[Début mai 553] Après l'orage, la rage (Endy-Nessius)

Pilier central

Quel calme... Après tant de sang, de larmes, de cris, le silence surnaturel qui flottait dans mon domaine, saturé de brumes me paraissait presque extravagant.
En total décalage avec les évènements qui venaient de se dérouler.
Encore sous le choc de l'étendue de la trahison des Muiens mais aussi de notre victoire et de ses conséquences, j'avais fui le pilier central afin de revenir dans un lieu familier, où je pourrais trouver la quiétude nécessaire.
Devais-je remercier Poséidon ou le maudire ?
Le dieu des océans m'avait offert tout ce dont je désirais secrètement, mais ce présent généreux possédait un prix bien élevé. Celui de ma liberté.
Encore vêtu de mon écaille, intacte contrairement à mon corps exsangue, je me dirigeais vers la surface rassurante de mon pilier, et m'y appuyais dans un soupir. La tension nerveuse m'abandonna peu à peu, et je fermais les yeux de manière à puiser dans le monde des esprits assez d'énergie mystique pour me régénérer. Le processus serait rapide, mais un peu de méditation ne ferait pas de mal.

Endymion O'Bannon...

Ce nom complet me fit frisonner de plaisir. Tant d'années à envier l'appartenance à ma lignée légitime et voilà... J'avais enfin obtenu cette reconnaissance qu'on m'avait trop longtemps refusé.
J'étais désormais un noble de sang, et non plus d'alliance. Les implications me donnaient le tournis, mais aussi le sourire.
Et comme si cela ne suffisait pas, je me retrouvais Consul. Quelle folle ironie... Moi le paria, le général honteux et décadent, me voilà à la tête politique de la cité avec deux autres aidants.
Emrys et cet enfoiré d'Etrius en seraient morts sur place.
Mes pensées se tournèrent alors vers la surface. Que devenait donc le pauvre Adonis ? Une fois mes forces récupérées, il me faudrait tenir ma promesse, sans tarder. Mon gamin devait en avoir bien assez de m'attendre.
De même pour Nimue... J'espérais que ma capitaine allait bien. Suffisamment pour se tordre de rire en prenant connaissance de mon statut. Sera-t-elle fière de moi ou juste moqueuse ? Bah...
Un demi-sommeil me gagna.

Sournoisement, le sommeil avait fini par m'emporter dans les limbes de l'inconscience.
Une nécessité au vu de mon piètre état. Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas retrouvé dans un affaiblissement tel. Et le repos s'imposait comme une nécessité, même pour la tête de mule que j'étais.
Aussi, il me fallut quelques instants pour détecter une présence, au plus léger de ma léthargie.
Quelqu'un venait discrètement de se glisser vers moi, afin de prendre place à mes côtés.
En un instant, je reconnus cette odeur florale familière, et un sourire ému ourla mes lèvres ensanglantées.
Des doigts vinrent se glisser entre les miens, et une pression légère pesa sur mon épaule, avant qu'un soupir d'épuisement ne vienne faire écho au mien.

Comment va Cinead ?

Une question à laquelle je n'espérais presque pas de réponse.
Si mon beau-frère et ami avait été en pleine possession de ses moyens, nul doute que Poséidon l'aurait nommé Consul à la place d'Arhan, de Dardanos ou de moi même. Mais cet oubli valait bien tout rapport sur la santé de l'ancien légat.

Il... Est vivant.

Sur cet aveu et le sous-entendu qu'il impliquait, je posais un délicat baiser sur le front de mon épouse, qui ferma les yeux dans un remerciement muet.

Je ferais tout pour nous le ramener, comme avant. Je te le promets.

Un engagement sincère, mais dont je ne pouvais garantir le résultat. Pour autant, Calista m'adressa un regard empli de tendresse. Elle s'était fait du souci pour moi, durant cette bataille. Et cette marque d'attention me toucha plus que je ne pouvais l'admettre.

Et maintenant, monsieur le Consul ? Que comptes-tu faire ?

Je n'en sais fichtre rien... Tout va dépendre de ce que souhaite Poséidon. J'ai juste un colis à récupérer à la surface, et je vais probablement reprendre mes voyages, afin d'endosser mes nouvelles responsabilités... N'empêche, je t'avais bien dit que tu faisais une affaire en m'épousant.

Hilare, mon épouse me tapota le bras, ce qui eut le don de me pousser à l'enlacer contre mon coeur.
Nos lèvres se frôlèrent, nos doigts entamèrent une danse intime et délicate, et un voile tomba sur nos présents, le temps d'un voyage vers le paradis.
Lorsque Calista quitta le pilier, au milieu de la nuit, je suivis sa silhouette gracile non sans une infinie tendresse, et un amour toujours plus vif. Puis, le sommeil me reprit.

Les quelques heures de repos bien mérité, suite à la délicieuse et réconfortante visite de mon épouse suffirent à me redonner une pleine vigueur.
Lorsque mes yeux s'ouvrirent à ce jour nouveau, je pris le temps de savourer le moment présent. Toujours paré de ma fidèle écaille, une main sur l'orichalque comme sur l'épaule d'un ami, je laissais mes pensées vagabonder en attendant l'heure fatidique.
Comment Poséidon allait-il impulser notre nouvelle politique ? Par quel moyen remettre sur pied une Atlantis brisée, écorchée, divisée ? Le défi serait de taille, et je pouvais m'estimer chanceux d'avoir uniquement à m'occuper des relations extérieures.
Une douleur lancinante au bras me tira une grimace agacée, et mes pensées se tournèrent vers Arhan. Quelle folle ironie de me retrouver au même rang que l'ancien Primus Senator... Enfin. Il me faudrait bien composer avec son tempérament de feu, et faire fi des erreurs passées. L'accabler ne me vaudrait rien.
Toujours apaisé, presque rêveur, je vis s'approcher un garde qui m'informa d'une visite que je n'attendais pas si tôt.

Veuillez accompagner le capitaine du Naga jusqu'ici.

Ah, Nessius... En voilà un qui semblait avoir lui aussi tout donner lors de cet affrontement terrible.
Rusé, manipulateur, ambitieux, le jeune loup avait fait preuve d'un courage remarquable. Je me devais donc de l'accueillir avec amitié.
Car nous avions survécus, lui et moi, ce qui n'était pas une certitude, quelques jours plus tôt.
Un claquement de doigts, et je fis apparaitre une table sommaire, deux sièges et un fantôme docile. Sur mon ordre, ce dernier fila et me ramena en un temps record quelques victuailles bien humbles. Impossible d'obtenir davantage au vu des problématiques liées aux denrées de ces dernières semaines.
Nessius devra se contenter de lait de chèvre, d'un ridicule morceau de fromage, d'un pain noir et d'une fine couche de miel. Mais l'intention était là.

J'accueillis Nessius avec un sourire fatigué mais soulagé.
Même si nos relations n'avaient pas toujours été au beau fixe, je commençais à bien apprécier cette tête de veau, qui me rappelait mes propres émois à mes débuts.
Aussi, je répondis à son salut par une poigne de fer.

Tu n'as pas l'air trop mal non plus ! Bah... Il fallait bien que je vous laisse un peu la vedette. Et tuer du Muien pour purifier les piliers était relativement divertissant. Même si... C'est un traître Atlante qui a défendu la corruption de l'Indien... Nous avions vraiment sous-estimé jusqu'où s'étendaient les ramifications tentaculaires de ces enfoirés.

Encore un échec dû à l'aveuglement d'Arhan. Mais bon... Inutile d'en rajouter.
Je me saisis d'un second verre et le brandis, afin de rendre hommage au courageux capitaine.

Vu les dégâts, cela à dû être une terrible bataille. Que s'est-il passé exactement ? Et... Comment va Calypso ?

La question me noua la gorge. Séléna morte, Cinead réduit à l'état de légume, le sort de la nymphe m'inquiétait plus que je ne voulais bien l'admettre.
Nessius enchaîna alors en me parlant de Calista. Un rictus tendre illumina aussitôt mes traits, au souvenir des dernières heures.

Elle reste très affectée par le sort qu'a connu son frère. Comme moi, d'ailleurs. Mais je compte bien tout faire pour le sauver. En tout cas, elle a survécu au massacre, sans trop de dommage. C'est le principal.

Si Nessius était arrivé une heure plus tôt, il aurait pu nous trouver dans une situation gênante. Fort heureusement, le Naga avait bien choisi son moment.
Mon visage s'assombrit soudain, lorsqu'il s'enquit des dommages causés lors de l'affrontement.

Quelques gardes et une poignée de civils, sacrifiés pour nourrir les pylônes de cet enfoiré d'Etrius. Cela aurait pu être pire, mais l'humiliation me restera longtemps en travers de la gorge.

Le souvenir de ces innocents enchaînés me noua la gorge. Mais une goulée de lait de chèvre dénoua tout ça, en me causant une légère grimace au passage.

Bref... On va devoir reconstruire. Et c'est loin d'être gagné...

Nul doute que Nessius allait aborder ma nomination comme Consul. Y voyait-il un avantage ?

Kaede Fujin...
J'avais tenu cette traîtresse à portée de main. Ses pouvoirs mystérieux m'avaient mis la puce à l'oreille, mais pas suffisamment. Fort heureusement, la prudence de Cinead à son égard avait retardé ses exactions... La scène dans le temple de Triton me revint douloureusement en mémoire.

Au moins, le vieux con va connaître les délices de l'exil. Il ne retrouvera jamais le confort et les facilités qu'il a connu du haut de son statut. Finalement, je le préfère presque dans la nature. Il doit vivre son humiliation comme le pire des châtiments.

Imaginer Etrius Trémère dans un masure ou un domicile sans serviteurs, à devoir se faire la cuisine et déféquer dans la terre de son potager me fit exploser de rire. Quelle ironie...
Ma main heurta fraternellement l'épaule de Nessius, à l'évocation de son incapacité à vaincre le dieu Muien.

Nous avons tous fait de notre mieux. Atlantis est sauve, et c'est tout ce qui compte. Survivre contre une telle monstruosité est déjà un exploit en soi. Tu peux en être fier.

Comme j'aurais aimé l'affronter moi aussi... Mais préserver les piliers avait été une tache tout aussi importante, et je ne devais pas en concevoir de frustration. Surtout en sachant que Calypso était en vie, saine et sauve après avoir affronté un tel péril.

Cette Nymphe est faite du bois le plus tendre, mais aussi le plus robuste. Si la blessure faite à son cœur parvient à guérir, elle deviendra un atout clé pour notre cité, dans l'avenir.

Mes pensées vinrent se heurter à celles de Nessius, quant il évoqua un panthéon inconnu. J'étais loin d'être un érudit, mais...

L'une de nos priorités sera probablement d'enquêter sur les origines de ce Camazotz. Il faudra probablement que l'un des nôtres en fasse sa mission la plus pressante. Le savoir, c'est le pouvoir. Et nous venons d'avoir la preuve que nous avancions dans l'obscurité...

Je portais de nouveau mon verre à mes lèvres, en relâchant un soupir en sentant le goût du lait me courir dans le gosier.

De toute façon, Poséidon nous a déjà forcé la main. Même si je voulais agonir Arhan sous les reproches, cela ne mènerait à rien. Aucun de nous n'a été irréprochable. Et puis... Je vais devoir m'habituer à la présence de ce flamboyant nouveau membre de l'Amirauté... Bordel... Notre bon dieu a vraiment un drôle de sens de l'humour...

Et un rire amer s'échappa de mes lèvres.

De toute façon, malgré notre victoire, nous ignorons encore tout de leurs forces, de leurs ressources, de leurs alliés... La question du meurtre d'Orpheus en plein Camelot reste entière, par exemple.

Simple opportunité ayant permis aux Muiens de frapper ou plan élaboré ? Je n'arrivais pas encore à me faire un avis clair sur le sujet. Mais ce qu'il s'est passé une fois pouvait se reproduire.
C'était là une mission sur laquelle je comptais bien oeuvrer, au plus tôt. Au moins, je disposerais de l'avantage de pouvoir parcourir le monde, afin de chercher le moindre indice concernant la structure des Muiens. Et ses ramifications à la surface.
Nessius répondit alors à ma question sur Calypso, d'un ton et d'une manière qui me mirent la puce à l'oreille. Tiens donc... Décidément, le Naga semblait en savoir long sur la nymphe. Et son sourire piqua d'autant plus ma curiosité. Pour la peine, je pris mon air le plus innocent pour répondre.

Sa modestie est à la hauteur du reste de sa personne. Vite balayée lorsqu'elle laisse la passion prendre le pas sur sa raison. Calypso est la spécialiste pour arborer une mine de noble, parfaite en tout point. Mais j'ai pu apercevoir une facette bien plus... Piquante.

Le sous-entendu volontaire pouvait faire tiquer une éventuelle jalousie. Alors qu'en réalité, je parlais de son tempérament enflammée lorsqu'elle croyait faire face à l'injustice.
Y avait-il une histoire de coeur en cours ? Vu la tournure de ma dernière véritable discussion avec Calypso, ce n'était pas à exclure... Mais pouvait-elle oublier Orpheus si vite ?

Bah... Ne sois pas désagréable en me rappelant le nombre de corvée dont je suis désormais responsable... Moi, un consul ? Bien des nobles ont dû s'étouffer en apprenant la nouvelle. Pour un peu, je souhaiterais revoir cet enfoiré d'Aoden O'Bannon pour lire le dégoût sur son faciès de hareng.

Et un éclat de rire éclatant m"échappa, alors que je relevais ma coupe en hommage à l'ancien amiral, disparu dans les flots du temps. Un rictus sinistre se glissa alors sur mes traits, face à la sincérité abrupte usée par Nessius.

La glace et le feu... Voilà qui nous correspond bien. Avec Dardanos au milieu, en électron libre. Oui... Poséidon a bien fait les choses, même si je me retrouve dans une position inconfortable. Au moins, j'aurais tout loisir pour voyager et éviter de croiser mes deux compères plus que nécessaire. Je dois bien admettre que la cité a besoin d'unité... Alors quoi que de mieux que d'obliger d'anciens adversaires à collaborer ? Entre nous... Vas-tu réellement pardonner à Arhan pour ses nombreuses erreurs ? Ou le fais-tu par contrainte ?

Même sincérité. Même franchise. Même respect.
J'avais besoin d'un avis extérieur afin de mieux cerner le cas de l'ancien Primus Senator. Celui qui avait renversé mon cher Cinead...

Eh bien… Notre séjour à Camelot nous a rapproché de manière fort intime… Et j’ai pu voir de mes yeux toute l’étendue de ses compétences en matière de… Justice.

Un regard malicieux, un sourire innocent. Et des propos affûtés afin d’enflammer un quelconque élan de jalousie passionnelle. Le naga était bien assez fine mouche pour distinguer le collet de mon piège, mais son émoi pouvait prendre brièvement le pas sur sa raison.
Nessius restait un sanguin, et c’est ce que j’appréciais chez lui.
Pour preuve, face à mon changement de thématique, il se hâta de m’emboîter le pas de manière à renvoyer le sujet Calypso dans les limbes. Amusant…

Nul doute que tu l’aurais profondément détesté. Un guerrier accompli et compétent, mais aussi le cliché du noble parvenu. Manipulateur, violent, implacable et dénué d’affect. Vraiment, les O’Bannon reviennent de loin…

Surpris par le compliment, je me sentis rosir légèrement, avant de plonger mon nez dans ma coupe. Je n’étais pas vraiment habitué à un tel étalage de lauriers.

Bah… Pour toi qui revient d’exil, tu sais ce qu’est une lutte permanente pour exister par toi-même. Cette guerre a révélée toute la vacuité de la politique du sang-pur et des conventions étriquées. A nous, d’amorcer une nouvelle ère pour notre cité. D’ailleurs… Au vu de tes faits d’armes héroïques, pourquoi ne sollicites-tu pas une écaille de général ? Je pourrais appuyer ta demande auprès de Poséidon.

Le plaidoyer de Nessius pour Arhan balaya mon air joyeux pour le remplacer par un sérieux nouveau. L’analyse du naga avait son importance dans mon jugement. Il est vrai que ces deux là s’étaient rudement affronté, peu avant la bataille finale… Et si mon ami pouvait apporter son pardon, voire son estime a Sefirot, peut-être que je pouvais faire de même.

De toute façon, nul n’est propre dans cette affaire. J’ai été abusé par la fausse Kaede Fujin, et lui par Etrius et sa haine envers les Atlas Merinita. Le mieux sera peut-être de me confronter à lui, sans ambages, et de mettre à plat nos sentiments une bonne fois pour toute. Un Consul se doit d’être diplomate… Et si je ne peux pas l’être avec l’un de mes pairs, alors j’en serais incapable lors de négociations auprès d’éventuels alliés. A ce propos… Une fois la reconstruction achevée, quels sont tes projets ?

Le naga comptait-il jouer un rôle dans l’organisation nouvelle d’Atlantis ? Se mettre au service d’un consul ? Ou se tenir simplement en retrait et œuvrer au sein de l’Amirauté ?

Bah tu sais… En m’épousant Calista a acceptée de fermer les yeux sur mes petits travers. Elle n’a jamais été dupe de promesses liées à mon éventuelle fidélité… L’unique condition qu’elle m’impose reste que mon coeur lui soit à jamais réservé.

Un sourire empli de tendresse se dessina aussitôt sur mes traits fatigués.
Oui, mon épouse était une femme pragmatique, mais fière. Elle connaissait mon passé mieux que quiconque, et savait qu’il serait vain de vouloir m’emprisonner dans une cage de conventions dorées. Je conservais donc ma liberté de débauche… Tout en tenant ma parole concernant les inclinaisons de mon amour sincère à son égard. Du moins avec les femmes…
La conversation s’orienta alors sur le sentiment de Nessius concernant son éventuelle ambition de rejoindre la caste des généraux. Et, malgré mon désaccord, je le laissais s’exprimer.
Malgré son humilité, je sentais que le fait que cet honneur lui soit, pour le moment, refusé le blessait. Or, il était désormais en mon pouvoir d’en toucher deux mots à Poséidon.

Peu de guerriers auraient fait preuve de ta bravoure, sur le champ de bataille. Et comme je te l’ai dit, aucun de nous n’est blanc dans ce grand bordel.

Si Dardanos avait été promu, il était normal que Nessius bénéficie d’un même traitement. Pour autant, je gardais mon projet pour moi. De toute manière, mon entrevue avec Poséidon ne tarderait plus.

Seul l’avenir le dira. J’avoue que j’attends un geste de la part d’Arhan, avant de me forger une opinion définitive. La trahison d’Asvaat et ses motivations ont encore assombris mon sentiment à l’égard des Sefirot. Mais je ne tiens pas à fermer la porte définitivement…

Surtout en raison de la malédiction de Poséidon. Mon verre glissa de nouveau sur mes lèvres, et j’engloutis les dernières gouttes de ce lait peu goûteux.
L’espace d’un instant, j’hésitais sur le degré de franchise auquel je devais m’adonner… Avant de décider de l’être de manière abrupte.

Et si tu le retrouves que feras-tu, seul ? Tu veux finir comme Cinead ? Même à trois, vous avez été incapable de l’achever. Si tu veux véritablement obtenir ta vengeance, il va falloir renforcer ton pouvoir, mon petit Nessius… Et sans vouloir te manquer de respect, je doute qu’à l’heure actuelle, tu m’arrives à la cheville. Alors à celle d’un dieu…

Autant le meurtrir dans son égo, pour le pousser à se dépasser par orgueil. Si cela pouvait lui éviter de foncer tête baissée dans la gueule d’un adversaire bien trop fort pour lui, cela valait bien la peine.
Ma plus grande frustration dans ce conflit était de ne pas avoir eu l’opportunité de me confronter à ce Camazotz. Depuis la récupération de mon écaille, j’avais senti mon pouvoir s’accroître au delà de ce que j’avais toujours cru possible. Où me situais-je désormais ? A la porte de la divinité ? Ou aux limites de la mortalité ?

J'écoutais avec attention le jugement de Nessius sur ses propres actes.
Oui, il avait agi de son mieux, mais avait également commis autant d'erreurs que nous autres. Poséidon en tirerait les conséquences, mais si je pouvais aider... Je le ferais. Tel était aussi mon nouveau rôle à Atlantis.

Normale, peut-être pas. Tu as été exemplaire lors de l'affrontement final. Peut-être qu'il te manque juste une image vis à vis du peuple. Mais aussi... Vis à vis de toi même.

Sous ses manigances, Nessius manquait d'assurance à mon goût. Il ne s'assumait pas, et restait complexé par le sort qui lui avait été réservé. Or, Poséidon devait vouloir des officiers supérieurs les plus stables possibles. Mais je ne doutais pas que le Naga serait un jour reconnu à sa juste valeur. Au moins, me concernant il l'était.

La vengeance ne te conduira qu'à ta perte. Et je te parle d'expérience... Quand j'ai échoué à venger la mort d'Orpheus, je me suis perdu dans la colère, la rage même. Et j'ai commis de nombreuses erreurs. Sans que cela ne parvienne à apaiser la peine de Calypso, qui l'aimait profondément. Crois moi, la vengeance ne laisse que des cendres...

Ce qui n'empêchait pas de planifier une stratégie froide et basée sur la patience. Aussi, mon air sérieux jusqu'alors se mua en un rictus mauvais.

Le moment venu, nous frapperons. Mais patience... Si tu te laisse aveugler par ton ressentiment, tu pourrais tomber dans un piège de nos ennemis. Nous avons bien assez vu à quel point ils savent jouer de nos faiblesses.

En outre, j'étais moi même curieux de combattre ce dieu de pacotille. Une façon comme une autre de tester mes propres capacités.

Bah... J'ai plusieurs options. Constater si l'ancienne alliance avec le Sanctuaire me semble judicieux. Je compte également miser sur mon statut de chevalier de la table ronde pour nous rapprocher de Camelot, malgré le meurtre de notre légat commis entre leurs murs... Il y a les Oracles aussi. Je m'entends bien avec Celestia, l'une de leurs éminences. Bref, je vais voyager jusqu'à plus soif...

Ce qui était à la fois un sacerdoce mais également une chance. J'allais devoir également m'occuper de mon réseau d'espionnage. Bref, l'ennui allait devenir un luxe.

Revanche, vengeance, justice, tant de concepts tournés sur la nécessité d’aller de l’avant, sans rien renier d’un passé traumatisant.
Les actes abjects des Muiens devaient être suivi de conséquences. Sur ce point, j’approuvais pleinement Nessius. Mais nous étions encore bien trop affaiblis pour leur porter un coup digne de ce nom. Toutefois, apaiser la soif de sang du naga serait une quête vaine. Aussi, je préférais ne rien ajouter face à son ire légitime. Le temps du sang viendrait bien tôt ou tard.

J’ai déjà entendu parler de terres mystérieuses, loin à l’est de la Méditerranée. Pour échapper à la vigilance de notre seigneur, ils doivent se terrer sur des plaines éloignées de toute mer. Leur fuite par l’arche des 5 pics n’est pas anodine, j’en donnerais ma main à couper.

Les muiens étaient bien assez retors pour avoir planifier une retraite digne de ce nom. De quoi se protéger de l’ire de Poséidon, en se tenant loin de son royaume et de ses zones d’influence. Mais nous avions au moins un point de départ pour débuter une éventuelle traque.
Donner cette information à Nessius pouvait le pousser au zèle, mais de toute manière, vu son intellect, nul doute qu’il serait vite parvenu à la même conclusion que moi.

Celestia ? Euh… C’est une sorte d’ange incarné sur terre. Blonde, prônant la non-violence, emplie de douceur et d’humanité… Mais possédant une face cachée bien dissimulée. Tel l’été dont elle porte les couleurs, elle est capable de réchauffer les coeurs, mais également de calciner ses ennemis.

Et j’en savais quelque chose pour affronter bataille à ses cotés, mais aussi en face à face.
Ma victoire lors de notre duel avait été remporté de haute volée, tant Celestia possédait de solides compétences martiales. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, de prime abord.

Depuis le temps que je sévis parmi les éveillés, j’aurais tendance à croire que le hasard n’existe pas… Mais votre éventuelle rencontre serait une pirouette amusante. Je pourrais lui mentionner ton nom, si vous vous êtes quitté en bons termes.

Ce qui n’était pas si évident connaissant le caractère de ce bon Nessius. Pour autant, leur lien pouvait m’apporter une accroche supplémentaire afin de conserver les bonnes grâces de l’ange d’été.

Je songeais à proposer aux Oracles de nous octroyer un émissaire résident permanent à Atlantis. Avec un peu de chance, Celestia sera volontaire pour resserrer les liens entre nos deux factions. J’espère juste que sa présence ne perturbera pas la croissance des graines que tu as semé…

Une aussi belle blonde dans les parages, et une idylle naissante pouvait en pâtir. Un rictus innocent se dessina sur mes traits, en attendant la réaction du naga.

En effet. Le monde est vaste, au delà de l'Indien. Et je ne crois pas au hasard.

Les 5 pics... Une fois nos forces reconstituées, il ne sera pas vain d'y envoyer un contingent ou du moins une équipe d'exploration. Nul doute que le naga sera dans les premiers volontaires afin de débusquer l'ennemi et ses caches.
Le sujet revint sur Celestia et je laissais un rire cristallin s'échapper de ma gorge lorsque Nessius me confirma qu'il connaissait bel et bien l'oracle de l'été.

Le monde est petit, décidément... Assurément, Celestia serait une émissaire parfaite. Ses qualités d'oratrice ne sont pas à mettre en doute, ainsi que son tempérament. Et puis, si nous pouvons jouer sur la corde sensible... Ce sera un avantage de plus.

Un rictus complice fut l'unique réponse que j'accordais au capitaine quant à son allusion sur ma capacité à resserrer des liens. Malgré la beauté manifeste de la jeune femme, je doutais qu'elle soit du genre à succomber à mes charmes.

Ne néglige pas la mémoire des éveillés. Et puis, tu pourras toujours lui rappeler des souvenirs communs. A défaut de forces militaires, nous devons nous appuyer sur nos armes diplomatiques afin de tirer notre épingle du jeu. Et des mémoires communes avec nos éventuels alliés ne pourront qu'ajouter à nos atouts. C'est bien là l'un des seuls aspects positifs que je retire de notre séjour à Camelot...

Les graines plantées donneront-elles de beaux fruits ? Je l'espérais, car nos possibilités restaient limitées.
Je reposais machinalement ma coupe, l'air pensif.

Je ne suis pas prêt de revenir à Atlantis... Tu sais ce que cela signifie, n'est-ce pas ? Notre défense va reposer sur les épaules de Noah, Calypso et les tiennes, afin de préserver Poséidon et les autres consuls. Ouvre l'oeil et le bon. Rien ne dit que tous les espions ont été décimés.

Un espion sur les terres inconnues de l’Est anonyme ?
Ma foi, l’idée est séduisante. Pour autant, imaginer Nessius seul dans un territoire inconnu ne me plait guère. Une idée germe alors dans mon esprit calculateur. Et en l’espace d’un instant, un rictus malicieux s’étire sur mes traits fatigués.

Pourquoi pas ? Je vais clairement manquer de temps pour voyager en dehors des terres de nos potentiels alliés. Du moins pendant un temps… Or, si nous pouvions avoir une idée de l’emplacement où se terre nos ennemis, cela pourrait nous offrir un réel avantage sur eux. Mais je ne tiens pas à t’envoyer seul dans la gueule du loup. Par contre, pourquoi ne formerais-tu pas une troupe d’espions ? Cela te permettrait de rester à Atlantis tant que nécessaire, tout en oeuvrant tout de même pour planifier nos futures actions contre les Muiens.

Sur le modèle de mon propre réseau en Méditerranée. Une information que je préférais garder pour moi. Mais cela me rassurerait de voir Nessius obtenir des yeux et des oreilles, sans lui même devoir s’impliquer frontalement. Nos forces étaient bien trop décimées pour courir le risque de perdre un tel atout.
Aussi, sa mention suivante me fit tiquer, avant qu’un bref éclat de rire ne s’échappe de mes lèvres.

Tu fais bien, tu fais bien… Mais soyons sérieux… Même si une telle rumeur venait à se répandre, qui oserait s’en prendre à celui qui est resté debout face à Camazotz, sans preuves tangibles ? Allons… Ta situation est bien moins précaire qu’à ton retour d’exil. Je peux consigner officiellement ton explication, si cela te rassure. Mais moi vivant, tu n’es pas prêt d’être socialement en péril… Tant que tu ne fais pas n’importe quoi.

Le rappel d’une baffe collée lors de notre première rencontre.
Nessius avait été un élément clé lors des derniers évènements. Et je n’étais pas un ingrat. Ni un amnésique. Pour autant, son tempérament méritait parfois qu’on y oppose un brin de tempérance, plus ou moins frontale.
Mon amusement s’évapora comme neige au soleil devant la pique perfide de mon ami.
La mine fermée, je reportais l’ignoble breuvage sans alcool à mes lèvres, avant de laisser planer un bref mutisme, lourd de sens.

Bien entendu… A la hauteur de leur temps disponible, et de leur talent martial…

Qui restaient encore à démontrer, tant ces deux là n’avaient pas vraiment brillé lors de la confrontation finale. Notre victoire s’était grandement faite sur le dos d’un ancien exilé, d’une nymphe courageuse et d’une générale invisible, dont il ne resterait que le souvenir d’un héroïsme fatal.
Un soupir m’échappa aussitôt, en ressentant la brûlure désagréable sur mes bras, en écho à la souffrance subie par Arhan. Au final, malgré mon opinion peu flatteuse à l’égard de mes pairs, c’était peut-être à moi de leur tendre la main, pour le bien d’Atlantis… Bordel, j’en avais déjà la migraine.

La prudence de Nessius me fait sourire, et je ne m'en cache pas.

Nous allons éviter de répéter les erreurs d'Orpheus. Il n'est pas question de remplacer sa milice secrète par une autre. Si l'idée t’intéresse, libre à toi d'en informer Arhan et Dardanos. Mais tu peux déjà compter sur mon soutien plein et entier.

Même si l'idée venait de moi, je n'aurais pas le temps de m'en occuper en personne. Aussi, il revenait à mon jeune ami de creuser l'affaire, et de présenter cette éventualité à mes pairs sous un jour favorable.

En outre, s'ils pensent que cela vient de ton initiative, il sera plus simple de t'imposer à la tête de cette troupe. Je n'aimerais pas que les deux autres consuls te voient comme l'un de mes alliés les plus proches.

Car au fil des derniers évènements, Nessius m'apparaissait comme un atout, mais également comme un ami. Or, ce statut pouvait lui porter préjudice, dans le grand jeu de la politique.

Oui, tu portes encore le sceau du mauvais oeil pour beaucoup de nobles... Mais je suis persuadé que ton acte de bravoure t'a également apporté une renommée. Les choses changent... J'en suis la preuve, non ?

Le jugement du naga sur Arhan et Dardanos déclencha un franc éclat de rire de notre part mutuelle. Sur ce point, il me rejoignait totalement. Bien que les deux notables soient loin d'être des novices, ils ne comptaient pas vraiment dans les rangs des plus grands guerriers de la cité.
Pour autant, nous avions beau jeu de nous moquer. Il ne fallait pas non plus les sous-estimer. Mais après tant de souffrances, le droit de nous défouler verbalement ne pouvait nous être refusé.

En effet... J'ai pas mal de choses à voir... Quelque chose me dit que les petites interludes détentes vont devenir bien rares. D'ailleurs, il faudra nous accorder un entraînement digne de ce nom, un de ces jours. J'ai bien envie de me confronter à l'officier qui est parvenu à survivre à la confrontation avec un dieu.

Une lueur combative embrasa brièvement mes pupilles, alors que je dévisageais le naga. Et dans un geste taquin, je levais haut ma coupe.