avait tous les deux forgés pour s’éviter des douleurs inutiles. « Une noble cause, à n’en point douter. »

J’aimerais en savoir plus sur lui, sur eux. Anciens Soleils Noirs… enfin, Japheteh et les autres sont-ils toujours liés dans un même serment ? Qui et quoi servent-ils ? Je me risquerais à lui poser les questions qui me brûlent la langue si un moment nous le permet.
Sur ses talons, je finis par me perdre dans la contemplation des rues, des passants. Attentive à la vie qui fourmille. La mort, aussi. Le secret et l’occulte.

Hermès...
Entendre de nouveau ce nom me fit manquer un battement de cœur.
Le trouver de nouveau ne me poserait aucun problème, mais... Le dieu des voleurs connaissait mon ascendance. Il avait prédit mes choix, en me poussant dans une direction souhaitable.
Mais... Certaines de ses paroles les plus mystérieuses pouvaient-elles trouver un sens aujourd'hui ?
Laissant Morwenna et l'archiviste poursuivre leur conversation, je m'isolais mentalement pour raviver mes souvenirs. Ceux de ma rencontre avec Hermès.
Protéger l'amour... Cela pouvait-il avoir un lien avec les deux homonculus qu'avait évoqué la divinité ? L'un doré, l'autre de sang. Des tours, des clés...
Chercher la faille...
Je sentis alors le poids du regard de Morwenna, et je lui adressais un signe de tête discret, malgré ma colère. Oui, peut être que je possédais des réponses... Bien que je n'en connaisse pas la finalité.
Je glissais alors mon esprit dans le sien pour lui délivrer un message, aussi subtil qu'une caresse glacée.

Hermès m'a dit de chercher la faille... Il aurait insufflé son pouvoir à la création des deux seuls homonculus vivant dans ce monde... L'un doré, l'autre de sang. Ils seraient des "tours" qui seraient des clés, voilà son message. Mais j'ignore si cela a un rapport avec ce que tu recherches.

Malgré mes efforts, je peinais à saisir tous les tenants et aboutissants de leur conversation. Alors autant donner à ma sœur cachottière les rares énigmes d'Hermès dont j'avais eu la primauté.
Toujours silencieux, je les suivis en direction d'une auberge. Tout en notant que cet homme avait jadis revêtu un habit doré.

Malgré sa colère palpable, Kilian me répond d’un discret hochement de tête tandis que nous nous engageons dans une nouvelle rue, plus animée que la précédente. Les mots qu’il ne destine qu’à moi seule me font me perdre dans mes réflexions. Je me sens perdue. Si déboussolée que je suis surprise par une intervention. Une femme s’est dressée sur notre chemin pour interpeller Japheteh. La réaction de ce dernier me surprend ; qui est donc cette personne pour faire légèrement vaciller l’ancien chevalier du Cancer ?

Aoden. Mon expression se fige, que vient-elle de dire ? Je passe outre l’insulte et la médisance, je connais suffisamment ce genre de personnage pour savoir comment agir avec elle. Par l’ignorance et le miel. Mon esprit se ferme aussitôt, j’oppose à cette Morgane, une farouche résistance psychique, dans l’éventualité d’une intrusion. J’écoute le Cappadocien nous livrer des détails quant à son identité. Moi aussi, je comprends mieux. Une Sidhe, hein ?

Je m’avance d’un pas devant son palanquin et m’incline avec une grâce qui pourrait surprendre au vu de mon état.

« Votre Altesse, mes hommages. En effet, il n’y a rien de grec dans mon lignage de sang mêlé. » en vérité, je l'ignore. À part mon père, je ne connais rien de mes origines. Alors je pourrais très bien être une bâtarde que cela ne m’étonnerait pas. Mon paternel ne sait visiblement pas tenir son serpent dans son pantalon. « Ce serait un trop grand honneur pour deux pauvres hères comme nous ! » Je me tourne un instant vers Japheth. « Je ne dis cela évidemment pas pour vous, vous êtes un véritable soleil, mais un soleil éclipsé, je le crains, par un si bel astre. »

Une manière de lui faire savoir que je me sens tout aussi coincée qu’il ne l’est. Refuser serait délicat et ce serait reculer pour mieux sauter. Une chose est sûre,’elle ne compte pas nous laisser partir comme ça ! Je retiens un soupir, je ne suis vraiment pas d’humeur et en état de mener à bien une discussion comme j’ai pu le faire à Atlantis.
Ces batailles-là ne sont pas pour moi.

Le destin pouvait être cruel. Et s'acharner sur ceux dont la patience était déjà fortement éprouvée.
Alors que nous nous dirigions vers une taverne, nous fûmes pris à partie par une vénéneuse femme, allongée dans une litière.
Insultante, au demeurant.
Inexpressif, mes sentiments furent toutefois trahi par mon poing serré à l'écoute de ses premiers mots.
Aoden... Le nom maudit me foudroya par les mille risques qu'ils sous-entendaient. Surtout ici... Là où les marinas pouvaient nous croiser, au détour d'un chemin.
A ma grande surprise, notre guide sembla pour le moins mal à l'aise face à cette harpie. Son influence n'était donc pas à négliger. Je ravalais donc la saillie qui me venait en tête pour laisser ma soeur s'exprimer.
Toutefois, au lieu de l'envoyer paître comme je m'y serais attendu, Morwenna entra dans son jeu, mimant une déférence qui ne cessa de m'interpeller. Toutefois, je parvins à prendre sur moi, pour la laisser jouer sa partition.

Je n'y vois aucune objection.

Me retenir de geler sa face de vipère était une chose, mais de là à être aimable... Il s'agissait d'un pas que je ne pouvais franchir.
Morwenna se chargerait donc de charmer cette catin, et je veillerais sur ses arrières. Jouant le rôle de la potiche de service.
Qu'avions-nous à gagner à boire le thé avec une femme pareille ? Bah... Au mieux, quelques informations digne d'intérêt. Peut être que la gêne en valait la chandelle. Au pire, ce ne serait qu'un peu de temps perdu.

Sous l’étendard de la princesse, nous poursuivons notre épopée. Japheth se porte à notre hauteur et glisse quelques mots à notre attention. Je suis tout aussi prudente lorsque je lui réponds :

« La plus sage et sans doute la plus risquée. Cette femme… est très différente du Prince. » Je marque une courte pause avant de poursuivre : « Lui plaire au point qu’elle me garde de l’hospice où elle souhaite m’envoyer ? »

Un sourire se dessine sous le masque. Un carcan qui, aux yeux de Morgane, est une protection bien vaine. Comment aurais-je pu deviner ? Au moins suis-je prévenue. Je ferai part de ce détail à notre Grand Pope. Je l’entends déjà soupirer. Le pauvre, ici, le poids de la couronne doit être encore plus lourd à porter.
Car plus que quiconque, il n’a pas le droit à la moindre erreur. Et les nôtres pourraient bien l’incomber.

Morgane a des réponses, c’est une certitude. Comme elle des liens se sont tissés dans son esprit. Cela aussi, je l’ai vu, elle ne l’a pas dissimulé. Au moins avons-nous un allié de circonstance. Du moins, je l’espère secrètement.

Lorsque le palanquin s’arrête devant l’entrée d’une tour richement ornementée. Je m’émerveille face à tant de magnificence. Jamais, et pourtant j’ai pu arpenter une bonne partie du monde, ai-je observé pareille architecture. Magique, c’est une évidence. La vie et la pierre étroitement liées. Suivre les pas de Morgane la fée nous amène jusqu’à ses appartements. Ceux de sa mère, s’empresse-t-elle de rectifier. Je souligne mes remerciements par une nouvelle révérence.

« Merci, Votre Altesse. » Mes yeux se promènent dans la salle un instant avant de revenir à notre hôtesse : « En vérité, je ne peux me montrer aussi tranchée que vous. On ne peut être sûr de rien, avec lui. Donc je vous assure qu’il n’y a rien de charmant là-dedans, mais vous le connaissez mieux que moi de ce que je peux en juger ? Il abandonne tant de femmes éplorées derrière lui… »

Je laisse entendre une certaine aigreur dans le timbre de ma « voix ». Une pointe de curiosité mâtinée d’amusement. « Vous présumez bien. Nous avons été invités par le Seigneur Léodagan de Carmélide. Cette cité est grandiose, je ne m’attendais pas à tant de beauté. Pour le masque, j’en prends bonne note, mais la tradition veut que je le conserve. Au risque de faire voler en éclats les lois qui régissent Camelot ou… précipiter des épousailles. Et soyons honnêtes, qui voudrait d’une « matière morte » comme femme ? »

Un « rire-mélodie » s’échappe dans l’air. Je refuse poliment une coupe que l’on me destine. Autant me servir de ce prétexte du masque à mon avantage.
Mon œil s'attarde sur mon frère qui semble bouillonner de l'intérieur.

Mais dans quoi nous précipitons nous ?
Je suis, bon gré, mal gré. Tout en étant conscient des éventuels bénéfices à cette rencontre.
Sans un mot, j’emboîte le pas à mes deux compagnons, dans le sillage du palanquin, jusqu'à parvenir à une tour grandiose. Aussitôt, je manque frisonner en ressentant tant de magie, de cosmos dans un seul endroit. Mes sens d'alchimiste s'affolent, mais je parviens à conserver une contenance.
Le moment est mal choisi pour céder à l'émerveillement et la curiosité. Ma méfiance ne doit en rien s’émousser.
Nous entrons, pour parvenir dans des appartements appartenant à la mère de cette Morgane. J'espère juste qu'elle n'est pas faite du même bois...
Comme convenu, je laisse Morwenna s'occuper de la conversation, et pour la première fois, je vois ma soeur se lancer dans le jeu des mondanités. Avec une verve que je ne lui soupçonnais pas.
Comment de masque porte t-elle ?
Machinalement, j'accepte le verre de vin, mais sans y tremper mes lèvres. Je ne suis guère friand d'alcool en général, et il ne faudrait pas que cela nuise à ma vigilance.
Lorsque Aoden est évoqué, je me fais plus discret qu'une souris. Ce secret a été partiellement éventé, alors autant ne pas en rajouter. Et Habillement Morwenna bifurque sur la raison de notre présence à Camelot.
J'observe, j'écoute, j'analyse.
Morwenna rentre totalement dans le jeu de cette femme, se moquant de son propre état... Ce qui m'agace au plus haut point. Comment rire d'une mourante ?! Mais je reste froid, détaché. Inutile de céder à mes émotions. Pas ici, pas maintenant.
Je tourne mon regard pour détailler la pièce. Cette sensation d'un cosmos omniprésent... Cela me fascine. Est-il donc possible de le façonner pour en faire des objets ? Une idée à retenir pour de futures expériences, une fois de retour au Sanctuaire.

Il se montre ? Mes sourcils se froncent. À quoi fait-elle référence exactement ? « Oh, vous avez eu la chance de voyager à ses côtés ? » dis-je avec un brin de sarcasme et de malice. « Je vous demande pardon ? »

Les roses de Fermanagh ? La main de Japheth se pose sur mon avant-bras recouvert d’un épais tissu sombre. Je lui destine une œillade, un simple hochement de tête pour lui signifier que je suis maîtresse de mes moyens. Je suis non pas soucieuse, mais interpellée par les révélations qu’elle m’offre, très certainement à dessein.

« Les roses de Fermanagh ? La région d’Irlande ? » Là où je suis née et où j’ai rencontré Lucius. Ainsi donc l’a-t-elle connu lorsqu’elle était toute jeune ? Ma tête se penche sur le côté, je laisse l’archiviste confirmer cette vérité qui m’échappe encore. Il y’en a beaucoup trop et je suis lasse de ces jeux d’énigmes. « Non, je ne suis pas une parente. Je suis celle qui mettra fin à son existence. C’est un traître et il a brisé le Cycle. »

Je soutiens le regard de cette dame mystérieuse et je le devine, réellement puissante. Puis le froid nous étreint entre ses bras. Je frissonne et enroule les pans de ma cape autour de mon corps déjà transi, cherche à connaître l’origine de cette manifestation. D’instinct, mon regard s’est porté sur Kilian, le maître des Glaces.

« Est-ce que l’Amour d’Emer vous évoque-t-il quelque chose ? » déclaré-je en revenant sur Morgane.

Je ne pousse pas les questions plus loin. Je ne parlerai pas de l’Augure ni de mes affiliations. Morgane et le Cappadocien en savent déjà bien trop sur mon compte… Et il y a une chose que j’aimerais savoir : je suis née le jour le plus froid du monde et cela semble avoir son importance. Une clef ?

« Je me demandais ! Puisque vous êtes une érudit, et je suis sûre, une parfaite conteuse, peut-être connaissez-vous la légende de Bran O’Bannon ? Ou une anecdote sur les terribles Fomoires ! »

Je connais un peu l’histoire de notre famille, et il serait bon que mon cher Kilian l’entende, surtout de la bouche d’une Sidhe aussi cultivée. Cette Morgane se révèle sous un jour que je ne soupçonnais pas. Comme quoi, les apparences demeurent trompeuses…

A chacun son rôle de prédilection. Tel était le credo d'une équipe efficace et complémentaire.
Morwenna s'en sortait très bien face à cette Morgane, et je ne voyais pas quoi ajouter de toute manière.
Les paroles s’enchaînaient à toute vitesse, et je notais que ma sœur était parvenue à faire glisser le sujet vers des informations à priori dignes d'intérêt.
Aoden... Puis directement les O'Bannon ? Pour le coup, je tendis l'oreille avec attention, sans pour autant me déconcentrer de ma surveillance globale.
Tout à mon observation vigilante, je crus être sujet à une sorte d’hallucination, via un miroir.
Un regard emplis de ténèbres assez implacables pour me faire frisonner...
Le front luisant de sueur, j'observais Morgane et m'étonnais qu'elle n'ait pas remarqué l'intrusion. Là, ça devenait louche.
Bien malgré moi et mes réticences, j'engloutis l'alcool dans ma coupe en quelques secondes.
Je m'avançais alors d'un pas, et posais une main ferme sur l"épaule de Morwenna. Comme une marque de soutien ou d'affection. Nul doute qu'elle percevrait le réel message.

Dame Morgane, ce vin est un véritable nectar. Je n'avais jamais dégusté un alcool de cette qualité. Me permettez-vous de vous resservir, en signe de gratitude ? Au fond, je reste l'échanson du Zodiaque.

Tout sourire, je me dirigeais vers la carafe et m'approchais de Morgane, jusqu'à me glisser à ses côtés pour remplir sa coupe. Je me penchais alors, de manière à approcher de son oreille, sans gêner l'échange visuel entre elle et Morwenna, tel un serviteur zélé.

Espion dans le miroir... Regard ténébreux...

Sans me départir de mon air aimable, je retournais déposer la carafe, sans détacher mes yeux de la surface réfléchissante où j'avais vu cette présence malsaine.

« Alors, c’est là-bas que se trouvent les origines des Poissons ? » Ah… tant de choses se nouent et se dénouent que je ne sais plus quoi en penser. Une chose est certaine, je suis heureuse d’avoir accepté l’invitation de Morgane. Cette femme me rappelle le Prince, tantôt versée dans sa nature féérique, tantôt dans des « travers » très humains. J’aime cette ambivalence, ma mentore me l’a inculquée et c’est fièrement que je porte ses enseignements. Qu’il me faudra un jour transmettre, peut-être… Cette perspective de ne pouvoir le faire me noue la poitrine d’un semblant d’angoisse. « Une héritière, oui, cela se peut. J’en apprends de plus en plus sur mes propres origines, alors… »

Je dévisage un instant Japheth et pose à tous les deux une autre question qui me brûle les lèvres : « Être née le jour le plus froid du monde… qu’est-ce que cela signifie ? Implique ? »

Pour le reste, les histoires narrées trouvent un chemin jusqu’à moi. L’écho des légendes prend tout son sens. Pour moi, elles sont le reflet d’une vérité plus tangible que beaucoup ne leur accorde pas.
Remarquant le comportement étrange de mon frère, je fais mine de poursuivre :

« Je cherche cet Amour sans savoir quoi chercher exactement. » peut-être que la plus jeune des Sidhe aura des réponses supplémentaires à me donner, à moi et à Japheth, si je me permets d’être aussi directe, c’est pour qu’il puisse en bénéficier aussi. « Un Fomoire ?! »

Il a suffi que je les évoque un peu plus tôt pour que l’un d’entre eux se manifeste justement ! Hasard ? Destin ? Invocation maladroite ? Trop d’yeux se portent sur moi, moi qui désire être invisible et n’attirer l’intérêt de personne. Raté. Doublement raté.

« Kilian ? » je lui demande des explications, soudain soucieuse. Je n’ignore pas le danger qu’ils représentent. « Nous devrions avertir qui de droit. Si leurs ombres se manifestent, c’est qu’il est déjà trop tard. »

Déclaré-je, pleine de fatalité.