[juillet 552] Une soirée à Ostie (Nessius, Andonis)

Détente bien méritée

Aaaah Ostie, que c'est une ville formidable !
Idéale pour y flâner de longues heures quand viennent les chaleurs étouffantes de l'été... d'autant qu'il est bien difficile de s'en prémunir en mer ! C'est donc une halte salvatrice pour tout marin aimant prendre du bon temps après de rudes excursions ! Les bains d'Ostie sont toujours finement parfumés et les tavernes particulièrement animées dès la tombée de la nuit ! C'est i-dé-al !
Oh puis bien évidement une riche place marchande parfaite pour y faire affaire lorsque l'on est paré aux impitoyables lois de la négoce...
Perdure ici une activité économique intense malgré la perte d'intérêt du pouvoir pour cette antique place.

J'aime me balader dans les rues pavées de la ville le long du Tibre après avoir dépouillé quelques pirates trop prétentieux, héhé ! Il est donc urgent d'aller prendre du bon temps ! Aller hop un tour aux bains !
J'adore sentir l'eau vive et chaude sur ma délicate peau nue et le doux parfum d'essence de plante qui plane... je m'y prélasse des heures, me rappelant mon ancienne condition d'enfant des rues. J'ai toujours une petite pensée pour ce que je fus, et à ce que je suis devenu aujourd'hui. D'ailleurs je ne manque jamais d'une petite pièce pour les gamins miséreux que je croise dans la cité, ils me font pitié, mais peut-être que l'un d'eux arrivera à se sortir de cette condition, tout comme je le fis il y a de ça bientôt 6ans...
C'est un endroit idoine pour y rencontrer hommes d'importances, les discussions sont chaleureuses entre aristocrates et bourgeois, ils affectionnent se confier leurs pensées et leurs soins et c'est, pour moi, une excellente école où il est aisé d'y dénicher de précieuses informations et autres bonnes âmes prêtent à instruire le temps du bain le bel éphèbe que je suis !

Suite à cette longue après-midi passée au creux de ces bains riches d'instructions et de plaisirs masculins, vient le temps du rinçage de gosier ! Je glisse rapidement mes doigts dans ma bourse pour y dénombrer les pièces d'or restantes... hum... il en reste largement assez pour passer une très belle soirée !
Je me dirige donc vers le port, peut-être y dénicherai-je ma prochaine proie...

Quelques beaux navires sont amarrés là, parfait ! Il y a donc du monde dans les tavernes environnantes... espérons que des pirates aient besoin d'être délesté de leur magot...

Je pousse la porte de la première taverne et y découvre une atmosphère très joviale ! Les rires sont gras, la musique jouée par une troupe de ménestrels ambiance à toute note perdue les marins assoiffés. Ils sont nombreux a avoir enduré les affres de l'été à crever du soleil sur le pont, ils ont besoin de boire pour s'en remettre, et moi aussi !
Un verre de vin épicé entre les mains et je m'assoie à une table et observe les personnes présentes... un capitaine... un capitaine... y a t-il un capitaine pirate ici qui aurait trop d'or dans ses cales ?
Pour le moment ce ne sont que des sous fifres...

Ostie… Le port de Rome. Une cité qui vivait encore sur les lustres de sa grandeur passée mais qui n’était plus que l’ombre d’elle-même. Tout du moins, c’est ce que ce cher Antalias avait expliqué à Nessius.

Mais le jeune atlante était empressé de découvrir les trésors et les vices que cette ville avait à offrir. Après tout, le vieil homme ne l’avait-il pas envoyé récupérer une cargaison au port en son nom, lui laissant le champ libre pour une escapade plutôt intéressante. Car, pour la première fois depuis qu’il avait été recueilli par l’artisan dans la cité éternelle, il se retrouvait avec quelques économies en poche et suffisamment de temps libre pour pouvoir expérimenter réellement la vie des hommes de la Surface. Loin des errances et des difficultés qu’il avait pu connaître au début de son exil et sans le regard d’un quelconque chaperon sur lui pour s’obliger à la décence.

Le jeune homme avait donc décidé de profiter du temps imparti pour s’encanailler au milieu des marins et catins qui peuplaient les tavernes du port. Une manière comme une autre de prendre du bon temps sans trop dépenser d’argent. Bien sûr, les services des filles étaient payants. Mais il y avait toujours une bourse autre que la sienne facile d’accès. Déclencher une altercation entre deux outres avinées, sbires de capitaines en rivalité était d’une simplicité quasi enfantine et Nessius se délectait de pouvoir semer la zizanie. Mais il y avait surtout l’occasion de parier. Sur tout et sur rien. Sur le vainqueur d’un bras de fer aussi bien que sur le nombre de verres de picrate que serait capable de s’enfiler un colosse dont la profondeur abyssale de l’estomac n’avait que pour extrême opposé la taille de son cerveau.

Et à ce petit jeu-là, le sens de l’observation du Céléno Merinita ne le trompait que rarement. Et il ne semblait pas le seul à chercher des proies. Un jeune homme, à peine moins âgé que lui, embrassait du regard l’ensemble de la pièce avec le même regard de celui qui cherche une opportunité à saisir. Un voleur ? Peut-être. Une occasion de mettre un peu de sel dans la soirée. Sans doute.

Prenant un pichet de vin et son gobelet de terre cuite, Nessius entreprit de traverser la salle d’un pas calme et assuré. Aucune raison de montrer la moindre hostilité. Néanmoins, il restait sur ses gardes. Après tout, se laisser griser par le risque pouvait s’avérer aussi excitant que mortel. Tant que l’on ne savait pas à qui l’on avait à faire.

C’est donc face à l’éphèbe à la chevelure flamboyante qu’il s’assit, un sourire narquois sur le visage. Il ne lui laissa pas l’occasion d’ouvrir la bouche. A tout seigneur, tout honneur.

«Je serais toi, je serais encore plus discret. Heureusement que les esprits sont assez embrumés pour ne pas s’en rendre compte et que le patron semble plus intéressé par le fait de vendre les charmes de ses filles qu’à faire la chasse aux détrousseurs… Sinon, je ne donnerais pas cher de ton derrière…»

Son verre semblait presque vide. Nessius lui resservit une large rasade en attendant sa réaction. La fête ne faisait que commencer…

Santé !

L'ambiance de la taverne est agréablement détendue, bientôt quelques tables de clients entonnent une chanson grivoise au rythme tambouriné typique des soirées bien arrosées de mes confrères marins. Certains tapent des mains, d'autres se reculent pour continuer leurs discutions. J'aime cette atmosphère simple et joyeuse aussi, j'entreprends discrètement, de taper du pied sous la table chaque temps de la musique sous l'impulsion de l'émulation générale.
Le vin et la bière coulent à flot et les esprits s'échauffent gaiement, ce soir les filles vont avoir du travail, il suffit de le lire à la mine réjouit du maître des lieux.
Pour le moment personne n'attire particulièrement mon attention...tous le monde s'enivre mais personne n'a suffisamment le sous pour ma soif d'or.
Je ne compte pas rentrer bredouille et si ça continue je vais devoir aller directement me servir dans leurs navires. Je bois donc mon verre à petite gorgée mais très vite il n'en reste qu'un fond... la boisson n'est pas si mauvaise et se laisse boire facilement, c'est une chance ! Ce n'est pas du meilleur cru mais ça a le mérite d'être suffisamment doux au palais pour qu'il en redemande.

Un très beau jeune homme, élégant et distingué entre dans l'établissement. Son regard émeraude à la sensibilité singulière me provoque un certain appétit... Tiens donc...
Faisant un tour d'horizon de la pièce puis s’avançant vers le comptoir je l'observe avec insistance, et je ne suis pas le seul. Il fait sensation parmi les autres plouc ! Voilà le genre de client que je n'attendais pas ici, mais soit, puisqu'il est là...
Son allure est propre, sa démarche dénote une condition bourgeoise sinon aristocratique.
Sûrement quelqu'un de la haute société. Que vient-il faire ici ? Ce n'est pas un lieu pour quelqu'un de son rang à moins qu'il ne cherche quelque autre animation plus rustre et modeste... promis il sera servi !
On lui sert rapidement un pichet de vin, apparemment je ne suis pas le seul à l'avoir remarqué. Surprenamment le jeune homme sans une once d'hésitation vient s'asseoir à ma table, il souhaite apparemment un peu de compagnie, très bien !
J'espère que ta bourse est pleine mon ami !

A ses mots et à son geste un sourire joyeux de reconnaissance se dessine en réponse sur mon visage :
Je te remercie de t'enquérir de l'intégrité de mon postérieur bel inconnu, mais rassure-toi il se porte pour le moment très bien ! Et je m'inquiète davantage pour le tenancier que lui de moi car j'espère qu'il aura assez d’alcool pour tenir la nuit ! Mais, avant de parler de ma croupe... la bienséance ne voudrait-elle pas que l'on se présente ?

Satisfait de la réplique je désigne d'un geste jovial de la tête le gobelet de terre cuite :
Merci d'avoir rempli ma coupe !
La levant dans sa direction avec un soupçon de charme provocateur :
Alors, à ta santé !

Buvant une courte rasade et me redressant avec sérieux sur la chaise j'enchaîne :
Pour bien faire laisse moi d'abord me présenter, je suis Adonis le bâtard des mers ! un pêcheur tout ce qu'il y a de plus modeste... Dis-je avec un regard malicieux trompant aisément mes propos.
Et toi ? Qui es-tu ? Élégant comme un prince, tu ne me sembles pas faire partie de notre caste et, j'aurai cru t'apercevoir tout à l'heure entrant dans les pretigieux thermes de la ville que cette idée ne me paraîtrait pas saugrenue...

D'un geste amical de la main :
La soirée est pleine de promesses...

Par la venue de ce bel éphèbe à ma table la soirée devient enfin intéressante, offrant ainsi un piquant tout à fait particulier.

Bel inconnu… En voilà un qui ne manquait pas d’aplomb ! Mais il croyait quoi au juste ? Que c’était une tentative d’approche ? Nessius entreprit de doucher ses espoirs dans l’heure.

«Tu n’iras pas loin avec tes flagorneries. Et encore moins dans une position horizontale, si c'est que tu cherches. Je ne mange pas de ce pain-là… Néanmoins, tu me semblais être la personne la plus intéressante et la moins alcoolisée ici ce soir. Donc la plus susceptible d’avoir la conversation la plus distrayante. A moins que j’ai fait fausse route… »

Et pan ! Dans les dents ! Il venait de se faire calmement rhabillé pour l’hiver le rouquin ! Quand il lui dévoilà son nom, Nessius ne put s’empêcher un visage feignant la surprise qu’il acheva d’une moue des plus circonspectes. Il brandissait son nom comme un étendard. Un comportement dont l'exilé d'Atlantis avait trop souvent été spectateur pour l'apprécier. Et qui, de plus, ne collait pas vraiment avec le métier qu'il prétendait exercer.

«Tu m’en diras tant… Avec un surnom pareil… Donc un modeste pêcheur… Allons bon… A moins que tu ne l’entendes au sens chrétien du terme, je t’aurais davantage pris pour un roublard un peu plus futé que les carcasses avinées qui traînent dans le coin, tout du moins avec une tête mieux rempli que la leur. Mais si tu n’es qu’un simple pêcheur… Nous parlerons donc filets et poissons, j’imagine… »

Une provocation pour voir de quel bois était fait l’homme qui lui faisait face. Après tout, il pouvait encore se lever et prendre congé. Couper court à cet discussion pour montrer son désintérêt. Mais son vis-à-vis avait quelque chose de familier néanmoins. Sans qu’il puisse précisément se l’expliquer.

Nessius concéda cependant à l’obligation de courtoisie le fait de se présenter. Sans fioriture et sans éclat. Ce n’était pas parce qu’il devait se montrer poli qu’il allait pour autant ouvrir de brèches dans lesquelles son interlocuteur pourrait s’engouffrer.

«On m’appelle Nessius. Et je suis un vagabond au même titre que tu es un humble pêcheur…»

Encore une manière de le mettre face à ses propres propos. S’il voulait le prendre pour un imbécile ou un pigeon, alors il était tombé sur le mauvais client. Il avait davantage une tête de mignon. Il n’aurait certainement pas dépareillé dans une de ses futiles soirées de l’aristocratie d’Atlantis où le vin et les plaisirs annexes étaient monnaie courante. Le jeune Céléno Merinita repensa à sa vie d’avant avec un regard féroce. Elle ne lui manquait pas. A l’exception d’une personne. Mais là n’était pas la question.

Pour le moment, il devait tirer les vers du nez à l’énergumène qui se trouvait devant lui. A défaut, il poursuivrait sa recherche dans une autre taverne.

Un sourire malicieux

Il n'est visiblement pas amateur de ce genre de douceur... tant pis ! l'approche était peut-être un peu trop 'directe' et manquait d’élégance... il est plus fin que je l'imaginais et c'est tant mieux car la discussion n'en sera que plus amusante, mais je dois tout de même faire attention à ce que je dis...
Les leçons prises cet après-midi me seront utile ce soir !

L'échange prend une toute autre tournure que celle secrètement espérée, il essaie de me renvoyer dans mes cordes en mettant une distance entre nous tout en piquant à vif mes intentions en ce lieu, et en plus sans trop se dévoiler ! Il est fort !
Il faut répondre quelque chose qui le bouscule mais sans me mouiller, continuons dans le domaine de la bondieuserie, « le pêcheur » en appât ! Je frappe fort au départ puis quelques douceurs pour mieux le ferrer... et ensuite je l'achève.

Prenant un air docte et raclant bruyamment cette gorge légèrement avinée :
Il n'y a de mauvaise route que pour celui qui reste assit, n'est-ce pas ami vagabond ? Tu t'invite à ma table et m'offre ton vin, c'est généreux et dieu te le rendra, mais me dire ainsi que je ressemble à un roublard est un manque cruel de courtoisie. Bois donc car ta langue souffre de ta sobriété !

Avalant une grande gorgée de vin puis reprenant :
Mes flagorneries ne sont peut-être pas à ton goût aujourd'hui mais ne t'empresse pas de juger les pécheurs dans mon genre, je ne fais que ce pourquoi je suis doué... est-ce ma faute si la nature m'a bâti ainsi ?! J'ai imploré l'aide du tout puissant comme tout bon chrétien que je suis mais il n'a pas daigné répondre à mes nombreuses prières... Alors je continue, fidèle à moi-même.

Nous pourrions parler filets et pêche bien évidemment, je pourrais te dire comment ferrer le gros en cette saison et que j'ai des techniques qu'aucun autre ici ne possède mais je suis certain que tu n'es pas venu ici écouter ce genre de discours, semblable sûrement à tous ceux que tu peux entendre dans chaque port que tu fréquentes.
Nessius ? C'est bien ça ?
Mon cher Nessius le vagabond, parle moi plutôt de toi, tu as parcouru le monde, alors dis : comment est-il ? Comment sont les pays du nord et ceux du sud ? Comment sont les gens ? As-tu vu le bord du monde ?

Et hop, ainsi tu vas parler davantage de toi plutôt que de titiller la raison pour laquelle je suis dans cette taverne miteuse d'Ostie...
Maintenant il est temps de passer au coup final, celui qui marche à tout les coups ! Tu vas parler, te livrer, et pourquoi pas in fine tomber dans mes bras en sanglot cherchant une âme généreuse qui pourra te soulager la conscience... ça tombe bien car tu en as une juste en face de toi ! MOI !

Reprenant avec un air de circonstance :
Je remarque sur ton visage que tu en as gros sur la conscience, tu as quitté ton foyer pour de sombres raisons, et tu chemines depuis lors pour oublier ton passé, comme d'autres le font pour expier leurs fautes... je connais très bien cet air que tu tentes de dissimuler... nous ne sommes peut-être pas si étranger que ça, toi et moi...

Ce qui m’intéresse surtout c'est ta bourse et il est urgent de t'en délester l'ami car ce poids te pèse...
Et cela me pèse sur la conscience !

Un léger sourire satisfait se dessine au coin des lèvres en même temps que je porte le gobelet à la bouche...

«Si tu le dis… Il est néanmoins extrêmement dommageable que tu penses que roublard puisse être une forme d’outrage… Juste que tes yeux semblent bien trop attirés par les bourses des gens qui t’entourent pour que cela ne soit pas suspect…»

Il le prenait vraiment pour un imbécile. Et en plus, il s’empressait de tenter de lui tirer les vers du nez ? Pathétique. Nessius but une rasade supplémentaire, conservant calme et distance. Il voulait jouer ? Très bien. Il n’allait pas être déçu.

«Ce sont tes mots. Si tu te sens jugé, c’est peut-être que tu as des choses à te reprocher, non ? Peut-être un trop plein de mensonge… Tu me diras, ce n’est pas un pêché mortel mais je doute que le seigneur apprécie ce genre de comportements et le laisse germer en toute impunité… »

Un jeu de dupe. Le tout était de savoir lequel des deux lâcherait le premier.

«Tu m’excuseras mais ma vie et mes problèmes ne regardent que moi. Je ne m’épanche pas auprès d’une personne que je connais depuis moins de cinq minutes. La confiance, ça se gagne vois-tu…»

Au moins, on ne pouvait lui reprocher de mentir. Juste d’éviter le piège mielleux de la séduction dont son vis-à-vis semblait abuser jusqu’à l’écœurement. Le ton faussement paternaliste et compatissant finit de le convaincre. Peut-être qu’en étant un peu plus corrosif ? Cela ne coûtait rien de tenter sa chance.

«Et si tu arrêtais de me chanter la sérénade pour me dire plutôt ce que tu cherches réellement ? Peut-être que je pourrais t’aider d’une manière ou d’une autre au lieu de perdre mon temps…»

Une manière plutôt directe de le pousser dans ses retranchements.

Soyons sérieux

Décidément ce jeune homme ne se laissera pas séduire par le chant des sirènes, tant pis de toute évidence ce n'est pas ce genre de poisson que je ferre habituellement, trop de risque pour peu de gain. Cependant, de la même manière qu'Endymion, émane de ce Nessius une aura puissante à faire fuir le plus enragé des ours et le plus affamé des lions. Étrangement aucun autre client ne paraît sensible à cette force assise tranquillement devant moi... Ce mystérieux énergumène est à prendre davantage au sérieux.
A défaut de lui soutirer sa bourse, il est sûrement envisageable de lui soutirer quelques informations utiles pour établir ma vengeance ou bien à la revente auprès du capitaine.
Tout sourire charmeur s'estompa lorsqu'il proposa son aide, plongeant aussitôt dans mes souvenirs et mes pensées quelques secondes, les sens absorbés comme hypnotisés par les effluves du vin roulant contre les parois du gobelet.

Le regard aussitôt devint froid tout en fixant le fond du verre, je répond à mon interlocuteur d'un ton tout aussi glacial :
Bien, tu as raison, soyons sérieux quelques minutes.
Pour le moment je ne te fais pas confiance, et tu serais bien naïf de me croire en retour, cependant plus que de l'or, ce sont les informations qui m'intéressent et tu en as peut-être qui peuvent m'être utile.
Comme toi je n'ai pas l'envie de parler de moi et de mon enfance alors je vais être bref : il y a bientôt 6ans un équipage de pirates a commis des actes impardonnables dans la région... j'en fis les frais non loin de là. J'ai miraculeusement survécu au choc et à la mer... cette même mer me berça jusque sur des terres où depuis lors je cultive ma vengeance...
Tu comprends donc que je suis à la recherche d'informations pour les retrouver et leur faire payer très cher leurs actes. Je ne connais pas leurs noms, seulement leurs visages. Ils sont marqués au fer rouge dans ma mémoire. Tu dis peut-être pouvoir m'aider, très bien alors dis-moi si tu as déjà vu cet homme ? Où et quand ? C'est le capitaine...

Tirant délicatement un parchemin de ma besace je découvre aux yeux de Nessius le croquis de l'homme dessiné par une main d'enfant enragé il y a de ça quelques années.
Les traits ne sont pas vraiment justes mais l'on devine le visage.

Le changement de ton est radical, presque brutal. Penser à ces hommes c'est verser de l'acide sur un cœur à jamais en rémission, rien ne peut complètement cicatriser, mais l'appel de la vengeance transforme en moi toute bonhomie en haine pure. Il m'est très difficile de tempérer ces émotions toujours à fleur de peau aussi j'essaie de les calmer comme me le dicte un certain capitaine lorsqu'il joue de son autorité. Fermer les yeux, respirer... penser à autre chose...

Rouvrant les yeux pour sonder les réactions de Nessius j'interviens d'emblée :
Partageras-tu un repas avec moi ? L'alcool me monte à la tête il est temps de se remplir la panse !

Sans attendre sa réponse je sors quelques pièces de sous la table et hèle le tavernier pour qu'il nous serve rapidement à manger.

«Ainsi tu as été victime de ce type d’individus ? Tu m’en diras tant. Crois-moi, je partage ta colère. J’ai été roué de coups et laissé pour mort par les homologues terrestres. Et j’avoue que si je pouvais remettre la main sur ces scélérats, je leur ferai rendre gorge…»

Ainsi, les deux hommes partageaient un sentiment de vengeance, une revanche à assouvir. Intéressant. Le dénommé Adonis semblait avoir partiellement baissé le masque. Aussi Nessius avait-il soulevé un infime coin du sien. Après tout, s’il voulait pouvoir obtenir sa confiance, il fallait bien consentir à quelques sacrifices.

Il porta à nouveau la coupe à ses lèvres tout en acquiesçant à la proposition de son vis à vis. La discussion serait bien plus constructive le ventre plein. Aussi Nessius fit-il signe à une serveuse de s’approcher et lui passa commande. Quelques instants plus tard, deux plats de poulpe marinés atterrirent sur la table accompagnés d’un assortiment de fromages et d’une belle miche de pain.

La serveuse tenta bien une approche, espérant sans doute un extra pour des services plus intimes. Mais Nessius la transperça de son regard ophidien avec une telle noirceur qu’elle n’insista pas outre mesure et s’éclipsa rapidement. Les affaires d’abord. Le plaisir viendrait ensuite. Peut-être.

Le jeune atlante jeta un œil circonspect au parchemin. Il n’était pas vraiment un habitué de la côte. Aussi ne pouvait-il pas prétendre connaître cet homme. D’autant que les traits grossiers d’un jeune enfants constituaient une bien piètre représentation. Il aurait plus vite fait de se torcher avec. Il aurait passablement obtenu le même résultat. Nessius exprima sa réserve.

«Loin de moi l’idée de remettre en cause tes talents artistiques mais je dois avouer que ton portrait pourrait correspondre à une bonne partie des hommes de mers des environs. Il n’y a aucun détail significatif, aucune particularité qui te reviennent à l’esprit ? Même la chose la plus insignifiante peut s’avérer utile… »

Un rire, une expression, des circonstances… Lui se souvenait parfaitement du rire et de la voix du chef de la bande qui l’avait laissé pour mort au bord de la Via Appia…

Un petit verre de plus

En effet, c'est pour cette raison que je traque aujourd'hui ce genre d'individu, je m'arrange pour qu'ils connaissent un sort bien pire que tout ce qu'ils pourraient imaginer en cauchemar. Et c'est aussi pour cette raison que je n'aime pas m'étendre sur les raisons qui me font venir dans ce genre d'endroit miteux. Tu comprends mieux ? Je suis un requin en chasse, et je n'aurai de cesse que lorsque ces hommes auront payer de leur vie leurs forfaits !

La commande amenée par la jeune femme arrive sur la table à point nommé, l'alcool n'est pas bonne conseillère surtout lorsqu'on est instable émotionnellement aussi tandis que Nessius reconduit par le regard la serveuse qui voulut proposer ses services comme l'eût offert ma mère, avec un sombre pincement au cœur je me jette sur le poulpe mariné et le pain, sans manière.
Les doigts dans le plat je poursuis :

Un tatouage ! L'homme possède un tatouage sur l'avant-bras. Deux sabres croisés avec en dessous l'inscription : « Mortem et praedam ». Sinon une fausse dent en or, tu vois je l'ai dessiné là !
En montrant du doigt une tache noirâtre sur le parchemin qui ressemblait plus à une tache de nourriture pourrie qu'à la volonté du graphiste d'être fidèle aux traits du dit personnage.

Je peux te dire qu'ils opéraient sur ces eaux en février 547, il y a donc de ça un peu plus de 5ans, un navire sans pavillon, ils ont massacré l'équipage les égorgeant tous alors qu'ils s'étaient rendus avant de s'emparer de la cargaison et d'envoyer le navire par le fond.
Voilà tout ce que je sais, de souvenir.
Il y a bien eu quelques pistes par-ci par-là mais sans résultat.
C'est maigre, j'en conviens mais il est difficile de récolter des informations fiables.

5Ans à écumer les mers en quête de vengeance n'ont menées à rien, hormis d'accumuler une fortune maudite au creux d'une île perdue, tout au fond d'une grotte marine semi-submergée. De nombreux pirates sont morts et de juteuses informations payées rubis sur l'ongle par le capitaine Endymion ont permis d'amasser une quantité prodigieuse à l'image de mes déchirements passés.
Aucune fortune ne peut panser des plaies, ni nourrir le cœur d'une âme en peine alors je l'accumule parce que je n'en ferais rien, car croire que l'on est heureux de vivre dans la richesse est une illusion, le plus riche des hommes peut être le plus pauvre d'entre eux... si le vide est en lui.
Apparemment Nessius en sait quelque chose...

Je continue de manger goulûment passant du pain au poulpe, et du fromage au pain. Reprenant mon souffle entre deux mastications et une rasade de vin. Si jusqu'alors il y avait un peu de tenue dans ma posture, celle-ci ne trahit pas longtemps sur mes origines...

Le regard ingénu plongeant dans celui de mon interlocuteur désappointé par la scène :
Et toi sinon ? Tu souhaites te venger aussi, c'est bien nous avons un point commun ! Peut-être que j'ai déjà croisé tes sales types...
Sinon... tu ne m'as toujours pas dis d'où tu viens !

Plus le verre se vide, plus « on » le remplit, et plus l'envie de parler se fait pressente...
Bientôt une autre cruche sera commandée car la première s'évapore bien vite...
Qu'est-ce qu'il fait chaud en cette soirée d'été à Ostie.

«J’imagine que tu as déjà écumé la plupart des ports des environs à la recherche d’informations. Donc soit les gens refusent de te répondre parce qu’ils ont peur, soit parce qu’ils sont de mèche, voir les deux en même temps…»

Il avait certainement interrogé les pêcheurs, les marins, les aubergistes. Toutes ces personnes qui n’avaient aucun intérêt à se mettre à dos ce qui ressemblait à une confrérie de flibustiers. Mortem et praedam. Mort et proie. Tout un programme… Ça ne laissait guère de place au doute quant aux intentions de l’homme. De plus, avec une telle devise, Adonis pouvait sans aucun doute s’estimer chanceux d’être encore en vie. Il ne laissait probablement pas de survivants. Tout du moins parmi les personnes de sexe masculin…

Une idée germa dans l’esprit de Nessius à l’évocation du mot proie. A vrai dire, même si les femmes n’avaient pas leur place sur un bateau selon les coutumes des surfaciens, elles étaient bien souvent les premières victimes de l’esclavage. Combien de jeunes femmes venues d’au-dessus de la voûte marine avait échouée en Atlantis comme servante ou fille de joie ? Le jeune Céléno Merinita avait eu l’occasion d’en croiser plus qu’à son tour dans les maisons closes et les palais de la Cité sous-marine. Il devait certainement en être de même à la surface. Et contre quelques pièces ou des promesses d’épousailles, leurs langues se déliaient assez facilement ailleurs qu’autour du membre de leur client du moment.

Alors qu’il observait Adonis perdre de sa superbe en se baffrant comme s’il n’avait pas mangé depuis des semaines, Nessius lui suggéra donc l’idée.

«Tu n’as interrogé que des hommes n’est-ce pas ? Mais as-tu déjà demandé à des catins, à des esclaves si cette description leur disait quelque chose ? Après tout, j’imagine que le commerce d’être humain n’effraie pas ce genre d’individus et qu’il s’y livre sans vergogne puisque seul l’appât du gain compte… Au moins aurait-on peut-être une piste… »

A moins que l’idée n’ai déjà effleurée son compagnon du soir et qu’il ait déjà exploré cette piste, c’était une proposition qui en valait bien une autre. Le jeune atlante se garda de répondre aux sollicitations de son vis-à-vis quant à ses propres déboires. Du moins pour l’instant.

«Occupons-nous d’abord de ton problème. J’attends calmement cette occasion. Elle me sera bien offerte un jour ou l’autre ne t’en fais pas. La vengeance est comme le vin. Elle bonifie en vieillissant, n’est-ce pas ? Toutes les routes menant à Rome paraît-il, je finirais bien par recroiser la leur à force d’y résider… »

Parlons sérieusement

Pour tout te dire j'en ai déjà croisé un, un homme tatoué du même symbole. Du côté de Constantinople. Je l'avais repéré dans un marché, je l'ai donc suivi durant l'après-midi entière mais il ne m'a mené qu'à déambuler dans les rues de la capitale orientale de l'empire byzantin, peut-être m'avait-il repéré... toujours est-il que lorsque j'ai voulu l'interroger après l'avoir entraîné de force dans une ruelle perdue il s'est mordu la langue pour ne pas parler... il est mort en gardant ses secrets dans ses étouffements gorgés de sang...
Autrement, et tu as raison, je n'ai pensé à interroger que des hommes. Tu es malin !
Dis-je avec un sourire amical décoré de quelques morceaux de pain a demi mâchés.

En effet ces sales types laissent forcement des traces de leurs passages derrières eux, ce ne sont pas des fantômes ! Même si c'est un clan de pirates bien organisé ils ont forcément des contacts avec des locaux quelques part, il faut que je les trouve, ce beau et mystérieux jeune homme m'offre peut-être une solution à mon équation.
S'entretenir avec les femmes, leur promettre or ou mariage qu'importe, elles seront sûrement plus loquasses, c'est une très bonne idée !

Cependant... un trouble m’assombrit le visage... d'un coup comme un éclair une pensée terrible me submergea.
Et si il faisait partie de ce clan, de cette confrérie ? Viendrait-il pour me stopper dans mes investigations ? Ce serait logique, ce serait sournois mais diablement efficace. Quoi que... il n'aurait pas refusé mes avances...
La solution la plus simple serait qu'il montre son avant-bras...

Avec un regard froid je toise mon interlocuteur :
Ôte-moi d'un doute... fais-tu partie de cette organisation ? Car si c'est le cas je serai dans l'obligation de te faire parler par n'importe quel moyen... veux-tu bien me faire le plaisir de te découvrir l'avant-bras pour te laver de tout soupçon ? Sache que je te trouve très étrange, tu m'excuseras de vouloir prendre mes précautions...
Dis-moi aussi pourquoi souhaites-tu m'aider dans cette quête personnelle ? Je ne comprends pas, qui es-tu et que viens-tu faire ici, Nessius ? Ton air est intriguant. Tu n'es pas plus vagabond que moi pêcheur alors pourquoi te ferais-je confiance ?
Tandis que je me rince le gosier d'une rasade de vin, l'autre main se pose délicatement mais avec une sobre assurance sur le pommeau d'une dague, prête à lacérer son ventre à en faire gerber ses entrailles par terre.

Si il n'en est pas alors je lui payerai une autre cruche de vin et nous continuerons de parler de moi si il préfère le rôle de confident. Mais il doit répondre, ou bien c'est l'effusion de sang...

La musique reprend de plus belle et avec un rythme effréné comme confortant mes suspicions tandis que la tension devient subitement palpable. Une étrange sensation de drame s'annonce. Une tempête peut naître du ciel le plus bleu en quelques minutes.

S'occuper de mes problèmes ? Personne, ou presque, ne s'est jamais intéressé à mes problèmes, et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Pas ici, pas comme ça.
Laisse-moi te poser une autre question... lorsque tu croises un gamin des rues, un gamin qui crève la dalle, toi, tu réagis comment ? Tu lui file de l'argent, du pain, ou un coup de pied au cul pour qu'il dégage de ton chemin ?
Tu sais quand on crève la dalle et qu'on est môme, et que l'on observe les gens tout autour de nous qui baissent la tête ou nous ignorent, et ceux qui se foutent de nous, c'est là qu'on a des problèmes, c'est là qu'on a besoin d'aide ! Aujourd'hui je suis seul, comme toujours, et je ne comprends pas très bien pourquoi un inconnu s’intéresse à moi hormis dans un but bien précis. Lequel ?! D'ailleurs en entrant tu n'as pas hésité longtemps avant de t'avancer ici et de prendre ta place.
Il est temps que tu t'expliques...

Le temps se suspend lorsqu'une lame sort de son fourreau. Elle n'attend qu'un mot, qu'un geste pour transpercer la chair...

Etrangement, l’attitude d’Adonis s’était tendue d’un coup. Il venait enfin de prendre conscience du risque potentiel dans lequel il se trouvait. Ne pas avoir vérifié avant de se livrer si son interlocuteur n’appartenait pas au même groupe que celui qu’il pourchassait. La colère l’aveuglait et le rendait négligent. Heureusement pour lui, Nessius n’avait rien à voir avec ces hommes.

Dans un calme olympien, il découvrit son avant-bras dans un geste lent, plein de maîtrise et décontraction. Il lui adressa le sourire désabusé d’un homme qui ne craignait en rien pour sa vie. Son ton se fit, en revanche beaucoup plus froid et cinglant.

«Satisfait ? Tu penses bien que si j’avais été un assassin payé pour t’éliminer, j’aurais trouvé n’importe quel prétexte pour me retrouver isolé en ta compagnie. Tu m’as d’ailleurs offert un pont d’or que j’aurais parfaitement pu saisir…»

Il semblait avoir besoin que le jeune atlante lui donne des gages. Qu’à cela ne tienne, il allait donner suite à sa demande.

«Vagabond, j’ai été. Comme tu as été pêcheur. J’ai eu l’occasion de voir tant d’enfants abandonnés lors de mes errances que j’en repère les stigmates au premier coup d’œil. Ce qui m’a poussé à t’interpeler ? La soif de vengeance et la colère que tu caches derrière ton air enjôleur. »

Lorsqu’il l’interrogea sur son rapport aux enfants des rues, aux mendiants, Nessius ne put s’empêcher d’afficher un sourire en coin dans un soupire. Pure provocation ou réel dédain ? Ses paroles ne tardèrent pas à éclairer son interlocuteur.

«Dans une autre vie, il m’est arrivé de leur botter les fesses par arrogance autant que par stupidité. Mais je n’oublie pas que, lorsque j’ai crevé de faim, ce sont eux qui ont partagé avec moi le peu qu’ils avaient. Même si je suis également tombé sur de fieffés fils de catins qui attendaient que le sommeil soit venu pour dérober le gain de la journée. »

Il fallait achever de le convaincre. Ce ne serait sans doute pas bien difficile.

«J’aime les révoltes et les situations désespérées. Et toi, tu transpires les deux à pleines narines…»

Oups !

De longues secondes s'écoulent sans une moindre réaction perceptible sur ce visage passant ensuite du rouge colère au rose honteux... La tenson redescend comme un soufflé se dégonflant toujours un peu plus entre chaque mot.
Désabusé par tant d'égarement, la colère est bien souvent la seule réponse opposée à ma désarmante naïveté et il est fréquent que l'atmosphère devienne subitement éruptive tant parce que la personne en face se joue de la situation, que parce que j'y plonge volontairement et parfois même gaiement ! Alors bien souvent la haine est dirigée envers moi-même plus que sur l'autre. Forgé par l'injustice permanente il est souvent plus doux de se haïr que de s'aimer et ainsi donner raison à l'autre de penser que l'on ne vaut pas grand chose... et pourtant ! d'une semblable épreuve de vie peut subsister un fond pur de bienveillance, et c'est, scindé entre l'envie de tendre la main, de croire, de faire confiance à « l'humain » tant il est capable d'être Bon et généreux que, de la même manière qu'un utopiste je rêve d'un monde ou tout humain se servirait de son intelligence pour prodiguer le bien et offrir le beau autour de lui. Bien qu'en réalité ce même être humain s'adonne et se repaît le plus souvent des pires cruautés, et ce jeune atlante en sait quelque chose...

Aussi c'est avec une moue timide que j'écoute et observe Nessius relever puis rabaisser sa manche, se retrouvant benêt de la situation je décide de lui offrir une tournée
Se levant puis lançant au tavernier tout en indiquant la cruche vide :

Sa sœur jumelle s'il vous plaît !

La lame toujours sortie s'offre à la vue de tous. Faisans taire et reculer quelques clients.

Oh pardon, j'espère ne pas t'effrayer avec ça... je suis parfois un peu « vif » dans mes réactions...
Rangeant l'arme d'acier, une larme acide roule sur la joue,
Tu es sûrement très étonné de mes réactions, j'en suis navré et, je t'assure que je ne voulais pas te faire de tort mais il est difficile de canaliser ce flux émotionnel qui me parcours l'échine, d'où le fait que je suis souvent mieux seul. Je ne connais qu'une personne au monde capable de tempérer cette tempête...
L'image en tête de mon capitaine préféré je lâche avec un air béat un très furtif :
Endy...

Reprenant le fil de la discussion avec un peu plus d'assurance :
Il est difficile à concevoir qu'un inconnu veuille, par pure bonté d'âme, offrir ses conseils voire ses services pour une cause qui n'est pas la sienne. C'est très noble ! Et je t'en remercie, mais consens que de prime abord c'est quand même extrêmement suspect d'autant que tu n'es pas facile à faire parler !
Mais toi aussi tu es donc un balafré de la vie alors... nous pouvons sûrement nous entraider, comm...

La serveuse, par sa simple présence, vint interrompre la fin de cette phrase en déposant le vin précédemment commandé.
Cette dernière est saisie délicatement par le bras, penchée vers la table je lui susurre à l'oreille :

Madame, reconnaissez-vous cet homme ?
En montrant du doigt le papyrus resté sagement en place entre le bel éphèbe et moi.

Un visage malsain, une dent en or et surtout un tatouage avec deux sabres inversés croisés l'un sur l'autre et l'inscription Mortem et Praedam sur l'avant-bras. C'est aisément reconnaissable, si ce n'est pas lui, sûrement un de ses hommes ?
...
Glissant quelques pièces d'or dans sa main...

Vraiment ça ne vous dit rien ? Bon... tant pis.

Elle repart.
Je nous sers.

Droit dans les yeux :
Bien... je reprends... comment pourrions nous nous entraider Nessius ?

Une légèreté dans le ton signe que tout doute n'est pas exclu mais que les nuages s'apaisent en douceur...
Les bons comptes faisant les bons amis alors un geste amical se doit d'être récompensé en retour.
Qu'il le veuille ou non, je commence à l'apprécier...

Lorsqu’Adonis commanda une nouvelle tournée, Nessius su qu’il avait sans doute gagné une manche. Mais certainement pas l’ensemble de la partie. Il n’était pas naïf à ce point. Pour autant, laissant ses manches venir à nouveau recouvrir ses poignets, le jeune atlante arbora un sourire entendu en direction de son interlocuteur. Accompagnée d’un petit mot d’esprit comme il se devait.

«Il en faut bien plus que ça pour m’intimider, sache-le. Mais tu ferais mieux de ranger ton aiguille à coudre si tu ne veux pas que le tavernier appelle la milice. Si j’en crois sa mine inquiète, il ne semble pas vraiment friand de ce genre de pratiques dans son établissement… »

Nessius se tourna vers le patron et lui fit signe que tout était sous contrôle. Au visage déterminé et imperturbable du jeune homme, le tenancier rappela son commis. Terminer en prison ne faisait pas vraiment parti de ses projets du soir. Il se retourna donc vers le « pêcheur » une fois ce malentendu dissipé.

«Je comprends. Il y a des traumatismes qui vous marquent au fer rouge. Que tu le crois ou non, j’aimerais parfois avoir cette spontanéité. Mais ce n’est pas acceptable dans l’éducation que j’ai reçu. L’excès de contrôle peut aussi avoir ses inconvénients structurels…»

Comme celui d’être constamment sous-estimé ou jugé sans cœur. Deux étiquettes dont Nessius avait dû supporter le fardeau. Mais il se souvenait surtout à quel point il avait appris cette leçon paternelle à grands renforts de coups de bâtons et de ceinturons, lui l’enfant espiègle et plein de vie. Chacun devait porter sa croix.

Celle d’Adonis semblait lui donner une incontinence verbale qui pouvait lui attirer bien des soucis. Alors qu’il posa des questions à la première serveuse venue, Nessius le regarda faire d’un air navré. Pour la stratégie, il repasserait ! A ce rythme-là, sans nul doute, l’organisation allait le retrouver et lui faire payer au prix fort sa curiosité mal placé. Il manquait de subtilité. Cela tombait bien, le jeune atlante en avait à revendre.

«Si tu me permets un conseil, je pense que tu devrais d’abord cibler les personnes que tu interroges avec d’avantage de finesse. Car dans le cas contraire, tu risques involontairement d’appuyer sur un mauvais levier et te retrouver avec un retour de bâton bien plus redoutable que ce que tu peux imaginer. »

La patience. C’est sans doute ce qui lui faisait défaut. Il fallait donc qu’il s’entraîne. C’était ainsi qu’il allait l’aider. En premier lieu.

«L’idéal serait d’ailleurs que nous n’ayons pas à poser les questions nous-même pour éviter toute rencontre fâcheuse. Par exemple. Vois-tu, ici dans cette taverne, des personnes que tu pourrais convaincre ou manipuler afin qu’elle se renseigne pour toi ? »

La leçon venait de commencer.

Les conseils de ce jeune homme sont bons et plus lucides que ma pensée qui, non-habituée aux discussions de taverne, s'enivre de vin et de colère, aussi c'est avec gourmandise que je nous ressers en vin nos gobelets de terre cuite accompagnés d'un large sourire.
Ce Nessius est d'une fine intelligence et est très honorable de vouloir me dispenser de ses savoirs. C'est chic ! Je suis soulagé de le savoir étranger à cette organisation... d'autant que je le sens chercher à s'attirer ma sympathie... A-t-il besoin, comme moi, de trouver du réconfort chez quelqu'un ? Il a vécu de terribles traumatismes lui aussi et cela lui pèse... je peux peut-être être moins sur la défensive... après tout il n'a pas l'air d'avoir un mauvais fond, pas comme ceux que je traque !

D'un ton compatissant :
Nessius, je suis sincèrement désolé de t'avoir menacé avec cette lame. Contrairement à moi, tu caches tes émotions... mais tu as le droit de dire que tu as eu peur ! c'est naturel tu sais. Et je vois bien, maintenant, que tu ne cherches pas à me nuire... alors je tiens à ce que ce soit clair entre nous, je m'excuse pour mon geste.

L'injustice est ce que je haïs le plus au monde, et en faire preuve à l'égard des autres est une raison supplémentaire de se détester profondément... d'où ce furieux besoin de rédemption.

Désolé et impatient, je l'écoute avec une attention particulièrement studieuse car n'ayant jamais pratiqué la manipulation par autrui je me retrouve nu à cette question... mais je me prends intuitivement au jeu de dénicher un bon profil pour espionner à notre place et commence à dévisager les clients entour de nous...

Hmmm...
je doute que choisir un client alcoolisé soit une bonne solution, trop peu fiable. Il faut avoir de la chance pour en dégoter un qui sache dénicher les bonnes informations et qui en prime ne nous balance pas !
Autrement je songe aux mendiants, il y en a partout et contre quelques pièces ils peuvent sûrement se révéler d'une aide précieuse ! Les gosses aussi sont bons la-dedans et j'ai plutôt de bons rapports avec eux... mais en voir dans un établissement pareil serait étrange...
Sinon les filles de joie peuvent potentiellement être de bonnes espionnent, elles ont un contact privilégié avec les clients ce service peut sûrement se monnayer... cependant elles sont liées au tenancier, et l'ont sait bien que leurs poings ne manquent pas « d'arguments » pour obtenir la complaisance de leurs filles...

Qu'en penses-tu ?

Je cherche l'approbation dans le regard de ce nouveau professeur qui, par excès de gentillesse, ou par un intérêt encore caché, souhaite m'enseigner l'art de la tromperie...

« Il en faut bien davantage pour m’effrayer…»

Une simple phrase pour marteler une évidence. S’il devait comptait le nombre de fois où on l’avait menacé d’une lame… Quant à ses émotions, au final, elles ne regardaient que lui. Adonis était décidemment bien présomptueux. Nessius ne put s’empêcher une petite phrase assassine pour lui rabattre le caquet.

« Te prendrais-tu pour un philosophe, par hasard ? Je te remercie de ta sollicitude, mais mes émotions ne regardent que moi. Et j’évite de les déballer sur la table comme un porc qu’on éviscère… Maintenant, si tu veux bien, occupons-nous de monter une stratégie au lieu de palabrer…»

Une manière de clore le débat et de faire comprendre au jeune homme qu’il y avait des terrains où il ne valait mieux pas s’aventurer. Et puis, ils avaient bien mieux à faire, à vrai dire, que de s’inspecter le nombril.

Nessius écouta calmement les suggestions d’Adonis. La première était, à ses yeux, une fausse route doublée d’une perte de temps. Evidemment qu’on ne pouvait se fier à un alcoolique. Le jeune atlante leva les yeux au ciel comme si cela tombait sous le sens. Si c’était pour faire ce genre de propositions, il pouvait aussi bien aller se jeter dans le port !

Mais les deux suggestions suivantes lui parurent bien plus intéressantes. Deux pistes à creuser. Encore fallait-il avoir les bons outils et les bonnes méthodes. Et faire attention aux écueils qui pouvaient en découler.

« Les gamins des rues me semblent une option prometteuse. Surtout que toi comme moi savons ce qu’ils vivent au quotidien pour avoir été à leur place. Le lien de confiance sera certainement plus facile à établir avec eux. De plus, personne ne prête attention à eux, personne ne les remarque. Ils peuvent donc être de parfaits espions pour retrouver notre homme. S’ils ne le connaissent pas déjà…»

Il prit une gorgée de vin avant de poursuivre.

« Les louves me semblent également être une option mais dans une moindre mesure. Certes, elles reçoivent nombre de confidences sur l’oreiller et ont la langue bien pendue contre quelques pièces, mais elles sont aussi extrêmement dépendantes de leurs souteneurs qui sont bien souvent liés à des forbans dans le genre de celui que tu recherches. Et entre gens de mauvaise compagnie, j’imagine que l’on se serre les coudes. A moins de tomber par hasard sur un concurrent direct si tu vois ce que je veux dire…»

C’était désormais à lui de choisir quelle voie il privilégierait.

Décidément Nessius est un personnage bien complexe, mais l'assurance dans sa voix et son ton ferme laisse planer au-dessus de la table une tension paternaliste apportant dans son sillon une retenue de circonstance au creux de mes pensées embrumées, il est temps de se recentrer et de lui témoigner davantage de sérieux...
sobrement je dépose mon gobelet sur la table
Il n'est pas dans mes habitudes d'être remis à ma place, du moins pas par un étranger... le coup porté est dur et il fait mouche. Le sourire doux jusqu'alors laisse place à une moue de mécontentement...

Bien... tu as sûrement raison...

Les mimiques de Nessius lorsque les trois options furent proposées ne laissaient guère de doute quant à son appréciation de chacune d'elles. En toute logique est écartée d'emblée la solution des piliers de taverne, ne reste que les mômes et les filles...

J'opte avec une certaine réticence pour la deuxième suggestion, les gosses seront sûrement plus enclins à jouer le jeu surtout si ça peut leur rapporter de quoi se sustenter quelques jours. Puis autre point positif, si comme le dit si bien mon compagnon de table, personne ne prête attention à eux, ça veut donc dire que personne ne fera davantage attention à leur parole si ils tentent de trahir la mission que nous le confierions.
Maintenant reste à avoir les bons arguments, et là encore Nessius peut m'apporter son aide.

Si le choix d'employer des enfants pour espionner à notre place est le meilleur, à moins que tu ais d'autres idées... alors, comment aborderais-tu la chose ? J'ai bien une idée mais question pratique... je me sens moins aguerris que toi. As-tu quelques conseils ?
Comme tu le dis si bien nous savons ce qu'ils vivent par expérience, celle-ci nous sera utile pour gagner leur confiance, mais je ne veux pas qu'ils prennent de risques inconsidérés pour nous, et je sais l'excès de zèle qu'ils peuvent déployer pour quelques pièces d'or... je ne supporterais pas d'avoir à creuser une sépulture pour des innocents. En cela j'espère que tu me rejoins.

Il pourrait croire à de la flatterie, mais je suis sincère. Il est bien plus doué que moi dans ce domaine, c'est un fait, et c'est aussi pour ça que tant qu'il me reste encore un peu de lucidité, et même si je l'apprécie de plus en plus, je ne lui fais pas totalement confiance...
Il n'y a qu'une personne en qui je place toute ma confiance, Endymion, mon capitaine. Et il m'a appris entre autre chose que Méfiance est mère de Sureté.

Trouver cet homme est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, sauf que la botte de foin fait une taille incommensurable... les informations sont donc une priorité absolue pour réduire le champs de recherche.
Je le comprends parfaitement.
Mais devoir compter sur autrui pour faire le sale boulot, sur des gosses qui plus est, est quelque chose qui me perturbe profondément, je n'aime guère cette idée.
Que l'or soit un des outils de ma vengeance est une chose que je conçois aisément... mais des enfants... Dieu n'approuve pas cette idée... cela s'oppose à mes valeurs... être un homme c'est agir en responsabilité.
La question qui se pose est : à quoi me résoudrais-je pour assouvir ce besoin qui me tue chaque jour davantage ?

Plongé dans mes pensées je détourne le regard de la table avant d'ajouter, de la crainte en fond de gorge :
Vraiment je ne le supporterais pas...
Cette idée m'effraie Nessius...
Aucun mort autre que ceux qui doivent payer pour leurs crimes.
C'est uniquement ainsi que je pourrais vivre en paix pour le restant de mes jours

« Donc nous choisissons l’option du banc de sardines pour rabattre le squale ? Bien…»

Nessius prit une nouvelle gorgée de vin. Il se tut un long instant qui dut paraître une éternité à son vis-à-vis. Le temps nécessaire à l’ébauche d’un plan logique en intégrant les inquiétudes d’Adonis. Bien entendu, le jeune atlante ne comptait pas non plus sacrifier des enfants. Tout du moins, pas inutilement.

« On ne peut pas prévoir ce qui arrivera. Ce qui est certain c’est que nous éviterons de les exposer outre mesure. Mais en stratégie, on ne peut pas tout prévoir. Et la perte d’innocents est bien souvent le prix à payer pour assouvir une vengeance ou une ambition. A mon grand regret…»

Un instant fugace, l’image de sa sœur poignardée vint frapper son esprit. Le sang sur la robe immaculée, les cris des serviteurs, sa rage, le regard haineux et incrédule à la fois de son frère aîné… Il se passa la main sur le visage pour chasser ce fantôme. Une autre vie. Un chapitre à jamais écrit. Il fallait avancer.

Nessius se focalisa donc à nouveau sur l’entreprise dont il cherchait à accoucher avec son infortuné compagnon. Un plan ? Allons bon… Adonis avait l’énergie mais à priori pas l’esprit suffisamment aiguisé pour penser les rouages d’une tâche complexe. Une pointe de déception effleura l’âme du jeune homme sans qu’il en laisse paraître la moindre trace.

« Il faut leur donner une description et des consignes claires, des zones à surveiller, leurs lieux de vie habituel de préférence.. Qu’ils ouvrent les oreilles et les yeux et qu’ils viennent déposer toute information utile à une personne qui pourra te la transmettre. Il ne faut pas traiter avec eux directement ou alors en étant grimés comme au théâtre. Et éviter qu’ils se rencontrent les uns les autres. Cloisonner c’est la clé de tout. Car si l’un d’entre eux venait à se faire prendre, il ne faut pas que ton homme puisse remonter jusqu’à toi… »

Bien évidemment, les gamins des rues ne savaient pas écrire. L’idée qu’ils puissent déposer un message dans un lieu précis demandait donc quelques aménagements.

« Il te faudra donc un vieil aveugle pour jouer les intermédiaires. C’est lui qui recevra les informations et te les retransmettra. Quelqu’un qui ne puisse pas donner ta description. Et dans un lieu suffisamment fréquenté pour que l’anonymat te garantisse une protection. Voilà le plan»

Une stratégie qui semblait tenir la route selon Nessius. Tout du moins, pouvait-elle potentiellement répondre à la problématique posée.

Le doute ne doit pas être permis dans ce genre d'opération et à l'évocation de cette ébauche de plan quelque chose ne convenait pas... trop d'intermédiaires, trop d'incertitudes, trop de risques...
Je le laisse terminer l'évocation de son plan avant de reprendre la parole avec candeur.

Je ne peux satisfaire à ma soif de vengeance que si j'ai l'assurance qu'aucun innocent ne souffre à ma place. Comme je te l'ai dis, je ne supporterais pas d'avoir le sang d'enfants innocents sur les mains. Je mourrais d'avoir à vivre avec cela sur la conscience.
A la rigueur un adulte... ça me pose moins de problème car il est capable d'être conscient du risque qu'il prend, eux c'est autre chose, je n'exploiterais pas leur naïveté à des fins personnelles.
Un plan comme celui-ci est astucieux, je le reconnais, c'est une organisation de longue haleine pour établir un réseau, or je n'ai pas besoin de cela. Il suffit de savoir si il y a un de ces gars en ce moment en ville. Si oui, je le file jusqu’à ce qu'il trahisse l'emplacement de leur planque.
Ensuite, j'entre et je tue le chef. Sans sa tête l'hydre s'effondre.

Le cerveau en ébullition par l'alcool les idées commencent à germer dans mon esprit à un rythme effréné. Il faut savoir par moment parler dans le vide pour que l'ébauche d'une idée concrète voit le jour, et à ce titre Nessius m'est d'une aide précieuse.

Autre chose, si c'est une organisation bien implantée... ils cherchent forcément de nouvelles recrues ! Il nous suffit donc d'apprendre comment... Je m'engage et les infiltre. J'observe le fonctionnement... et lorsque le moment propice survient, je leur saute à la gorge ! C'est risqué, mais je suis le seul à prendre le risque.
Maintenant reste à savoir comment ils font leur recrutement, je doute qu'ils n'engagent que des profils qu'ils aient préalablement repéré, ceci demanderait un réseau d'une ampleur phénoménale... je n'y crois pas, ce ne sont que des pirates. Non ils le font plus vraisemblablement dans les ports qu'ils accostent selon les besoins du moment. Et là j'ai une carte à jouer.

La diarrhée verbale continue... les idées sont déposées sur la table à mesure qu'elles apparaissent en flash dans mon esprit... sans retenue ni filtre tout file à travers ma bouche, impossible d'arrêter le flot...

Sinon, quand on est un pirate et que l'on s'attaque essentiellement à des navires marchands... on se fait de nombreux ennemis n'est-ce pas ? Donc il y a fort à parier que je ne suis pas le seul à les chercher.
Alors sûrement que des guildes puissantes ou même l'autorité suprême sont à leurs trousses...
Et si tout simplement, j'allais dans ce sens ? Il y a là une autre piste non-exploitée et qui ne met en péril aucune vie innocente ! D'autant que si je peux me faire payer pour établir ma vengeance... et je ne dirais pas non !
Qu'en penses-tu ?

Une gorgée de vin, une de plus qui coupe quelques secondes le débit de parole à défaut du débit de boisson, mais mes yeux cachés derrière le gobelet trahissent un esprit en pleine effervescence et annoncent une suite aux propos.
Mon cerveau désordonné se noie dans une brume de plus en plus épaisse à mesure que l'alcool gorge ce corps juvénile.

Sans attendre une seconde de plus que nécessaire, je reprends :

La capitainerie ! Il faut y penser mais... réfléchissons 2secondes... dans chaque port il y a une capitainerie, et eux savent parfaitement qui s'amarre dans le port. Ces pirates leur graissent sûrement la patte mais y a moyen d'obtenir des informations, certains sont intègres, et ce sont eux que je dois viser.
Ils ne gravitent pas qu'autour des tavernes, même si, je te l'accorde, les marins y passent beaucoup de leur temps libre...

Le sourire aux lèvres je regarde Nessius, fier de lui prouver que je peux avoir des idées... pas si sottes !
Comme quoi... parler peut avoir du bon de temps en temps...

« Tu sembles présager de ce genre d’organisation… Ne sais-tu pas que lorsque l’on coupe la tête d’une hydre, deux repoussent ?»

Adonis était bien naïf s’il espérait pouvoir faire tomber toute une organisation seul, juste en atteignant son chef. Néanmoins, il avait raison sur un point. Ce serait un plan qui demanderait du temps et ne serait pas sans risque pour des gamins qui ne chercheraient rien d’autre qu’un peu d’excitation et d’aventure dans une vie miséreuse et seraient donc tentés d’en faire trop, quitte à prendre des risques inutiles. S’il ne voulait effectivement pas avoir de sang sur les mains autre que celui de ses ennemis, il fallait donc changer d’angle d’attaque.

L’idée que le jeune éphèbe avança n’était pas dénuée d’intérêt. Pour autant, en bon esprit retord qu’il était, Nessius ne put s’empêcher de pointer les failles et les errances que l’engouement naturel d’Adonis, l’alcool aidant sûrement, semblait ignorer.

« Ce genre d’organisation, même bien implantée, n’a peut-être pas pignon sur rue, je pense. Et puis, s’ils recrutent, je ne pense pas que cela soit en abordant le premier venu et en lui ouvrant grand les portes du cénacle, tu ne crois pas ? Il doit y avoir des rites de passage pour prouver sa loyauté ou quelque chose dans ce genre. Et à mon avis, cela amène à s’en prendre à des innocents d’une manière ou d’une autre. En cherchant à les infiltrer, ne crains-tu pas de devenir exactement ce que tu souhaites combattre ?»

Il reprit une gorgée de vin e fit tourner la coupe entre ses paumes. La seconde option lui sembla beaucoup plus intéressante et raisonnable.

« Oui, peut-être que pris sous cet angle… Les guildes commerçantes ont tout à gagner à se débarrasser de tels hommes qui nuisent au commerce aussi bien en mer que sur la terre ferme. Puisqu’ils revendent forcément leurs marchandises en dehors des circuits commerciaux classiques. Mais il faudra se présenter autrement qu’en tant que simple pêcheur pour que l’on te donne des informations et que l’on daigne te payer pour cela si tu veux mon avis…»

La capitainerie ? Pourquoi pas. Mais ce n’était pas forcément la solution la plus miraculeuse. Les pirates abordaient rarement dans les ports officiels afin d’éviter justement tout soucis avec les autorités locales.

« Je pense plutôt qu’ils ont une base arrière sur une île au large des côtes pour éviter d’avoir à rendre des comptes. Néanmoins, ils ont forcément un rayon d’action autour de cette dernière… Les capitaineries pourraient te renseigner sur les navires ayant été attaqués. Leurs itinéraires. Tu pourrais questionner aussi les équipages qui auront survécu. Enfin, s’il y en a… Si tu les localise, tu pourras agir. Même si je maintiens qu’y aller seul relève du suicide. D’autres pourraient se salir les mains et accomplir ta vengeance à ta place…»

Eviter de se retrouver au cœur de l’action et laisser d’autres œuvrer à ses propres desseins. La marque de fabrique familiale des Céléno Merinita. Pour cela, Nessius avait été à bonne école.

Retoqué par les arguments justifiés de Nessius un léger froid s'installe quelques secondes, cette conversation n’est pas désagréable, bien au contraire ! Elle éveille au fond ce qu'un esprit calculateur et avisé cherche à anticiper comme faille lors de l'ébauche d'un plan d'action. Certes je ne suis pas habitué à ce genre d'exercice contrairement à mon contradicteur, mais le jeu pique suffisamment l'intérêt pour en oublier l'envie de lui vider les poches...

Je t'arrête tout de suite, il est hors de question que quelqu'un d'autre que moi ne tranche la gorge de ce maudit pirate. Il est à moi et à moi seul !

Une lueur de rage mêlée de haine dans le regard, je m'emporte vite tant mon sang ne fait qu'un tour à l'évocation de ce fils de catin.

Je n'ai pas été tout à fait honnête avec toi, je ne suis pas plus pêcheur que toi, je suis... comment dire... un garçon qui cherche simplement à étancher sans soif de vengeance... je ne vis que pour ça depuis mes 12ans...

Prenant une longue inspiration avant de reprendre...

Un soir j'étais sur le pont du navire de mon capitaine de l'époque, Persakis, un homme d'une quarantaine d'années, un marchand qui s'était épris de moi après m'avoir découvert dans les cales... plutôt que de me débarquer au premier port venu il me pris sous son aile et se chargea de mon éducation... Bref, donc ce soir-là nous discutions de choses et d'autres lorsque l'on nous signala un navire en approche, aucun pavillon en vue, cela semblait bizarre...
Il a alors réagis comme il pouvait et a manœuvré en urgence pour l'éviter car ces salauds nous fonçaient droit dessus ! Pour nous éperonner sans doute, et ce faisant nous avons prêté le flanc à un abordage dans les règles de l'art. Nous n'avons rien pu faire... tout est allé tellement vite...

Je me ressers un autre verre et l'avale sans lui laissé une chance d'échapper à ce gosier avide de vinasse, l'alcool à cette vertu qu'à forte dose on s'oublie, et l'on oublie le temps de quelques heures ses cauchemars... Mais il faut bien admettre que ce moyen n'est pas très efficient, car la descente est toujours synonyme de remontée... celle des souvenirs...

Ils ont débarqué en nombre sur le pont, tranchant les chairs dans des rires démoniaques... la satisfaction du massacre se lisait dans leurs yeux, il y a quelque chose d'inhumain dans ces actes, la barbarie humaine dans sa plus criante expression...
Les derniers marins après s'être rendus ont été massacrés comme des porcs. Et moi ? Beh moi on m'a offert l'opportunité d'assister à ça... j'étais le trophée du capitaine en plus de l'or et des biens au fond des cales. Sauf que contrairement au matériel, moi on m'a souillé, et on m'a jeté par dessus bord comme on jette une pomme pourrie. J'ai survécu grâce à Dieu, j'ai senti sa chaleur m'entourer, sa main divine sur mon front avant de perdre connaissance...

Je débite mes paroles sans plus d'émotion, l'esprit hagard... tel un homme égaré depuis trop longtemps se parlant à lui-même pour ne pas sombrer totalement dans la folie.
Puis relevant la tête, les joues rougies je plonge mon regard dans celui de Nessius, les yeux humides par la colère :

Ce n'était pas très loin d'ici, à quelques milles au Nord... nous venions justement de quitter ce port.

Mais depuis, plus rien ! Pourtant j'ai pillé de très nombreux navires pirates, à moi seul ! Je n'en n'ai peut-être pas l'air, mais je suis très fort quand je m'abandonne à la rage. Aucun homme n'a su me résister jusqu'à présent, j'ai déjà arraché une tête à main nue, transpercé le corps d'un autre avec mes doigts, quand je frappe je tue à coup sûr. Et ils ne feront pas exception.
Tu comprends maintenant pourquoi tout cela m'est très personnel ? Et que je ne laisserai personne exécuter ces hommes à ma place ? Dussé-je en mourir mais je ne le permettrais pas.
Et c'est aussi la raison pour laquelle je n’emploierai pas de môme.

Après m'être offert à la confidence une fatigue née sur mon visage... les épaules basses... le front plissé comme si 20ans venaient de s'écouler.
Cette charge émotionnelle incontrôlable est difficile à porter, surtout lorsque l'on est autant à fleur de peau. Se livrer c'est partager un peu de son fardeau, le voulait-il ? Rien n'est moins sûr, mais il a des réponses, et peut-être comprendra t-il à quel point il est important que je fasse mon chemin de croix... seul.
Une âme à besoin de s'éprouver pour grandir, et même si les épreuves sont parfois trop lourdes pour l'esprit et/ou le corps, l'important est la façon dont on les surmonte. Se relever, encore et encore tant pis, telle est peut-être notre destinée. Qu'en savons-nous ? Rien, absolument rien, le choix des Dieux n'est pas de notre ressort à nous autres mortels.
Nous le savons tout deux car lui aussi a traversé de lourdes épreuves... nous sommes fait du même bois.

J'irai voir la guilde des marchands d'Ostie... je doute qu'ils aient plus de réponses qu'ailleurs mais la réflexion est bonne. Car si ils ont un repère sur une côte ou une île alors je suis persuadé qu'il n'est pas par ici. Cela fait trop longtemps que je sillonne cette mer sans en avoir vu.
Je songe davantage à la mer Égée et la mer de Marmara.

Après tout j'en ai déjà coursé un dans les rues de Constantinople...

« Pas la peine de t’exciter… J’avais bien saisi qu’il y avait une dimension intime… Tu te comportes comme un prétendant éconduit…»

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la chose lui tenait à cœur. Mais après tout, Nessius connaissait parfaitement ce sentiment. N’était-ce pas cette même pulsion qui l’avait poussé à attenter à la vie de son frère et qui l’avait mené sur la route de l’exil ?

Pour autant, voir un autre se déverser sur son passé, aussi instructif soit-il, lui donnait une profonde nausée. Echafauder des stratégies avait quelque chose de distrayant. Devenir le temple des pleurs et des jérémiades, beaucoup moins. Si Adonis comptait sur une quelconque forme d’empathie de la part de Nessius, alors il était décidemment bien mal tombé.

Néanmoins, quelque chose dans son récit attira l’attention de l’exilé atlante. Sa rencontre avec une aura divine d’abord. Sa force surhumaine ensuite. Soit ce garçon se vantait et fabulait, soit une puissance divine quelconque avait jeté son dévolu sur l’éphèbe. Nessius savait que les marinas, les gardiens sacrés de Poséidon possédaient des pouvoirs dépassant l’entendement. Mais ce dernier donnerait-il sa bénédiction à un surfacien ? Qui plus es un gamin des rues… C’était peu probable. Il y avait plus de chance que ces faits, s’ils étaient avérés, soient l’œuvre d’une autre divinité.

Bien qu’exilé, Nessius vénérait toujours le dieu des océans. Et bien qu’il ait acquis la certitude que ce soit les serviteurs du dieu des arts qui avaient volé à son secours, il n’en restait pas moins un fils d’Atlantis. Aussi prit-il une posture plus neutre que celle qu’il avait pu avoir précédemment. Néanmoins, il était curieux de vérifier ses dires.

« Donc tu es doté d’une force surhumaine ? J’imagine que l’alcool te monte à la tête… Je suis un pragmatique. Je ne crois ce que je vois. Peut-être pourrais-tu m’en faire une démonstration ?»

Une façon d’en avoir le cœur net. S’il se dégonflait, c’était qu’il bluffait assurément. Le jeune homme décida de ne pas épiloguer et de se concentrer sur la proposition de son vis-à-vis.

« S’ils se trouvent dans la Mer Egée, ce ne sont pas les îles qui manquent. Tu risques d’en avoir pour un moment à les retrouver. A moins d’embarquer à nouveau sur des navires marchands et d’espérer recroiser leur chemin…»

Nessius finit son verre et décida que la discussion n’avait pas lieu de se poursuivre outre mesure. Il ne pourrait pas se rendre plus utile. Néanmoins, il espérait savoir qui pouvait bien avoir béni l’homme qui se trouvait en face de lui.

« Ma question va te paraître sans doute décalée par rapport au reste de notre discussion mais serais-tu chrétien par hasard ?»

Un lourd silence surplomba notre conversation quelques secondes à l'évocation du "prétendant éconduit". Les traits gamin d'impertinence et d’ingénuité transitèrent par un revers d'une froideur palpable aussi nette que brutale en un visage fermé.
Le grommèlement d'un égo affecté gronda avec sonorité au fond d'une gorge nouée. C'est alors que ma main vint tout doucement caresser les bords supérieurs du gobelet de terre cuite avant de le saisir pleinement dans ma paume. Ruminant cette dernière réplique un incontrôlable soubresaut de mon Onde jaillit. Une première fissure apparue sur le verre, puis une deuxième, puis une troisième et enfin ce dernier éclata tombant en minuscules morceaux sur le plancher sale de la taverne.
Mon regard devint glacial et le timbre de ma voix d'un grave profond...

Oui, je le tuerai de mes mains aussi facilement que je brise ce verre, et si tu cherches d'autres preuves de ma force sache que je ne t'en donnerais qu'à contrecœur... . Je ne suis pas là pour ça, et je ne souhaite pas te blesser... voire pire. Évite donc de me mettre en colère, c'est un conseil... pour toi, comme pour toutes celles et ceux qui sont ici autours de nous...

Un moyen de mettre suffisamment de pression et de distance avec mon interlocuteur pour qu'il se défile ou tout du moins qu'il ne cherche pas davantage à me pousser dans mes retranchements.
Je ne contrôle pas mon Onde, mais je la sens, je sens cette force brute tout au fond de moi qui n'aspire qu'à faire surface, et parfois, s'échappent involontairement quelques bribes légères que seules de rares âmes savent percevoir.

Voyant Nessius avaler son verre d'une façon sans équivoque quant à sa velléité de clore la discussion je rajoute sobrement :

J'ai toute ma vie pour les retrouver, et je possède une embarcation de fortune forte utile, petite et fragile certes, mais discrète.

Avant d'ajouter :
Je tiens quand même à te remercier pour cette discussion, ce fut instructif. Et grâce à cela j'ai une idée plus précise sur deux points : 'comment' et 'où' chercher...
Penses-tu qu'il soit possible de te rendre la pareille ? ...
Sans te tuer !

Et je ris à cette dernière phrase, sous couvert de la boutade j'appuyais la mise en garde car un combat ne servirait qu'à semer peur et destruction dans une ville qui s'en passerait volontiers. Et me conduirait inévitablement à fuir ces lieux que j'apprécie.

Effectivement sa question est totalement décalée de notre discussion mais soit...
Croire ou ne pas croire ? A l'instar de cette population qui n'a, ici, d'autre choix que de gober la soupe de bondieuserie que l'on sert à profusion dans cet empire, la question très justement posée par Nessius est : Qui croire ? Car dès lors que l'on arpente le monde à la rencontre de d'autres civilisations et que l'on découvre d'autres coutumes ou d'autres mœurs, force est de constater que nous sommes tous égo devant notre ignorance. Nous pensons tous détenir la vérité car autrement comment justifier toutes les horreurs commises au nom de la foi ? "Des" fois ! Toutes ont et auront leur lot d'horreurs. Alors non je ne suis pas chrétien, je suis juste une âme en détresse qui tente comme elle peut de frayer son chemin à travers la finitude...

Sans une once de peur des hérésies que je m'apprête à dévoiler je parle distinctement, les yeux versés dans ceux du vagabond décidément très curieux :

Je réponds d'abord à ta question par une anecdote ensuite j'y viens.
Un jour, alors que je me rendais à ma taverne préférée, un homme m’agrippa par le bras et, croyant qu'il allait me quémander de l'argent il me dit en rigolant : "dans chaque église il y a toujours quelque chose qui cloche !" Pas mal n'est-ce pas ?!
C'était un clochard que la pauvreté avait fini par rendre fou... et il dansait dans la rue au son des cloches de l'église. Comme quoi il y a parfois du génie là où on ne l'attend pas.
Autrement je dirais que cette nuit là un miracle s'est produit, et je suis convaincu de l'intervention d'une main divine... Mais de là à savoir sa provenance... je n'en sais rien.
Il faut être très "humain" pour affirmer avec certitude que sa croyance est la bonne. Il n'est, par nature, pas donné aux simples mortels que nous sommes la chance de comprendre la volonté divine, ni de la voir ni de l'entendre sinon en sombrant dans la démence... un peu comme cet homme que je t'ai cité. Je ne suis pas si sot, je sais bien que tout cela m'échappe alors j'essaie d'abord de croire en moi avant de croire en ce que je ne sais pas.
Et pour toi qu'en est-il ?

«Qui te parle de blesser qui que ce soit ? Ou de faire la démonstration dès maintenant ? Non, je préfère y assister un jour où la sobriété sera de mise dans un lieux à l’abri des regards»

Il demeurait imperturbable. Malgré l’alcool qui montait à la tête de son vis-à-vis, malgré les menaces à peine voilées. Le fait était qu’Adonis ne semblait pas vraiment être le type de personne à contrôler ses émotions. Les dieux avaient-ils vraiment mis une étincelle de leur puissance dans une telle personne ? Certains étaient sans doute plutôt friands de ce genre de comportement à vrai dire. Nessius songea immédiatement à Arès tel qu’il pouvait être décrit dans les légendes.

Le jeune homme avait fait de sa vengeance sa quête. C’était à la fois admirable mais aussi particulièrement destructeur.

«Et que feras-tu si tu n’y arrives pas ? Ou si, au contraire, tu y parviens ? Quel sens donneras-tu à ta vie ensuite ? C’est bien beau de courir après sa revanche, mais si jamais tu l’assouvis et que tu n’as pas d’objectif derrière, tu risques de te retrouver fort désœuvré. Et avec une puissance comme celle que tu prétends posséder, c’est bien dangereux…»

Un constat théorique particulièrement cinglant. Une vérité pas forcément agréable à entendre. Car sans objectifs, ne risquait-on pas de se laisser aller et de sombrer comme un navire sans gouvernail ? Probablement. Sauf s’il trouvait un capitaine pour en tenir le manche.

Lorsqu’il lui demanda comment il pourrait lui rendre la pareille, Nessius écarta cette possibilité d’un revers de main.

«Malheureusement, je crains que cela ne soit pas possible. Mais ne t’inquiète pas. Si le Destin le veut nous nous recroiserons. Et peut-être auras-tu alors l’occasion de me renvoyer la politesse… Quelque soit le dieu qui t’es venu en aide, peut-être jugera-t-il bon de se refaire croiser nos chemins…»

Une façon de répondre à sa question tout en l’éludant. Un art rhétorique que Nessius appréciait tout particulièrement. Une pirouette aussi bien verbale qu’intellectuelle pour un esprit affuté.

Bien tu es prudent, c'est une vertu que je ne possède pas !

Et j'éclatai de rire si fort que de nombreux visages se tournèrent dans notre direction.
Le coup de pression a fonctionné et lui a passé l'envie de me tester, en voilà un qui se souviendra de sa halte à Ostie.
Son regard impénétrable n'offre qu'une seule certitude, c'est un calculateur de sang-froid. Je lui ai livré beaucoup d'informations sans contrepartie, Endymion m'a pourtant largement prévenu qu'il fallait faire attention, que ce monde recèle de nombreux dangers et de personnes viles... bien que je ne crois pas Nessius être quelqu'un de mauvais. Il dégage une aura puissante mais non-agressive...
Je ferai mieux de taire cette rencontre au Capitaine... de toute façon le monde est vaste et je doute que nous nous revoyons un jour...
Peut-être mourra-t-il au détour d'une ruelle demain...
ou bien ce sera moi. Qu'importe il vient de m'offrir une leçon que je me dois de retenir : apprendre à se taire avec les inconnus !

Si je n'y arrive pas ? Je continuerai encore et encore, sans relâche ! Car tout cela m’obsède, c'est en moi et je ne peux m'en défaire que de deux façons : tuer ou être tuer.
Et quand de l'un ou de l'autre sera arrivé alors je ferais ce que la vie me dictera de faire, peut-être pécheur pourquoi pas ?

Toute l'ironie de cette dernière phrase se traduit en un délicieux clin d’œil sans équivoque sur ma volonté de dénuder mon contradicteur.

Je vivrais peut-être du vice et de la luxure, ou je rentrerais dans les ordres... je serais paysan ou bien marchand... mendiant ou bourgeois, qu'importe car je goûterai la vie avec la même saveur. Celle de celui qui a réparer une injustice.
Tu vois je ne me tracasse pas pour "l'après" et tu devrais peut-être en faire autant... de temps en temps.

Nessius manque de vivre avec davantage d'insouciance et de candeur et c'est d'autant plus criant que son caractère est bien plus tempéré que le mien. A trop vouloir organiser, diriger, calculer sa vie il passe à côté de l'essentiel.

Encore une fois tu es tel une anguille, tu ne te laisses pas attraper pour deux sous. J'imagine qu'il est inutile d'insister et que tu ne me répondras pas. Telle est ta nature, tu fuis la sincérité des rapports humains pour mieux te complaire dans l'ombre. Je te plains, car ton cœur est aussi lourd que le mien mais ton fardeau... tu le portes seul.
Tant pis, je t'aurais bien tendu la main si seulement tu en voulais mais je ne compte pas me faire mordre par le chien qui a force d'être battu par son maître ne distingue plus la bienveillance de la malveillance.

Je me lève les yeux rougeoyants de peine... Retombe lourdement sur la chaise après une vague alcoolisée montant au cerveau sous le poids de l'effort, puis me relève une seconde fois.
Les poings faisant office de support sur la table.

Nous aurions pu faire un bout de route ensemble, parcourir un peu de ce vaste monde, être ami... Dieu en a décidé autrement. Ainsi soit-il, je te souhaite un bon voyage fier vagabond, que ta route soit longue et sans encombre.

Je me retourne et avance vers le tenancier et lui laisse un très généreux pourboire de cinq pièces d'or.

Pour votre service.

Sans attendre davantage je sors et pars marcher dans la fraîcheur de la nuit, continuer ma nuit sur la plage proche du port d'Ostie.

Re: [juillet 552] Une soirée à Ostie (Nessius, Andonis)

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