[Avril 553] Rêve toujours ! (Childéric, Argus)

Le rendez-vous avait été donné plutôt rapidement. Compte tenu des rumeurs qui disaient le Grand Pope toujours occupé à quelque chose, voire même tellement pris qu'on ne le voyait parfois pendant plusieurs jours, Dana s'estimait heureuse de la diligence avec laquelle Childéric recevait ses deux disciples pour les entraîner personnellement. Le pouvoir du Rêve devait être un atout réellement précieux au sein des forces d'Athéna.

Peu habituée à s'éloigner autant du Temple de la Vierge, la druidesse avait demandé à Eireen qu'elle la réveillât tôt. Elle avait commencé la montée des marches en douceur, puis en les avalant deux par deux pour gagner un peu de temps. La Balance, sourde, ne l'entendrait même pas passer. Le Scorpion, le Sagittaire et le Capricorne étant vides actuellement, elle ne s'en préoccupa pas plus. Elle profita de son arrêt au Verseau pour reprendre son souffle et expliquer la raison de son passage au propriétaire des lieux, se demandant au passage qui était la personne qui avait eu l'idée de disposer autant de marches sur cette fichue montagne afin de se rendre devant Athéna. Etait-ce une manière d'éprouver la foi -et l'endurance- de Ses chevaliers ? Le passage des Poissons tint plus de la formalité qu'autre chose puisqu'elle connaissait Morwenna depuis sa petite fête entre femmes, et la voilà arrivée devant le grand édifice réservé à Childéric.

Des bâillements des gardes lui indiquèrent qu'il devait encore réellement tôt en vérité.

"Veuillez m'excuser, j'ai une audience avec le Grand Pope Childéric... C'est bien ici que je dois me présenter ?
-Si tôt le matin ? Le soleil est à peine levé petite...
-Euh... On m'a dit... "Quand la huitième flamme de la grand horloge s'allumera." Le problème, c'est que je ne vois pas l'horloge.
-La huitiè... Bon sang, tu as une bonne heure d'avance ! Elle est là-bas l'horloge. Toujours au centre du parcours des Douze Maisons.
-Je ne vois pas...
-Mais si !
-Je crois qu'elle veut dire qu'elle est aveugle, Euryos...
-Oh. La nouvelle venue de Camelot ? Avec le masque...
-Oui.
-Désolé. Euh... Donc oui, tu es très en avance. Je pense qu'on peut au moins te trouver un siège en attendant l'heure, mais tu ne seras pas reçue avant. Ça ira ?
-Faisons cela. Merci."

Argus n'avait pas vu le temps passer, depuis sa précédente entrevue avec le Grand Pope. A vrai dire, cela lui était presque sorti de la tête et, quand elle s'en rendit compte, une vague de culpabilité avait assombri son visage.
Sa mission avec Kaleb et Xanathos, éreintante tant sur le plan physique que psychologique, avait occupé son esprit bien après qu'elle se fut terminée. La jeune fille continuait à repasser les souvenirs de ces journées en boucle, cherchant à analyser son comportement, à trouver ce qu'elle n'aurait pas dû faire, ce qu'elle aurait dû améliorer... En vain.
Puis il y avait eu la réunion entre femmes Chevaliers, bain de fraîcheur dans ces journées qui lui avait permis de se sortir un peu la tête de l'eau, mais aussi de rencontrer de nouvelles camarades, de cesser d'être cette petite moins que rien qui rasait les murs et ne connaissait rien ni personne.

Puis la nouvelle missive du Pope était arrivée, ramenant la jeune fille à la réalité : elle était convoquée, le lendemain, dans la demeure de leur chef suprême, pour s'entraîner à mieux arpenter les voies du rêve.
Alors, elle consacra toute sa soirée à de nombreux exercices de méditation, prit un repas frugal et se coucha tôt, afin de pouvoir se lever aux aurores, s'entraîner encore et arrivée, fraîche et dispose, à la leçon.

Argus avait appris de ses erreurs et, cette fois-ci, se présenta correctement aux différents Gardiens des différents maisons, ou à leurs serviteurs si ceux-ci n'étaient pas là. Ainsi, elle arriva sans accrocs au dernier des Palais, dans lequel elle entra, humble.
Là se trouvait déjà Dana, qu'elle avait rencontrée à la réunion des femmes Chevaliers.

Ce jour-là, le vieux lion s’était levé tôt, comme tous les jours à vrai dire. Il pouvait remercier l’entraînement drastique qu’il avait reçu depuis sa plus tendre enfance. Ainsi, il arrivait à se contenter de nuit brève, trois ou quatre heures de sommeil, tout au plus. Le problème étant là-dedans de trouver du temps pour lui, de voler ce temps, pour être exact. Souvent, il le passait à Star Hill, où il était sûr de ne pas être dérangé. Peut-être était-se pour ça que cet endroit été sacré et si important pour les Pope. Le lieu où ils pouvaient simplement penser sans être le centre de la tornade qu’est l’organisation du Sanctuaire. C’est de là qu’il assisterait les jeunes femmes. Après tout, elles étaient venues pour Rêver et pas pour le voir lui. Il s’installa confortablement dans son siège de travail, s’enfonça dans ce dernier, calant son dos. Il poussa un profond soupir et se laissa emporter par les flots.

Les deux femmes étaient déjà là à l’heure, une qualité que Childéric savait apprécié. Il les regarda alors avec attention, pour jauge leur réaction face à son apparition improvisée et inexpliqué de nul part. Sous cette forme, la seule chose qui pouvait le trahir était ses yeux, qui n’avait rien d’humain. Il posait sur elles les yeux du lion. Sous cette forme, il était aussi simplement vêtu, loin de la toge impérial que son office lui imposait. Des vêtements simples. Un haut de lin de couleur beige, serré à la taille par une ceinture de cuir. Un pantalon de laine plus robuste de couleur plus foncé terminé par des bottes de cuir souple. Il n’avait pas son masque sur son visage non plus. Le Pope adressa alors ensuite un signe aux deux femmes, pour les saluer.

« - Bien, bonjour à toutes les deux. Je suis content que vous soyez venu si tôt, mais mes journées sont chargés et je ne peux me libérer qu’avant que les gens ne se réveillent. »

Un sourire amusé et un petit rire quitta les lèvres du vieux lion. Plus sérieusement, ensuite, après que les deux jeunes filles aient eu le temps de le saluer, il observa un peu plus Dana, voir si Kaleb avait poursuivi ses leçons de protocoles ou non, il les invita à le suivre. Le trio n’eut pas à aller bien loin et il amena ses apprentis d’un temps dans le petit jardin intérieur qu’il utilisait pour une partie de son exercice physique. Le lieu était calme, isolé, d’autant plus à l’aurore. Parfait pour méditer. Il alla se place alors un peu devant les deux jeunes femmes avant de simplement leur dire :

« - Bien, installez-vous toutes les deux. Nous allons commencer à forger votre capacité à voyager à travers le Rêve. Vous l’aurez sûrement deviné déjà, mais ce n’est pas mon vrai corps qui se trouve devant vous, mais ma projection. »

Il fit une légère démonstration aux deux jeunes femmes en disparaissant un instant avant de réapparaître. Rien de bien compliqué quand on la maîtrise parfaite de la projection comme l’avait le vieux lion. Il reprit alors :

« - Votre formation risque d’être… différente, l’une et l’autre. Dana, tu as un énorme potentiel brute, qui s’est développé sans contrôle. J’enfonce des portes ouvertes, mais cela est lié à ta cécité. Argus toi, tu commences seulement à te fondre avec le cosmos pour faire voyager ton âme. Alors, c’est simple ce que nous allons faire maintenant. Je vais vous attendre dans la salle du trône. Et vous allez me rejoindre. Une fois fait, vous me parlerez des difficultés que vous avez rencontré. Elles vont sûrement être différentes. Se fondre avec le Rêve l’est pour tout le monde. »

Il se fit sérieux un instant, le visage grave. Si les consignes qu’il avait données pour l’instant étaient légères, il allait leur indiquer un avertissement sérieux.

« - Vos corps vont être cependant vulnérable. Ici vous ne craignez rien, mais faites attention à vous quand vous utiliserez ce pouvoir en situation réelle. Ne l’utilisez pas seule ou veilliez à prendre de nombreuses précautions avant. Même ici, quand je dois me projeter loin, je m’arrange pour avoir un chevalier d’or qui veille sur mon corps. »

Puis, un clin d’oeil et le voilà disparu, dans la salle du trône à les attendre.

Installée grâce à la bienveillance des sentinelles, Dana laissait son esprit vagabonder en attendant l'heure. Occupée dans un premier temps à visualiser le palais grâce à la répercussion de l'écho de la conversation qui se tenait un peu plus loin, elle se mit à penser à son masque. Elle avait pu, pour sa première "grande" sortie en solitaire du Temple de la Vierge, se rendre chez l'artisan qui les préparait pour les femmes-chevaliers et faire ajuster l'emplacement de la bouche ainsi que creuser les ouvertures pour les narines et affiner les formes pour son visage. Ainsi le port en était plus confortable, et son odorat souffrait moins de la barrière de métal imposée à son visage. Elle réfléchissait encore à la personnalisation de la moitié réservée aux yeux mais rien ne pressait.

Au bout d'un moment, elle sentit une nouvelle énergie assez familière et reconnut la voix qui se présentait à l'entrée. Elle attendit que la nouvelle venue fût près d'elle pour se lever et avancer doucement à sa rencontre.

"Bonjour Argus ? Pas trop anxieuse ?"

Songeant que l'arrivée de l'Oiseau du Paradis signifiait l'imminence de celle du Grand Pope, Dana limita la conversation à quelques salutations, mais elle voulait au moins la confirmation qu'elle avait identifié la bonne personne. En principe elle avait beaucoup de marge d'erreur avant de se tromper puisqu'elle savait sa camarade présente pour la même raison, mais la mémorisation de chaque personne s'en trouvait plus renforcée si elle redemandait chaque fois, au début.

Au bout d'un moment, elle tourna spontanément la tête vers l'apparition, ses sens lui signalant une nouvelle énergie dont elle était incapable de tracer la provenance.

"C'est étrange, je sens quelqu'un..."

Un sursaut lui fit pousser une exclamation de surprise quand la voix de Childéric résonna sans prévenir et elle comprit alors. Sa présence était différente sous cette forme. Son corps semblait peser un peu moins lourd sur le sol, son odeur celle d'un humain mais pas entièrement là. Comme s'il venait d'ailleurs.

Avec un temps de retard, elle s'inclina aux côtés de sa partenaire d'entraînement, puis suivit le mouvement vers l'intérieur. Ou l'extérieur... ? Le contact d'herbe et de fleurs sur ses chevilles lui faisait penser à un jardin, pourtant il lui semblait toujours percevoir la présence de colonnes et de murs de pierre -de marbre- autour. Peut-être une facétie architecturale des Grecs ?

A l'injonction, sans même chercher s'il y avait une chaise ou une quelconque installation pour leur entraînement, Dana s'assit à même le sol, sur les genoux. Habituée à la forêt et à la plaine, elle n'avait aucun problème à s'installer directement par terre, se salir étant le cadet de ses soucis. Elle pinça les lèvres derrière son masque tandis que le Pope jouait avec ses sens indirectement. La démonstration serait sans doute beaucoup plus explicite pour Argus qui voyait, ou ne voyait plus. Elle leva timidement la main pour demander la parole, profitant d'un blanc dans l'explication.

"Veuillez m'excuser, mais serait-il possible de décrire ce que vous faites tous les deux... ? Si vous disparaissez, surtout... Cela m'aiderait beaucoup."

Elle ne fit aucun commentaire sur les explications, tout paraissant limpide jusque-là puisqu'elle déjà expérimenté sans forcément le faire exprès le monde du Rêve. Childéric parti, elle tourna la tête vers Argus, puis écouta ses sens tout autour.

"La salle du trône, c'est l'endroit d'où nous sommes arrivées je suppose ? En tout cas ici, pas le moindre chevalier d'or. Nous sommes tranquilles, assurément..."

La rouquine sourit.

"On essaie en même temps ?"

Sans être exactement sûre de savoir si cela prenait plus de temps chez les uns ou chez les autres, la druidesse s'allongea aussitôt dans l'herbe, le masque tourné vers le plafond. Pour avoir parfois subi des réveils sur le plancher, elle savait que son corps tombait inerte sur le sol lorsqu'elle utilisait cette faculté, et elle préférait éviter les bosses ou les foulures inutiles dues à une mauvaise position. Une grande inspiration et le vide dans son esprit étaient la première étape, puis la perception non plus de l'extérieur mais de l'intérieur-même de son corps, de son cosmos.
Environ deux minutes après le début de sa méditation improvisée, elle se redressa en position assise, puis se leva hors de son corps. Sous cette forme, pas de masque pour l'embêter, et lorsqu'elle releva les paupières, elle vit ce monde de couleurs extraordinaires qui n'appartenait qu'à elle. L'énergie des atomes brillait partout, plus ou moins fort : dans la terre, dans les plantes, dans la pierre, dans les Hommes, comme un feu vivant continuellement actif. Elle s'assura de la présence d'Argus à ses côtés, chercha son corps à terre sans le voir.

"Est-ce que ça va ? Je suis prête."

A l'aide de sa mémoire, la jeune femme retourna donc en arrière, se repérant au tracer des couloirs qu'elle avait mémorisés, pour arriver bientôt près d'une silhouette immense et si intense qu'elle l'éblouissait presque.

"Wouah ! Je t'imaginais moins grand ! Pour le moment, la seule difficulté que j'éprouve, c'est que je ne vois pas mon corps, si j'en suis bien sortie, je sais juste où est mon point d'ancrage..."

Jusque-là, cela semblait facile donc. Sauf que Dana voyait sa forme astrale sous le spectre de sa propre couleur, sans se rendre compte qu'elle n'arborait pas une forme proprement "humaine" : on reconnaissait sans peine son visage, sa silhouette globale, mais ses cheveux se perdaient dans l'inconsistance comme s'ils brûlaient, son corps ne semblait pas fait de peau, mais d'étoiles, une galaxie perdue dans une enveloppe trop petite, instable, qui changeait à chaque seconde. Comme si des vagues troublaient son reflet.

Argus sursauta à la mention de son nom et se figea quelques instants, tétanisée de surprise. Elle ne s'attendait pas à trouver quelqu'un aussi tôt, encore moins à ce que cette personne s'adresse aussi directement à elle.
La jeune fille se força à prendre quelques lentes inspirations pour remettre de l'ordre dans ses idées, et répondre calmement.
D'abord, saluer. Argus inclina légèrement le buste - si elle se souvenait bien, malgré son attitude enjouée cette jeune femme était plus puissante et gradée qu'elle - et répondit :

Bonjour... Dana.

Elle prononça plus bas le prénom de sa vis-à-vis, comme incertaine. Elle avait vécu principalement seule ces dernières années, aussi retenir les noms et les visages, ou les masques dans ce cas, de ses frères d'armes n'avaient pas fait partie de son entraînement.
Venait la moitié la plus compliquée de la question, et Argus baissa la tête. L'interroger aussi brusquement sur son anxiété était le meilleur moyen de la rendre encore plus anxieuse.
D'abord, parce qu'elle même n'en savait rien. Elle avait besoin de quelques minutes d'introspection pour comprendre la nature et l'intensité de ces émotions qui bouillonnaient en elle. Ensuite, parce que les vocaliser, aussi innocemment, aussi sincèrement face à d'autres, lui semblait une hérésie qui l'effrayait.
Alors, elle bredouilla :

N... non, ça va...

Heureusement, l'arrivée du Pope mit fin à la discussion avant que celle-ci ne devienne trop gênante pour l'Oiseau de Paradis.
Dès l'arrivée de son chef suprême, Argus posa un genou au sol. Rien dans sa réaction ne différait de si le Pope était venu en chair et en os. Elle avait bien compris qu'il ne s'agissait d'une projection - ce qui était logique vu le sujet de la leçon du jour - cependant elle estimait qu'elle se devait de montrer son respect de la même manière, présence physique ou non.
La boutade lancée par le Pope laissa cependant comprendre que le moment n'était pas à la solennité et, en effet, Argus était moins guindée que lors de leur première rencontre.

Puis, quelques secondes après Dana, elle se releva lorsque le Pope leur en donna l'ordre. Elle les suivit tous les deux dans un petit jardin, dont elle apprécia le calme, la douceur et l'harmonie. Là, elle écouta avec son attention habituelle les consignes de leur chef suprême, et s'assit à même le sol, appréciant de sentir sous ses doigts et sous ses jambes la douceur de l'herbe couverte de rosée.
Le Grand Pope disparut un instant, ce qui prit Argus par surprise, avant de réapparaître. Là, il donna ses consignes : le rejoindre dans la salle du trône. L'Oiseau de Paradis acquiesça : elle n'envisageait peut-être pas suffisamment les difficultés, sans doute par ignorance.

Elle se retrouva alors seule avec Dana, qui prit aussitôt la parole. Argus se crispa. Elle savait que ce n'était pas contre elle, que Dana n'était pas méchante, mais quelque chose dans sa manière d'être la stressait. Trop de paroles. Trop de volubilité. Argus, encore renfermée et trop peu confiante, n'était pas encore prête pour cela.
Cependant, par politesse, elle tâcha de ne rien laisser paraître de son malaise. Elle prit sur elle pour répondre, d'une voix posée, à sa camarade :

Oui, c'est là d'où nous venons. Auras-tu besoin que je te guide... aussi... quand nous serons dans le Rêve ?

Elle se força à ne pas bafouiller ses derniers mots. Est-ce que c'était une question qui se posait ? Est-ce qu'il aurait été plus blessant de ne pas proposer ? Argus soupira. C'était décidément bien compliqué.
Quand Dana s'allongea sur le sol, devinant qu'il y avait à cela Argus se recula, pour s'adosser au tronc solide d'un arbre, non loin. Elle préférait méditer comme elle l'avait appris, le dos droit, chaque vertèbre empilée sur la précédent, sa colonne formant une colonne d'énergie, plongeant ses racines dans les tréfonds de la terre et ses racines dans le ciel.
Elle ferma les yeux et se concentra sur les modulations du cosmos de Dana. Elle cherchait à les imiter, à se caler sur son départ, espérant que son aîné lui montrerait la voie.

Il y eut des minutes de flottement puis, comme elle l'avait déjà fait quelques fois par le passé, Argus sortit de son corps. Comme cela faisait de nombreux mois, la sensation lui donna un léger vertige, accompagné de nausée, et elle eut besoin de quelques secondes de concentration afin de se stabiliser. Elle n'aurait pas jamais dû négliger cette partie de ses capacités, se morigéna-t-elle mentalement.
Juste à temps pour ne pas rater le signal du départ de Dana, qui ne semblait plus souffrir de la cécité dans les couloirs du Rêve. Argus rougit, hésitant à s'excuser pour son retard, et emboîta le pas de son aînée.

Dana n'avait visiblement pas besoin de guide. Argus se laissa flotter derrière elle, admirant la finesse et la grandeur de ces couloirs qu'elles traversaient à nouveau. Enfin, elles retrouvèrent le Pope, au milieu de sa salle du trône. Elles avaient réussi leur premier exercice, mais ne s'agissait-il pas que de l'entraînement ?Argus resta derrière Dana, silencieuse et discrète, tandis que celle-ci faisait un rapport au Grand Pope.

Le vieux lion attendit les deux jeunes femmes dans la salle du trône. Néanmoins, il avait pris soin de répondre à la demande de la Coupe. Pas besoin de description, cet exercice était avant tout un exercice de méditation et de communication avec soit même. Marcher le chemin du Rêve, c’était se déplacer sur celui de l’âme et ne faire qu’un avec le tréfonds de soit même. Chaque marcheur avait sa propre façon d’avancer, de maîtriser le lien qui l’unissait avec le cosmos profond qui animait chaque chose. Il n’eut pas longtemps à attendre avant de simplement et tout naturellement les voir arriver par les couloirs qu’il aurait normalement fallu emprunter. Il planta alors ses yeux de fauve sur les deux jeunes femmes et les examinant en détails. Il avait là l’œil aiguisé d’un professeur jaugeant ses élèves.

D’abord Argus, plus réservé, mais qui semblait avoir une meilleure maîtrise de son pouvoir. Après tout, ce n’était pas vraiment la première fois qu’elle utilisait ce pouvoir et sa maîtrise de la forme étonna un peu le vieux lion. Elle s’en sortait très bien. Il n’avait donc rien à lui redire. Par contre, il fut bien plus inquiet pour Dana. Sa forme était… instable. Astral même. Le Rêveur ne peut jamais s’affranchir de son propre corps et de ses limites. Il ne peut prendre l’apparence d’un autre, cependant, il y a toujours un petit quelque chose qui venait faire la différence entre le corps physique et le corps astral. Pour Childéric, c’étaient ses yeux. Car pour marcher, il en appelait à sa nature profonde. À sa communion avec sa bête et son coeur. Alors ses yeux étaient à l’image de cette communion. Mais… la forme de Dana semblait plus instable justement, au-delà de la communion. Il faudrait qu’elle fasse attention. Sa puissance dans le rêve était certaine. Et elle pourrait agir comme un phare et s’attirer quelques soucis. Le vieux lion laissa les jeunes femmes approcher avant de corriger certaines choses.

« - Argus, tu t’en sors bien. Je pense que nous allons pouvoir passer à la suite, tous les deux. »

Un sourire vers le chevalier de bronze, puis, il se tourna vers la guerrière d’argent.

« - N’oublie pas le protocole que Kaleb t’a appris Dana… »

Le vieux lion était à cheval sur certaines choses. Néanmoins, il savait qu’il fallait mieux insister que sanctionner ou tempêter. Comme il avait pu le faire avec d’autres avant elle.

« - Il va falloir recommencer. Je ne sais pas comment sont tes perceptions du monde à travers le Rêve mais ton corps est instable. Il serait risqué pour toi de continuer. Il va te falloir recommencer cet exercice, jusqu’à ce que nous arrivions à quelque chose. Je ne sais pas comment tu te vois, essaie de t’imaginer plus… concrètement. Concentre-toi sur l’idée que tu te fais de toi, plutôt que sur ce que tu vois. »

Il se tut un instant, avant de reprendre, l’air plus sérieux :

« - Il est primordial de maîtriser cet exercice. Nous ne sommes pas seuls à marcher dans le lien que nous avons avec le cosmos profond. D’autres éveillés marchent à nos côtés, qu’ils soient amis ou ennemis. Des forces sont à l’œuvre dans cet état de frontière entre les âmes. Il faut éviter d’attirer trop l’attention sur nous, quand nous marchons ici. Tu es… une lumière dans la nuit, pour l’instant Dana. Essaie de te contenir un peu. Je ne peux pas vraiment te donner de conseil précis, comme je t’ai dit, chaque marcheur a sa propre approche du rêve. Tu peux imaginer ton corps comme une outre peut-être ? La sensation de l’eau à l’intérieur d’une poche de cuir devrait te donner une meilleure indication. »

Puis il se tourna alors vers Argus :

« - J’aimerais que nous testions tes limites à toi aussi. Normalement, ce genre de matérialisation peut se faire dans l’instant. J’aimerais voir le temps que tu mets, Argus. À venir ici. »

Il n’était pas seulement question de marcher. L’avantage du Rêve est qu’il pouvait s’affranchir de certaines des contraintes du monde matériel.

La druidesse baissa les yeux -chose facile quand on avait un colosse d'environ deux mètres face à soi. L'habitude qu'elle avait de parler à son interlocuteur sur le même ton que lui n'avait pas court ici, mais on parlait ici d'un tic de langage qui datait de toute petite. Il allait lui falloir du temps pour instaurer cette espèce de distance polie et dénuée de sincérité qu'attendant le Grand Pope. Néanmoins, le sujet du jour était au Rêve, alors elle ne se laissa pas démonter. Ses yeux astraux se firent ronds et pâles sous la surprise, comme si deux lunes avaient soudain remplacé ses pupilles.

"M'imaginer plus concrètement à partir d'une image mentale plutôt que ma vue... ?"

Elle le dévisagea, confuse. Voilà qui semblait bien contradictoire. Totalement en fait. Il fallait donc qu'elle pense à de l'abstrait pour devenir plus réelle en Rêve... ? Voilà qui promettait d'être compliqué. La suite l'aidait déjà un peu plus, avec une ligne de conduite à suivre, sans vraiment savoir comment s'y prendre.

"Je ne sais pas à quoi je ressemble réellement... Je ne sais plus..."

Elle croisa les bras et sa forme disparut de la salle du trône tandis qu'elle reprenait connaissance dans le jardin, pensive. Il fallait aussi trouver dans les conseils de Childéric le biais à trouver pour interpréter ses conseils à la manière d'un aveugle plutôt que d'un voyant. Palier avec ses autres sens, puis reconstituer celui qui lui manquait en quelque sorte.

"Bon, il me faut une image, une outre et des contours."

Comment faisait-elle pour imaginer les autres gens et les objets ? Généralement elle touchait si possible, écoutait les mouvements de l'air, les conséquences du poids sur le sol ou quand elle soupesait. Peut-être qu'à force de le faire pour les autres, ses raccourcis trompaient la perception qu'elle avait d'elle-même ? La druidesse n'avait donc qu'à se "reconstruire" plus attentivement. Pendant de longues minutes, sans se préoccuper d'Argus et Childéric, elle tâcha de se regarder plus en détails.

Méthodique, elle passa les doigts dans ses cheveux, jusqu'aux pointes, sur la lanière de cuir qui retenait sa natte. S'assurant que personne ne regardait, elle ôta son masque un moment et fit de même avec son visage, insistant sur les contours de ses yeux, de son nez, de ses lèvres. Naturellement, ses doigts suivirent ensuite le pourtour de sa gorge, se séparèrent sur ses épaules, le long de ses bras, puis détaillèrent poignets et doigts patiemment. Elle revint ensuite sur ses clavicules, dessina ses seins sur et sous ses vêtements pour plus de précision, puis ses côtes, sa taille, ses hanches. Elle fit de son mieux pour avoir un aperçu aussi fidèle que possible dans le dos avant de redescendre au niveau des cuisses et de l'aine, des genoux, des mollets. Elle enleva complètement ses chaussures afin de terminer par ses chevilles, l'ossature de ses pieds et les orteils.

"J'ai un peu plus de muscles qu'avant..."

Le problème des couleurs viendrait plus tard. Il fallait qu'elle ait l'air "normale" dans sa forme avant tout. Dana se rallongea en silence et recommença sa méditation en essayant de garder tous les éléments en tête. Une outre. De l'eau. Des contours. Son image.

Elle se releva et s'examina un instant via sa vue Rêvée : elle voyait toujours sa propre couleur véhiculer son énergie, mais dans un schéma qui ressemblait davantage à un circuit fermé. Le contour semblait donc fonctionner. En se retouchant rapidement, elle retrouvait les mêmes formes que lors de son examen réel, hormis le masque absent et les vêtements moins détaillés. Le tout avec la sensation de l'eau présente partout en elle. Un sourire étira ses traits astraux. Ce devait être mieux !

De nouveau, la Bretonne se présenta dans la salle du trône, attendit une pause entre Argus et Childéric pour se mettre en avant et avoir l'avis du représentant d'Athéna. Cette fois, elle avait l'air bien humaine, avec ses propres traits, une forme définie. Mais au lieu des étoiles, elle semblait faite d'eau uniquement, y compris ses vêtements.

"Alors... ?"

Spoiler:

La forme de Dana était étrange, chaotique. Argus ignorait si cela était normale ou non et, intriguée, se demanda si elle aussi ressemblait à quelque chose d'approchant. Du regard, elle chercha discrètement une surface réfléchissante, en vain. Qu'importe, elle n'appréciait pas réellement de voir son reflet.
Le Grand Pope répondit, indirectement, à sa question.
Alors que la jeune fille s'inclinait en remerciement des compliments qu'elle venait de recevoir, bien qu'elle ne soit pas certaine de les mériter, il se tourna vers Dana et la rappela à l'ordre. Sa forme astrale n'était donc pas normale, mais cette information ne rassura ni n'inquiéta Argus, qui ne savait pas à quoi elle ressemblait - mais dans tous les cas ce n'était pas trop grave vu l'absence de réaction du Grand Pope face à ce sujet.

Quand il eut fini d'échanger avec Dana, il ramena son attention à Argus, qui hocha la tête pour indiquer qu'elle écoutait de toutes ses oreilles et de tout son esprit. Ainsi, la limite pour elle serait la vitesse. Alors elle ferma les yeux, inspira et se retrouva à nouveau dans son véritable corps, allongé dans le jardin.
Elle réajusta sa position contre le tronc d'arbre, dont les écorces commençaient à lui rentrer dans le dos, et bu un peu d'eau à la gourde qu'elle avait amenée. Puis, en posture de méditation, elle ferma à nouveau les yeux.
Elle voulut étendre sa cosmo énergie trop vite. Sa perception s'accrut trop intensément en une fraction de seconde puis Argus expira, le souffle coupé. Un violent mal de crâne lui martelait la tête. Il lui fallut quelques minutes pour reprendre son souffle et calmer sa respiration.

Elle se morigéna pour sa hâte qui lui avait coûté un échec. Elle n'avait pas le droit à l'échec. Alors, même si la douleur continuait à lanciner dans ses tempes, elle se força à reprendre une posture de méditation.
Un peu plus lentement mais toujours pressée par la hâte, elle tenta à nouveau le mécanisme pour rentrer dans le Rêve. Cette fois-ci, elle réussit, et la nausée qu'elle ressentit fut moindre qu'à son premier essai.
Sans plus attendre, elle se précipita dans les couloirs. Elle tenta de courir, ses jambes astrales battant l'air. Elle ne comprit pas exactement comment cela fonctionnait, mais ça avait l'air de marcher.

Rapidement, elle rejoignit une seconde fois la salle du trône. Elle resta quelques instants immobile et silencieuse mais, en l'absence de Dana, il était plus difficile de se cacher. Le Pope avait-il remarqué son premier échec ? Elle baissa la tête.
Pourtant, elle avait une question. Malgré sa timidité, malgré sa réticence à parler alors qu'elle n'y avait pas été invitée, elle se força à demander, le regard rivé vers le sol :

Pensez-vous que cela soit une bonne idée, que j'essaye de me matérialiser immédiatement ici ?

A peine eut-elle achevé ces mots que Dana revint. Sa forme était différente, comme une silhouette modelée à partir de l'eau. Mais elle était, déjà, plus ressemblante à la silhouette de la Chevalier.
Alors, Argus s'effaça, laissant la parole à sa soeur d'armes.

La jeune guerrière de bronze semblait plus poser dans sa réflexion. Elle voulait bien faire, trop peut être ? Après tout, pour un chevalier de son âge et elle avait déjà fait plus que ce qu’on aurait pu attendre d’elle. Il fallait qu’elle trouve elle-même le chemin de la satisfaction. Mais le chevalier d’or de la Vierge l’aiderait sûrement. Il avait le don pour prendre les choses en mains et Childéric n’était là que pour compléter ce qu’il ne pouvait leur apprendre. Il faut un Rêveur pour former un Rêveur. L’autodidaxie avait ses limites et quand il avait commencé ça marche, celui qui fût lion aurait aimé avoir un guide. Mais le Rêve n’est pas une science exacte, il dépend de l’individu, de sa relation avec lui-même et de son âme. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était montrer le chemin et inviter les autres à entreprendre leur propre voyage. Il fut surpris de voir Argus commencer à prendre la parole et il lui adressa un sourire, sur le point de répondre, il fut interrompu.

Une nouvelle grimace se dessina sur le visage du vieux lion quand Dana revient de nouveau devant lui. Il avait sûrement sur estimé les talents innés de la jeune femme. La pierre demanderait plus de taille que prévu. Bien qu’il n’eut pas à attendre très longtemps et qu’il put lire le sérieux qu’elle avait appliqué dans sa pratique, elle était encore un peu loin du résultat. Elle l’avait pris… trop au bien de la lettre. Peut-être aurait-il du préciser que l’outre d’eau n’était qu’une image et rentrer dans le détail ? Mais ce n’était pas vraiment sa façon d’apprendre. Il fallait échouer pour réussir et comprendre par soit même les choses donne plus de poids au réussite que de ce voir mâcher le travail. Et du travail, Dana en avait encore devant elle. Il se revient ensuite sur la question d’Argus.

« - C’est sûrement même la meilleure façon de faire ! Si tu es amenée à te déplacer de loin, de très loin, tu n’auras pas le temps de faire la route à pied ! »

Il s’arrêta net et secoua la pièce d’un rire-rugissement dont il avait le secret. Il retrouva bien vite son sérieux :

« - C’est, je pense, ce genre de pratique qui te manque Argus. Pour pouvoir commencer à étendre ton rayon d’action. À terme, il te sera possible, comme moi, de te projeter en quelques instants d’un bout du monde à l’autre. Tu t’en sors déjà bien tu sais. Pense plus à l’endroit qu’à toi. Une fois que tu maîtriseras le lien avec le cosmos profond, ça sera plus simple. »

Puis, il se tourna vers Dana :

« - Tu avances. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Ta cécité n’aide pas, mais ton pouvoir est trop grand pour ton niveau maîtrise. Tu peux déjà t’enfoncer profondément dans le Rêve, c’est comme avoir appris à courir avant d’apprendre à marcher. Tu as saisi le principe de ce que je t’ai demandé, Dana. Essaie cette fois de plus de concentrer sur toi, ton être. Ne pense pas en terme concret. Visualise simplement ton toi entier. Il est primordial de réussir cette étape avant de passer à la suite. »

Cette fois, c’est aux deux jeunes femmes qu’il s’adressa.

« - Je ne peux pas vraiment vous dire comment faire. Il n’y a pas de recette. C’est très personnel. Cela dépend de la façon dont vous percevez le monde et votre connexion à ce dernier. Moi je suis comme un fauve arpentant la savane. Ma perception du Rêve est fatalement très animale. Rien qui ne semble proche de vous. Si vous avez du mal à réaliser les exercices, concentrez-vous sur le monde autour de vous. Et faites attention aux détails qu’on oublie habituellement. Le monde est rempli de détail et le diable se trouve dedans. »

Un sourire énigmatique aux lèvres, il indiqua aux deux jeunes femmes de continuer leurs exercices d’un signe de la main. La nouvelle génération de rêveur était pleine de promesses !

Le Grand Pope avait l'air de s'amuser, alors que ses explications devenaient de plus en plus troubles pour Dana. Cela traduisit -très abstraitement- par une certaine opacité dans sa silhouette, comme si quelqu'un venait tout à coup de la remplir de sable en suspension. Leur dire que le chemin était différent pour tout le monde et qu'il ne pouvait pas les aider revenaient à dire en somme que cet entraînement était une perte de temps pure et simple. Elle avait bien plus appris en explorant son pouvoir lors de nuits tranquilles en Bretagne, même si sa forme était "instable". Là, la seule différence tenait au résultat, à quelle forme il voulait voir. Autrement elle savait se déplacer, modeler son apparence et interagir avec son environnement sans problème, Childéric ne faisait rien.

De plus, elle entendait les conseils fondamentalement opposés à destination d'Argus. Fallait-il se concentrer sur soi-même ou sur ailleurs en fin de compte ?! De ce qu'elle comprenait, cela leur servirait pour transmettre rapidement des messages, rencontrer des personnes sans mettre leur enveloppe physique en danger, mais dans ce cas quel était l'intérêt d'apparaître aussi proche du réel ?

"Je ne comprends pas quel est notre objectif, Grand Pope. Je ne comprends pas pourquoi une compétence qui se nomme "Rêve" doit être aussi réaliste que vous l'ordonnez. Je ne comprends pas ce que vous attendez de moi si vous affirmez que vous ne pouvez pas nous aider. Depuis tout à l'heure vous me demandez de me représenter moi-même, puis le monde autour de moi, afin de prendre une forme qui n'est finalement ni l'un ni l'autre. Cela n'a aucune logique pour moi. Surtout s'il faut m'appuyer sur la vue : "image", "visualiser", "voir", tout cela appartient à un vocabulaire que je ne peux mettre en application, et pourtant je suis capable de m'extirper de moi-même pour me tenir devant vous."

Elle avait l'impression de marcher sur un chemin de sable qui ne cessait de s'affaisser sous ses pieds, sans même savoir dans quelle direction elle venait ou allait.

Une nouvelle fois, elle interrompit la projection pour se retrouver dans le jardin. Là, elle demeura allongée, regardant vers le carré de ciel dessiné par le toit. Et cette histoire de diable qui venait compliquait les choses. Croyait-il en Athéna ou au christianisme ? Sans doute un absurde abus de langage de plus.

Agacée de n'avoir idée de la manière de travailler, elle se retourna sur le ventre et attendit le retour d'Argus, qui devait logiquement réintégrer son corps elle aussi pour retenter la projection plus loin. Lorsqu'elle sentit son cosmos, la druidesse attira son attention d'un léger raclement de gorge.

"Dis Argus... Visiblement nous avons un problème opposé toi et moi... Je pense que j'ai besoin d'une explication différente. A quoi penses-tu quand tu commences à Rêver ?"

Citation :: désolée du retard, semaine chargée :s

Le sourire du Pope quand Argus prit la parole conforta celle-ci dans l'idée qu'elle avait bien faire de prendre ce risque. Cependant, ce sourire se changea bien vite en légère grimace, annonçant l'arrivée de Dana. le coeur d'Argus se serra : elle culpabilisait un peu. Elle semblait s'en sortir bien mieux que sa consoeur, mais au non de quoi ? Elle était moins gradée, moins mature, moins puissante ! Elle aurait dû être celle que l'on reprenait, dont on pointait les erreurs !

Mais le Pope sortit rapidement Argus de ses pensées car, plutôt que se s'adresser à Dana, il se tourna d'abord vers elle. L'Oiseau de Paradis hocha humblement la tête, écoutant avec attention ses paroles.
Elle rougit un peu, sur son visage éthéré, quand il lui confirma que son idée était la bonne. Décidément, elle avait bien fait de prendre la parole, cette fois-ci ! Pour une fois qu'elle n'avait pas dit une boulette ! Elle s'autorisa à ressentir une pointe de fierté.
Après un éclat de rire à la puissance surprenante, il conseilla à Argus de se focaliser plus sur sa destination que sur sa propre forme, puisqu'elle semblait déjà la maîtriser. La jeune fille acquiesça :

Je vais travailler ce point !

Puis le Pope s'adressa à Dana. Argus détourna la tête, pensant qu'il était plus poli d'écouter avec un peu moins d'attention, pour laisser à sa consoeur un peu d'intimité dans ces conseils qui lui étaient adressés.
Mais bientôt, le Pope inclua aussi Argus dans ses paroles. Il leur dépeignit le Rêve comme quelque chose de personnel par essence, aussi les encouragea-t-il à s'entraîner encore et encore pour trouver leur propre voie.
Après uns révérence, Argus avait déjà disparu : elle avait réintégré son corps.

Y retrouver Dana la surprit, d'autant plus que la question de celle-ci prit Argus de court. Mais elle était heureuse de pouvoir donner un coup de main à sa consoeur, aussi maigre soit-il.

Je... Je ne sais pas. Je t'avoue, je le fais un peu au hasard. Mais attends ! Je vais recommencer en faisant plus attention ! Attends deux secondes et je te dis !

Aussitôt dit, aussitôt fait, Argus referma les yeux et décomposa, une à une, lentement, les étapes de la sortie de son corps. Elle agita l'air en un "coucou" astral devant Dana, avant de réintégrer son corps.

Un bateau au creux des vagues. Je suis un tout petit radeau, en bas d'une immense lame. Quand je sors de mon corps, l'eau me soulève, me porte, jusqu'à ce que mon âme atteigne un... seuil. Et là, je sors !

Mais Argus s'assombrit bien vite :

Je suis désolée, j'ai peur que ça ne marche pas pour toi... Comme l'a dit le Grand Pope, c'est personnel. Moi j'ai principalement vécu sur un bateau, et c'est au milieu d'une tempête que j'ai eu les premiers flashs de souvenirs sur le pays dont je viens... Mais, et toi ? Tu as forcément vécu des moments forts ! Si tu essayais d'y penser pour y trouver ta forme ?

De plus, cette discussion lui avait donné une idée : pourquoi ne pas imaginé que la vague la porterait directement jusque dans la salle du trône ? Elle essayerait dès que Dana aurait trouvé sa voie !

Un soupire sortit des lèvres du vieux lion. Enfin, il avait été le maître de Ryme, alors il en avait vu d’autres. Il avait surtout plus de patience pour Ryme, d’une part car il avait plus de temps pour elle, à ce moment-là et de l’autre, que leurs caractères s’accordaient bien mieux. Dana avait comme Ryme, cette suffisance de l'élève déjà compétent. L’opposé d’Argus en réalité. Et heureusement que l’oiseau de Paradis se trouvait ici, sinon, il ne serait pas forcément donné cette peine d’assurer la formation de la coupe. Il répondit alors simplement à ses caprices :

« - C’est toi pourtant, Dana, qui s’attache au sens premier des choses. On appelle ceci le Rêve, mais d’autres l’ont appelé différemment. Et ici, tu peux voir sans tes yeux. Tu te mets toi-même tes propres bâtons dans tes roues. Si tu vois où je veux en venir ? »

Bien qu’il explosa de son rire rugissement à la fin, il avait parlé d’une voix sèche. De celle d’un professeur qui n’aurait certainement pas la patience de gérer une élève incapable de réfléchir plus loin que ce qu’elle avait devant son nez. Il se tut quand Argus se mit à parler et laissa la jeune femme le temps qu’elle avait besoin pour présenter la chose sous son angle. C’était assez intéressant à entendre. On en apprend beaucoup sur un Rêveur à la façon dont il perçoit le monde autour de lui et comment il se déplace à travers les mondes. Le vieux lion notait donc pour lui cet attachement qu’elle avait pour la mer et les navires. Mais Argus, elle, avait su se détacher de la nature première de ce qu’il lui avait dit.

« - Exactement. Je sais que procéder de la sorte n’a que peu de chance de m’aider à me projeter et à me déplacer. Chacun doit trouver son propre truc. Cette capacité à beau porter le nom de Rêve, elle n’en reste pas moins régi par des règles, des contraintes et des risques. Nous posons le pas dans le royaume d’un de nos pires ennemis alors il faut traiter cette capacité avec recul et attention. Tordre le réel est la meilleure chance que tu puisses avoir t’attirer sur toi un regard que tu ne voudrais pas croiser, et de mourir. »

Ses voix c’était fait lourde du poids de la mise en garde et du sérieux. Le devoir d’un maître, également, était d’apprendre à ceux qui prendraient un jour sa place et surtout les éloignés des dangers et des risques qu’ils pourraient rencontrer. Le premier étant l’attention des véritables maîtres du Rêve.

« - Pense à celle que tu penses être, c’est ça que je te demande de t’imaginer. Tu as bien eu la vue un jour non ? Tu dois savoir à quoi tu ressembles ou plutôt, à quoi tu t’imagines ressembler ? Je suis sûr que tu peux arriver à quelques choses des plus proches de ça que de prendre au pied de la lettre l’exemple que j’ai choisi. Alors recommence. Et je te ferais recommencer aussi longtemps que nécessaire. »

Et cette fois, cette remarque ne souffrirait vraiment d’aucune remarque et aucune tergiversation. Puis, il se tourna vers Argus.

« - Tu as l’air d’avoir assimilé les bases, Argus. Là où Dana possède le pouvoir dans sa forme brute qu’il faut juste tailler. Toi, il faut que nous partions de zéro pour tout construire. Alors, nous allons peut-être travailler la distance de projection ? Tu es encore limité à la proximité de ton corps, tu m’as dit la dernière fois. C’est toujours le cas ? Sinon et bien, je t’écoute, comment se déroule la traversé en bateau quand tu essaies de t’avancer en haute mer ? Qu’est-ce qui va te bloquer dans ta projection ? Là encore, c’est sûrement quelque chose de très personnel. Le thème de la navigation peut sûrement t’aider à y voir plus clair. »

***Il me gronde comme si je faisais exprès de ne pas comprendre. Mais ça ne rend pas ses propos plus explicites.***

L'antipathie qui germait de ces échanges stériles compliquerait sans doute leurs échanges à l'avenir, la Sainte le savait bien, mais elle ne pouvait tout de même pas inventer des souvenirs pour lui faire plaisir. Elle avait eu la vue, mais si jeune que c'était à peine si elle s'en rappelait. Visiblement cette nuance ne voulait pas rentrer en ligne de compte.

De la part d'Argus en revanche, peut-être parce qu'elles avaient un âge proche, la même position d'apprenties ou qu'elles se connaissaient déjà un petit peu, Dana trouva une nouvelle piste à explorer. Il s'agissait d'inclure sa propre histoire dans l'étape de recréation de soi. Plus qu'une question de simple perception, l'Oiseau de Paradis s'appropriait la capacité en s'y jetant toute entière. Comme traverser un mur de flammes, abandonnant son corps, ses attaches, pour en ressortir changé, mais toujours le produit de son passé, de ses émotions, de ses valeurs.

Et Dana connaissait les flammes.

De nouveau sur le dos, elle referma les yeux et partit à la recherche du souvenir qu'elle évitait prudemment en temps normal. Le plus ancien, le plus douloureux, les dernières véritables images avant le noir. L'orage se déchaînait à l'extérieur, et les volets claquaient sous les coups de la pluie. Ses parents allaient revenir d'une minute à l'autre, transis, détrempés, alors elle entreprit de les aider un peu. Amener des couvertures. Préparer la table. Éplucher les légumes. Apporter les herbes. Faire bouillir le chaudron.

***Je savais le faire. J'en étais capable.***

La porte s'ouvrit sur deux silhouettes désormais floues et sombres. Des échos indistincts. Le bois qui craque.

*

Les étoiles flamboyaient de dizaines de couleurs aux apparences oubliées. Les étoiles mais aussi la druidesse à ses côtés, méconnaissable hormis par sa voix et son contact rassurant.

*

Récits au coin du feu des chasseurs, parlant de chevaliers, de légendes, de dieux celtes et de bravoure. De massacres et de tertres sacrés.

*

Arbre parmi la forêt, Dana retrouva sans mal le chemin de ses racines. D'un simple "bond" astral, elle ouvrit les yeux sur un paysage familier. Une terre de cairns, de dolmens et de menhirs. Encore une fois, tout avait le contour caractéristique d'une flamme aux couleurs de l'énergie qui circulait partout.

Un grondement de tonnerre claqua dans l'air, puis l'eau fraîche d'une trombe brusque et violente couvrit ciel et vallée. Le vent secoua ses vêtements sans ménagement, confirmant qu'elle avait une forme humaine bien dessinée, nette et solide. Mais pourquoi avait-elle atterri ici, maintenant ? Son point d'ancrage était loin, par-delà la mer, par-delà une distance qu'elle n'avait franchie que grâce à un portail...

Une présence se fit sentir tout à coup, dont elle put étrangement déceler les traits.

"La Chasse va bientôt partir, Dame du Val. Un moment bien sombre pour une visite. Un moment bien choisi pour une requête ?"

Le spectre ricana, puis se tut en voyant la Calédonienne s'incliner respectueusement.

"Rares sont ceux qui nous voient. Plus encore ceux qui ne nous craignent pas.
-Et se comptent sur les doigts d'une main ceux qui vous emploient.
-Il est vrai. La voix des druides perd en puissance. La nôtre gronde. Les morts se relèvent. L'équilibre n'a plus court. Nous chassons. Mais tu n'es pas prête pour cela."

Dana sourit.

"J'en ai entendu assez pour au moins savoir.
-Alors qui veux-tu ?
-Aujourd'hui personne. Chassez, courez. Je ne fais que marcher dans mes souvenirs.
-Alors rentre chez toi, Fille sans couleurs. Et écoute l'appel du monde qui se tord en tous sens. Les morts se lèvent.
-Viendrez-vous si je les trouve et vous les désigne ?
-La Chasse n'a besoin que de proies. Nous viendrons."

*

De nouveau le patio. Son corps un constant éclair. Elle regarda le Grand Pope sans un mot. Un peu plus jeune qu'elle était vraiment.

Spoiler:

Argus restait en retrait, tête baissée, tout le temps que le Pope sermonna Dana. Elle n'avait pas à être ici. Elle n'avait pas à entendre les remontrances adressées à sa soeur d'armes, car tout ceci ne la regardait pas. Alors, elle tentait de se faire la plus petite possible, de faire oublier son existence.
Peut-être qu'ainsi elle rendrait cette expérience moins désagréable pour la Coupe. Peut-être qu'ainsi cette dernière n'aurait pas la sensation d'être épiée dans un moment où elle n'était pas au meilleur d'elle-même.

Heureusement, Dana ne semblait pas tenir compte de la présence d'Argus et, donc, ne pas lui tenir rigueur d'avoir assisté à ce moment. Loin de se soucier de la présence de sa cadette, la Coupe semblait absorbée dans un voyage intérieur.
Mais Argus ne chercha pas à savoir ce dont il retournait. Il s'agissait de la vie de Dana, d'une part d'elle-même qu'elle explorait sans doute pour la première fois, aussi ce n'était certainement pas à Argus d'assister à cette métamorphose. L'Oiseau de Paradis tenait à préserver l'intimité de sa consoeur.

Au contraire, Argus se concentra sur les paroles du Grand Pope, qui lui firent froid dans le dos :

Le Royaume d'un de nos pires ennemi... Vous voulez dire ? Hadès !?

Oui, maintenant que cette hypothèse avait été formulée, cela paraissait logique à la jeune fille. Quoi de plus proche de la mort que le sommeil ? Elle frissonna. Avait-elle la force de marcher au seuil des terres du Sombre Monarque, elle, un frêle Chevalier de Bronze, presque encore une enfant ?
Elle releva la tête. Si elle n'avait pas encore cette force, alors elle s'entraînerait encore et encore pour l'obtenir. Elle n'avait pas l'occasion de faire sa peureuse. Elle était, justement, un Chevalier de Bronze. Et si ça mission était d'apprendre à arpenter le Rêve, alors elle saurait comment affronter ce risque. Sans trembler. Sans chercher à fuir. Avec courage et dignité, pour pouvoir se monter à la hauteur de ce que le destin avait choisi pour elle.

Puis le Pope tourna toute son attention vers Argus, qui rougit à la mention des bases assimilées. Elle ne se formalisa pas de la comparaison avec Dana. Bien sûr que Dana était incomparablement plus puissante qu'elle. Cela crevait les yeux, la question ne se posait même pas.
La jeune fille ferma un instant les yeux, afin de pouvoir répondre à la question du Grand Pope. Tout en gardant à l'esprit la distance qui la séparait de son corps, elle s'avança, jusqu'au moment où une barrière invisible semblait se dresser vers le pas suivant.

Argus rouvrit ses yeux éthérés et constata avec fierté qu'elle était presque sortie du temps. A pas rapides, elle rejoignit le Grand Pope et lui répondit :

Quand j'essaye d'avancer plus loin en haute mer, les vagues se font de plus en plus grosses, jusqu'à devenir infranchissables. Si je fais un pas de plus, elles menacent de m'engloutir et de m'entraîner par le fond, vers... vers les Enfers ?

Childéric prit le temps d’adresser un petit sourire bienveillant à Argus. Un apprentissage passe parfois par des erreurs et des légères remontrances. Le cas de Dana, de toute façon, était très particulier. Son pouvoir brut était considérable, du moins, dans le domaine du Rêve. Mais elle avait ce défaut des autodidactes qui ont la capacité de passer les étapes mais qui parfois, ne prennent pas le temps de consolider leur fondation. Des exercices rébarbatifs et inutiles pour eux, mais qui, pourtant, à terme, leur serait très utile. Il aurait aimé recevoir ce genre de conseil et d’enseignement quand il s’est mis à voyager à travers le Rêve. Il laissa donc la coupe repartir à ses exercices et s’occupa de répondre aux questions de l’oiseau de Paradis.

« - Pas tout à fait le Sombre Monarque, non. Plutôt le domaine de l’un de ses plus proches alliés. L’un des dieux jumeau, Hypnos, le maître du sommeil. Mais pas seulement, le monde des rêves est également le domaine de ses fils. Alors oui, c’est un risque que de voyager ainsi, mais un risque calculé. Comme… un voyage en charrette ou en bateau. Il se passe quasiment toujours bien. Mais si on décide de voyager un jour de tempête ou de ne pas ménager son attelage et bien, on va vers l’accident. »

Il écouta ensuite avec attention la perception de la jeune femme sur ses limites et ses propres capacités. Cette métaphore par la mer était très intéressante et avait aussi le mérite d’être plus explicite que ce qu’il aurait pu lui partager. Il réfléchit un instant, pour formuler une réponse utile à la jeune femme.

« - Je peux te proposer deux façons de faire, à voir laquelle t’ira le mieux. Soit tu travailles à renforcer ton navire, c’est-à-dire toi. Soit tu travailles à ta navigation et ton environnement, c’est-à-dire que tu renforces ici ta capacité à t’adapter à la mer. On peut soit construire une navire plus solide, soit un navire mieux équipé. Si tu me suis ? »

Toujours, il ne pouvait vraiment donner des clefs directes et le seule chemin à suivre et il devait lui aussi tâtonner pour aider ces rêveuses à faire leur propre route sur ce chemin tortueux. Après qu’il eut terminé, il fit la coupe faire son entrée et il la salua d’un large sourire. Satisfait.

« - Bien, Dana ! Très bien même ! C’est plutôt… clairvoyant comme interprétation de toi ! »

Il partit de nouveau dans un profond rire-rugissement qui en ferait presque trembler les colonnes du temple du Pope.

« - Suffisamment de proximité pour que tu ne tordes pas le réel et suffisamment de différence qu’on sache, justement, que tu n’es pas réel. Bien joué ! Et tu vas pouvoir à ton tour conseiller Argus. Comment visualises-tu les projections sur des longues distances ? Si jamais tu t’y es risqué. »

Clairvoyant ? A en juger par la soudaine hilarité du Grand Pope, ce devait être un compliment. Ainsi donc la clef avait été de retracer les derniers souvenirs, puis les sensations gravées petit à petit au fil de l'apprentissage forcé. Il y avait donc un homme épris de grands espaces, une navigatrice et une tempête formant le trio de Rêveurs du Sanctuaire, drôle d'association s'il en était.

La question du représentant d'Athéna la prit quelque peu de court. Avait-il senti son déplacement soudain ? Avait-il pu suivre avec son esprit ce qu'elle avait vu et entendu, ce qu'elle avait dit ? Elle pensait que non, mais il était tellement plus puissant qu'elle que ce serait tout de même possible. Pour tester sa franchise et sa capacité à restituer son expérience, il pouvait tout aussi bien attendre en fonction de sa réponse pour réviser son jugement et la réprimander de nouveau.

"En fait... Je crois que je viens de rentrer chez moi un court instant. En Calédonie. J'étais plongée dans certains souvenirs, et j'en ai simplement suivi le chemin jusque là-bas en me détachant de toute entrave."

Ce devait représenter une distance considérable, et Argus avait avoué ne pas connaître plus que cela le druidisme auparavant. Donc elle ne situerait sans doute pas. Alors la rousse prit un moment pour réfléchir à la formulation de son explication, puis se tourna vers la forme flamboyante qui représentait à ses yeux l'Oiseau de Paradis.

"Il s'agit de se représenter une scène. Un endroit que tu connais. Aussi précisément que possible, de se rappeler ce que tu as vu, senti, entendu, touché éventuellement. Enfin dans mon cas cela passe surtout par les autres sens, mais la vue peut sans doute te suffire... ou le mettre en mots peut-être. Quoi qu'il en soit, quand tu as ton endroit clairement disposé dans ton esprit, il faut que tu en cherches l'essence, comme si le cosmos de tout ce qui y habite avait laissé une empreinte unique.C'est alors à ton tour de bouger. Ton bateau, c'est à toi de le manœuvrer. Tu dois le pousser dans la direction que tu veux emprunter, larguer les amarres -ton corps physique- et avancer sans t'arrêter jusqu'à ta destination. Et une fois arrivée, tu utilises ta forme astrale pour t'arrêter, sans jamais oublier d'où tu es partie. L'ancre qui te relie à toi-même."

Un chemin dans la forêt, au milieu des vagues, dans les immenses plaines, à travers des décors différents pour chacun mais vers une même destination.

"Je crois que c'est la première fois que je le fais en réfléchissant exactement à comment le faire... J'ignore si cela fonctionne vers un endroit inconnu, à plusieurs, ou si la quantité de cosmos que tu possèdes limite ta portée de déplacement. Juste, plutôt que penser au chemin, il faut aller directement à l'arrivée. La pensée fait le reste, je crois."

Elle posa la question d'un regard vers Childéric. Si elle cherchait par exemple à se rendre à Jamir sur les indications de Gawa, ou dans le lointain pays d'Axoum, sans jamais y avoir posé le pied auparavant, que se passerait-il ?

Le sourire bienveillant du Pope termina de convaincre Argus qu'elle n'avait pas eu tort de poser sa question. Ici, l'ignorance n'était pas une faute. Ici, elle pourrait enfin apprendre sereinement, dans un cadre bienveillant.
Argus fronça les sourcils en écoutant son aîné, attentive. Hypnos... Elle n'avait entendu que très rarement parler des Dieux Jumeaux, aussi dut-elle fournir un effort de concentration supplémentaire pour se souvenir de ce qu'elle avait appris sur eux.
Mais elle se détendit presque aussitôt lorsque le Pope minimisa les risques du Rêve. Un voyage en bateau... Oui, elle en avait tant faits sans qu'il n'y ait pas le moindre problème, aussitôt cette analogie la mit en confiance par rapport aux chemins du Rêve.

Je suppose que la tempête, ce serait notre manque de maîtrise du Rêve ? Ou peut-il y avoir des facteurs extérieurs à prendre en compte, un peu comme la météo ?

Plongée à la fois dans ses souvenirs et dans un monde d'analogie dans lequel elle se sentait à l'aise, la jeune fille avait l'impression de devenir un peu plus familière avec le Rêve. Cette pratique lui paraissait maintenant moins étrange, moins éthérée.
Elle fronça les sourcils à nouveau, réfléchissant à l'alternative que lui proposait le Pope. Navire plus solide ou mieux équipé... Sans cesse, son esprit allait de l'un à l'autre, lui présentant les avantages de chacune des solutions.
Décidément, elle n'arrivait pas à choisir :

Est-ce que ça serait possible d'avoir les deux ?

Le coeur de l'Oiseau de Paradis se réchauffa aussi un petit peu en entendant les félicitations reçues par sa camarade. On rentrait dans l'ordre des choses et cela rassurait Argus, en plus qu'elle soit réellement heureuse pour le succès d'autrui.
Bientôt, la Coupe prit elle aussi le temps d'expliquer le Rêve à la Chevalier de Bronze. Celle-ci acquiesça au fur et à mesure des phrases de son aînée, tandis qu'elle comprenait ses explications. Visualiser la destination. Ne pas oublier l'ancre. Choisir le cap et y maintenir son navire.

Avec un léger sourire qu'Argus ne remarqua même pas à la pensée qu'elle serait la capitaine de son propre vaisseau mental, elle remercia Dana :

C'était très clair, merci beaucoup pour tes explications !

Une mine inquiète passa rapidement sur le visage du vieux lion quand Dana annoncé être rentré brièvement chez elle. À vrai dire, le fait qu’elle couvre cette distance ne l’étonnait pas vraiment, c’est ce qu’il attendait d’un pouvoir comme le sien. Ce qui était là l’objet de sa légère inquiétude, c’était justement le fait que la distance ait été couverte si sans vraiment qu’elle ne s’en rende compte. Ce genre de déplacements brutaux et erratiques pourraient, s’il n’était pas le fruit d’un seul moment porterait préjudice à la jeune femme. Elle risquait de laisser son corps plus vulnérable et d’exposer son essence à des risques encore incertains. Il se tut néanmoins et garde pour lui tout commentaire. Il laissa donc la coupe expliquer à l’oiseau sa façon de voir les choses. Une façon plutôt intéressante de procéder. Mais avant qu’il ne le dise, elle s’était rendu compte des limites de cette dernière. A elle de trouver sa solution.

« - C’est là qu’il te faut utiliser le lien du Rêve avec le Cosmos primordial. Te plonger à l’intérieur et explorer les routes inexplorées. Se créer des souvenirs à partir du rien et faire exister ce qui n’est pas réel pour nous. Mais tu possèdes déjà une solide façon de faire, à toi de voir comment tu peux l’adapter. Plonger plus profondément dans le Rêve ou simplement créer les sensations pour que ton âme n’est qu’à suivre le cap que tu lui donnes ? J’avance moi, dans ce qui n’existe pas et je crée mon propre chemin. Mais je ne pense pas que ça marche avec votre caractère à toutes les deux. »

Un sourire amusé cette fois, passa sur ses lèvres face à la question d’Argus.

« - Oui. Un peu les deux. La tempête, elle existe toujours, la mer du Rêve n’est jamais vraiment calme, du moins, pour moi. C’est toujours une… forme de marche contre les éléments. Mais le tempête ne prend pas la même forme en fonction de mon état d’esprit ou du moment. Il est possible de passer en force sans passer par un pan de méditation, mais il est toujours plus facile de voyager quand on se prépare à minima. »

Puis, il rit brièvement.

« - Oui. Ça demande du travail, mais à terme, de toute façon, il te faudra les deux. Tu devras renforcer ton navire et améliorer tes voiles et ton gouvernail pour avancer face aux tempêtes. Tu devras renforcer ta coque pour faire face à la haute mer. »

Il se tut ensuite, et réfléchit.

« - Bien, un dernier exercice et je pense que pourrons clore la session de ce matin. Je vais… rêver quelque part dans le Sanctuaire, à vous de me trouver. »

Et à peine eut-il terminé sa phrase qu’il disparut et que son âme se déroba à la vue des deux jeunes guerrière. Il ne fallut pas plus d’une seconde pour qu’il apparaisse ailleurs. Sous le pommier du temple du lion. Et il verrait maintenant combien de temps les deux jeunes femmes mettrait à le trouver. Il ne s’était pas spécialement caché, mais l’endroit avait son importance pour la dernière chose qu’il voulait leur expliquer.

Un sourire enthousiaste se peignit sur les traits de la druidesse en constatant qu'Argus comprenait sa pensée. L'analogie de la navigation avait bien aidé depuis le début et elle n'avait aucun doute sur le fait que l'Oiseau de Paradis parviendrait à s'élever petit à petit plus près d'eux. Le Grand Pope devait son avantage à sa pratique guerrière et sans doute un peu à l'appui d'Athéna, là où Dana avait appris à la dure à cause de la perte de la vue très jeune. Même s'il fallait plus de temps, la Sainte de bronze trouverait sa voie dans le brouillard elle aussi.

"Le Cosmos primordial ?"

Le concept semblait à peu près clair : trouver un moyen de se diriger sans avoir de destination en esprit. Ce qui apportait une partie de réponse à ses interrogations. Il était possible de voyager en terre inconnue, mais son niveau de compréhension de ce don particulier était pour le moment insuffisant. Jusque-là elle se contentait de rester en zone connue, puisque le besoin d'aller plus loin était inexistant. Elle songea à demander l'aide d'un guide, par exemple un spectre similaire à ceux de la Chasse, mais leur propre connaissance les limiterait. Ou alors se saisir d'un objet venant de l'endroit en question ?

D'un signe de tête elle indiqua qu'elle allait réfléchir à la question tandis que Childéric reprenait avec Argus. La marge de progression demeurait large et il était inutile de vouloir tout résoudre en une matinée. Déjà avoir une forme stable et le savoir nécessaire à l'ubiquité représentaient un pas satisfaisant aux yeux de la rouquine.

Et puis surtout, elle avait une camarade d'entraînement avec qui elle pourrait découvrir encore les subtilités du Rêve sans déranger systématiquement le représentant d'Athéna. Tant qu'elles restaient prudentes et dans les limites des consignes, il n'y avait aucune raison de se limiter à demander des audiences avec lui. La pratique était la meilleure des enseignantes aux yeux de la Calédonienne.

Peu de temps après, l'homme disparut et Dana se tourna vers sa compagne.

"Je pense avoir un moyen de le trouver rapidement, mais je ne suis pas sûre que tu sois capable de me suivre. Disons qu'on se donne une trentaine de minutes et on y va ensemble ?"

Même si elle en avait la capacité, la jeune femme préférait rester avec Argus et lui laisser le temps de chercher à sa manière. Elle espérait, peut-être un peu maladroitement, profiter de l'occasion pour resserrer le lien avec la timide ancienne esclave.

Suivant une méthode simpliste mais efficace, elle étendit ses perceptions de Rêveuse aussi loin que possible dans le Sanctuaire. Elle élimina très rapidement les présences qu'elle ne connaissait pas personnellement, puisqu'elle avait mémorisé celle du guerrier, ainsi que les temples vides. Son esprit s'approcha par fractions de secondes des lieux connus, identifia un à un les chevaliers qu'elle avait déjà rencontrés. Ainsi, partant du haut, elle aperçut Morwenna, sauta le Temple du Verseau, puis le Scorpion, la Balance, dévala les marches jusqu'à son maître de la Vierge, puis repéra le grand blond au milieu d'un jardin au Lion, où une autre personne séjournait également à l'écart.
Plutôt que le rejoindre tout de suite, elle réintégra son corps et attendit comme promis le signal d'Argus avant de confirmer si son intuition était la bonne ou pas.

Bon, l'idée de proposer une durée abstraite la gêna quand elle se rendit compte que regarder la fameuse horloge du zodiaque ne l'aidait absolument pas puisqu'elle percevait seulement un cosmos diffus à l'intérieur et qu'elle ne savait, tout bêtement, pas lire l'heure. Elle se contenta donc d'attendre sagement le signal de l'Oiseau de Paradis.

Quand elles furent prêtes toutes les deux, elle lui tendit simplement la main, ayant dans l'idée de la guider sur la distance pour lui éviter de "trébucher" si cela représentait un trop long chemin pour elle. Et elle fondit directement sur sa cible, atterrissant astralement près du pommier toujours sous cette forme blanche qui semblait emporter l'adhésion du soldat.

Citation :: je suis vraiment désolée pour le retard :s

Tout en expliquant à Dana les meilleurs moyens de perfectionner sa maîtrise déjà excellent du Rêve, le Pope mentionna le Cosmos Primordial. Cette notion sembla interpeler aussi Dana et Argus fronça les sourcils.
Déjà, son esprit se dispersait en conjectures tant différentes qu'intéressantes. Le Cosmos primordial désignait-il la réalité physique de ce dans quoi baignaient les astres ? Ou encore la source de leurs pouvoirs d'Eveillés ?
Mais dans ce cas, en quoi sa propre différait-elle du Cosmos Primordial ? Etait-elle moins pure ? Moins puissante ? Devait-elle viser de transformer son cosmos en une meilleure version de lui-même ou, au contraire, chercher à rejoindre ce Cosmos Primordial, comme semblait le sous-entendre le Pope ?
Tant de questions que la jeune fille garda dans sa tête uniquement. Elle se doutait que cela risquait de mener à un long cours magistral bien loin de cet entraînement au Rêve pour lequel elles étaient venues. De plus, Argus aurait l'occasion sans doute d'en apprendre plus dans les livres qui avaient été gracieusement mis à sa disposition.

L'Oiseau de Paradis sortit de ses pensées quand le Pope répondit à sa question. De nombreux autres facteurs pouvaient affecter la puissance de la tempête, comme les émotions négatives. Elle acquiesça, elle comprenait parfaitement. Et elle ne négligerait pas de, toujours, méditer avant de partir arpenter les chemins du Rêve. Ainsi, elle ne prendrait pas le risquer de s'y aventurer avec un esprit polluer qui rendrait les vents contraires plus puissants.
Elle acquiesça plus fort encore quand il lui confirma qu'elle pouvait suivre ces deux pistes d'amélioration.

Je travaillerai aux deux de toute mon âme !

Déjà le Pope donnait-il les consignes de leur exercice suivant : les retrouver dans le Sanctuaire. L'instant suivant, il avait disparu et Argus se tourna vers Dana.
Celle-ci semblait avoir une idée mais Argus fronça les sourcils :

De te suivre... Tu veux dire capable d'aller aussi loin que toi ? Et une demie heure pour quoi ?

La jeune fille se mordait déjà la langue pour ne pas présenter ses excuses de ralentir ainsi Dana, mais elle parvint à ne rien dire. Elle ne serait pas un boulet.
Déjà, elle sentait le cosmos de Dana s'étendre pour scanner le Sanctuaire. Argus réfléchit quelques instants : elles étaient une équipe. Il ne servait à rien de faire une deuxième fois le travail que la Coupe avait sans doute exécuté à la perfection.

Non, Argus se plaça elle aussi en position de méditation, ferma les yeux et plongea profondément en elle-même. Elle n'avait pas le temps de faire à la fois ce qu'elle envisageait et de confirmer la position du Pope - elle avait entière confiance en Dana.
Alors, la jeune fille matérialisa devant elle, dans son esprit, son bateau. Ses muscles se crispaient par intermittence, son cosmos enflait, mais elle parvenait à renforcer sa coque, en passant mentalement de nombreuses couches de cosmos pour la renforcer.
Elle se créait de nouveaux outils de navigation, rapiéçait ses voiles et, sous ses yeux, on navire devenait plus puissant, plus solide plus majestueux. Il saurait enfin s'aventurer en haute mer sans craindre l'océan et ses pièges, le Rêve et ses embûches.

Elle rouvrit les yeux au moment exact où Dana lui tendit la main. Il lui sembla jaillir des flots sur son navire à présent rutilant, ses viles claquant dans le vent avec une vitesse bien plus grande que ce qu'elle aurait pu espérer, et elle proposa à la Coupe d'embarquer avec elle pour rallier la cachette du Lion.

Le vieux lion poussa un soupir de l’endroit où il s’était caché. Le rêve, bien qu’il soit puissant ne doit pas servir actuellement à ce qu’en faisait Dana. Mais elle apprendrait. Il était peut-être possible ici de le retrouver de cette façon, mais elle ne pourrait en aucun cas se servir de ce genre de pouvoir pour retrouver quelqu’un plus loin dans le monde. Elle aurait pu, après tout, simplement chercher son cosmos normalement. Sans chercher à attirer sur elle des attentions dangereuses. Mais dans cette session d’exercice, il avait réussi à comprendre des choses sur elle. C’était une pierre précieuse brute. Elle disposait d’un grand pouvoir dans ce domaine précis, mais ne savait pas vraiment comment l’utiliser. À la maîtrise, elle opposait sa force brute considérable. Un pouvoir qu’il faudrait raffiner, tailler. Une formation qui serait peut-être plus difficile que celle d’Argus qui, elle, pour le coup, apprenait vraiment, par les bases.

Le rêve était une chose particulière, très personnelle. Les choses qu’il avait apprises de lui-même, il lui était difficile de clairement les transmettre tant elle faisait écho à son moi profond et cette bête enfoui à l’intérieur de son coeur. C’était là son chemin vers l’harmonie, sa route vers l’humanité. Alors, il aurait peut-être pu apprendre comme il avait appris à Ryme, car il avait forgé ses crocs et qu’elle pourrait comprendre certaines de ces choses, mais à ces deux petits si étrangère à ce monde lieu, cela promettait des rebondissements, des déceptions, des désillusions et des échecs, mais aussi, à la fin, de grande réussite. Et c’est à ce moment là, après une demi-heure, peut être un peu plus ? Qu’il sentit proche de lui ces échos si caractéristique se former et ses deux apprentis d’apparaître. Le Pope de les recevoir avec un sourire.

« - Bien, vous vous en êtes plutôt bien sortie. Attention Dana, cependant, à ne pas trop étendre tes perceptions. S’il t’a été possible de me repérer ici, dans la sécurité du Sanctuaire, ce n’est pas quelque chose qui marchera ailleurs. Nous faisons qu’emprunter ce pouvoir et nous ne voulons pas attirer sur nous l’attention de ceux à qui il appartient réellement. »

Et ce n’était pas une menace en l’air. Son ton était sérieux et s’il voulait que les deux jeunes guerriers retiennent quelque chose de cet entraînement c’était ça : le rêve, aussi puissant qu’il soit, était le domaine d’Hypnos et de ses fils, ennemis héréditaires d’Athéna et de ses chevaliers. Les dieux du sommeil n’auraient aucune pitié pour leurs ennemis, y compris s’il s’agissait de débutante.

« - Tu as bien progressé toi Argus, tu as je pense, compris le truc et il ne te manque que de la pratique. Je vais vous donner quelques petits exercices. Et nous nous reverrons quand Dana sera revenue de mission pour voir les fruits de votre entraînement. Dana, je veux que tu travailles deux choses : la stabilité de ta forme d’une part et le bruit que tu fais de l’autre. Ton pouvoir est puissant, trop même tu agis comme un concert dans la nuit. Argus toi, simplement de t’exercer à la navigation, puisque c’est ton truc à toi. Reste près des côtes et fait des petits voyages. Quand tu auras suffisamment de confiance et de maîtrise, nous voyagerons plus loin. »

Il adressa un signe de tête et un sourire de félicitations aux deux jeunes femmes avant de rajouter :

« - Bien, je pense que l’entraînement est terminé pour ce matin. Vous vous en êtes bien sortie. Bravo à toutes les deux. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. »

Et il disparut devant elles, retournant dans son corps, dans le temple du Pope où une nouvelle journée l’attendait…

Citation :

Fin du rp pour moi, désolé du retard ><

Plus que la petite partie de cache-cache en elle-même, c'était la liberté et la légèreté offertes par le Rêve qui captivaient la Celte. Elle pouvait bondir en un rien de temps d'un temple à un autre, sans se fatiguer et en "voyant" où elle allait. Cela ne ressemblait à rien de ce qu'on lui avait décrit, avec ces silhouettes en forme de flammes et de lumières multicolores. Elle savait que cette "vue" était faussée par son handicap, que personne ne percevait les choses à sa manière... et c'était grisant !

Mais dans sa folle échappée, elle entendit le mouvement des vagues autour du navire d'Argus et revint vers elle, grimpa avec plaisir dans l'embarcation invisible qui les conduisit directement vers le cap indiqué par Dana.

Avant de retomber dans la triste réalité des reproches et des mises en garde.

Si elles ne pouvaient pas s'amuser un peu dans l'enceinte du Sanctuaire, où le pourraient-elles ? Bien sûr qu'il y avait des enjeux et des menaces, mais tout de même, elles en étaient à peine à la première séance ! Tout le plaisir qu'avait pris la druidesse s'évanouit en un instant, étouffé dans l’œuf.

Lorsqu'elles furent seules à nouveau dans le jardin du Lion, un simple soupir.

"Je ne sais pas s'il t'apprécie particulièrement ou s'il me méprise, mais sa pédagogie ne passe pas de mon côté."

A son tour elle disparut pour refaire surface dans le petit patio où son corps était allongé. Elle se sentait lourde, fatiguée, lasse. Comme revenue dans l'entrave de la gravité et des responsabilités. Un peu incertaine, elle se tourna vers Argus, attendant de l'entendre revenir à elle. Une hésitation. La Sainte de bronze était peut-être fatiguée elle aussi, et voudrait prendre le temps de se reposer ou de méditer ce qu'elle avait appris aujourd'hui.
Le masque reprit position sur son visage, carcan froid et lisse comme le discours du Pope.

"En tout cas bravo à toi, Argus."

[désolée, j'ai été en dessous de tout :s]

Argus était émerveillée de voir où pouvait les mener cette entraide. Un peu de chaleur lui monta au joue quand Dana lui prit la main pour monter dans son embarcation : elles allaient faire équipe. Se faire mutuellement confiance pour avancer main dans la main. La jeune fille n'avait jamais connu cela auparavant. Mais elle était reconnaissante au Sanctuaire, à Dana, de lui faire vivre une telle expérience de fraternité. Elle n'était pas parfaite mais elle progressait. Elle n'était pas encore très douée mais elle avançait.
Comme son petit bateau qui se frayait un passage à travers les flots, malgré les vagues, malgré le vent. Argus peinait à distinguer les couloirs du temple, derrière ce paysage de pleine mer qui avait envahi ses sens. Seule, elle se serait sans doute déjà perdue. A quoi cela pourrait-il lui servir de pouvoir résister aux éléments, permettre à son embarcation de ne pas couler et de fendre l'onde, si c'était pour errer éternellement ?
Sans Dana, elle n'aurais pu s'en sortir. La sainte d'argent déterminait la direction à prendre avec certitude et précision. Pas un seul instant ne se perdirent-elles. Pas un seul instant Dana n'hésita. Ce fut grâce à elle qu'Argus put les mener à bon port.

Cependant, quand son navire accosta auprès du Grand Pope, Argus baissa la tête et aurait voulu, à nouveau, disparaître dans les pierres des murs. Certes les sermons ne lui étaient pas destinés. Mais elle se sentait mal pour son amie. Elle imaginait ce moment bien désagréable vivre et elle aurait aimé pouvoir la soutenir, seulement elle ignorait tout du comment.
Ainsi, elle ne profita pas pleinement des félicitations qui lui furent faites. La flamme de sa fierté étaient un peu ternie de faire de l'ombre à quelqu'un.
Avant de se retirer, elle s'inclina devant le Pope, sincère :

Je vous remercie pour votre enseignement. Je ferai souvent ces exercices et donnerai tout pour progresser !

Puis, aux côtés de Dana, elle rejoignit les jardins du Lion en la suivant pour ne pas se perdre. La question de celle-ci la mit mal à l'aise. Elle ignorait ce qu'elle était censée répondre.
Elle ignorait quelle était la réponse qui apaiserait au mieux l'amertume de Dana.

Je... Je ne sais pas... Peut-être qu'un autre enseignant serait plus adapté pour t'aider à dompter ton grand pouvoir ? J'ai... J'ai l'impression que tu n'aimes pas être bridée.

Elle rougit un peu. Une idée venait de lui traverser l'esprit. Un ancien réflexe voulut lui ordonner de se taire mais elle prit sur elle. Elle ne se tairait plus. Elle oserait parler.

Est-ce que... Est-ce que tu voudrais qu'on s'entraîne ensemble ? Comme je ne suis pas capable de te guider... si on fait juste les exercices qu'il nous a donnés... on ne risque rien, et moi je ne serai pas en mesure de te dire quoi faire et comment faire.

Puis le retour dans son corps. Comme si une chappe de plomb l'avait intégralement recouverte. Comme si le poids de l'océan entier pesait sur ses épaules. Se relever seulement s'avéra douloureux. Se redresser plus encore.
Mais voir Dana face à elle l'allégea un peu.

Merci beaucoup. Et... bravo à toi aussi. Ta puissance est impressionnante !

"Non c'est vrai, je n'aime pas. Mais je sais aussi mettre mon impatience de côté pour écouter les conseils qu'on me donne. Seulement... les siens sont emmêlés comme de longs cheveux après une nuit agitée. Parfois on arrive à les défaire simplement, et parfois il faut tirer dessus."

La rousse mima sur sa longue tresse en même temps qu'elle parlait, manière de rendre bien concrets les reproches qu'elle pouvait adresser à la méthode d'enseignement du Pope. Hélas, elle devrait faire avec, car il était l'un des hommes les plus puissants de l'Empire à ce qu'elle avait pu comprendre, et il n'aurait sans doute pas la bienveillance d'un Kaleb vis-à-vis d'une élève turbulente.

Au moins Argus ne la trouvait pas arrogante ou exaspérante dans sa façon d'être. Dana se savait quelqu'un de très franc, parfois trop, et quel que soit le rang de la personne en face. Elle allait directement au cœur des choses, la superficialité des rangs et des honneurs lui passant au-dessus la plupart du temps. Ce qui comptait était au-delà des masques présentés au monde, c'était l'âme, les valeurs, les actes accompagnant ces derniers. Autrement dit, elle grattait à peine la surface de cet homme, tout comme de la jeune Sainte à son côté, timide mais à l'écoute.

"Oui ce serait bien. Et puis je doute, d'après ce qu'il a dit, qu'il y en ait beaucoup à part nous au Sanctuaire qui sachent faire ce que nous avons commencé à explorer. Tu pourras peut-être au moins me dire ce qu'il entend par "le bruit" que je fais, car je n'ai pas eu l'impression de produire particulièrement de son sous ma forme astrale... Si c'est encore quelque chose qui dépend de chaque personne, je vais avoir du mal à y voir plus clair. Façon de parler."

Et sur ces bonnes paroles, elle tendit la main à l'Oiseau de Paradis, avant qu'elles empruntassent le chemin de la sortie.

Citation :: Fin pour moi aussi !

Dana confirma qu'Argus ne s'était pas trompée dans ses suppositions. Ce n'était bien sûr pas bien compliqué, mais la jeune bronze avait encore besoin de renforcer sa confiance en elle.
Elle acquiesça après les explications de sa camarade.

Malgré tout... Je me trompe peut-être, mais je pense vraiment qu'il veut la meilleure progression. Pour nous deux, toi aussi.

Elle n'avait pas eu l'impression de sentir de la détestation de la part du Grand Pope envers Dana. Mais elle pouvait comprendre, il s'agissait de son élève la plus douée, la plus prometteuse. Elle pouvait imaginer sa frustration, même si cette méthode ne marchait visiblement pas sur la concernée. Finalement, Argus était contente de n'être qu'une élève lambda, avec un potentiel quelconque. Un tel point ne pesait pas sur ses épaules.

Un léger sourire éclaira le visage d'Argus derrière son masque, quand Dana accepta sa proposition d'entraînement commun. Nouer des liens avec ses frères et soeurs d'armes. Cela lui tenait à coeur et ces quelques mots de la rousse le lui réchauffait. Avec chaque jour qui passait, elle se sentait un peu plus chez elle, au Sanctuaire. Il lui semblait retrouver une famille pour remplacer celle à laquelle on l'avait arrachée.

Le bruit... Je ferai de mon mieux pour te dire ! Mais je ne sais pas si je le percevrai de la manière que lui... On verra bien, de toute façon. J'ai hâte de pouvoir commencer !

Argus accepta avec plaisir la main de Dana, se releva et la suivit sur le chemin de la sortie.

[merci beaucoup !]

Re: [Avril 553] Rêve toujours ! (Childéric, Argus)

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