[Début mai 553] Au chevet de la gardienne du Pilier Central [Nessie]

« Plus résistante même qu’un général, semblerait-il…»

Une phrase qu’il avait lancée ainsi presque instinctivement. Pas qu’il ait un quelconque remord pour les Lyumnades. Après tout, c’est son arrogance et sa manie de se croire supérieur à tous qui avaient quelque part creusé sa tombe. Mais il restait quand même circonspect sur le fait que Calypso ne soit que lieutenante alors que la puissance qu’elle avait pu déployer dépassait sans aucun doute largement la sienne en tant que capitaine.

Elle semblait tenir absolument à savoir ce qui s’était passé une fois qu’elle s’était retrouvée hors de combat. Souhaitait-elle savoir comment Cassandra était morte ? Après tout, les survivants pouvaient toujours s’interroger sur ce qui pouvait bien avoir fait la différence entre eux et ceux qui avaient péri. Nessius entreprit donc de lui raconter les choses telles qu’elles lui étaient restées en mémoire.

« Après que tu aies été mise hors de combat, nous sommes repartis à l’attaque. Mais Camazotz avait régénéré suffisamment de ses forces. D’abord, il est parvenu à éviter un premier assaut en disparaissant purement et simplement dans une sorte de cocon de cristal. Cassandra a mis ses dernières forces dans une nouvelle attaque qui l’a plongé dans l’inconscience. Mais ce fils de murène nous a renvoyé nos propres techniques. J’ai pu amoindrir les dégâts. Les Lyumnades n’ont pas eu cette chance. Elle a succombé à ses blessures. Puis ce lâche s’est enfui. J’ai tenté de le poursuivre mais j’ai perdu sa trace avant de quitter le quartier du pilier Central. Je n’ai donc pas eu le loisir de l’achever vois-tu. Mais ce n’est sans doute que partie remise…»

Une évidence pour Nessius. S’il avait l’occasion de rendre à ce dieu de pacotille le malheur qu’il avait semé avec les intérêts, il ne s’en priverait certainement pas. Mais pour l’heure, il avait d’autres préoccupations. Comme pour arhan, il ne pouvait changer le passé désormais. Seul ce qu’il ferait de ces événements comptait.

«J’ai compris grâce à ces deux combats qu’il me restait du chemin à parcourir si je voulais prétendre à être un véritable défenseur d’Atlantis. Pour l’instant, je ne suis qu’un patricien avec une écaille… Je vais devoir m’aguerrir si je veux pouvoir rendre à Okheanos la monnaie de sa pièce….»

Il n’oublierait pas. La vengeance et la persévérance pouvaient aller de pair. Mais avant tout cela, il fallait rebâtir. Renforcer la Cité pour que ceci ne puisse plus se reproduire. Un travail de longue haleine à ne pas en douter. Et les liens qui s’étaient forgés dans le sang de la bataille en étaient ressortis renforcés. Tout du moins l’espérait-il. Aussi bien avec de nouveaux frères d’armes que les liens émotionnels et intimes.

Une pensée plus triviale lui vint immédiatement à l’esprit. Il ne put s’empêcher d’en faire part à sa bien-aimée.

«Tu sais… Mes parents se sont volatilisés. Ils ont probablement fui avec les muens. Donc si tu veux, après nos fiançailles… Tu… Tu pourrais venir vivre avec moi. A moins que tu préfères après le mariage ?»

Calypso avait raison. C’était par l’entraînement et la recherche d’informations qu’ils parviendraient à quelque chose. Atlantis était sans doute restée isolée de la surface trop longtemps. S’ils voulaient traquer avec succès les alliés d’Okheanos et le renvoyer dans les profondeurs qu’il n’aurait jamais dû quitter, il allait falloir monter à la Surface et enquêter.

Un regard emplit de conviction et de détermination anima les pupilles du Naga. Peu importe le temps que cela prendrait, il faudrait mener les muens vers les abymes de l’Histoire auxquels ils n’auraient dû cesser d’appartenir. Quant à leurs alliés, les démasquer et les neutraliser seraient une tâche essentielle. Un point supplémentaire à évoquer avec le nouveau Consul des tempêtes.

«Il faudra mener la reconstruction à l’intérieur de la Cité et la destruction à l’extérieur, c’est certain. Mais il nous faudra, nous aussi, nous entourer d’alliés fiables. J’espère qu’Endymion a des idées sur le sujet. Je pourrais toujours aller à Rome. Peut-être il y a t-il là bas des gens qui auraient survécu aux affres de la destruction et qui pourraient nous apporter des informations précieuses….»

Une pensée pour les Oracles le traversa. Les serviteurs d’Apollon étaient-ils encore en vie ? rien n’était moins sûr. Cette pensée le ramena à la mort d’Antalias et il dû réprimer un frisson qui lui parcourut l’échine. Tout comme la réflexion des Hyades vis-à-vis de sa famille.

«C’est juste une supposition. La corrélation des événements est étrange, tu ne crois pas ? Mon frère a été condamné pour corruption. Qui sait à qui il rendait réellement des comptes. »

Il ne put masquer une certaines déception face aux réserves de sa bien-aimée. Mais il ne pouvait nier qu’elles étaient fondées. Il ne l’avait effectivement jamais invité là-bas. Il ne voulait pas que des serviteurs un peu trop curieux et mal intentionnés puissent remonter à Néro des informations sur sa vie privée. Mais maintenant que ce petit monde avait disparu comme par enchantement, peut-être était-il temps ? Il lui caressa tendrement la joue.

«Tu as raison. Il faut d’abord que tu puisses découvrir la maison et voir comment tu t’y sens. Ensuite, nous aviserons. Si jamais elle ne te convenait pas, je pourrais toujours venir m’installer ici avec toi…»

Une proposition malicieuse qu’il lui adressa avec un sourire enjôleur. Juste la volonté de lui signifier qu’il ne voulait plus la quitter.

« Je n’en doute absolument pas. Il a plus d’un tour dans son sac…»

Quelque chose de plutôt logique pour un forban de son espèce. Ce diable de Dragon des Mers saurait sans aucun doute louvoyer dans les marécages tumultueux de la diplomatie et des faux semblants qu’elle nécessite. Néanmoins, il y avait un point non négligeable dont il faudrait s’assurer.

« J’espère seulement qu’il est au fait de la situation de la Surface. J’imagine qu’ils ne nous attendent pas pour que chacun grignote sa part de pouvoir et empiète allégrement sur celle des autres. Il va nous falloir refaire notre place…»

Quand Calypso évoqua Camelot, Nessius passa sa main dans ses cheveux. Il savait à quel point cet événement devait probablement encore meurtrir son âme. Car on ne pouvait perdre la personne que l’on avait aimée et s’en remettre d’un claquement de doigts. Même si elle lui avait ouvert son cœur et ses bras, Nessius savait que l’assassinat d’Orpheus la hanterait sûrement longtemps. Il lui fallait faire son deuil. Et le reste de la Cité n’imaginait sans doute pas le courage qu’il fallait à Calypso Toreador Arkantea pour continuer à avancer malgré cela. Il posa à nouveau un tendre baiser sur son front

«Il nous faudra en discuter avec le Dragon des Mers. Mettre en œuvre une stratégie. Peut-être que son statut de champion lors du Tournoi lui ouvrirait certaines portes chez les Ligures. Tu m’avais bien dit qu’ils étaient alliés à Athéna, c’est ça ? Je n’étais pas sur place avec vous. Et j’avoue que l’on a jamais vraiment eu le temps d’évoquer autre chose que l’assassinat du Légat lorsque l’on a parlé de votre délégation… »

Il éclatat de rire aux derniers mots des Hyades. Il savait qu’il devait prendre garde à ses accusations. Ainsi qu’à ses désirs. Il ne put s’empêcher de la taquiner

«Je dois bien avouer que c’est la seule chambre de la maison que je connaisse. Et puis… Je m’imagine très mal partager celle de ta mère ou de Loreleï. Ce serait…Malaisant…»

Il appuya sa phrase d’un regard provocateur.

Lorsqu’il senti la garde d’un poignard glisser contre son cou puis sa clavicule, Nessius esquissa un sourire provocateur. Touché. Il ne s’était pas imaginé que Calypso puisse réagir de la sorte à cette bravade. Il demeura néanmoins parfaitement imperturbable, poussant la projection un peu plus loin.

« Je vois que tu prends tout de suite les choses en main dès qu’il s’agit de ton petit pré carré… »

Il se tourna vers elle et planta ses yeux émeraude dans le regard améthyste de sa compagne. Malgré sa faiblesse passagère, elle avait une lueur dans le regard qui ne le laissait pas indifférent. Elle semblait quand même en capacité de mener une petite joute d’esprit. Il n’allait donc pas se priver de ce plaisir.

«Oh ! Oh ! Calypso Toreador Arkantea pourrait se montrer jalouse ? Je dois bien avouer que j’ai du mal à visualiser la scène. Comment t’y prendrais-tu pour faire fuir d’éventuelles rivales, Ma Dame ? »

Il prit un instant de réflexion avant de continuer.

«J’imagine néanmoins que vu la rareté de tes colères, ces dernières doivent être absolument terribles. Je crois bien ne t’avoir jamais vue dans un tel état. Et je frissonne d’avance rien qu’à la pensée de devoir affronter ton courroux…»

Etait-il sérieux ou était-ce de la parfaite ironie ? Sans doute un peu des deux. Il n’irait pas jusqu’à blesser celle qu’il aimait pour le vérifier. Cependant, elle, parlait de le punir. Le Naga lui adressa un regard mi-curieux, mi-amusé. Une proposition qu’il convenait de creuser assurément.

«Me punir ? Aurais-tu des pulsions à assouvir ma chère ? D’aucuns ont essayé et ils en sont ressortis fort dépités, je te l’assure. Néanmoins, posons un défi si tu veux. Quel serais le gage si je suis vaincu lors de cette joute ? Et si c’était toi qui mordait la poussière ?»

Nessius avait envie de savoir ce que son aimée avait en tête. Et même s’il avait pu l’observer combattre et qu’il la savait bien plus puissante que lui, il ne pouvait s’empêcher de vouloir poser un enjeu. Une manière comme une autre de prendre cet entraînement au sérieux et de joindre l’utile à l’agréable.

« Jamais eu besoin de te mettre en colère ? Tu as bien de la chance. C’est un luxe que je n’ai malheureusement pas eu. J’ai passé mon enfance à être en colère... Et je dois bien avouer que les personnes qui m’apaisent se compte sur le doigt d’une seule main…»

Un triste constat. Aussi patricien qu’il soit, Calypso avait probablement eu une enfance plus heureuse que Nessius. L’argent n’achetait pas toujours le bonheur. Même si ne pas en avoir était bien pire. Il avait pu l’expérimenter à ses dépens lors de son exil à la surface.

L’évocation d’Orpheus et des liens qu’elle avait pu tisser avec lui aiguisèrent son intérêt. Bien évidemment, l’ombre du défunt Légat planait toujours au-dessus de leur relation. Le Naga l’avait accepté. Il savait qu’il lui faudrait du temps pour faire son deuil mais qu’elle avait aussi choisi d’avancer avec lui.

Sa déclaration toucha Nessius au plus profond. Même s’il conserva une certaine tenue, il étreint la jeune femme avec une passion qui ne pouvait laisser que peu de doute quant à son ressenti. Néanmoins, c’était aussi une certaine pression qu’elle mettait sur ses épaules. Serait-il capable d’être à la hauteur de la confiance qu’elle plaçait en lui ? Être le modèle de droiture qu’elle espérait sans doute ? Le jeune Céléno Mérinita afficha un air pensif.

«Si tu me demandes de devenir un parangon de vertu dont les actes seront toujours limpides aux yeux de toute la Cité, alors je crains de ne pas être l’homme qu’il te faut. Cependant, je peux te promettre que tu connaitras toujours mes intentions et mes objectifs. Même les plus sombres. Et que je te demanderai toujours conseil avant d’agir… Je sers le peuple d’Atlantis. Aujourd’hui comme demain…»

Cela la rassurerait-elle ? Rien n’était moins sûr. Il jugea donc opportun d’appuyer son propos.

«Pour ce qui est de mon cœur, c’est le sens que je souhaite donner à nos « fiançailles » et encore plus à notre futur mariage. Pas toi ? Je ne t’épouserai pas pour une autre raison que le désir de passer ma vie à tes côtés, de te regarder t’éveiller chaque matin que Notre Seigneur fait. En revanche, je sais la réputation qui est la mienne. Es-tu prête, toi, à accepter qu’on puisse te regarder comme l’épouse d’un vil serpent, d’un traître à son sang, d’un fourbe, opportuniste et arrogant ? »

Car telle était la réalité. Et les éléments récents n’avaient sans doute pas joué en sa faveur. Même s’il souhaitait s’amender, le Naga savait qu’il pâtissait aussi bien de son passif familial que de la réputation sulfureuse de son écaille. Et qu’à Atlantis plus qu’ailleurs, on aimait enfermer les gens dans des cases et des stéréotypes. Le changement dans une société aussi conservatrice ne se faisait pas du jour au lendemain. Qu’il s’agisse des institutions comme des individus.

« Je ferais de mon mieux pour ne pas te décevoir… Mais, pour le moment, il n’y a qu’en toi que j’ai une confiance solide… Pour ce qui est du reste de la Cité, cela prendra du temps»

Solide mais pas aveugle. Car Nessius Céléno Merinita n’était pas fait de ce bois-là. Il avait appris que l’on n’était jamais mieux trahi que par les siens. Il avait pu l’expérimenter depuis l’enfance et bien qu’il ait, selon l’expression des Hyades, « envie d’y croire », il ne se faisait pas non plus d’illusion sur la nature humaine. La mise en garde de Poséidon durerait un temps. Mais cet élan, aussi positif soit-il, finirait inéluctablement par s’essouffler. Cependant, il fallait en profiter pour nouer des liens solides avec ses pairs. Il œuvrerait donc en ce sens et devrait pour cela quelque peu forcer sa nature profonde. Mais le jeu en valait certainement la chandelle selon l’expression consacrée.

En revanche, pour ce qui était de se réinventer, Nessius se montra beaucoup plus circonspect. Avait-il seulement l’envie de changer ? Pas du tout au tout, c’était certain. Néanmoins, faire quelques ajustements dans ses relations sociales et sa manière de les aborder n’était pas dénué de sens. Après tout, les intrigues n’étaient peut-être pas la meilleure façon d’améliorer les cartes qu’il avait à sa disposition et d’influer sur le cours des choses.

«Peu m’importe ce que les gens peuvent penser de moi. Néanmoins, s’il faut en passer par là pour être pris au sérieux et pouvoir faire avancer les choses, j’essaierai l’atout séduction. J’ai l’air d’avoir quelques prédispositions pour cela…»

Un clin d’œil malicieux vint appuyer ses propos aussi effacé face à la lassitude de sa bien-aimée. Ele resserra ses bras autour de la jeune femme, passant sa main dans les cheveux de nacre des Hyades. Il posa un tendre baiser sur son front.

«Reposes-toi ma petite perle. Le futur peut attendre… »

A ces mots, il entama un bercement inconscient comme s’il avait tenu un enfant au creux de ses bras. Son avenir était là, assoupi contre sa poitrine. Et cela valait tout l'or des océans.