[Mars 553] A poison, poison et demi [PV Ea] [Terminé]

Un pas en arrière

Sa question fait naître tout autre chose que de la malice ou une menace à peine voilée dans l’éclat de ses yeux. Une certaine lassitude qui vient prendre place chez Éa Tremere. Son sourire meurt et elle n’écoute plus que d’une oreille distraite.
Lentement, elle s’éloigne de Nessius et va s’asseoir à côté de son écaille, avant de se laisser tomber en arrière et regarder vers les hauteurs. Une faible lumière vacille au-dessus d’eux, danse au rythme des vagues.

En partie, le masque se fissure. « Ils sont tous morts. » Ses prétendus partenaires à la "hauteur".

Son timbre est grave et vibrant et ne souffre d’aucune sorte de duplicité. Pas cette fois. Sans le vouloir, Nessius a éveillé quelque chose. Comme Lesath a pu le faire, de la même façon. Et avec cette vérité obscure, vient un profond désespoir. Une note bien plus fragile qu’il n’y paraît. De quoi habiller cette femme d’un nouveau vêtement que peu peuvent se targuer de contempler.

« J’aime effectivement avoir le contrôle sur tout et tout le monde. Pas forcément par vice d’ailleurs. » Elle ferme un instant les yeux. « Ça permet une proximité et une distance. Un choix. »

Éa rouvre ses prunelles et observe attentivement sa main droite, semble se concentrer sur quelque chose de visible d’elle seule.

« Voir se tisser les fils du destin ensemble, les démêler, les entrelacer, les couper… » Ses doigts se referment petit à petit. « Tu me demandes le sens profond de ma question. Tu cherches à creuser, savoir ce qui se cache sous la surface du masque. Il y’en a une quantité d’autres avant de m’atteindre. Il faudra m’effeuiller lentement, hm ? »

L’ombre d’un sourire revient, bien pâle en comparaison du premier, lors de leur rencontre quelques heures auparavant.

« Je pense t’avoir donné suffisamment. N’attends plus rien de moi. D’autant que tu ne m’as strictement rien donné en retour. Retors que tu es. Or, je gage que gratter ta surface à toi reviendrait au même résultat que moi. Et je suis bien triste pour toi. »

Le goulot de la bouteille revient à ses lèvres.

« Toi qui sais tout, tu dois savoir que j’ai perdu un frère il y a peu. Et que je suis la seule à m’en réjouir… »

«Crois-moi, je comprends… Plus que tu ne peux l’imaginer. Contrôler pour se protéger de toute souffrance… Je te l’ai dit, nous sommes faits du même bois...»

Et soudain, le masque se fissure. Les illusions s’estompent et on passe à la couche inférieure. Comme celle d’un oignon. Avec les mêmes effets. Ça pique les yeux et si vous n’y prenez pas garde, ça finit par vous faire pleurer. Mais il en fallait plus que ça à Nessius. Malgré l’évidente résonnance de douleur que cela engendrait chez lui. Le souvenir d’Antalias, celui de Silia, de ces êtres auxquels il tenait et qu’il avait vu sombrer dans les ténèbres de la mort. Pour autant, le capitaine du Naga

«On se mure derrière des remparts de solitudes et des armures de faux semblants. Mais au final, sous ces masques, ces perruques et ces artifices, il reste toujours cet enfant apeuré qui cherche le réconfort, n’est-ce pas ? Et je pense que c’est à l’âme de cet enfant que répondent les écailles. Dans le cas de la tienne, j’hésite encore à savoir si l’âme de cette satanée sorcière prend du plaisir à torturer ta petite fille intérieure ou si c’est elle qui la dompte entièrement… »

En l’occurrence qui possédait qui ? Est-ce qu’Ea dominait réellement l’âme de Circée ? Ou en était-elle seulement l’instrument ? Pouvait-on être l’esclave du monstre enfermé dans sa propre écaille ? Plus d’une fois, Nessius avait entendu l’âme du Naga lui susurrer à l’oreille. Il avait parfois suivi ses conseils mais jamais il ne lui avait laissé l’occasion de guider son bras. La plupart du temps, leurs avis convergeaient. Mais si tel n’avait pas été le cas ? Comment aurait-il réagit ? Une question qui méritait réflexion. Mais le moment était sans doute mal choisi.

Elle voulait en savoir davantage sur lui ? Peut-être pouvait-il se le permettre maintenant qu’elle semblait baisser la garde. Comme deux combattants qui baissent progressivement les armes pour cesser le combat mais dont la vigilance extrême reste focalisée sur les micromouvements de l’autre, prêts à les reprendre à la moindre feinte.

« Il faut dire que tu ne m’as pas vraiment posé de questions précises… Je suis tout à fait enclin à te répondre…»

Quand elle évoqua la mort de son frère qui la réjouissait dans un sourire faiblement convainquant, Nessius ne put s’empêcher de se montrer fort perplexe. Mais il lui prit la main et lui effleura le visage comme pour tenter de la rassurer.

« Oh tu sais, les frères… J’ai bien envoyé le mien au Purgatoire…»

Du même bois

« Nous sommes des atlantes, des sangs purs. Nous sommes tous et toutes faits du même bois. » Un sourire un peu triste, une lueur farouche dans ses yeux qui en dit long sur ses arrière-pensées. Être bien nés apporte certes un titre, un respect induit, une supériorité vis-à-vis des Vulgaires, mais, en définitive, une propension au fiel, aux manigances, aux mesquineries. Pour quoi ? Survivre.

Quand on est habitué aux couteaux dans le dos, à vivre avec cette angoisse permanente, donner sa confiance s’avère compliqué, voire impossible. Que Nessius et elle se livrent ainsi est dangereux tout autant que libérateur.
Une liberté qu’Éa Tremere n’a jamais pu obtenir. Pas sans l’intervention d’une autre âme, se mêlant à la sienne. La supplantant.

« Pour être honnête, je ne connais pas la réponse à ta question. Il faut dire qu’elles sont trop nombreuses ! Laisse-moi le temps de reprendre mon souffle, tu veux ? » dit-elle, avec amusement. Se faisant, elle le fait, prend une grande inspiration, l’observe sous cape avant de libérer un flot ininterrompu d’interrogations : « Et toi ? Comment tu étais enfant ? À quoi tu aspirais ? Ta famille ? Si tu as envoyé comme moi tes frères à la mort, c’est que tu souffres ou as souffert de leur ombre, pas vrai ? Ou bien, comme moi, le droit d’aînesse a entraîné une catastrophe, une infamie, la pire des trahisons ? Tu aimes le rhum ? Pourquoi tu n’y as pas encore touché ? Tu penses que j’ai pu l’empoisonner en ayant vidé presque toute la bouteille ? Tu as toujours été une grande gueule ? T’aimes vraiment être un atlante, un capitaine ? Est-ce que tu es réellement enclin à me répondre ou tu le fais pour me faire plaisir ? Rien qu’un peu ? »

À bout de souffle, elle inspire de nouveau, rigole à gorge déployée, de franche meilleure humeur. Si bien que la jeune femme finit par essuyer une larme au coin de son œil, de soupirer, de serrer cette main tendue entre la sienne. Lui rendre sa caresse en effleurant à son tour sa joue.

« Que je sois moi ou l’ensorceleuse, ça n’a pas vraiment d’importance, tant que je peux faire ce que je désire, et obtenir tout ce que je souhaite. Ravir au monde ce dont on m’a dépossédé. Je suis une chevaucheuse de tempêtes ! »

Sa main occupée à poursuivre son chemin, dessinant le galbe de sa mâchoire, se risquant, du bout des doigts, à descendre sur son cou, s’arrêter sur son Écaille. Repenser à ses mots, à l’alliance entre leur amure et leur âme d’enfant.

Éa s’immobilise, troublée.

Il ne put s’empêcher d’exploser de rire devant le débit ininterrompu de questions qu’Ea finit par lui poser. Comme si elle déversait le flot de toutes celles qui lui avaient traversé l’esprit depuis leur rencontre quelques heures auparavant. Se saisissant de la bouteille de rhum, il la finit d’une traite avant de lui répondre sur le même tempo.

«J’étais un gamin croyant qu’il méritait beaucoup mieux que les plans sans ambition que son père avait fomentés pour lui. Je n’étais que la roue de secours alors que je savais que j’étais plus doué et plus brillant que le demeuré qui me servait d’aîné. Ils ont tenté de se débarrasser de moi en m’ostracisant. J’aime le rhum mais comme on m’a toujours enseigné de laisser les autres boire en premier pour la raison que tu viens de citer, j’ai toujours gardé ce réflexe. J’ai toujours eu le verbe affûté, aussi loin que je me souvienne pour pouvoir tenir tête aux autres et compenser par l’esprit ce que je ne pouvais appuyer par les poings. Je te réponds parce que j’espère nouer un lien de confiance avec toi, qui nous serait profitable à tous deux, tout en ayant parfaitement conscience que cela m’expose à tes intrigues et me mets en situation de faiblesse. »

Il reprit son souffle en lui adressant un grand sourire en coin. C’est ce qu’on appelait se jeter dans le grand bain. Elle avait largement de quoi le faire chanter si elle le désirait. Mais après tout, en prenant le temps de remonter les fils dont elle avait parlé précédemment, elle finirait par trouver. Autant lui servir les choses sur un plateau d’argent en guise de bonne volonté.

Il laissa la main de la jeune femme descendre le long de son cou. Puis délicatement, il posa sa main sur la sienne, la fixant de ses yeux d’émeraude.

« Etre un atlante ? Un capitaine ? Ce n’est pas vraiment comme si on m’avait laissé le choix, ni pour l’un ni pour l’autre. Je me contente de faire avec ce que la vie m’a offert pour aller le plus haut possible. »

Au contact de la jeune femme, l’écaille du Naga se met à vibrer. Comme si le serpent cherchait à s’enrouler autour de cette main frêle et froide. Il l’évalue et instinctivement, draine un peu de son énergie avant de s’apaiser. Nessius resent l’appel. Elle se sent de trop. Alors, d’un geste, il la renvoie un peu plus loin d’un simple revers de la main. La scale du Naga quitte son corps et vient se poser juste à côté de celle de Circée sous sa forme totémique. Deux gardiens veillant sur les âmes qu’ils ont choisis. Deux armes déposées à terre mais pouvant retourner dans les mains de leurs maîtres à la moindre menace. Deux barrière qui viennent de s’effacer, du moins temporairement.

« Je me demande ce que le monde a bien pu te voler pour que tu souhaites le récupérer. Ce n’est effectivement pas une question de vengeance mais plutôt de revanche, je dirai…»

Il la scruta d’un air interrogateur, posant doucement son front contre celui d’Ea, la paume d’une de ses mains sur sa nuque, tandis que de l’autre, il saisissait délicatement son menton entre son pouce et son index.

Instruments

Contente que son « interrogatoire » aboutisse enfin à quelque chose, Éa se joint à lui dans son hilarité. Lui confier une partie de ce qu’il est, après un pas en arrière, la conforte dans sa vision qu’elle a de lui. Loin d’être seulement des « oreilles », ce « Monsieur », « un véritable fils d’Atlas », Nessius révèle quelques failles, des aspirations, des rêves de grandeurs, une revanche. En cela, ils sont pareils, nés pour se battre plus, parler plus fort, jouer à des jeux risqués qui peuvent aussi bien leur attirer bonne fortune qu’une mort prématurée.
Ils ont tous deux gardé des stigmates, des réflexes et une attitude à adopter en toutes circonstances. Pas par choix, parce qu’ils y sont contraints. Ce constat attriste la jeune Tremere qui se laisse capturer dans cette autre approche. Et lui, de mettre son Écaille de côté. Elle, y voit un geste des plus symboliques.

Une trêve ? Ou la signature d’un pacte dont les clauses restent à déterminer ?

« Tu le découvriras sans doute un jour ou l’autre. » glisse Éa en fermant les yeux quand leurs fronts se rencontrent. « Nous aspirons à plus, toi et moi. Et je me demande où notre alliance pourrait bien nous mener... »

Elle sourit.

« Je ne te cache pas que c’est une mission périlleuse que de vouloir chevaucher des tempêtes avec moi. »

Ses paupières se froissent. À elle de le scruter à son tour, de chercher quelque chose au fond de ses yeux.

« Reste à savoir si tu seras ou non un partenaire à la hauteur. Il serait regrettable que tu termines comme mes anciens associés. Ou que je ne survive pas à ce cher Endymion ! M’enfin, s’il est enclin à la boisson et la bonne chère j’ai de quoi le contenter, j’en suis sûre… » minaude-t-elle, très sérieusement. « Comme je suis certaine que tu regrettes de ne pas être monté dans cette chambre, toute à l’heure. »

Ses mains de délacer les premiers fils de la chemise de Nessius. Sans le quitter du regard, elle abandonne l’habit du capitaine pour commencer à déboutonner sa propre veste.

« C’est une tactique comme une autre et il faut savoir utiliser des instruments dont on dispose, non ? »

«Je pense que nous avons tous deux été sous-estimé par nos familles respectives. Et que nous aspirons à bien plus qu’un simple rôle de subalterne dans les armées de l’Empereur des Sept Mers. Si Poséidon le veut, nous pourrions nous hisser dans la hiérarchie. Et pourquoi pas en chevauchant les tempêtes… »

Il lui sourit d’une manière plus directe, plus franche. Bien évidemment, s’associer à elle n’était pas sans risque. Décider d’aller affronter un supérieur hiérarchique, même indirectement, constituait une insubordination passible de la peine de mort. Mais c’était une première pierre à jeter dans le jardin de l’ordre militaire tel qu’il existait pour le moment. S’ils voulaient l’un et l’autre s’élever, il était certain qu’ils allaient devoir jouer des coudes et profiter des espaces libres. On ne leur ferait sûrement aucun cadeau. Que ce soit au sein du pouvoir temporel comme ailleurs.

Elle semblait le provoquer à nouveau, comme pour se rassurer elle-même qu’elle faisait le bon choix en pariant sur lui.

« Je ne compte pas aller nourrir je ne sais quelle bête immonde de l’autre côté de la barrière d’orichalque. Et tu peux compter sur ma soif de survie comme de pouvoir pour nous tirer de situations périlleuses. Après, je suis un pari pour toi, comme tu l’es pour moi. Une sorte d’équilibre audacieux qui peut nous mener aussi bien au Shéol qu’au pilier central…»

Un pari. Voilà ce qu’ils étaient l’un pour l’autre. Un pari fou, risqué, vénéneux ayant le goût du fruit défendu.

« Vous m’en direz tant… Ne serais-tu pas en train de projeter ta propre frustration que je ne t’ai pas suivi docilement à l’étage de cette auberge miteuse ? Mais si cela peut te rassurer, je suis tout à fait disposer à faire corps avec toi dans ton entreprise… comme dans d’autres jeux beaucoup plus… plaisants… »

Il la laissa délacer les premiers lacets de sa chemise sans y opposer la moindre résistance. Il la laissa également délacer sa propre veste en la regardant avec une étincelle au fond des yeux. Etait-ce l’alcool qui la faisait agir ainsi ? Peu importait en réalité. Seul comptait l’instant. Allait-elle se dédier au dernier moment. Un chant de feu et de glace, voilà ce qu’ils étaient. Deux dragons décidant de s’unir sous la voûte marine. Quatre mots murmurés à l’oreille de la demoiselle. Une promesse d’alliance pour le meilleur et pour le pire. Il aida Ea à se dévêtir si bien que cette dernière se retrouva presque la poitrine libérée de ses différents carcans.

Ce n’est pas la stratégie qui m’inquiète… C’est la stratège… » lui dit-il dans un murmure assorti d’un sourire provocateur.

Fin de partie ?

Oh, ils chevaucheront des tempêtes, c’est une certitude ! Ils montreront à la face du monde sous-marin, ô combien leur prétendue Famille s’est trompée sur leur compte. À quel point ils peuvent briller, dans l’adversité. Dans une alliance pratiquement scellée.
Éa désire faire tomber toutes les limites, briser les tabous, s’affranchir des lois, détruire les barrières. Rien ni personne ne pourra l’empêcher de mener à bien ses projets. Qu’elle trouve en Nessius un partenaire prêt à la suivre la ravit au plus haut point. L’ensorceleuse de s’en féliciter, un coup de chance ? Un coup du destin, plutôt ! Celui-là même dont elle ne croyait pas, quelques temps auparavant.

Des rencontres. Des promesses. Des vérités. Un rubis. Et maintenant un nouvel accord, au fond des flots. Oui, le pari est risqué, cependant, Éa veut y croire. « C’est à nous de manœuvrer comme il faut, dans ce cas… »

Et sinon, ils auraient vécu des moments mémorables ! Surtout elle, car loin s’en faut, Éa ne souhaite pas vraiment entraîner l’oreille du sanctuaire de Poséidon à sa perte. Si elle doit tomber, elle fera en sorte que ce soit seule. Quitte à tout revendiquer en son nom, avec fierté !

« Le contraire m’aurait étonné, « Monsieur. » glisse-t-elle à Nessius en réponse à ses allusions.

« Et tu fais bien de t’en inquiéter. »

Il ne reste plus qu’une légère étoffe couvrant son buste. D’un geste lent, calculé, la Tremere de libérer sa longue chevelure noire, d’apposer un nouveau voile soyeux sur une vision pleine de promesses suaves. Finissant ensuite de libérer Nessius de sa chemise, elle a un sourire aux lèvres, une lueur enflammée dans ses yeux couleur lilas.

« Le jeu doit-il déjà cesser ? » le questionne-t-elle en allant nouer ses bras autour du capitaine, presser son corps contre le sien, sentir une douce chaleur l’envelopper. Entendre son cœur battre. « Je n’aime pas vraiment les parties trop… rapides. »

Et même si les sous-entendus sont relativement clairs, à elle d’aller capturer ses lèvres, partir à l’assaut, invoquer le désir. L’ensorceleuse entend bien allumer un feu passionnel chez cet allié improbable.

Signer leur accord d’une bien agréable manière.

« Je suis avec toi. »

La promesse d’un avenir aventureux à jouer à pile ou face. Elle aussi aime l’effeuiller de ses couches. Au sens propre. La tenue du capitaine du Naga fini par s’envoler au pied de son écaille.

« J’aime aussi quand les choses durent… Et je suis plutôt joueur de nature alors, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?»

Il écarta délicatement les cheveux noirs de la jeune femme afin de découvrir les deux trésors qu’elle y cachait. Il effleura la peau délicate d’Ea, prenant son temps pour explorer chaque parcelle de son épiderme. Il la dévisagea d’un air à la fois détendu et mystérieux.

Cette lueur dans ses yeux. Il parierait sa chemise que c’était du désir si cette dernière n’avait pas déjà atterrit un peu plus loin. Un désir carnassier. Le dragon s’éveillait. Mais il en fallait plus pour intimider Nessius. Ses émeraudes se mettent aussi à briller de même. Une flamme froide, contrôlée mais de la même nature que celle de sa partenaire.

Quand les lèvres de la demoiselle se posent sur les siennes, il joue, éloigne sa bouche, lui mordille le cou, continuant à parcourir son dos de ses doigts agiles. Il se laisse enivrer par l’instant, la fragrance, plongeant sa tête dans la cascade noire de la chevelure de la sorcière. Puis de ressortir au bout de quelques secondes et de présenter le visage d’un homme en pleine réflexion.

« Armoise et Belladone. Avec une pointe de lilas, d’iode et de sel… C’est juste ? »

Laisser le feu s’embraser lentement. Jouer. Prendre son temps. Après tout, ils ne risquaient pas d’être dérangés en ces lieux. Elle semble vouloir allumer un feu qui, s’il n’est pas maîtrisé, risquerait de la consumer et lui avec. Il prenait soin de ne pas laisser son pouvoir agir sur la jeune femme. Il en avait fait s’évanouir plus d’une de cette manière ce qui avait rendu l’exercice relativement décevant à son goût.

Ea semblait aimer relever des défis. A la bonne heure ! Il suffisait juste d’attiser correctement la flamme. Et vu le caractère de la demoiselle, si similaire au sien, il supposait posséder le parfait aiguillon pour cela.

« J’espère seulement que tu seras plus endurante que les autres aristocrates que j’ai eu le plaisir de côtoyer intimement…J’ai comme l’impression que le mot ennui, quand il est dénué d’action, ne fait absolument pas parti de ton vocabulaire… »

Le parfum

« Et en plus, « Monsieur » a du nez. »

Le voir s’interroger sur son parfum, y trouver le mélange subtil et délicat amuse Éa d’une manière que Nessius ne peut concevoir. Car chaque touche, chaque note, chaque plante choisie avec soin est une ode à ce qu’elle est, ce qu’elle représente. Ce parfum est aussi la seule chose qui, pour une personne connaissant par cœur la Tremere, laisse un indice sur une vaste supercherie.

Un sourire outrancier gage que la demoiselle aime ce qu’elle entend, les caresses qu’elle reçoit. Nessius serait sans conteste un bon amant. Un homme expérimenté, mais peut-être un rien présomptueux et naïf.

« Ne me compare pas à l’une de tes vulgaires conquêtes. Qu’elle soit noble ou catin. » l’avertissement est à peine voilé, sous le miel de sa langue. Puis, se penchant sur son oreille, elle souffle au Capitaine : « Je suis insatiable. »

Tu t’engages sur un chemin bien hasardeux où tu risques de te faire dévorer. Semblent clamer ses prunelles chargées de fierté et d’impétuosité. Éa juge son vis-à-vis avec délectation, y trouve un écho indéniable. Le jeu doit se poursuivre, gagner en intensité. Sans pour autant aller dans la précipitation. L’idée de lui échapper a été séduisante. S’évanouir dans l’écume et le laisser sur sa faim aurait pu être une option que Circé aurait pu envisager.

Cependant, et il a raison : pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Et admettre une fuite, s’imaginer une petite victoire ? Non, cela, la jeune brune ne le conçoit pas. Si l’un des deux doit céder, ce ne serait pas elle, mais lui.

À son tour, ses doigts glissent et explorent son dos. Ils remontent en un effleurement exquis, chargés de cosmos aux volutes chaudes, loin de cette chaleur dangereuse initiale.

Une énergie destinée à l’abandon de soi. À lâcher prise.

À nourrir le feu, lentement l’embraser.

Ses lèvres, sauvages, capturent les siennes. Son ventre touche celui de Nessius, le soumettant à une mélodie nouvelle, redoutable, l’enjoignant à abdiquer.

Jouer, encore, jusqu’au bord du gouffre, de l’inéluctable.

«Que veux-tu, à force de servir de poupon à ses sœurs, on apprend deux ou trois trucs sur la gente féminine… Et sur le sens des fragrances notamment….»

L’Armoise, symbole de fidélité et de constance. Belladone… La plante de Bellona, déesse romaine lunaire, guerrière et destructrice. Ses prêtres-magiciens, s'entraînaient à immuniser leur organisme contre les effets de cette plante. Vêtus de noir, la coutume voulait qu’ils se répandent à travers la ville aux jours de fête de la déesse, en mangeant la "cerise enragée" par pleines poignées. Puis ils se faisaient des blessures volontaires et le peuple, pour se purifier, buvait le sang qui en coulait. Tout un programme en réalité. Rajoutez à ça l’iode et le seul rappelant la liberté du grand large et le tumulte des tempêtes et les mots pour comprendre l’esprit d’Ea étaient superflus. Une guerrière libre et tempétueuse, constante dans sa soif de sang et de destruction. Un avertissement que Nessius ne prenait pas à la légère. Mais un appel qui le faisait également frissonner de désir et dont il se délectait.

Sa susceptibilité à peine voilée lui arracha un sourire. Tient tient… Etait-elle du genre…Exclusive ? Ou simplement possessive ? Nessius ne put s’empêcher d’enfoncer le clou.

«Est-ce une menace ou une promesse ma chère ? »

Il la regarda longuement, faignant la nonchalance et l’incompréhension. Puis elle commença à jouer de son cosmos au bout de ses doigts, comme si elle jonglait avec une agilité irréelle avec les pierres chaudes dont l’utilisation délassait habituellement la noblesse après ses exercices gymniques quotidiens. Mais elle était une orfèvre, Nessius devait bien l’admettre. Jamais il n’avait pensé utiliser ainsi son étincelle pour l’associer aux plaisirs de la chair. A bien y penser, jamais il n’avait eu l’occasion d’avoir une telle intimité avec un autre éveillé. Il en goûtait d’autant plus le plaisir.

C’était une sensation de douce brûlure qui vous pousse à vous enfoncer plus profond encore, à vous rapprocher du brasier dans l’espoir d’en tirer un plaisir ultime sublimé par une douleur toute aussi vive. Tenté de s’abandonner totalement, son âme le rappela néanmoins à l’ordre. Il y avait aussi du plaisir dans la résistance et, probablement, un rapport de force complice et vénéneux s’était installé entre eux. Se laisser aller se serait avéré à la fois risqué pour lui mais aussi sans doute décevant pour sa partenaire. Aussi se décida-t-il à explorer ce même terrain, laissant sa propre étincelle s’éveiller et envelopper le corps de la capitaine de Circée, se délectant avec langueur de parcelles infimes de son souffle de vie, lui rendant la douleur qu’elle lui infligeait.

Ses mains vinrent se poser délicatement sur les hanches de sa partenaire. Elle était insatiable ? Tant mieux. Il allait pouvoir jauger de son endurance. Il savait à quel point il pouvait laisser durer le plaisir de tels jeux. Jouer avec le feu. Jouer à s’unir. Mais jusqu’à quel point ? C’était à celui qui abandonnerait le premier. Et le Capitaine du Naga n’avait encore jamais déserté ce champ de bataille.

Leçon

Éa en apprend de plus en plus sur Nessius. Elle sait qu’il distille ses informations au compte-gouttes, histoire d’entretenir le mystère et la flamme. Une manœuvre qu’elle ne peut que saluer, une tactique vieille comme le monde, mais qui pourtant, a fait ses preuves. Une arme redoutable qu’elle utilise depuis bien longtemps. Pour survivre, pour exister.

Pour jouer.

Car elle le sent, il existe des facettes plus sombres chez cet atlante. Une part qui le rend plus humain, plus complexe aussi. Jouer avec les apparences est tout un art, et tous deux, forgés du même fer, savent pertinemment en percer l’alliage. Alors, quand il l’imite dans ses caresses, la belle a un sourire triomphant. Elle le guiderait avec un plaisir non dissimulé sur ce sentier-ci. Il comprendrait alors qu’il est bien ardu de dompter une tempête.

Et se l’approprier.

« Là encore, je répondrais les deux. » glisse-t-elle lorsqu’il noue ses mains à ses hanches. « Et j’espère que les leçons de tes sœurs se sont limitées à l’étude des fragrances… »

Le pique-t-elle avec ravissement, moqueuse.

« Je vois que tu apprends vite… ou bien je suis une professeure hors pair. » Éa darde ses prunelles dans les siennes. « Mais tu n’es pas encore prêt pour la prochaine leçon. »

Soudain, il peut sentir que son esprit s’alourdit, comme à l’auberge. L’emprise se fait implacable, plus violente, plus passionnée aussi. Un baiser empoisonné. C’est d’ailleurs en scellant ses lèvres aux siennes qu’elle donne une autre saveur au jeu.

Car dans le parfum d’Éa, il y a aussi une note plus capiteuse. De sang.

« La prochaine fois, mon cher Nessius, la prochaine fois… »

Un petit rire dans son crâne, promesse suave et douloureuse.

« Une menace et une promesse. On verra si tu es digne de chevaucher une tempête. »

Et elle disparaît, elle et son écaille. Son corps s’évanouit dans un ballet d’écumes…

«Oserais-tu suggérer que nous pratiquons l’inceste ? Allons allons… Je ne suis pas un O’Bannon…»

La réputation sulfureuse de cette famille patricienne n’était plus à faire. Et en tant que Tremere, Ea approuverait certainement cette petite réflexion. O’Bannon et Luxure était presque un pléonasme. Enfin, du point de vue des Merinita tout du moins. Et le Général du Dragon des Mers en était presque la caricature. Débauche dans le sens large du terme. Cependant, le capitaine du Naga n’avait pas encore eu l’occasion de rencontrer nombre de membres de cette lignée pour se faire une opinion définitive. Aussi se garda-t-il de renchérir ou d’accentuer son propos d’une autre boutade du même acabit.

A force de jouer avec le feu, il arrive que l’on se brûle. Et le baiser de Circée rappela bien vite le Naga à la réalité. Elle tente de le contrôler. Son esprit s’alourdit. Il résiste. Un goût de sang sur ses lèvres. La douleur se fait plus pesante et finit par surpasser le plaisir. Il aime ce jeu mais pas à ce point-là. Elle le laisse étourdit. Tout du moins suffisamment pour parvenir à s’évanouir sans qu’il ne cherche à la rattraper.

Une menace et une promesse… Cette phrase résonnait dans son esprit. Il se rassit, un sourire blasé au coin du visage. Elle l’avait bien eu. Le premier point du jeu lui revenait donc. Mais c’était un point biaisé. Elle avait fui. Avait-elle eu peur et tenté de garder une contenance ? Possible. Mais il était certainement quelque peu prématuré de l’affirmer.

Pour autant, cette rencontre était loin d’avoir été déplaisante. Au contraire. Comme n’importe quelle tempête, elle annonçait dans son sillage un certain nombre de tumultes et de difficultés. Mais aussi des changements qui pourraient bien leur être profitables à tous les deux. Il savait qu’elle reviendrait. La tentation était trop forte. Le goût du risque et l’attraction aussi.

Il remit sa chemise et tout la laçant, il se releva. Jetant un dernier regard aux champs d’orichalque, il ne put s’empêcher de murmurer à voix haute.

«Sorcière, Sorcière… Prends garde à ton derrière…»

Une menace et une promesse…

Citation :: Rp terminé. Merci

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