[Mi mars 553] Au-delà de l'apparence (Kaleb, Childéric)

La vue du lever de soleil sur les remparts de Camelot avait toujours émerveillé les passants étrangers qui avaient la chance de l'admirer. Lentement, chaque pierre s'illuminait d'un reflet, et commençait à emmagasiner la chaleur bienvenue que lui offrait l'astre du jour. Comme ces pierres, Dana se tourna en direction des premiers rayons et se reput de sa caresse tranquillement, fixant de ses paupières closes le spectacle qui lui était refusé. Sa hotte sur le dos, et une main dans celle de cette autre femme aux cheveux flamboyants, elle l'écoutait donner ses dernières recommandations comme elle en donnait toujours, de peur de ne pouvoir le faire plus tard. Les consignes données, elles s'enlacèrent sous le souffle d'une brise matinale, leur manteau de laine les protégeant du froid.

"Je travaillerai dur pour pouvoir te revenir vite et souvent !
-Sans te tuer à la tâche.
-Sans me tuer à la tâche. Promis.
-Tu me manques déjà..."

Bientôt, le chevalier de la Vierge arriva de l'intérieur de la ville, les salua avec sa courtoisie habituelle avant de les conduire vers l'auberge qui hébergeait la délégation Sainte. Même en connaissant Camelot, Dana fut surprise de sentir autant d'agitation, et surtout d'énergie. Peut-être devait-elle cela au fait d'avoir porté l'armure une première fois, mais il lui semblait sentir mieux qu'avant la force dégagée par chaque personne, et cela s'intensifia à mesure qu'ils approchaient de la bâtisse en question.

Comme convenu, la mère de famille se dirigea plutôt vers le marché, afin de voir si elle pourrait dégoter quelques affaires de dernière minute pour compléter les bagages de son enfant, pendant que cette dernière faisait connaissance avec le "chef de l'organisation secrète dont dépendait Kaleb". Une tournure un peu pompeuse seule capable de convaincre de ne pas en demander plus.

A l'intérieur de l'auberge, un silence quasi-religieux, à peine troublé par le bruit de leurs pas et les -nombreuses- respirations des gardes prétoriens en faction ici et là. Ainsi que le Sixième Gardien lui avait signalé, ils devaient de trouver ici dans une bulle confidentielle où elle pourrait s'exprimer ouvertement, pourvu qu'elle fît attention à ne pas inclure de Dormeur dans une conversation. Un peu écrasée par l'aura de puissance vers laquelle ils se dirigeaient, c'est en murmurant qu'elle prit la parole :

"Est-ce que mes sens s'affolent inutilement, ou ce Grand Pope est réellement à un niveau au-delà du vôtre ? C'en est presque douloureux..."

Néanmoins elle ne démonta pas. Comme lorsqu'elle avait Rêvé pour la première fois, il fallait sans doute un temps d'adaptation. Rien de méchant, mais seulement de la confusion.

Lorsqu'ils furent invités à entrer, elle sut tout de suite dans quelle direction tourner la tête. Comme s'il irradiait à travers sa peau directement.

"Je vous salue, Monsieur le Grand Pope. Je suis Dana. Dana de la Coupe."

Et elle s'inclina légèrement.

Comme promis. Il avait retrouvé la jeune femme à l’aube aux portes de la ville pour la mener à l’auberge où résidait la délégation de la Sagesse. Il avait disposé de quelques heures. Tout juste assez pour se rafraîchir, enfiler une tenue propre et faire glisser un billet à l’attention du Grand Pope pour lui résumer sa découverte et demander audience.

Aux portes de la ville, la retrouver ainsi que sa mère n’avait pas été une mince affaire. Il fallait dire qu’avec l’approche du sacre, la cité de Camelot voyait arriver chaque jour un flux incessant de marchands, colporteurs et autres diseuses de bonne aventure, venus récolter quelques pièces auprès de la population qui ne manqueraient pas de venir s’entasser entre les murailles pour assister à l’événement. Heureusement, elle avait comme prévu son grand panier dans laquelle l’armure de la coupe avait trouvé sa place, probablement ensommeillée, attendant que sa porteuse réitère ses exploits passés pour sortir de sa tanière.

Kaleb fit comprendre rapidement à Dana qu’il fallait user de la plus grande discrétion possible. C’était une première leçon : apprendre à se fondre dans la foule des dormeurs. Ce ne serait sans doute qu’une formalité pour elle vu qu’elle avait passé toute son enfance au milieu des siens là ou d’autres, à son âge, avaient déjà quitté leur foyer depuis de longues années. Pour autant, elle devait désormais composer avec son éveille, ce qui, en soit, pouvait constituer un défi d’envergure et n’était pas sans pouvoir poser quelques désagrément. Une explosion spontanée de cosmos liée à un stress ou à une forte émotion était toujours possible. Aussi la Vierge restait vigilant sur l’état émotionnel de la jeune druidesse. C’était également la raison pour laquelle il avait accepté que sa mère l’accompagne en ville. Elle serait un excellent élément stabilisateur.

Arrivés à l’auberge, Kaleb s’éclipsa quelques minutes pour s’assurer qu’une audience avec Childéric était bien prévue. Décidément, le vieux lion était du genre réactif. Il avait demandé à ce que Kaleb et la jeune femme le rejoigne dès leur arrivée. Il récupéra donc Dana dans l’auberge, demandant à sa mère de l’attendre ici. Puis, alors qu’ils montaient ensemble les escaliers menant à la pièce servant de cabinet de travail au premier serviteur d’Athéna, il tenta de rassurer la jeune druidesse en lui posant la main sur l’épaule.

«Sa puissance est sans conteste supérieure à la mienne. Il est l’ancien chevalier d’or du Lion. Il a combattu et survécu à de nombreuses batailles. Mais vous finirez par vous habituer à cette pression cosmique…»

Ils pénétrèrent dans la pièce. Kaleb posa le genou à terre en signe de respect. Mais il ne put s’empêcher de sourire à la présentation maladroite de la jeune femme. C’était un point qu’il avait omis de lui préciser. Il ne lui en tiendrait sûrement pas rigueur.

«Kaleb de la Vierge pour vous servir, Votre Excellence. Comme je vous l’ai annoncé dans ma missive, je vous présente Dana qui a été choisie par l’armure d’argent de la Coupe pour être sa nouvelle gardienne…»

Les allés et venus dans le bureau du Grand Pope étaient fréquent. Souvent, il était confronté aux chevaliers ou aux gardes qui venaient lui faire part de certaines évolutions, certaines informations. Parfois plus simplement, ceux qui venaient prendre leurs ordres directement auprès du chef du Sanctuaire. Les journées à Camelot étaient bien rempli et il aurait aimé avoir plus de temps pour faire autre chose que son devoir, mais il était un sacerdoce permanent pour celui qui porte la couronne. Alors, quand il n’était pas affairé à négocier des accords commerciaux, des alliances politiques ou à représenter l’empire en cet endroit loin de Byzance, il devait orchestrer ce bal permanant. Sans compter la gestion des affaires courantes du Sanctuaire qui, bien qu’organisait, demandé parfois qu’il vérifie ou donne son assentiment sur certaines choses. Une chance pour lui s’est qu'aucun problème majeur ou danger n’avait décidé de se manifester pendant cette période. En soit, rien d’étonnant le monde entier avait les yeux tournés vers cet endroit…

Et il avait fait de la place dans son emploi du temps, le sixième gardien semblait avoir quelque chose à lui annoncer, du moins, c’est ce qu’un garde lui avait dit. Lui glissant aussi qu’il n’était pas seul, accompagné d’une jeune fille aux longs cheveux roux. Et il n’eut pas longtemps à attendre avant d’être fixé sur la question. Cette femme fut la première à entrer et à se présenter. Chevalier de la coupe ? Qu’est-ce que Kaleb avait-il donc trouvé là ? Le regarde de Childéric passa donc de cette Dana au chevalier d’or, qu’il invita rapidement à se relever. Puis, après un silence il reprit :

« - Et bien, félicitation et bienvenue parmi Dana. Par contre, il va me falloir plus de détail sur cette histoire. Et j’aimerais aussi que tu m’en dises plus sur toi. »

Son regard avait fini par s’arrêter sur la jeune femme. Il n’eut pas besoin de beaucoup de temps pour reconnaître quelqu’un capable de marcher sur les chemins tortueux et risqués du Rêve. Un talent brut, sûrement dû à cette cécité qui ne semblait pas la gêner plus que ça. En tout cas, cette nouvelle recrue s’annonçait prometteuse, à voir maintenant la place qu’elle pourrait prendre dans les rouages de l’armée et surtout ce qu’elle pourrait apporter au Sanctuaire.

Face à un homme aussi important que le Grand Pope -parce qu'il était important, n'est-ce pas ?-, la jeune femme ne savait pas vraiment à quoi s'attendre. Elle l'avait imaginé charismatique, dirigiste peut-être, avec une voix de stentor grave comme les murmures de la nuit, debout et rigide comme un piquet, à la scruter dans les moindres détails. Au lieu de cela, quelques mots décontractés, une intonation tranquille, aucune remarque sur le protocole, et une demande ouverte, aussi vaste que la Bretagne. Il la tutoyait même au premier regard, ce qui l'étonnait venant d'un noble.

Après un temps mort et un regard vers Kaleb, elle songea alors qu'il lui laissait pleine liberté pour s'exprimer, et qu'une trop longue histoire ne servirait à rien.

"Je suis une druidesse, originaire de Calédonie. J'ai voyagé un partout en Grande et Petite Bretagne pour mon initiation autant que pour remplir mes missions depuis que je suis jeune. L'une d'elles consistait à garder ce que mes pairs et moi-même considérions comme un trésor sacré, une sorte de Graal seulement connu des druides jusqu'à maintenant. Et ce Graal était en fait l'armure de la Coupe, qui m'a revêtue hier soir dans la nuit, alors que nous effectuions une cérémonie de sélection dans notre assemblée pour officialiser les jeunes druides comme dignes d'exercer en autonomie. C'est là que Kaleb nous a trouvés."

Moins impressionnée qu'elle l'avait anticipé au départ, la toute jeune Sainte s'avança droit devant elle, jusqu'à rencontrer lentement le bois du bureau, repérer les angles à l'aide de ses mains et se tourner à la dernière position où elle avait situé son interlocuteur.

"Si cela te convient Grand Pope, j'aimerais moi aussi connaître ton nom, et si possible ton visage."

Elle présenta ses mains respectueusement, attendant d'y être invitée pour agir.

"Comme tu l'auras sans doute remarqué, je suis incapable de voir. Mais pas moins curieuse de savoir à quoi tu ressembles."

Kaleb écouta calmement l’échange. Il n’était pas le premier concerné. Ce n’était pas à lui que le Grand Pope s’intéressait. Pour autant, le moment venu, il aurait des précisions à apporter.

Mais d’abord, il laissa la jeune femme se présenter. Son style était pour le moins… Non protocolaire. Ce qui tira un sourire d’amusement au chevalier d’or de la Vierge. Après tout, elle venait de le tutoyer. Une chose que le gardien de la sixième maison ne se serait jamais permis. Il était néanmoins curieux de voir comment allait réagir le premier serviteur d’Athéna face à la fraîcheur de cette jeune femme, face à sa cécité.

Alors qu’elle s’avançait vers le bureau, le chevalier d’or, conservant son sens du protocole, prit posément la parole.

«Il semblerait que l’urne de l’armure d’argent de la Coupe attendait dans cette forêt depuis des générations. Serait-elle celle qui a donné naissance à plusieurs légendes parmi les adorateurs de l’Unique ? Je l’ignore. Cependant, les pairs de Dana la veille depuis un temps suffisamment long pour que la tradition orale de sa provenance ne se soit perdue. J’ai senti l’appel de sa lumière, son aura alors que je me trouvais dans la forêt. C’est comme cela que je les ai trouvées… »

Un complément d’informations par rapport au billet qu’il avait fait parvenir au Grand Pope ainsi qu’aux dires de la jeune femme. Kaleb prit une courte pause avant de reprendre.

«Votre Excellence… Veuillez excuser mon impertinence mais, cette jeune femme s’est éveillée de manière spontanée. Elle n’a aucune formation martiale, aucune connaissance du monde des Eveillés. Bien que chevalier par le titre, elle doit encore être formée à sa mission. J’ai promis aux siens de veiller sur elle en échange de sa venue. Car tel est le message que j’ai perçu de la Coupe… Je sollicite donc la bénédiction de Votre Excellence pour la prendre comme apprenti et la ramener avec nous au Sanctuaire… »

S’inclinant légèrement, Kaleb se tut, attendant d’entendre la réponse du vieux Lion, espérant avoir son approbation.

Le vieux lion écouta l’histoire de la jeune femme. Le savoir druidique qu’elle avait sûrement serait très utile pour le Sanctuaire. Un savoir qu’il aurait aimé avoir à sa disposition un peu plus tôt, quand il avait dû enquêter sur les actions du druide noir qui avait tué la gardienne de Jamir, mais c’était une addition de valeur aux savoirs des armées de la Sagesse. Il l’écouta ensuite découlé l’histoire du mythe de la Coupe. Voilà pourquoi l’armure n’avait pas trouvé de porteur depuis longtemps. Il se demanda le rapport qu’avaient cette armure et les actions de Narsès, car après tout, jusqu’à il y a peu, cette armure faisait parti de celle sous ses ordres. Enfin, sûrement un mystère auquel il n’aurait jamais la réponse, car peut-être, celui n’appelait pas de solution. La suite par contre, lui plu beaucoup moins. Mais c’était plutôt destiné au chevalier d’or de la vierge, lui, capable de voir l’expression réprobatrice sur le visage du vieux lion.

« - Oui, mon nom oui. Le reste non. Je suis Childéric, voix d’Athéna. »

Il se tourna ensuite vers le chevalier d’or de la vierge qui venait compléter les informations de cette nouvelle venue dans le Sanctuaire. Il semblerait que Kaleb fût au bon endroit au bon moment, comme c’est souvent le cas quand les armures choisissent leurs élus. Childéric écouta ensuite la demande son chevalier d’or. L’éveil spontané avait ses inconvénients et ici, cette histoire était en plein dedans. Elle avait gagné un nouveau pouvoir, sûrement une explosion de ses dons latents mais n’avait aucune idée de comment s’en servir, de même que des usages et de la philosophie de l’armée qu’elle venait de rejoindre. En avait-elle seulement conscience ? Childéric d’abord de se tourner vers Kaleb :

« - Oui. Je ne vois pas de soucis à ce que tu la formes, Kaleb. Tant sur le plan du cosmos que sur celui du… protocole. Il va de soit que nous ne pouvons pas laisser derrière nous l’une des nôtres. Il est évident qu’elle est la bienvenue au Sanctuaire. »

Puis de se tourner vers Dana :

« - Je laisse à ton maître donc le soin de te former sur les détails qui régissent notre ordre, ainsi que les droits et devoir d’un chevalier. J’aimerais savoir exactement, en plus de tes talents de druide, ce que te permet le cosmos, ou ton pouvoir est-il encore brut ? »

Après tout, c’était un soldat comme les autres. Une ressource qu’il devait apprendre à utiliser. Après tout, elle avait été élue par une armure d’argent et devait allier quelque maîtrise de l’énergie à sa formation de druide. Quand bien même son pouvoir serait une pierre brute à tailler, il devait y avoir des bases plus solide, l’armure ne l’aurait pas choisit autrement.

Un nom, mais pas de visage. C'était compréhensible, il s'agissait en quelque sorte d'entrer dans l'espace vital de quelqu'un, juste quelques secondes. De la même manière qu'une poignée de main ou un regard scrutateur. Dana acquiesça donc, ramena les membres le long de son corps et retourna à sa place à l'entrée de la pièce. Childéric donc. Un nom qui sonnait plutôt Franc, pas si lointain que l'emplacement du Sanctuaire aurait pu le laisser penser.

Le Grand Pope valida sans problème le nouveau lien de maître et de disciple qu'on lui présentait. Comme l'avaient espéré, et supposé un peu, la Vierge et la druidesse. Un souci de moins à présenter à sa mère lors du départ. En revanche l'intonation légèrement pinçante dans la voix de Childéric lorsqu'il mentionna le protocole n'échappa absolument pas à l'ouïe aiguisée de l'aveugle. Le tutoiement était peut-être de trop. Mais sur ce plan-là, elle lui avait simplement la familiarité qu'il avait lui-même initiée. Une sorte d'échange équivalent que les druides pratiquaient quotidiennement : couper des branches, planter des graines. Tuer des bêtes, en élever d'autres. Saisir une main et en offrir une autre. A moins que ce fût le fait de vouloir si tôt connaître son visage. Dans la mesure où il était si important, la rouquine songeait que c'était peut-être la seule occasion qui lui serait jamais donnée.

La jeune femme hésita. Elle avait caché son pouvoir à ses pairs, car sa mère et elle pensaient qu'il serait peut-être mal perçu. Mais pour les chevaliers, d'après les brèves explications de Kaleb, c'était monnaie courante. Donc... pourquoi pas ? Au pire, ils changeraient simplement d'avis et la laisseraient sur place, pour peu qu'elle gardât le silence sur Athéna et son hégémonie. Elle abaissa les paupières puisqu'il devenait inutile de faire semblant de voir.

"Je peux percevoir les énergies du vivant. D'une manière encore différente de la cécité ou de maintenant. Ce qui est caché. L'essence d'un être en quelque sorte. Si je me concentre vraiment fort, je suis même capable de me déplacer comme si je n'avais pas de consistance, loin, tant que je reste immobile."

Elle s'aperçut de la contradiction de sa propre phrase, chercha à reformuler sans vraiment trouver de comparaison adéquate. Il était déjà compliqué en temps normal de comparer la perception d'un voyant à celle d'un aveugle, alors avec sa capacité en plus, autant dire qu'une démonstration valait mieux. Or, elle ne pouvait tout simplement pas faire cela dans ce bureau, avec leurs regards posés sur elle, sur un coup de tête. Mais étrangement, elle avait l'intuition que le représentant d'Athéna comprendrait. Qu'ils avaient comme... une affinité dans cette aptitude.

Kaleb ne se montra pas surpris de la réaction du Pope. En douceur, il repoussa la proposition de la jeune femme de toucher son visage. Quand elle eut repris sa position initiale, la Vierge prit la main de la jeune femme pour lui signifier que tout allait bien.

Il fallait d’ailleurs qu’ils réfléchissent à un moyen de communiquer par le toucher pour qu’elle puisse percevoir d’une autre manière ce qu’elle ne pouvait voir sur le visage des gens.

Elle était maintenant sa disciple. Ainsi en avait décidé le Grand Pope. Un honneur et une responsabilité. Un engagement aussi. Lorsque Childéric évoqua la question du protocole, la Vierge ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en coin. Bien évidemment, il faudrait lui apprendre les règles de vie et les rapports qui régissaient la vie du Domaine Sacré. Mais Kaleb ne voulait pas pour autant qu’elle perde sa spontanéité.

«Je vous remercie votre Excellence. Je l’accueillerais dans la sixième demeure afin qu’elle se sente entourée. Mon intendante et mon aide de camp l’aideront à s’intégrer et il sera plus aisé de la former ainsi. »

Il laissa Dana expliquer ses capacités. Etrangement similaires pour le chaman qui voyait les lumières du vivant. En revanche, elle lui avait caché son autre capacité. Et celle-ci Kaleb n’était sans doute pas capable de l’aider à la développer. Il trouva donc bon de le signaler à Childéric.

«C’est une capacité intrigante…. Tu es donc capable de t’extirper de ton corps, c’est bien ça ? J’avoue que je n’ai pas cette capacité. Peut-être devrait-on trouver un autre chevalier capable de guider Diana juste dans ce domaine ? Vous êtes sans doute le plus à mène de savoir lequel de nos frères et sœurs d’armes pourrait l’aider à épanouir ce don, votre Excellence…»

Kaleb se tut. Il regarda le Grand Pope, attendant son analyse et qu’il dispense sa sagesse.

Le vieux lion nota l’hésitation qu’avait Dana à répondre à sa question. Il pouvait comprendre que ce n’était pas facile de se livrer autant face à l’inconnu qu’il était. Surtout si elle avait tenu une partie de son pouvoir secret pendant longtemps ou si au contraire, elle ne le comprenait pas vraiment. Après tout, son élection était récente et l’armure avait pu révéler un potentiel lattant ou au contraire, se greffer sur quelque chose de déjà épanoui. Mais ce serait au chevalier d’or de la vierge de répondre à cette question. Il fut un peu surpris, mais pas vraiment étonné, de la voir décrire avec une forme d’innocence ce pouvoir qu’il connaissait bien. Il y avait beaucoup de marcheurs dans le Sanctuaire et en règle général, parmi les éveillés. Mais peut étaient aller aussi loin que lui sur ce chemin. Alors il n’eut pas de mal à cerner ce pouvoir dont elle parlait. Il connaissait les limites, les contraintes, les risques et les bénéfices. Il avait déjà aussi promis à la petite Argus de la former à entreprendre ce voyage. Alors…

Une chose qui m’avait pas vraiment échappé à la Vierge. Un pouvoir qu’elle semblait avoir gardé pour elle par contre et dont elle ne parlait que maintenant. Kaleb avait encore bien des choses à apprendre sur son apprenti et c’était une bonne chose. Il aurait été étrange de se livrer corps et âme à un étranger si facilement. Dana savait faire preuve d’une certaine réserve. Le Pope hocha la tête alors quand le sixième gardien demanda à ce qu’un autre chevalier s’occupe de cette partie de sa formation et il ne croyait pas si bien dire.

« - En effet. C’est un pouvoir complexe que de pouvoir ainsi séparer son âme de son corps. Un pouvoir qui comporte beaucoup de risque et qui ne doit pas être utilisé à la légère. Je te formerais à ce pouvoir Dana. Je devais déjà former Argus, que tu connais Kaleb. Alors je ferrais d’une pierre deux coups, et vous pourrez ainsi vous entre-aider toutes les deux quand j’aurais malheureusement moins de temps à vous accorder. »

Le Pope se tût alors et son regard passa sur le chevalier d’or, puis sur la toute nouvelle guerrière d’argent. Puis, il reprit alors :

« - Bien, vous avez l’un comme l’autre quelque chose à rajouter ? »

Et sinon, les deux Saints étaient libre de se retirer s’il le désirait.

"Séparer mon âme de... ?"

Dana pâlit. Puisqu'elle ne voyait pas son corps en temps normal, ne pas le voir alors que toute l'énergie qui le composait s'en allait ailleurs semblait tout à fait logique. Tout en défiant les lois de la nature de manière surréaliste. S'ils disaient vrai, si vraiment c'était ce qui se produisait quand elle utilisait cette aptitude, il lui faudrait confirmer avec un témoin, et surtout éviter de le faire. Les druides veillaient suffisamment sur la forêt pour savoir qu'il y avait des expériences à ne pas tenter n'importe comment.

Pourtant, aussi incroyable, interdit ou invraisemblable qu'était l'idée, aucun des deux hommes ne sembla réellement surpris. Mieux encore, le Grand Pope sous-entendait qu'il pratiquait lui-même la chose et pourrait l'aider à parfaire sa maîtrise. Si elle s'était attendue à cela ! Et pour couronner le tout, elle aurait une camarade d'apprentissage en la matière. Que demander de plus ?

"Je te remercie. J'avoue que... je m'attendais à une réaction différente."

En fin de compte, peut-être que tout ce temps sa mère et elle s'étaient inquiétées pour rien. A moins que cela ne tînt à la nature particulière des chevaliers d'Athéna. Un mystère qu'elle éluciderait tranquillement plus tard.

"J'ai déjà posé beaucoup de questions à Kaleb, alors je crois que ce sera tout pour moi. Merci encore pour cette audience si rapide et... pour tout le reste."

Faute de mieux elle s'inclina de nouveau.

Lorsque le Pope proposa lui-même de guider Dana sur le chemin de son second pouvoir, Kaleb esquissa un signe discret de gratitude. C’était un véritable honneur que d’être formé par le premier représentant d’Athéna. Qui plus est pour un chevalier d’argent. La Vierge compris cependant que Dana ne semblait pas avoir forcément perçu l’intégralité de sa capacité en raison de sa cécité.

Si elle séparait son âme de son corps, cela signifiait sûrement que, pendant cette transe, ce dernier restait sans protection. Kaleb se contenta donc de partager cette inquiétude vis-à-vis de sa disciple.

«J’ai l’impression que c’est une capacité qu’il vaut mieux pratiquer à plusieurs. Afin d’être certain que chacun puisse regagner son enveloppe, j’imagine…»

Cela le rassurait que Childéric soit celui qui guiderait Dana. Et la présence d’Argus était également une bonne chose. Ainsi, Dana ne serait pas isolée. Elle était encore jeune. Il serait important qu’elle tisse des liens avec des personnes de son âge au Sanctuaire.

«La Coupe et l’Oiseau de Paradis seront donc dans les meilleures mains possibles Votre Excellence. Et je gage, vu leur caractère respectifs qu’elle parviendront sans difficultés à s’entendre…»

L’entrevue touchait à sa fin. Il n’y avait rien de plus à rajouter. Certains sujets viendraient naturellement une fois arrivés au Sanctuaire. Le temps du Grand Pope était précieux, il convenait de ne pas en abuser.

«Merci de nous avoir reçu, Votre Excellence. Si vous n’avez plus besoin de nous, nous allons prendre congé.»

Il s’inclina à nouveau et se retira respectueusement.

Citation :

RP terminé. Merci .

Le vieux lion ne peut retenir un puissant rire-rugissement à la réaction de la jeune fille quand il lui expliqua légèrement la nature de son pouvoir. Ce rire, c’était sa signature. Le genre de rire de gorge, profond, puissant et communicatif. Un peu gênant parfois aussi, car il avait tendance à attirer l’attention. Mais cette réaction ne faisait que confirmer ce qu’il pensait : c’était une pierre brute à tailler. Et arriver à la maîtrise qu’elle semblait avoir atteint d’elle-même, c’était déjà un chemin en soit impressionnant. Terriblement chanceux aussi, car on ne marche pas le chemin du Rêve sans prendre des risques. Il faudrait rapidement qu’elle apprenne.

« - Nous verrons les détails au Sanctuaire, rassure toi, ça a l’air plus impressionnant que ça peut l’être finalement dans la pratique. »

Puis, il se tourna vers Kaleb :

« - Pas forcément. Le risque est plutôt pour le corps physique, il vaut mieux le faire avec quelqu’un qui veille sur le corps pendant que l’âme voyage. »

Le vieux lion, lui, avait quatre-vingt-huit chevaliers pour veiller sur son corps pendant qu’il rêvait du haut de son temple dans le Sanctuaire. Mais même là, il ne marchait que rarement sans personne aux côtés de son corps, souvent le rôle dévolu à la douzième gardienne. Il adressa ensuite un sourire Dana. Il aurait l’occasion, plus tard, de lui demander ce à quoi elle s’attendait, mais pas maintenant. Quand elle aurait appris un peu plus de protocole. Pour le reste, il gratifia les deux chevaliers d’un signe de tête.

« - Bien. Encore une fois, bienvenue parmi nous, Dana. Et bien joué à toi, Kaleb, d’avoir été au bon endroit au bon moment. Sans ça, qui sait ce qui aurait pu lui arriver, seule dans la nature. »

Et il laissa les deux chevaliers se retirer, pour retourner à sa longue journée. Qui devait-il encore rencontrer en ce jour…

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