[Début mai 553] Au chevet de la gardienne du Pilier Central [Nessie]

Ypomena Toreador Arkantea, fidèle à son nom, était une femme patiente. Elle avait, dans sa jeunesse, intégré les leçons qui faisaient d'une héritière noble une bonne épouse, une femme cultivée, et une représentante du beau milieu aristocrate. Pendant son adolescence, elle avait attendu qu'un prétendant digne et bon parti se présentât à elle pour réussir un beau mariage et perpétrer sereinement la branche principale des Toreador Akantea. Caladrius avait su donner un sens particulièrement savoureux à cette attente, avant de finir par conquérir un cœur qui avait semblé de prime abord inaccessible. Pendant sa maternité, Ypomena avait enduré les blessures et son mari et les désagréments de toute grossesse. Toujours sans hausser la voix ni désespérer dans les moments difficiles. Pendant qu'elle élevait sa fille unique, elle avait patiemment lié les rares excentricités de celle-ci et de son père pour former une famille unie et heureuse. Malgré l'inattendue rébellion survenue dans le sillage des Merinita que Calypso avait adoptés.

Et maintenant que l'Argentée était adulte, Ypomena faisait preuve d'un sang-froid et d'un calme qui forçait l'admiration de son entourage, comme lorsqu'elle vit le capitaine du Naga franchir les portes de son manoir, portant sa précieuse progéniture dans les bras, dans un état plutôt lamentable.

Dans un premier temps, la maisonnée avait cédé à l'angoisse : les fruits de la marche des soldats dans tout le quartier, les bâtiments qu'on entendait s'effondrer, le sol s'ouvrir, les ricanements d'une entité maléfique bien que ses mots exacts n'aient jamais porté jusqu'à la demeure. Ypomena, pourtant, avait ordonné de fermer les fenêtres, de se réunir dans la pièce la plus propice à se cacher ou résister aux chocs extérieurs, puis prié en silence. Patiemment. Mais revoir les deux jeunes gens avaient réussi à lui tirer des larmes de soulagement, et une fois sa fille enterrée sous les couvertures, elle avait chaleureusement remercié Nessius. L'avait bien entendu laissé entrer lorsqu'il était revenu les fois suivantes prendre des nouvelles et passer du temps à la regarder dormir. Tout Merinita qu'il était, il aurait pu passer son chemin. Il avait, en tant que Marina, sans doute beaucoup d'autres choses à faire et de gens à rassurer.

"Donc, si j'ai bien compris il y avait des traîtres depuis des années, et personne n'a rien vu ? Et c'est vous, les Marinas et les autres Éveillés, qui avez fini par vaincre le chef de l'opération ? Quelle histoire... mais au moins Atlantis tient toujours debout. Et donc maintenant, vous encadrez le retour à la normale ? Est-ce que nous pouvons vous aider avec nos modestes moyens ? Nous pouvons continuer à financer le soutien aux pauvres des Atlantiques le temps que la nourriture afflue de nouveau bien sûr..."

Il avait fait le nécessaire au plus tôt. A peine quitté les affres du combat et les nouvelles directives du Seigneur Poséidon, Nessius s’était dirigé vers la demeure des Toreador Arkantea d’un pas décidé mais suffisamment souple pour éviter de balloter Calypso qu’il tenait dans ses bras. Son Onde les entourait tout deux si bien que les survivants du Pilier Central les voyaient passer d’un regard éberlué. Il n’était pas si courant de voir un membre de l’Amirauté faire démonstration de ses pouvoirs en publique.

Quand il arriva aux portes de la maison, il s’était attendu à trouver Philomaque, fidèle au poste. Mais l’entrée comme les couloirs étaient vides. Nessius en déduit qu’Ypomena avait dû réunir ses gens dans une pièce pour les protéger. Une pièce ne donnant pas sur les devants de la maison pour s’éloigner tant que faire se peut des combats.

Il n’eut pas longtemps à chercher. Il se contenta d’appeler d’une voix forte et intelligible.

« Dame Ypomena ! Je vous ramène Caly ! Elle a besoin de soins. Et de repos…»

A ces mots, la demeure s’agita comme une de ses fourmilières qu’il avait pu observer à la surface. En un éclair, on fit chauffer de l’eau, Calypso fut délestée de son armure et allongée dans son lit. Le Naga resta quelques heures, le temps de s’assurer que la lieutenante était stabilisée, puis il prit congé.

Il ne voulait pas se montrer trop intrusif et avait lui-même quelques obligations. Il repassa chaque jour, veillant sur elle à plusieurs reprises de longues heures pour laisser le temps à la maîtresse de maison d’avoir un peu de répit. Il regardait sa bien-aimée dormir du sommeil du juste. Au moins était-elle en vie.

Ce combat leur avait coûté cher. Outre les dégâts matériels et physiques, Nessius venait d’être relevé de ses fonctions de Quaesitor. Une manière poli pour le Primus de lui signifier qu’il n’avait pas suivi les directives données en prenant parti. Le Naga n’avait même pas cherché à se justifier. Il avait compris que quoi qu’il dise, rien ne ferait changer l’homme d’avis. Seraient-ils amenés à disparaître sous le régime des Consuls ? Quoi qu’il en soit, il se retrouvait privé d’une de ses charges. Mais la reconstruction lui donnerait sans doute bien d’autres opportunités.

Alors qu’il tenait la main de Calypso toujours endormit, Ypomena se glissa dans la chambre et s’assit à ses côtés. Elle rompit le silence pour le questionner sur les événements, chose qu’elle n’avait fait depuis qu’il lui avait ramené les Hyades. Elle avait besoin de réponses. Ce qu’elle méritait sans aucun doute.

« Votre fille a affronté un sbire d’Okheanos, un dieu mineur qui se trouvait à son service. Heureusement, nous y avons survécu. On ne peut pas en dire autant des Lyumnades. J’ai bien essayé de le poursuivre mais il s’est enfui…. »

Il était clair que tout ceci n’était que la première bataille d’une guerre. Mais il convenait désormais d’amener le conflit en dehors des murs de la Cité. N’était-ce pas le nouveau rôle d’Arhan ?

« Cela faisait huit ans que nous étions infiltrés, oui… Ils ont profité de nos divisions et de nos rivalités. Poséidon a donc nommé trois Consuls pour diriger Atlantis : Endymion O’Bannon pour les affaires extérieures, Dardanos Bjornaer pour la sécurité intérieure et Arhan Sefirot pour les affaires militaires…. Mais nous aurons effectivement besoin de toutes les âmes charitables pour rebâtir. Vous pourriez, par exemple, vous présenter au Sénat ? Vous êtes avisée et tempérée. Exactement ce dont la Cité a besoin en cette période troublée…»

Un air peiné qu'elle ne tentait pas de dissimuler passa sur les traits de la matriarche. La perspective que la chair de sa chair se blesse en combattant les ennemis d'Atlantis l'avait toujours terrifiée. Mais elles avaient passé un pacte, incluant également Caladrius, et celui-ci était à leurs yeux sacrés, tout comme leurs serments. Alors elle devait se contenter de prier, de soutenir et de soigner Calypso de son mieux.

Pendant le silence méditatif qui avait suivi les explications du Naga, on frappa doucement à la porte, puis avec l'adresse née de l'habitude, Lorelei entra, un plateau garni en mains. Affichant un sourire large jusqu'aux oreilles, elle s'avança dans la pièce.

"Une petite collation ! J'ai du pain qui a fini de cuire il y a tout juste vingt minutes, des pommes, de la confiture de pommes, de la compote de pommes, du jus de pommes..."

Ypomena sourit. On ne pouvait pas se permettre d'être vraiment exigeant dans le contexte actuel d'Atlantis, mais au moins la servante avait-elle été créative en consacrant son énergie à la cuisine. Elle déposa son plateau vers une table de salon non loin de là, puis se dirigea vers la silhouette tranquille de Calypso, secouant très doucement son épaule. Elle se pencha vers son oreille, murmura quelque chose de possiblement assez persuasif pour que sa maîtresse grogne un peu avant d'ouvrir les yeux.

"... Hum ? Tiens Nessius... Tu es là depuis longtemps ?"

Elle balaya du regard ses visiteurs, avisa le plateau, puis la main du jeune homme qui tenait la sienne. Un moment sans doute. Mais il pouvait rester autant qu'il voulait après tout. Aidée de Lorelei, elle reprit sa main au Céléno Merinita pour pouvoir prendre appui et se redresser au moins en position semi-assise, plus confortable pour reprendre des forces sans tirer sur ses os encore fragiles.

Donc des pommes. Au moins, il savait dans quoi il pouvait tomber si jamais la cuisine ne lui convenait pas. Las, Lorelei avait beau être une cuisinière hors pair, Nessius ne se sentait pas vraiment d’humeur à une collation. Il n’aurait cependant pas craché sur un verre de vin si on le lui avait proposé. Mais le temps n’était pas à ce genre de considérations.

Le Naga se contenta donc de repousser poliment la proposition. Il espérait qu’Ypomena n’en prendrait pas ombrage même s’il savait la maîtresse de maison peu encline à la vexation. Lorsque la servante secoua Calypso, cette dernière émis un grognement qui ne manqua pas d’arracher un sourire amusé au capitaine de l’Indien. Cela voulait sans nul doute dire qu’elle allait mieux.

Elle se redressa, lâchant sa main pour se redresser. Lorsqu’elle lui demanda depuis combien de temps il était là, Nessius entreprit de lui répondre d’un air taquin.

« Suffisamment pour avoir compté les occurrences des motifs de tes draps… Trois fois… Et ça, c’est juste pour aujourd’hui…»

Il la regarda. Que ses grands yeux lui avaient manqué. Il était soulagé de la voir se remettre mais culpabilisait toujours de la tournure qu’avait prise ce combat et de son incapacité notoire à la protéger. Mais après tout, elle avait fait plus que résister. C’était sans doute à elle que l’on devait la défaite de Camazotz. Car elle était celle qui avait tenu tête et permis à Nessius de rejoindre la lutte en cours de route.

Il se garda bien de poser un simple baiser sur son front, ne voulant pas l’embarrasser outre mesure. Pourtant ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Avait-elle eu le temps de parler à sa mère de leur relation ? Probablement pas. Ce n’était pas à lui de le faire. Même si les mots lui brûlaient les lèvres. Seul son regard ophidien posé sur l’héritière Toreador Arkantea pouvait effectivement trahir quelque peu ses sentiments. Mais il se reprit quasi instantanément.

« Comment te sens-tu ? Je t’ai apporté quelques manuscrits que j’ai trouvés à l’Indien au cas où tu t’ennuierais… »

Devait-il préciser qu’il avait écumé la bibliothèque une partie de la matinée avec l’aide de l’archiviste pour trouver tout ce qui pouvait toucher à la dernière période consulaire qu’avait connu la Cité ? Cela aurait sans doute été déplacé. Mais au moins, sa belle aurait-elle de quoi s’user les yeux à défaut de pouvoir faire des folies de son corps.

Il se tourna vers Ypomena et lui sourit délicatement.

« Je suis fier d’avoir combattu aux côtés de votre fille, vous savez. Elle a lutté avec toute l’abnégation et la conviction que vous et Caladrius avez su lui transmettre. Ce sont les valeurs de votre famille. Je ne peux pas en dire autant de la mienne…»

Ses parents n’avaient-ils pas mystérieusement disparus dès les premiers combats, abandonnant leurs serviteurs ? Comment étaient-ils parvenus à fuir ? Et pour aller où ? Deux interrogations qui restaient en suspens…

Les occurrences de ses draps ? Calypso ouvrit grand les yeux d'étonnement. Elle savait qu'il viendrait la voir, qu'il était venu déjà très régulièrement, mais tout ce temps-là ? Poséidon n'avait-il pas donné des ordres à exécuter ? Ou bien elle avait perdu la notion du temps ? Et personne n'avait jugé bon de lui tenir compagnie ? Elle se tourna vers Lorelei qui haussa les épaules en souriant, puis vers sa mère, compréhensive.

"Nous avons essayé de lui proposer nourriture, boisson ou loisir, mais tu as là un jeune homme qui s'inquiétait bien trop pour toi."

Calypso rosit sur le coup, pendant que la maîtresse de maison s'adressait directement à Nessius :

"Quant à votre suggestion, je ne crois être la personne adéquate. Tout d'abord, je n'ai guère à cœur de m'impliquer dans la politique. Et je ne saurais comment la mener : j'ai vécu toute ma vie à Atlantis, tout au plus ai-je vu Alexandrie. Comment pourrais-je prétendre aider à gouverner une si vaste étendue ? Et j'ai déjà beaucoup de travail pour reprendre en main les affaires de feu mon mari et être présente pour ma chère fille. Nous sommes plutôt des témoins de l'Histoire que ses acteurs. Enfin, sauf Calypso."

Une pointe de fierté se leva dansa sa voix. Son enfant avait certes choisi une voix plutôt atypique, mais elle avait été reconnue par Poséidon et trouvait dans cette nouvelle condition force et courage. Bien assez pour qu'on la laisse voler par elle-même. Pour qu'on l'encourage même à aller plus haut, branche après branche.

"Les sceptiques sauront maintenant que quand j'affirme respecter mes serments, ce ne sont pas de vaines vantardises."

Et quand bien même ils nieraient, tant pis pour eux. Un doux sourire aux lèvres, la Marina vit Lorelei rapprocher lui tendre un quartier de pomme. Elle croqua dedans, puis envoya rapidement une vague d'Onde à l'intérieur de ses membres.

"Comme tu peux l'entendre, je n'ai plus de mal à respirer. J'ai pu ressouder la base de mes côtes et la douleur a diminué en conséquence. J'y mets tout mon pouvoir, alors je suis fatiguée en permanence, mais je serai bientôt sur pieds. Je pense même pouvoir me lever dès maintenant, en allant doucement. Mais si tu m'amènes de quoi nourrir mon esprit alors je n'ai plus de raison de bouger !"

Lorsque Ypomena adressa une boutade qui allait autant à sa fille qu’au jeune Naga, ce dernier se contenta d’un haussement d’épaule, les paumes levées, comme pour s’excuser de s’être montré trop envahissant.

A la réaction de Calypso, il eut peur d’avoir malgré lui, par son attention vis-à-vis des Hyades, éventé leur secret. Mais Dame Toreador Arkantea mère ne se montra pas plus insistante sur ce point et revint sur la proposition de Nessius. Les arguments qu’elle avançait parurent bien légers au jeune homme. Cependant, il n’entreprit pas d’essayer de la convaincre. On ne pouvait forcer quelqu’un à embrasser une telle carrière contre son gré.

« C’est regrettable mais je comprends néanmoins votre position. Mais je crois qu’il manque de personnes de bonne volonté, plus préoccupées par le bien-être de la Cité que par leurs intérêts personnels. Et vous-êtes de ceux-là, Dame Ypomena. Et je gage que renforcer la touche féminine du Sénat ne serait pas non plus un mal, voyez-vous…»

Il allait poursuivre lorsque les mots de Calypso l’interpelèrent. Devait-il prendre cette réflexion pour lui-même ? Lui qui avait essayé de la mettre dans un cocon par peur qu’elle soit blessée ou tuée ? Il la regarda d’une mine faussement offusquée.

« Je me suis déjà excusé à ce sujet, il me semble. Plus jamais je ne te prendrais pour une faible femme, je te le promets… Quant à tes serments, les seuls à penser que Calypso Toreador Arkantea ne saurait les tenir sont des fous… Ou des imbéciles… »

La vague d’Onde qui suivit sortit Nessius de ces considérations stratégiques. Effectivement, sa respiration semblait plus calme, plus régulière. Il avait pu constater cette amélioration progressive au fur et à mesure de ses visites. La laissant dévorer son quartier de pomme, le Naga lui reprit ensuite délicatement la main.

« Je gage que nous pourrons bientôt faire cet entraînement auquel tu tenais tant… Mais je pense que c’est encore trop juste pour le moment… Néanmoins, peut-être qu’une balade dans le jardin si tu t’en sens capable? Histoire que tu prennes un peu l’air ? Si Dame Ypomena n’y voit aucune objection bien évidemment…»

Nessius inclina légèrement la tête, fermant les yeux en direction de la maîtresse de maison. Il ne voulait pas se montrer plus insistant qu’il ne l’avait déjà été.

« Sinon, nous pouvons toujours nous pencher sur ces manuscrits… Une manière instructive de préparer l’avenir de la Cité, n’est-ce pas ?»

La jeune femme se rendit compte de sa phrase équivoque alors que le capitaine s'excusait. Une faute qu'elle voulut réparer bien vite.

"Oh ce n'est pas du tout à toi que je pensais, rassure-toi. J'avais plutôt en tête les membres du Conseil qui ont voulu soumettre l'Amirauté de force avec cette parodie d'équité. Je pense à Etrius qui a voulu faire plier notre foi alors qu'il est un traître. Je pense à Calum O'Bannon qui a sagement attendu qu'Endymion devienne un héros pour le reconnaître comme bâtard de son sang. Je pense à Dardanos Bjornaer qui a refusé une main tendue et désintéressée sans explication. Après-coup je peux comprendre la méfiance qu'il a eue à mon égard, mais cette façon qu'il a de rejeter la faute en bloc sur le dos d'Orphéus... m'irrite profondément. D'autant qu'Orphéus m'avait demandé d'essayer de sonder ses intentions, alors qu'il était encore l'unique rescapé de sa famille, rejeté par son Écaille une première fois, puis une seconde..."

Et dire qu'il était maintenant Consul... C'était sans doute grandement en partie dû à cette mystérieuse affaire ultra-secrète qu'il avait priorisée pendant l'attaque de Camazotz et ses sbires, mais malgré cela les Hyades ne lui trouvaient toujours aucun esprit d'équipe. Il allait être difficile de travailler avec.

"Il va falloir tous nous apprivoiser les uns et les autres maintenant."

Elle referma la parenthèse d'un soupir, puis accueillit la proposition du Naga avec un sourire.

"Tu serais d'accord pour lever la main sur moi maintenant ? N'as-tu pas juré du contraire, Nessius Céléno Merinita ?"

Dans un geste symbolique, elle frappa doucement son cœur, puis fit mine de cogner son poing sur celui du Naga. Bien sûr elle aimerait sans doute beaucoup s'entraîner avec lui, travailler leurs affinités tant au combat que dans leur relation. La taquinerie en faisait partie mais, comment allait-il gérer le poids des mots qu'il avait proférés dans ce cas ? Calypso était curieuse de le savoir.

"Évitez de vous blesser alors que vous vous remettez à peine tout de même... Je laisse Calypso libre de prendre les risques qu'elle juge nécessaires, mais rappelez-vous tout de même que chaque combat pour vous est une frayeur pour tous ceux qui vous aiment."

Et sur ses paroles pleines de bon sens, Ypomena de se lever et de saluer les deux jeunes gens d'un signe de tête.

"Je serai dans mon atelier si quelqu'un me cherche.
-D'accord. Si cela te convient Nessius, j'aimerais joindre l'utile à l'agréable : nous allons examiner ces documents dans le jardin ! Je te laisse partir devant pendant que Lorelei m'aide à me lever et m'habiller ?"

« Etrius ne paie rien pour attendre. Il a, à priori, profité de complicités pour s’échapper de la prison où le Conseil l’avait fait enfermer. Mais il faudra qu’il réponde de ses actes de trahison devant notre Seigneur. Quand à Dardanos Bjornaer… Je pense que les choses sont bien plus complexes et que, comme nous, il a été le jouet des divisions que les muens ont habilement attisées… Si Sa Majesté l’a désigné comme Consul c’est qu’il lui fait confiance. Et j’en ferais autant… »

Ce qui valait pour la Sirène Maléfique était aussi vrai pour Arhan. Mais cela, Nessius se garda bien de le verbaliser à haute et intelligible voix. Les ordres de Poséidon n’étaient pas discutables. Et il allait falloir composer avec ceux qu’il avait élus.

La réplique suivante de Calypso arracha en sourire provocateur au Naga. La lieutenante était joueuse. Et malheureusement, elle avait également une excellente mémoire.

« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, n’est-ce pas ? Et puis, je pense que c’est toi qui risque davantage me mettre une correction que l’inverse… J’ai vu de quoi tu es capable quand tu es déchaînée, je te rappelle. Mais peut-être as-tu simplement peu de m’affroter au corps à corps, Calypso Toreador Arkantea… »

Une allusion qui pouvait valoir autant pour le combat qu’ils avaient mené que pour la nuit mémorable qu’ils avaient passé ensemble. Il en avait presque oublié la présence d’Ypomena et de Lorelei. Se tournant alors vers la maîtresse de maison, il tenta de la rassurer.

« J’ai fait une promesse il y a plusieurs années, Dame Ypomena. Et je compte la respecter jusqu’à mon dernier souffle. Je ne peux pas empêcher votre fille de se battre. Mais, je peux au moins l’aider à devenir plus forte… »

Nessius se leva pour saluer Dame Toreador Arkantea mère lorsqu’elle quitta la pièce. Puis, acquiesçant d’un signe de tête à la proposition de sa dulcinée, il se saisit des manuscrits et lui emboîta le pas.

« Je vais donc de ce pas profiter du grand air et voir où comment vont les pommiers. Il ne faudrait pas que Lorelei soit à court de munitions pour ses œuvres culinaires…»

A ces mots, il sorti de la pièce et se dirigea vers le jardin.

Il était évident que les caractères des trois Consuls étaient aussi variés que leurs parcours, et qu'aucun ne saurait satisfaire aux attentes et aux sympathies de tous les autres. Une manœuvre habile de la part de Poséidon, dans laquelle c'étaient certainement eux trois les plus à plaindre : non seulement ils devaient se supporter, mais en plus leurs vies étaient liées désormais.

Très calmement, Calypso croisa les bras.

"Ce n'est pas exactement comme cela que les choses fonctionnent, et je suis sûre que tu le sais parfaitement. De la même manière qu'on n'est pas censé prononcer un serment à la légère, en rompre un nécessite de suivre également certaines règles. Tout du moins, si tu veux que ton entourage te prenne au sérieux et que les dieux voient en toi une personne fiable. Avant de nous entraîner ensemble, nous irons au sanctuaire du dieu Triton effectuer une libation. Tu expliqueras toi-même les raisons de ce retour en arrière, et s'Il te donne Sa bénédiction, alors tu pourras revenir sur ta parole."

Nessius était encore jeune et empressé, la divinité comprendrait sans doute. Au moins les choses seraient claires et faites dans les règles, lui épargnant peut-être de futurs désagréments. Le regard d'améthyste était intraitable sur ce point : elle refuserait tout net de se battre contre lui tant que ce rituel n'aurait pas été accompli. Et il pouvait bien la provoquer.

Une fois le Naga sorti, elle surprit une moue moqueuse sur le visage de sa servante et vira de nouveau au rouge.

"Dois-je préparer la salle de danse ? Aménager un espace qui n'aurait, en temps normal, rien à y faire ?
-C-Ce ne sera pas nécessaire !
-Vous allez beaucoup trop bien ensemble, cela crève les yeux.
-Tu penses que Mère se doute de quelque chose... ?
-J'en suis sûre."

La noble poussa un soupir de dépit. Heureusement que ce secret-là n'aurait pas de répercussions graves, car ils l'auraient tenu vraiment peu de temps.

Un moment plus tard, d'un pas lent et souple pour ménager son corps en plein rétablissement, Calypso aidée de Lorelei s'installa contre l'un des arbres qui ombrageaient le jardin des Toreador Arkantea. Nessius semblait avoir dévalisé la bibliothèque de l'Indien, et elle était prête à parier qu'il l'avait un peu fait sous le nez d'Arhan, pour l'énerver.
La servante congédiée, elle scruta un moment le Naga en silence, puis elle décida de mettre les pieds dans le plat sur un tout autre sujet :

"Dis Nessius... Pour l'autre fois... l'autre nuit... Je voulais te demander pardon... J'ai l'impression de t'avoir forcé la main, d'avoir négligé tes décisions. Sur le moment, je dois avouer que je n'y ai même pas pensé une seule seconde... J-Je... Je ne voudrais que tu penses que c'était... un moment d'égarement..."

Calypso s’était quelque peu empressée de jouer les dévotes. Une rigueur morale que Nessius savait lui reconnaître mais car elle nourrissait leur complémentarité. Pour autant, il n’était pas le genre à se laisser dicter une conduite, d’autant à partir d’une interprétation exagérée d’une parole qu’il avait prononcé lors d’un désaccord. Aussi le lui fit-il comprendre avant de quitter la pièce.

« Je t’ai dit qu’il était hors de question que je lève la main sur toi, ne serait-ce que dans le cadre d’une joute « amicale ». Je ne l’ai pas juré. Laisse donc les dieux vaquer à leurs occupations. Ils ont probablement davantage à se préoccuper que nos désaccords. Mais si tu veux une compagnie pour aller faire une libation à Triton, je serais heureux d’être celui que tu choisiras… »

Un clin d’œil malicieux vint appuyer les propos.

Lorsqu’elle le rejoints dans le jardin, il se contenta d’un sourire doux et tendre. Toute trace de malice avait disparu. Cependant, les propos de la jeune femme le ramenèrent immédiatement à la réalité. Elle semblait douter. Avait-elle peur ? Honte ? Regrettait-elle de s’être laissé aller ? Ses excuses glacèrent le sang du Naga comme s’il venait de se réveiller d’un doux rêve et se trouvait confronté à un quotidien froid et sans émotions. Il fallait mettre les choses au clair.

Prenant la main de Calypso, il chercha à comprendre avec un calme qui masquait mal le trouble qui venait de l’envahir.

« Pourquoi t’excuses-tu au juste ? Pour avoir eu du plaisir ? Pour m’avoir donné du plaisir ? Je ne suis jamais senti aussi complet et heureux que dans tes bras, Caly. Pour moi, ce n’était ni une pulsion, ni un égarement… Mon cœur t’appartient depuis le premier jour… Mais ça tu le sais déjà… »

Il prit un instant de réflexion et une profonde respiration pour maîtriser ce fichu cœur qui battait la chamade. Personne ne pouvait se vanter de lui faire cet effet-là. Excepté elle…

« J’aime parler avec toi, rie avec toi, être en désaccord avec toi, me réconcilier avec toi… J’aime quand ta manière de rougir à mes remarques déplacées. J’aime la force et la détermination qui te saisissent au cœur du combat… »

Là encore, il marqua une pause avant de reprendre.

« J’aimerais que tu me dises à quoi m’en tenir. Sommes-nous ensemble ? Que suis-je pour toi ? Un frère d’arme ? Un ami ? Un amant ? Un simple prétendant ?Ou juste un gamin que tu as dissuadé il y a des années de s’enivrer pour oublier la tristesse d’une réunion de famille ?»

Il planta son regard dans celui de la jeune femme. Il avait besoin de réponses.

Elle s'apprêtait à répondre mais aucun son ne franchit ses lèvres. Hors de question. Ne serait-ce que dans le cadre d'une joute amicale. Oui les mots, faisaient écho, et elle les avait assimilés à plus qu'ils n'étaient. Nessius avait tellement l'art de sortir les grands mots ou les plaisanteries dans des occasions qui ne s'y prêtaient pas selon elle qu'elle avait sans doute amalgamé les choses. Mais, si ça avait été le cas, il l'aurait écoutée, non ?

Il était temps de se secouer et d'arrêter le reprendre à tout va lui aussi...

Loin d'en avoir fini avec les quiproquos, elle se morigéna mentalement pour avoir posé cette question idiote. Voilà qu'il doutait... non, qu'il la faisait douter sur la base d'un manque de confiance retourné contre elle. Ah, quelle misère que d'être emmêlée dans tant de sentiments contradictoires ! A mesure qu'il parlait, elle se sentit rougir de nouveau, et surtout, avoir honte. Il fallait se calmer. Mettre des morts pour exprimer son ressenti, et vite.

"Non, je... Attends... Nessius !"

Désemparée, elle finit par plaquer une main sur sa bouche pour l'empêcher d'énoncer à haute voix des idées trop vite conçues.

"S'il te plaît, laisse-moi t'expliquer comment moi je vois les choses avant de... de tirer de fausses conclusions !"

Elle le relâcha et plongea dans son regard, l'envie de se serrer contre lui se disputant à celle d'aller se cacher le plus loin possible.

"Arrête de revenir en arrière, tu n'es pas le gamin d'alors, ni un simple prétendant, et tu le sais. Quand nous nous sommes disputés... puis que nous nous embrassés... et plus encore... j'ai cru que j'allais imploser. Trop d'émotions, trop de bouleversements d'un coup... C'était... C'était... Comment pourrais-je dire... ? Comme un immense barrage qui avait enfin cédé. Un besoin, un soulagement, un plaisir, tout à la fois ! Et j'ai aimé cela moi aussi ! Mais... j'ai besoin de retrouver mon cours normal... tu comprends ce que je veux dire ? Je veux... Je veux rester avec toi, Nessius. Cette partie-là n'est pas discutable, c'est clair dans mon esprit, c'est ce que je veux. Et en même temps j'ai peur qu'à trop vouloir m'investir je finisse par t'étouffer toi."

Via leurs mains enlacées, elle l'attira doucement vers elle, lui laissant tout le loisir de faire marche arrière cette fois.

"Si je t'ai posé cette question, c'est pour être certaine que nous envisageons la même chose. Que je ne t'écrase pas, et inversement. Je ne sais pas ce que nous sommes actuellement, d'un point de vue extérieur, mais je veux explorer cette voie-là. Avec toi. Si tu es d'accord. Est-ce que... Est-ce que cela répond à ta question ?"

Lorsque la main de Calypso se posa sur ses lèvres instantanément, l’ébullition qui animait l’esprit du Naga s’évanouit. Comme si une mer déchaînée devenait instantanément d’huile par le simple contact de la peau des Hyades.

Il l’écouta attentivement. Et la laissa finir la moindre de ses phrases pour être sûr d’avoir bien tout entendu. Et pour ne pas laisser de malentendu s’installer, il entreprit alors de reformuler ce qu’elle avait bien voulu lui livrer.

« Donc si je comprends bien ce que tu viens de me dire, à tes yeux, nous rentrons dans une relation amoureuse que tu souhaites durable et apaisée. Pas une passion destructrice comme ce qui a pu nous animer l’autre soir mais bien un lien intime, stable et que l’on cultive, c’est bien ça ? »

Il soutint le regard de la jeune femme de ses yeux ophidiens et lorsqu’elle l’attira vers elle, il se laissa porter par cette douce invitation silencieuse et ô combien rassurante. Il posa sa tête sur l’épaule de l’héritière des Toreador Arkantea, prenant soin de ne pas s’appuyer outre mesure sur une clavicule qui avait subi un déboitement quelques jours auparavant.

Puis, doucement, sa main toujours enlacée dans celle de son aimée, il lui donna à son tour sa vision.

« Caly… Je… Tu vas trouver peut-être ça déplacé ou arrogant, mais j’aimerai que l’on s’apprivoise. Réellement. Je ne veux pas juste d’une passade ou d’une histoire sans lendemain… Je suis peut-être exigeant, peut-être naïf, mais j’aimerai juste pouvoir voir des rides apparaître au coin de tes magnifiques yeux améthyste. Être à tes côtés dans cette nouvelle Cité. Il y a tant à bâtir. Aussi bien pour Atlantis que pour nous… Juste pouvoir me lover dans tes bras à la nuit tombée…»

Des mots simples mais forts comme le Naga en prononçait rarement. Après tout, peu de personnes pouvaient se targuer d’avoir réellement accès aux tréfonds de son âme et à son cœur. Mais comme toujours dans ces situations où il se sentait mis à nu, il s’en sortait par une nouvelle pirouette verbale.

« Comment voudrais-tu m’écraser avec ton poids plume ? Dois-je te rappeler que je t’ai porté jusqu’à ton lit ?»

Il feignait de ne pas comprendre mais il pensait qu’ils étaient réellement sur la même longueur d’onde. Il s’imaginait bien vieillir à ses côtés. Tout du moins si les conflits et le service de Poséidon leur en laissait l’opportunité.

« Tu sais… La proposition que je t’ai faite le jour de notre première rencontre est toujours valable si jamais…»

Il prononça la phrase d’un ton dont la légèreté cachait mal le sérieux et la sincérité.

Un franc étonnement traversa le visage de la Nymphe. Pendant un instant ses paupières battirent comme les ailes d'un papillon en vol. Il avait tout saisi du premier coup.

"Eh bien... oui, c'est cela. J'ai déjà dû te le dire, mais j'envie beaucoup ta capacité à pouvoir t'exprimer aussi facilement."

Elle sourit et s'appuya, elle de tout son poids, contre son torse pour pouvoir l'enlacer pleinement. Elle soupçonnait quelque part Lorelei d'afficher le même sourire mutin que dans sa chambre, invisible et discrète comme une mouche posée sur le coin d'un haut meuble. Tant pis ! Un soulagement puissant la traversa et elle comptait bien en profiter.

"Ce serait déplacé ou arrogant si c'était encore une fois la première fois, ou si tu savais que je n'éprouvais rien du tout. Mais ce que tu me demandes, à mes yeux, n'a rien d'irréalisable. Et même si j'ai sans doute très mal amené le sujet, je suis contente qu'on se le soit dit. Calmement, en y ayant réfléchi."

Les prémices d'un rire la secouèrent, rattrapés assez vite par la douleur cette fois.

"Si tu pouvais éviter de me faire rire pendant encore quelques temps par contre... Mes côtes..."

Et là, le souffla lui manqua. Pouvait-elle s'engager dans un mariage maintenant ? Après ce que venait de vivre la cité ? Après les deuils qui, bien que moins poignants, continuaient de lui serrer le cœur ?

"Si tu n'es pas contre une nouvelle promesse, j'ai peut-être quelque chose à te proposer. Je ne me sens pas prête à ce genre d'engagements. Comme Mère l'a dit nous avons encore des choses à régler concernant Père, et puis notre Divin Poséidon nous a donné pour mission de rétablir l'unité d'Atlantis et ainsi de suite... Cependant, nous pouvons nous promettre que, lorsque j'aurais remis de l'ordre dans ma vie et lorsque tu sauras me le redemander sans utiliser de plaisanterie détournée, nous nous le demanderons à nouveau. Je crois que les chrétiens ont un terme tout désigné pour cela, des "fiançailles". Qu'est-ce que tu en penses ?"

Incapable de se retenir plus longtemps, elle recula un peu la tête pour pouvoir de nouveau lui faire face. L'idée de lui voler un baiser la fit s'approcher un peu plus près, stoppée par celle de ne pas lui avoir demandé, encore, la permission.

"Mais je ne suis pas contre un peu de passion de temps en temps aussi. Puis-je ?"

Il esquissa un tendre sourire qu’il adressa à la jeune femme à la peau de nacre. Le compliment était touchant. Surtout pour qui savait à quel point Calypso devait lutter au quotidien contre sa réserve naturelle dans ses fonctions au sein de l’Amirauté. Il lui caressa doucement la joue.

« Au moins les leçons de rhétorique et d’art oratoire de cette vieille murène de précepteur m’auront finalement servi à quelque chose…»

Il appuya sa réflexion d’un simple clin d’œil amusé. Avant de reprendre un air sérieux. Ce n’était pas de montagnes et d’abysses dont elle avait besoin mais d’un rocher sur lequel s’appuyer par temps clément comme au cœur de la tempête. Bien que leurs caractères soient diamétralement opposés, tous deux avaient soif de tendresse, de bienveillance et d’un cocon dans lequel ils pourraient déposer masques et armures. C’était un magnifique présent qu’ils pouvaient se faire l’un à l’autre.

Cette pensée romantique fut néanmoins interrompue par le rire puis la grimace des Hyades. Nessius posa délicatement sa main sur le flanc endolori de sa bien-aimée et laissa son onde aider à endormir la douleur.

« Pardon… J’oublie que tu es encore convalescente. Ce n’est pas aujourd’hui et maintenant que nous referons des folies de nos corps, n’est-ce pas ?»

Un air malicieux traversa son regard et il réprima la pulsion de désir que le souvenir lié à ses paroles venait de raviver. Mais la proposition suivante de Calypso le sorti de son vagabondage mémoriel. Il secoua la tête et considéra sa suggestion avec un étonnement mêlé d’entrain qui dénotait avec le masque et la réputation de calculateur qu’on lui connaissait.

Il se sentait chanceux, lui, Nessius Céléno Merinita, d’entendre une aussi belle âme lui dire qu’elle souhaitait se lier à lui. Pour autant, il ne put s’empêcher une dernière petite boutade avant de reprendre un ton plus sérieux.

« Sans utiliser de plaisanterie détournée ? En plus, madame est exigeante… Mais attends… Que je comprenne bien… Tu veux qu’on se « fiance » maintenant et qu’on se marie lorsque les choses se seront apaisées ou est-ce les « fiançailles » que tu considéreras à ce moment-là ? »

La nuance avait de l’importance pour Nessius. Car cela ne signifiait pas se trouver au même stade de la relation. De plus, la première option devait relever un côté public et solennel qui n’effrayait pas le jeune Céléno Mérinita mais il imaginait volontiers les Hyades plus réservée à ce sujet.

« Je… pense que ta mère se doute de quelque chose… C’est de ma faute… Je me suis endormi la tête sur tes genoux la nuit dernière… En tout cas, c’est elle qui m’a réveillé au petit matin… Il faudrait peut-être qu’on lui dise clairement les choses. Je n’ai pas envie de me cacher comme un enfant…»

Il ne lui donna pas d’autorisation mais scella ses lèvres à ceux de sa bien-aimée en guise de réponse. C’était si doux…

"Dis-toi que si j'étais une Dormeuse, je serais sans doute percluse de douleur non pas au fond de mon lit mais à l'hôpital. Alors je veux bien que tu oublies un peu. Surtout si tu m'apaises comme tu es en train de le faire."

Elle ferma les yeux un instant, joignant son Onde à celle du Naga. Contrairement à la première fois, la fièvre avait laissé place à une douceur bienvenue se répandant dans les muscles et les os. La force curative de la jeune femme reprenait son entreprise de re-tisser ce qui devait l'être, rendant possible le miracle de sa guérison accélérée.

"L'exigence appelle la qualité. Et je crois avoir trouvé un partenaire de qualité. Qui me demande lorsque je lui parle de fiançailles si je souhaite encore repousser l'échéance d'une proposition que je n'aurais même pas considérée si j'avais ressenti la moitié de ce que j'éprouve actuellement pour lui."

Ils étaient dans les bras l'un de l'autre -enfin surtout elle dans les siens compte tenu de sa santé-, à se remémorer des folies et à dessiner le contour d'un projet d'avenir commun. La précision parut tout à coup terriblement futile à la Toreador, néanmoins elle avait elle-même lancé les sujets "à éclaircir" de façon fort maladroite alors autant se prêter à la réciproque.

"Maintenant, Nessie. Mais il est vrai qu'il fallait aussi parler de cette histoire de discrétion... A un moment j'ai parlé avec Endymion, et le sujet de nos projets pour l'Après est venu dans la conversation. Sans même que je mentionne une relation amoureuse, il m'a dit qu'il nous voyait bien ensemble, il me poussait presque vers toi... S'il en est à penser cela, il n'est peut-être pas le seul. Alors, je sais que tu m'avais conseillé de rester discrète pour notre sécurité à tous les deux, mais est-ce vraiment utile ? Nous savons tous les deux nous défendre. Sans aller jusqu'à le crier sur tous les toits, nous pourrions simplement... officialiser devant ceux qui nous le demandent ? Leur dire que tout ceci est sérieux."

Ne pas craindre d'être découverts seulement à cause d'un baiser.

« Si tu étais une Dormeuse, tu serais surtout probablement morte à l’heure actuelle…»

Une réalité froide et glaçante à laquelle Nessius ne voulait pas songer outre mesure. Camazotz était parvenu à envoyer le Général des Lyumnades aux Enfers. Comment les Hyades avaient survécu ? C’était un mystère que le Naga n’avait pas cherché à creuser…pour le moment. Trop heureux qu’il était d’avoir retrouvé la femme chère à son cœur.

Un partenaire de qualité donc… Une expression étrange comme s’il s’agissait de la facture d’une arme ou d’un meuble. Nessius ne put s’empêcher une petite pique sarcastique.

« Un partenaire… De qualité… Ça sonne très "bien matériel" à mes oreilles. Serai-je devenu ton homme-objet Calypso Toreador Arkantea ? »

Il ponctua sa réplique d’un pouffement de rire, signe que lui-même trouvait cette idée saugrenue. Néanmoins, il reprit son sérieux lorsque Calypso continua sur sa lancée. Cette histoire de « fiançailles » ne lui rappelait rien qu’il avait pu observer chez les chrétiens. En revanche, cela lui rappelait une coutume dont il avait eu l’occasion d’être témoin lors de son séjour à Rome.

« Je ne sais pas si les serviteurs de l’unique pratiquent ce genre de choses mais les romains assurément. Bien que dans leur cas, il s’agit plus d’un contrat financier entre deux familles stipulant la dote de la future mariée et les modalités de l’engagement. On est plus proche d’un accord commercial, si tu veux mon avis…»

Ce n’était pas à cela qu’il aspirait. Et il pensait bien que Caly était sur la même longueur d’onde que lui. Il voulait donner à cette promesse une dimension plus solennelle et spirituelle. Celui entre deux âmes, pas une transaction entre deux familles nobles.

Il se tut quelques instants, laissant son esprit œuvrer à la recherche d’une solution plus satisfaisante. C’est alors que lui revint en mémoire la réflexion précédente de sa belle autour des promesses. Une idée illumina alors son visage.

«Ce qu’en pensent les gens m’indiffère mais je ne veux plus pour autant me cacher. Nous avons mérité notre bonheur… Voilà ce que je te propose. Nous irons prêter ce serment ensemble au temple de Triton. Juste toi et moi. Sans paperasse, sans décorum, sans nos familles. Sauf si tu souhaites que ta mère soit présente évidemment. Ainsi, les dieux seront témoins de notre engagement. Qu’en dis-tu ?»

Il posa calmement ses mains sur le cœur de sa compagne, attendant sa réponse avec une pointe d’appréhension…

"Je préfère si possible rester optimiste..."

Elle avait voulu voir le verre à moitié plein, en pensant à sa mère et ses serviteurs qui étaient restés indemnes. Malgré cela, elle savait pertinemment que les Dormeurs avaient essuyé de gros dégâts eux aussi, entre les gardes qui avaient défendu les Piliers, ceux qui avaient succombé à la famine et aux émeutes, les blessés... L'image qu'on lui avait décrite de Cinead n'arrangeait rien au tableau et elle prévoyait d'aller le voir, lui et Calista, pour prendre des nouvelles dès qu'elle arriverait à marcher sans que le moindre écart lui coupât le souffle.

Heureusement Nessius était là pour rebondir à nouveau vers leur petite bulle de tranquillité, avec une opinion toutefois un peu étonnante. Calypso décida de le prendre aux mots, tâchant d'afficher l'expression la plus sérieuse possible alors qu'elle riait intérieurement.

"Tout dépend. Il me semble t'avoir demandé de me faire tienne. La réciproque est vraie alors, non ?"

Elle lui servit sa mine la plus adorable, plongeant au passage une main dans sa tignasse pour en caresser la soie. Un petit plaisir dont elle savait devenir rapidement dépendante s'il la laissait faire.

"Tu te doutes bien que ce n'est pas là mon idée. Même si pour le vrai mariage il faudra j'imagine en passer par là, noblesse oblige... J'avais plutôt en tête quelque chose que j'ai entendu à Camelot, en visitant l'une de leurs églises chrétiennes. Les fiançailles exprimeraient le vœu de fidélité, d'amour et de soutien en attendant la consécration réelle du lien devant témoins, familles et divinité. Évidemment, n'étant pas chrétiens, nous ne sommes pas obligés de suivre cela à la lettre, mais l'idée me plaît bien."

Sa proposition répondait parfaitement aux critères qu'elle venait d'énoncer. En plus de tenir compte aussi bien des traditions atlantes que de leur envie de s'engager sans brûler les étapes, mais concrètement. Autant dire que les yeux de l'Argentée se mirent à briller d'enthousiasme. Imitant son geste, elle acquiesça.

"C'est parfait. Rien que nous deux. J'en informerai Mère, et je pense qu'elle n'aura rien à y redire, mais je veux vraiment que ce soit notre promesse, à nous seuls. Pas exactement dans l'instant cela dit, je pense que mon corps me rappellerait à l'ordre, mais quand je serai remise ! J'ai hâte !"

« Ce n’est pas parce que tu souhaites m’appartenir que ça fait de toi mon objet. Heureusement… L’exclusivité et la soumission sont bien deux choses distinctes, n’est-ce pas ?»

Un sourire mutin vint éclairer le visage de Nessius. A quel jeu jouait-elle au juste derrière sa mine innocente ? Il la laissa explorer sa chevelure en fermant les yeux. Comme il aimait cette tendresse, ses caresses… Il savait qu’il pourrait passer des heures ainsi à la laisser faire. Surtout quand elle arborait cette mine qui le faisait fondre…

Bien que la conversation prenne des tours plus pragmatiques et organisationnels, il se laissa bercer par l’instant, par la chaleur de ce frêle corps blottit contre le siens, par la fragrance douce apaisante qui émanait d’elle. Dans un cocon, une bulle… C’était ainsi qu’il se sentait à cet instant précis. Pour autant, il ne perdait pas le fil de la discussion.

« J’aime cette idée… Je suis heureux que nous soyons sur la même longueur d’onde… J’ai même déjà en tête un présent à t’offrir pour l’occasion… »

Une idée qu’il nourrissait depuis l’enfance. Lorsque, dans la solitude des jardins des Céléno Merinita, il rêvait à la femme qu’il épouserait une fois adulte. Loin des considérations que son père avait voulu lui transmettre. Cette sensibilité qu’il s’était évertué à masquer car on lui avait enseigné qu’elle était une faiblesse… Il trouvait en Calypso une âme qu’il espérait prête à l’accueillir. Mais cela le rendait aussi d’autant plus fragile et fébrile.

Il rouvrit les yeux et posa un doux baiser sur le front de son aimée. Il prit les mains de la jeune femme dans les siennes et, tout en la gardant lovée au creux de ses bras, posa leurs quatre paumes sur le ventre de cette dernière.

« Moi aussi, j’ai hâte, ma petite perle des pluies…»

Puis, prenant un ton beaucoup plus taquin et faussement offusqué qui tranchait avec la tendresse affichée quelques instants auparavant, il renchérit d’un ton enjoué.

«Comment ça ?! Tu te cherches déjà des excuses ?! Je pensais que nous allions quitter les jardins sur l’heure, traverser la moitié de la zone du pilier Central et nous rendre sur le champ au temple de Triton… Je peine à te cacher la déception qui est la mienne…»

Il lui adressa alors un sourire narquois et quelque peu provocateur mais qui n’effaçait pas la tendresse au fond de ses yeux. D’une voix plus posée, il clôt cependant la plaisanterie.

«Et si nous jetions un œil à ces documents ? Histoire que je n’ai pas risqué de provoquer l’agacement du nouveau Consul des Tempêtes juste pour la beauté du geste…»

"Cela valait le coup de demander."

Suivant son impulsion, elle se retrouva à quatre mains sur son ventre et se raidit quelque peu. Est-ce qu'il... envisageait un bébé... ? Déjà ? La perspective encore si lointaine dans son esprit lui donna le tournis et le sang lui monta si vite aux oreilles qu'elle devait avoir l'air d'être une pomme tombée de l'arbre près duquel il se trouvaient.

Sous le choc, elle ne trouva rien à répondre de plus. Un amour partagé, c'était déjà beaucoup. Un mariage, de quoi la combler de bonheur. Mais un enfant... A bien réfléchir c'était presque une suite logique, à laquelle elle était loin d'être préparée psychologiquement. Nessius devait sans doute se régaler des nuances qui parcouraient son visage, le vil faquin qu'il était. Calypso essaya d'imaginer. Un petit Céléno Merinita Toreador Arkantea... Et dans la foulée, il allait la propulser au rang de Patricienne par alliance. Un fait qu'elle réalisait tout juste, et qui pouvait avoir son importance selon les circonstances.

"J-Je... O-Oui... Les documents...

Elle s'efforça de baisser la tête vers les différents manuscrits et rouleaux qu'il avait rapportés, d'en prendre au hasard et de ne pas avoir l'air de relire 4 fois la même ligne avant de seulement parvenir à comprendre de quoi il s'agissait. Ah oui, les Consuls. Endymion, Dardanos, Arhan. Comprendre leur fonction. Ce que cela changeait dans l'organisation à la fois de l'Amirauté et du Sénat.

A mesure qu'elle parcourait les lignes, elle parvint à se calmer un peu, à oublier les images de bébés vadrouillant dans les couloirs. On était encore loin de remplir les couloirs avec une telle ambition.

« Quelque chose ne va pas ?»

Elle venait de rougir. Enfin, bien plus qu’à son habitude. Instantanément, Nessius se figea et observa la scène. Qu’est-ce qui avait pu provoquer cette réaction ? Il eut un élément de réponse en regardant ses mains liées à celles de la jeune femme sur son ventre. Un signe qui avait une signification bien spécifique et un geste qu’il avait effectué presque inconsciemment.

A son tour, il vira au cramoisi, balbutiant, s’excusant d’avoir été si maladroit.

« Non… Ce n’est pas ce que tu crois… Enfin…Si… Mais pas maintenant… C’est trop tôt… Je… C’est pas que je n’en aurais pas envie, hein… C’est juste que… Chaque pas après l’autre… J’aimerais qu’on prenne notre temps… C’est à nous de décider le rythme de notre pas de danse, tu ne crois pas ? »

Mouais… Pas vraiment son meilleur discours… Il la regarda d’un air gêné et navré, comme s’il l’avait blessé. Il ne voulait pas la brusquer. Là où il aurait craché son venin avec n’importe qui d’autre, le Naga se muait en orvet docile dès qu’il s’agissait de Calypso. Un état de fait qu’il acceptait pour ce qu’il était même si cela avait toujours constitué un mystère à ses yeux.

Pour autant, la vision d’un enfant ne quitta pas son esprit. Il imaginait une petite fille aux yeux améthystes et à la crinière d’ébène curant à perdre haleine dans ce jardin, poursuivit par son père sous les yeux attendris de sa mère et de sa grand-mère… Quelle chance ce serait…

Soudain, la phrase de sa chère et tendre le ramena à la réalité.

« Aheum… Oui les… Les documents…»

Il tenta d’apaiser son cœur qui battait la chamade dans sa poitrine. Le sentait-elle ? Probablement. Il tenta néanmoins de se concentrer sur l’ici et maintenant. La joie des événements à venir ne devait pas lui faire oublier sa mission. Tout comme il ne devait pas détourner Caly de son devoir.

Au bout de quelques minutes, il reposa le parchemin sur la table. Il n’était pas vraiment plus avancé. Aussi se tourna-t-il vers les Hyades en quête d’un avis et d’une analyse pertinente.

«Tu as une idée de ce que tu souhaites faire pour la suite ? Un domaine qui aurait ta prédilection ? Un Consule avec lequel tu souhaites travailler plus particulièrement ? Vu qu’il n’y a plus de Légat, qu’adviendra-t-il de l’unité Calypso ?»

Une question des plus pertinentes. Tous deux se retrouvaient sans affectation autre que l’Amirauté. Leur rôle dans le futur d’Atlantis restait encore à déterminer.

Passés la gêne et les balbutiements, les deux Marinas purent se reconcentrer sur la situation actuelle d'Atlantis et ce que l'Histoire pourrait compléter au sujet des faits narrés par Poséidon. En son for intérieur la chroniqueuse se demandait s'Il était objectif dans ce qu'Il avait raconté -pas pour mettre en doute Sa parole, mais car il s'agissait de sa méthode et son outil de travail. Le fait qu'il ait évoqué leurs ancêtres, aujourd'hui fort lointains et leur sang probablement fortement dilué au fil des millénaires malgré la tradition du sang pur, était-il une déception à ses yeux ? Un instant elle chercha une trace de Son pouvoir aquatique dans son être et n'en trouva plus. Tout divin qu'Il était, certaines choses demeuraient éphémères malgré tout. Alors la mémoire offerte était-elle conforme aux faits réels ? Et les offerts qu'ils fournissaient seraient-ils jamais à la hauteur de ceux de leur prédécesseurs ?

Ramassant des pièces de puzzle ici et là, elle releva la tête à la question de Nessius. Pour la suite ? Parlait-il toujours de leur couple ou de la reconstruction de la capitale et de son gouvernement ? La réponse vint assez vite, lui évitant de retomber encore dans un quiproquo.

"Je ne pense pas que nous devions choisir un Consul "de prédilection" en écartant les autres. Tout dépendra des problèmes qu'il y a à traiter, mais mieux vaudrait tâcher de nous entendre avec chacun..."

Même s'il s'agissait d'un Dardanos Bjornaer.

"Le problème de l'unité Calypso est devenu ma priorité effectivement, puisque j'en suis la seule membre à ce jour. Et que j'ai failli à ma tâche de protection du Légat... Je comptais aborder le sujet avec Arhan, puisque c'est lui qui gère les armées désormais. Ce ne sera sans doute pas facile de parler d'Orphéus et il doit savoir que je n'ai jamais approuvé sa "nomination" de Primus, via Rodolpho. Mais d'après ce que j'ai vu et ce que tu m'as dit, je pense qu'il aura tiré une grande leçon de tout ce qui s'est passé. J'espère grandement pouvoir faire la paix avec lui. Et toi ? Hormis la protection de l'Indien, tu avais des idées en tête ?"

« Hum… Tu as sans doute raison… Même si nous avons sans doute tous des domaines de prédilection. Nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour pouvoir nous cantonner à un domaine bien précis. Et puis… J’ai hâte de voir Endymion endosser ce nouveau rôle…»

Nessius ne put s’empêcher de rire à cette pensée. Endymion et la diplomatie. Il imaginait cette dernière s’appuyer sur les deux piliers du Dragon des Mers : la luxure et l’ivresse. La surface n’avait qu’à bien se tenir !!! Mais au-delà de la plaisanterie, il fallait savoir surtout vers qui se tourner pour affronter Okheanos et ses suppôts. Pour cela, il fallait pouvoir connaître ses soutiens à lui. Une tâche ardue à laquelle le Naga ne rechignerait pas. Obtenir des renseignements, découvrir et protéger des secrets restait un des domaines qu’il affectionnait.

Cependant, Caly avait raison. Il ne pourrait négliger ni les affaires intérieures, ni l’armée. Sans général de Chrysaor, il appartenait aux membres de la Capitainerie de l’Indien de superviser la sécurité intérieure. A ce titre, il avait d’ailleurs été étonné que cette tâche n’échoue pas à Arhan. Mais Poséidon avait sans doute vu les compétences au-delà des attributions traditionnelles.

« Le plus dur va sans doute être d’accepter de laisser le passé derrière nous. Nous avons accumulé trop de rancœurs et de défiances sur lesquelles les muens ont fait leur lit. Pour ma part, je commencerais sans doute par présenter des excuses à Arhan. Nous avons perdu un temps précieux dans des affrontements stériles et des manigances dont nous n’avions pas le luxe. Et j’ai ma part de responsabilité…»

Un exercice auquel le Naga n’était pas vraiment rompu mais qui aurait au moins le mérite de la sincérité. Pour peu que l’orgueil de l’ancien Primus ne mette pas cette intention à mal.

La question sur l’unité Calypso restait cependant en suspens. Les Hyades ne semblaient pas en savoir davantage à ce sujet. Le Seigneur des Sept Mers ne s’était pas prononcé sur les conséquences de l’abolition du rôle de Légat. Serait-elle placée sous l’autorité de Dardanos Bjornaer pour assurer la sécurité intérieure ? L’unité serait-elle dissoute purement et simplement et chaque écaille réattribuée à une capitainerie ?

«Je pense effectivement qu’il vaut mieux voir avec Arhan ce que Poséidon lui aura demandé à ce sujet. Et puis qui sais… Peut-être te retrouveras-tu à l’Indien à devoir me supporter pendant des tours de garde ? De toute façon, en ce qui me concerne, on m’a gentiment mis à la porte des Quaesitors. Donc c’est tout ce qu’il me reste…»

Il lui adressa un clin d’œil malicieux. Il avait aimé combattre à ses côtés. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il s’était senti plus fort, plus vivant. Etait-ce l’effet de leurs Ondes respectives s’unissant dans un même but. Il ne pouvait l’affirmer avec certitude. Néanmoins, il avait éprouvé une forme de plénitude, quoi que moins intense que celle de leur étreinte.

Il se replongea donc dans les documents, à la recherche d’éléments qui pourraient les éclairer sur ce que l’avenir leur réservait…

La Nymphe dévisagea un moment le Naga en silence. Elle laissa son regard tracer le contour de ses yeux, la ligne de son menton, son front dégagé aux multiples mèches un peu rebelles. Il faudrait qu'elle le peigne, à un moment ou un autre.

"Tu l'as provoqué c'est vrai, mais il en a fait de même. Il est celui qui a reçu le plus d'avertissements je crois pendant ces événements. Malgré cela, malgré sa colère et son aveuglement hors normes, tu lui as proposé une échappatoire. Et il a eu la sagesse de se saisir de cette opportunité pour enfin regarder dans la bonne direction. Je pense que vous avez mutuellement gagné le respect de l'autre, et donc qu'il devrait être possible de faire la paix si vous y mettez chacun votre bonne volonté."

Un sourire étira ses lèvres.

"Ce que tu as fait en prenant la place de Cinead dans ce combat, et en y mettant fin de la sorte... C'était incroyable. Tu donnais l'image d'une personne qui pensait plus à ses prérogatives et ce qu'elle pourrait retirer des événements que du bien-être d'un Patriarche dont le nom te dérange il y a encore quelques semaines. Tu étais même prêt à soulever le peuple contre Arhan -heureusement que tu ne l'as pas fait. Et là... tu as surpris tout le monde. Est-ce qu'il serait indiscret de te demander... pourquoi ? A quoi pensais-tu exactement quand tu t'es avancé au milieu des soldats ?"

Il avait voulu gagner les faveurs des petites gens pour mieux le manipuler. Il avait servi de garde à Arhan pour pouvoir jouer sur les deux tableaux, et même face au faux Julius... mais risquer son nom, ses titres et son Écaille pour Cinead ne lui rapportait rien en théorie, en cas de défaite comme de victoire. La situation était trop tendue, les soldats trop anxieux pour acclamer un héros ou calomnier un traître. Alors qu'est-ce qui avait poussé Nessius ?

"J'imagine que la neutralité t'était impossible dans cette situation. Merinita d'une part, Marina de l'autre. C'est une décision assez logique. Comment le prends-tu ?"

«Oui mais je ne peux m’empêcher de penser que nous avons perdu un temps précieux à nous méfier l’un de l’autre et que nous aurions sans doute sauvé davantage de vies et mis fin aux agissements de nos ennemis beaucoup plus tôt sans cela… »

Une pointe de regrets se fit entendre dans la voix du Naga. Pour autant, il savait qu’il referait les choses à l’identique car il restait persuadé qu’il avait agit du mieux qu’il le pouvait à l’instant précis avec les éléments qu’il avait. Le seul point dont il pouvait être navré était la volonté de tirer son épingle du jeu qui avait forcément biaisé son jugement.

Néanmoins, ce qui était fait était fait. Il n’y avait pas de possibilité de retour en arrière. Il fallait avancer tout en tirant les leçons des événements qui avaient agité la Cité. Comme le notait Calypso, Arhan avait effectivement gagné son respect. Mais la réciproque était-elle vraie ? Rien n’était moins sûr. Nessius savait qu’il n’était pas sans agacer voir irriter ceux qui avaient maille à partir avec lui. Les serpents avaient souvent mauvaise réputation.

Calypso était certainement une des rares à s’émerveiller de sa personnalité et à voir au-delà du masque. Et il n’allait pas s’en plaindre ! Néanmoins, face à elle, il ne ressentait pas ce besoin de bomber le torse et de jouer au plus fin, aussi accueillit-il son compliment avec une modestie qui surprendrait assurément ses détracteurs.

«J’ai juste… Essayé de préserver le cours des choses. S’ils s’entretuaient, la Cité toute entière était perdante… J’espérais aussi pouvoir le confronter à ses manquements et aux décisions arbitraires voir paranoïaques qu’il a prise. Mais comme nous, il semblerait qu’il n’avait pas toutes les cartes en main… Cela n’avait rien d’héroïque ou de purement désintéressé… Tu sais bien que je pose rarement des actes pareils par pur altruisme…»

Toujours cette volonté de se garder des options ouvertes. D’essayer de retomber sur ses pattes quelle que soit la tournure des événements. Une habitude qui lui avait assuré de survivre plus d’une fois et dont il éprouvait quelques difficultés à se départir.

Cependant, la dernière question des Hyades le supris. Elle se préoccupait de ce qu’il pouvait bien ressentir en tant que membre de l’Amirauté d’un côté et que Merinita de l’autre. Sa réponse se fit on ne peut plus claire.

«Je peux perdre mon nom, mes titres, mon Ecaille… Ce n’est rien. Ce n’est pas important. Je suis persuadé que je m’en relèverai. D’une manière ou d’une autre. Le plus important, ce sont ceux pour lesquels on se bat. Te perdre est sans doute l’une des rares choses dont je ne me relèverais pas…»

Il n’avait pas eu le temps de trembler pendant le combat. Ni après. Mais une ombre passa dans son regard lorsque l’effleura la simple idée qu’elle ait péri durant ce dernier. Sans doute sa plus grande crainte…

Préserver le cours des choses et confronter Arhan à ses manquements, hein ? Mais en soit, sauver Atlantis ne lui apportait rien directement. Poséidon endormi, personne n'avait fixé de récompense pour un tel geste, rien ne garantissait que l'Amirauté et le Sénat en sortiraient grandis -la preuve étant que le premier allait sans doute être remanié dans les mains du Sefirot et le second réélu. Donc d'une certaine façon, hormis pour sauver sa propre vie, Nessius avait accompli là quelque chose pour autrui et non son profit. Elle imaginait bien que le Naga saisirait la chance si on lui proposait des responsabilités supplémentaires, une sorte de "promotion", mais cela restait un moyen et non une fin.

Le regard de la Toreador se fit plus doux et attendri lorsqu'il mentionna la faiblesse qu'elle était devenue dans son armure. Une manière détournée de prononcer quelques mots d'amour qu'elle enfermerait précieusement dans son cœur pour se donner force et courage lors des moments difficiles.

A ses mots terribles et superbes à la fois, elle se rapprocha de lui à nouveau, vola ses lèvres comme on goûte une irrésistible douceur abandonnée à la vue et au toucher.

"Tu as de la chance alors, car je suis la plus résistante de la famille à ce jour."

Bon, d'accord, elle avait eu un petit coup de pousse divin. Mais seulement après la bataille. Et les promesses prononcées en face de Camazotz, celles de lui faire perdre son temps et de défendre Atlantis, elle les avait tenues comme un pirate tient son navire face à la tempête. Elle pouvait bien se réjouir, juste un peu. Juste assez pour chasser l'ombre dans les émeraudes de son bien-aimé.

"Pourrais-tu me raconter ce qu'il s'est passé après que j'aie perdu connaissance ? Il semblait sur le point de s'effondrer sur lui-même, chacun de vos coups aurait dû être létal. Pourtant, Cassandra... J'ai tout donné pour la protéger..."

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