[mi-avril 553] Comme au premier jour [PV Argus]

Accaparées par leurs propres démons, les prunelles s’échouent sur un horizon de pierres et de sable. Ici, les centranthus ne poussent pas, rien ne les rattache à cet endroit ; les ressentiments resteront sages. Pourtant, l’image d’un dos immense ne parvient à s’effacer et une langue agacée claque sans ménagement, avant que le masque albâtre ne tombe entre ses pattes.

Ce paysage est un retour dans le temps. Il n’est, toutefois, pas suffisant pour rencontrer une silhouette d’enfant enthousiaste sur les routes de Rodorio. Ainsi, l’Ophiuchus s’arrête ici, sur l’emplacement même où l’Oiseau de Paradis est devenu, en quelque sorte, son apprentie. Elle y emporte les regrets de l’avoir acceptée peu après avoir refusé la requête du cheval ailé. En y repensant de manière plus posée, ils auraient pu être deux.

Comme la première fois, deux années plus tôt, Mehry est perchée sur son rocher. De loin, elle garde un œil distrait sur les alentours, sur la silhouette de la demoiselle partie pour la Perse à ses côtés. Entre les évènements de Camelot et les dernières révélations, toutes deux ne se sont revues que récemment, lors de festivités organisées par la jeune druidesse. Pourtant, il leur faut faire le point.

Ne pas impliquer les enfants est une limite qu’elle s’est toujours imposée, quand bien même elle ne les ménage pas pour autant. Ces deux choses sont indépendantes et le jeu d’échecs n’est pas fait pour eux.

Subito, son corps entame la descente pour rejoindre la place de l’entraînement, où une nouvelle pierre l’accueille. Aucune âme n’erre dans le coin, alors le masque du Sanctuaire ne remonte pas, contrairement au masque humain qui, lui, est toujours en place. Seul lui était capable de le remarquer et de le lui ôter. En vain, désormais.
Une approche est perçue par ses rétines ; aussitôt, une main se relève pour adresser un geste, une salutation, une invitation sommaire. Durant cette fameuse soirée, elles s’étaient données rendez-vous, là où tout avait débuté.

— Le temps passe vite, hein ? On a pas trop eu le temps jusqu'à maintenant, mais je voulais qu’on fasse le point sur notre mission, sur comment tu te sens et sur d’autres points qu’on verra plus tard. Tu peux parler librement, alors commence par ce que tu préfères.

Elles aborderont, de toute manière, l'ensemble des sujets.

Citation :

On est au même endroit qu'à notre premier RP ensemble, avec l'entraînement. Tu peux également partir du principe, comme discuté en PV, qu'on a arrangé cette rencontre à la fin de la soirée organisée par Dana !

Sans mot dire, l’âme s’arme d’un sourire, attrape la date tendue d’une main habile ; ce présent, la trentenaire l’accepte pour ce qu’il est, remercie l’enfant d’un geste, puis se souvient. Elle se souvient de ces fibules ramenées d’un périple, de celle qu’elle souhaitait offrir. Il ne la recevra pas, elle est tombée quelque part. Sa meilleure excuse, semble-t-il, qui restera toutefois inaudible. Invisible, aussi.

Pour l’heure, plus que de la contenir, Mehry congédie son ire, la range dans un tiroir, feignant temporairement l’oubli. En apparence, sa nonchalance est indéfectible. Elle n’est pas la femme, mais le maître, le camarade de l’Oiseau de paradis, agissant en conséquence.

— C’est bien normal. On a manqué de temps pour faire ça correctement, dans les temps, mais ça reste une étape importante. J'imagine que t'as eu quelques nouvelles, non ?

D’autant plus dans leurs conditions, dans ces nouvelles attributions confiées par Childéric, mais également pour le bon déroulement des futures opérations. Argus se forme encore, bien que différemment. Elle manque encore de cette confiance en elle-même, des limites et des permissions.

— Effectivement, t’en mangeais beaucoup pendant le voyage, tu les aimes autant que ça, les dattes ?

Le fruit roule entre ses doigts, tandis que les amandes céladons l’inspecte, avant de le savourer autant que faire se peut. Pas que cet aveu lui donne des idées, mais presque ; des idées qu’elle ne tarde toutefois pas à balayer d’un revers, peu désireuse d’aller dans ces travers. Peut-être plus tard, lorsque son implication deviendra moindre, reviendra à la normale.

— En tout cas, t’as l’air plus à l’aise qu’avant, c’est déjà pas mal !

Plus que cette époque où elle l’appelait Seigneur et la vouvoyait à l’excès. Qu’elle déteste cela, la serpentes noire. Elle retient d’ailleurs les prémices d’un rire pour le transformer en simple risette ; une risette qui s’efface aussi vite qu’elle apparaît. Cette époque reste forte pour de nombreuses raisons, pour le mauvais comme pour le bon. Adossée à la pierre, un pied à terre, la Persane observe Argus, sans pour autant la dévisager.

— Comme Dana te disait l’autre fois, t’es comme les autres. Aucune différence, ici, alors ne te crispe pas autant. Et donc, pour en revenir au sujet, exception faite des dattes qui ont conquis ton estomac, qu’est-ce que tu retiens ? Le bon, le moins bon, ce qui te dérange, les questions éventuellement en suspens. Et dans quoi tu te sentirais plus à l’aise, aussi.

Elle n’y coupera pas et les avertissements viendront après. Les nouveautés également.

Cette répétition provoque un haussement de sourcil ; semble-t-il que l’Oisillon manque encore de certaines habitudes considérées normales par une prétendue majorité. Pourtant, la Persane ne s’offusque pas et récupère le fil de ses explications, peut-être, dénuées de clarté.

— Si t’as pu te faire des camarades, si tu restes au Sanctuaire prochainement, si tu t’en vas, si t’as pu prendre tes marques avec ton boulot. De ce qui te concerne, de toi depuis le retour de mission, en gros.

Le mois précédent, Childéric avait donné son autorisation pour qu’Argus soit responsable des documents déplacés de Star Hill, ce qui n’est pas rien, loin de là. Cette récompense, cette conversation, Mehry s’en souvient dans les moindres détails. En outre, l’écho de l’absence du Taureau se fait ressentir à l’intérieur, bien qu’elle ne laisse aucun indice s’échapper. Ce lien, c’est son secret, et Airôth l’a enterré en partant. L’Ophiuchus se change les idées, en profite également pour détendre la plus jeune en mettant l’accent sur les dattes. Cela n’efface pas la suite qui, prochainement, s'ajoutera dans la conversation, mais a au moins le mérite de donner le ton sur un paquet de choses, à commencer par le fait qu’elle n’est pas venue ici pour la réprimander. Pas lorsqu’elle commence à s’ouvrir.

— Je vois, c’est bien alors ! Continue sur cette lancée !

Même s’il aura fallu du temps pour y parvenir, l’enfant prend désormais une route avec un comportement plus serein ; une évolution nécessaire pour l’avenir, pour son avenir. Pour l’instant, cependant, Mehry attend. Après tout, cette réunion est organisée pour faire le point sur la mission passée, sur ce que chacune pourrait changer pour avancer.

Sans surprise, l’aînée remarque que la presque apprentie est toujours marquée par l’avertissement qu’elle lui avait donné à Constantinople, l’origine de son renfermement pour le reste de la période. Aujourd’hui encore, elle n’a pas l’impression d’avoir été trop loin, pourtant, Argus a l’air d’être affectée, un mois après. Une écoute attentive, jusqu’au dernier mot pour ne pas la couper dans son élan déjà bien esquinté. Puis s’inscrit un soupir, feutré, qui accompagne un bref clignement de paupières.

— T’as fait plus que tu le penses, à ta manière. Pas besoin d’être actif de manière visible pour agir sur une mission, tout dépend du contexte, du rôle, de la mission en question. Tu te sentirais plus à l’aise sur une mission plus active, qui ne demande pas d’avoir à se cacher pour progresser ? Du reste, c’était ta première mission, c’est normal que tu ne saches pas tout, et j’aurais sûrement dû t’expliquer un peu plus. Quand tu dis que t’as failli compromettre la mission, tu parles de cette histoire de cosmos et d’identité avec Théophilius ?

De tête, Mehry ne voit rien d’autre, mais préfère s’assurer d’être sur la même cause qu’Argus, avant d’aller plus loin dans ses réflexions.

Cette mécompréhension, l’Ophiuchus ne le percute que dans les grandes lignes, explicite alors ses propos par des exemples flous et ordinaires. Son esprit s’occupe par tous les moyens possibles, envisageables, et cela comprend les sujets que toutes deux abordent. Ainsi, semble-t-il que l’Oisillon s’éternise dans son nid, qu’il ne cesse de s’entraîner et de découvrir les âmes du Sanctuaire. Des années récompensées, peut-être. Toutefois, Mehry arque un sourcil curieux lorsque la mention de la nouvelle vierge fait son apparition, tandis que ses doigts tapotent doucement la roche.

— Tant mieux alors, les méthodes de Kaleb te conviendront sans doute plus que les miennes, et tu sais également que tu peux aller le voir en cas de problème.

Quant à Childéric, eh bien, pourquoi pas.
En cas de problème, si personne ne se montre à l’horizon, si elle-même finit par se perdre ; les raisons et les hypothèses sont d’autant plus nombreuses que les circonstances l’exigent. Pourtant, d’un point de vue extérieur, rien n’indique qu’elle pourrait partir, elle aussi.

— J’envisage de retourner en Perse, notamment pour reprendre le fil de notre précédente mission, pour discuter différemment avec le commandant, également. Il manque encore pas mal d’éléments. D’ailleurs, en parlant de ça, j’aimerais que tu ne parles pas de la mission, de la situation sur place, de nos rencontres, etc. En dehors de Silas des Gémeaux et de Childéric, qui sont concernés, évidemment. Moins de personnes connaissent le détail, plus on aura de marge de manœuvre. Donc, si quelqu’un d’autre te questionne, tu sais quoi dire ?

Et si quelqu'un prétend savoir ?
Dans les faits, on signifiant elle, parce que l’on n’est jamais trop prudent et que Mehry n’apprécie guère que l’on fouine dans ses affaires. Alors, elle retournera sur place, sur les terres du vin, avec Paros s'il le souhaite : ils doivent être présents, discuter - entre autres - des dernières révélations. Pour l’heure, elle oscille entre la compréhension et l’autorité, double-face qu’elle est. Les appréhensions d’Argus sont logiques, compte tenu de son passif, alors elle décide de faire l’effort ; montrer les crocs ne ferait pas avancer les choses, pas plus qu’elle n’a besoin d’étaler son ire sur la face de la plus jeune.

— Oui, tu prendras le pli petit à petit, mais veille à ne pas trop t’habituer, à ne pas être trop sûre de toi. En tombant dans ce piège-là, tu perdras.

Une perte dont la nature diffère, selon.

— Ne te tracasse pas trop, comme dit, j’aurais dû t’expliquer un peu plus. En revanche, garde ces échecs, ces sentiments et ce que t’en retires dans un coin de ta tête. Récupère tout ce qui peut l’être et apprends à t’en servir. Un jour, tu verras, ça te servira.

Retenir, mais continuer de penser par soi-même, c’est le message essentiel qu’elle tente de lui faire passer.
Si Mehry en a longtemps douté, elle sait désormais que les meilleures armes ne sont de loin pas physiques.

Citation :

Pas de souci, ne t'inquiète pas ! On y va tranquillement !

Il faut de tout pour faire un monde. Dès lors, si par malheur la Persane se montrait susceptible à chaque désaccord, à chaque pique qu’elle-même envoie parfois, ses projets resteraient à l’état d’une songerie. Pourtant, depuis longtemps déjà, leurs squelettes se précisent, autant que les souvenirs qu’elle emporte dans son sillage. Les rires s’effacent, non pas au profit des larmes, mais d’une glaire amère dans sa gorge, lorsqu’elle repense aux siens. Ils ne partageaient pas toujours son sang, mais symbolisaient la flamme de toute une génération. Lui également, en un sens. Plutôt ironique, quand on connaît la fin desdits chapitres.

Face à la mine étrange d’Argus, la Serpentaire s’assure, tout d’abord, que personne ne parviendra à délier sa langue, notamment quant à l’affaire « Perse ». Dans le détail, comme dans les banalités, d’ailleurs, parce que les grandes lignes en sous-entendent parfois bien plus qu’il n’y paraît.

— Tu m’accompagneras une prochaine fois, si tu veux.

Et, éventuellement, en profiter pour faire le plein de dattes. Bien que Mehry n’est guère friande des mélanges entre le personnel et le professionnel, elle imagine aisément que ce n’est pas le cas de tous. En outre, cette fois est une particularité pour elle également, une entorse à ses propres règles : cette demande envisagée à Paros n’est pas due au hasard, au contraire ; la disparition d’Airôth soulève de nombreux problèmes et des ajustements sont nécessaires, pour l’un comme pour l’autre. Des prises de nouvelles pour, peut-être, se raccrocher aux branches. Vient alors un pincement au cœur, étouffée dans la seconde qui suit.

— Oh, tu continueras à apprendre jusqu’à ta mort, rassure-toi. Que ce soit avec des enseignements ou avec tes expériences… Et donc, y’a quelque chose en particulier dont tu voudrais qu’on discute, que tu voudrais qu’on voie ?

Sur la mission, sur un entraînement, sur des banalités, sur n’importe quoi, au final. Le but étant de l’obliger à s’exprimer un peu.
Laissons-la venir et, si non, poursuivons.

Pour toute réponse à sa proposition, des remerciements qui n’ont pas lieu d’être. Cette ouverture ne représente en aucun cas une assurance : les perspectives futures, leurs résultats et les conditions leur indiqueront, plus tard, si cette seconde aventure est envisageable. Conséquemment, Mehry ne déclare rien, sans doute parce qu’elle se refuse depuis toujours aux promesses ; de ses rares écarts et de ses constatations anciennes, elle en a retenu l’enseignement. Une moralité d’amertume, de sable et de sang, pour laquelle les larmes n’ont plus leur place et s’assourdissent face à l’ire qui fait rage. Alors, la Serpentaire ferme les paupières, tandis que l’Oiseau passe par toutes les teintes. Elle les rouvre enfin, les accompagnant d’un énième étirement les lippes, souriantes et amusées.

Elle ne promet rien, ni maintenant, ni jamais.

Ainsi, toutes deux continueront d’arpenter les routes, de poursuivre un apprentissage, des déceptions, parfois, jusqu’à leur mort. Les autres, également, à l’exception de ceux qui refusent, stupides et inconscients, de se prêter à l’exercice. Un choix, somme toute, sans l’être véritablement ; il ne faut en aucun cas sombrer.

S’apercevant des prémices d’un quelque chose, d’une probable hésitation, Mehry attend patiemment, les bras croisés, le dos adossé au rocher, que l’enfant se prononce sur les points qui la dérangent. Elle l’y invite, même, mais ses premières interrogations ne vont, visiblement, pas en ce sens. Plus que de faire un point sur le passé, Argus se concentre sur l’avenir et sur cette mission à laquelle elle ne participe plus. Avant de poser ses mots, l’Ophiuchus pousse un soupir silencieux, trahi par un mouvement de poitrine.

— J’envisage de m’entretenir un peu plus avec lui pour glaner quelques informations complémentaires, notamment en ce qui concerne la Perse. Je sais plus si je t’en ai déjà parlé, mais je suis née là-bas, donc, plus qu’une mission, c’est surtout quelque chose que je veux faire.

Childéric ne lui a rien imposé. Au-delà même des contextes de mission, d’éveillés et de Dieux, la situation dans sa contrée de naissance la déconcerte, l’intrigue. À cela se rajoutent les derniers évènements au Sanctuaire, les disparitions sous couvert de départ, les projets qui tombent en poussière, et cette colère qu’elle cache sans cesse. Elle se revoit, dans son antre, tourner en rond, comme dans une cage, sous le regard attentif de Parvan. Oui, Mehry a retenu la leçon, mais, pour en être certaine, l’éloignement temporaire reste une bonne solution. Il n’y a que de cette manière qu’elle pourra se recentrer définitivement sur ses objectifs.

— De constater ce qu'elle est devenue, ce qu’il s’y passe, etc.

De retrouver les traces d’Ashkan, Mehry n’y songe même pas : lui, s’est envolé depuis bien trop longtemps déjà. Au final, plus que de l’attachement, elle souhaite certainement se rendre compte par elle-même d’à quel point la Perse, son armée et sa population n’ont pas changé.
Les bras tirés vers le haut, les paumes ensemble, elle s’étire finalement de tout son long, avant de reporter ses amandes Céladon sur la silhouette de son apprentie.

— Autre chose ?

La serpentes n’aborde que rarement les sujets qui la concerne de près ou de loin. Elle se souvient en avoir vaguement fait mention à l’Oisillon, une fois, peut-être lors de la soirée organisée par Dana. Cela n’ira pas au-delà, si bien qu’Argus se doute qu’il n’est pas utile de la questionner davantage. Outre la question de la confiance, ce n’est tout simplement pas son souhait et personne ne l’y forcera. Alors, dans ce silence, Mehry traduit une réflexion, une hésitation. L’enfant veut bien faire, mais qu’importe les recherches bibliographiques qu’elle pourrait bien entreprendre : les résultats seront vains. Si les informations qu’elle voulait obtenir se trouvaient au Sanctuaire, elle aurait déjà dû mettre la main dessus. Ou alors, ces dernières sont si bien cachées qu’elles en deviennent inaccessibles et, le cas échéant, même le poste offert par Childéric ne pourra rien y faire. La solution la plus rapide étant de le questionner directement, mais cela reviendrait à devoir trop en dire, et serait partir du principe qu’il en connaît les contenus.

Lui-même ignore, probablement, une partie des récits. Y aurait-il seulement accès ?

— Non, t’inquiète pas. Ça m’étonnerait qu’on puisse trouver ça dans les archives.

Au final, se rendre sur place reste l’option la plus rapide et la plus sûre d’obtenir les informations voulues. Alors, Mehry se redresse, puisque son apprentie ne semble pas avoir d’autres questions – tout du moins pas en rapport avec leur entrevue ; chose qu’Argus confirme d’un mouvement négatif de la tête. Dans ce cas, l’affaire est close.

— Bien, dans ce cas, j’y vais. Je verrais pour te rapporter des dattes, si ça tient la durée ! Quant à toi, n’oublie pas de t’entraîner.

L’apprentissage ne se termine jamais. Cependant, Argus a l’air plus sûre d’elle. Tant mieux, une chose en moins pour occuper son esprit.

Citation :

Sujet terminé, merci à toi !