[Mai 553] Sagesse et force [Euryan]

« Particulièrement perspicace… »

Une vision particulièrement précise. Je me retins de lui sortir le traditionnel : « bien vu, l’aveugle ! », supposant qu’elle risquait de se braquer à cette boutade qui tenait plus de la blague de boisson au coin du feu que de ce que l’on pouvait se permettre avec une sœur d’arme quelque peu susceptible.

«Tout dépend de l’élément en réalité. Mon maître était le chevalier d’argent de l’écu. Et vu que la légende de Méduse raconte que son regard transformait quiconque le croisait en pierre, j’ai appris à utiliser mon propre cosmos dans ce sens. »

S’être entraîné aux pieds de la grande cascade de pierre avait été particulièrement bénéfique dans ce cadre.

«Quand j’étais le disciple de Gratian, il m’a fait suer sang et eau pour que j’apprenne à ralentir les mouvements, jusqu’à les figer. A modeler les pierres à ma convenance. A ne faire qu’un avec elle. Je ne sais pas si cela rentre dans ta considération des « éléments » ceci dit… »

Sa phrase suivant m’arracha un éclat de rire. Décidemment, ma mort était un secret de paille !!! Si elle pouvait le percevoir en ressentant les auras, nulle doute que d’autres s’en rendraient compte à leur tour. Alors autant poser les drachmes sur la table directement.

«Tu es douée ma chère Dana… C’est vrai, je suis revenu des Enfers. J’ai eu la malchance d’être abattu dans le dos par un Oracle lors de notre victoire de Rome. Mais il semblerait que je sois persona non grata dans le royaume souterrain. J’ai donc eu la chance de pouvoir revenir. Tout comme le phénix semblerait-il…»

Etait-ce parce que nous étions l’un et l’autre des poisons qu’Hadès n’avait pas voulu de nous ? Un mystère. Mais au moins verrait-elle que la franchise n’était pas un vain mot pour moi.

« Oui, c’est quelque chose que j’ai dû apprendre, il n’y a rien d’inné si c’est le sens que tu donnais. Après, le pouvoir des Gémeaux est, je suppose, basé sur l’accélération de l’énergie vitale, là où le miens tient plus de son ralentissement. Comme on le disait, chacun sa spécialité…»

La Coupe ne semblait pas vraiment au fait des forces en présence et des différents ordres d’Eveillés qui existaient. Ce genre de lacune était surprenant. Qu’avait donc foutu Kaleb pour ne pas transmettre ce genre de connaissance fondamentale à son élève ?! Le temps était sans doute venu de mettre ses connaissances à jour.

«Bien Les Oracles sont les serviteurs d’Apollon, comme les Berserkers sont ceux d’Arès, les Spectres ceux d’Hadès et les Marinas, ceux de Poséidon. Des éveilles au cosmos qui, comme nous, sont porteurs d’armures sacrées. Apollon et Arès ont fait assassiner le prédécesseur de Childéric , Akrites. D’où l’offensive sur Rome qui a amené à détruire la tour des Vents, le siège de leur pouvoir et réintégrer la ville éternelle à l’Empire. C’est pendant cet assaut qu’un Oracle m’a attaqué dans le dos. Ce qui s’est passé ensuite, c’est une autre histoire… »

Devait-il la lui raconter ? Sans doute. Si la Vierge ne lui avait même pas parlé des Oracles, elle ne devait rien savoir des exactions de Narsès et de sa clique.

«Narsès, le chevalier d’argent de l’Autel, celui qui est censé être l’ombre et le prolongement de la volonté du Grand Pope s’est enfermé dans une logique paranoïaque. Il a pourchassé et torturé les Oracles malgré l’opposition du Vieux Lion. Il a trahi le Sanctuaire et nous avons dû l’éliminer lui et tous ceux qu’il avait entraîné dans sa folie. Certains se sont repentis comme Xanathos. Pour les autres, Childéric m’a envoyé faire du ménage avec des gardes d’élite. On raconte que la Vierge a lui aussi été mis à contribution avec le Phénix et l’Oiseau de Paradis… Crois-moi, l’Italie est tout sauf une destination rêvée… »

Pour ce qui était des Enfers, loin de l’image que les légendes de son peuple cultivaient, celles des grecs à ce sujet étaient beaucoup moins agréables.

«Si l’on excepte les Champs Elysée qui ressemblent à ta description, chez nous c’est plutôt un lieu de souffrance où tu es privé de toute volonté et condamné aux tourments éternels. Je ne me souviens pas de grand-chose. Juste que je n’ai ni franchi l’Achéron, ni la Porte des Enfers à proprement parlé. Je suis persuadé que la Déesse m’a ramenée vers le monde des vivants… »

La raison néanmoins en restait mystérieuse.

« Apollon est le dieu du soleil, des arts et de la médecine. C’est une divinité instable, aussi bien créatrice que destructrice de civilisations, avec un égo particulièrement démesuré. On dit que suite à la dernière guerre, ses Oracles se sont éparpillés volontairement aux quatre coins du monde et que la Sagesse l’a scellé pour empêcher qu’il ne reprenne une nouvelle enveloppe charnelle... Après si tu veux en savoir plus à ce sujet, je crains que tu ne doives interroger le Vieux Lion en personne. Ou alors les Dorés qui ont participé à ce conflit…»

Les raisons pour lesquelles la guerre s’était déclenchée, pour laquelle l’ancien Pope Akritès avait été assassiné ne m’étaient pas connues. Après tout, je venais tout juste de revenir de Cyrénaïque et l’on m’avait propulsé en Italie sans vraiment prendre la peine de m’expliquer les tenants et les aboutissants. De plus, certaines informations restaient au niveau des treize temples sans que nous autres, d’argent ou de bronze, nous n’en soyons informés.

En revanche, en ce qui concernait le Rêve de la déesse, il était pour moi, plus facile de l’expliquer. On m’en avait abreuvé depuis l’enfance. Je pouvais donc réciter ma leçon comme un gamin devant son pédagogue.

«Athéna rêve d'un futur de paix pour les Hommes où notre espèce serait guidé par la raison pour résoudre les conflits et en finir avec les déchaînements de passion et de violence, de peurs et de superstitions. Un avenir éclairé où la connaissance prendrait le pas sur les croyances…»

Une façon de résumer les choses.

«Rassembler les peuples permet de créer une égalité de tous devant les lois des hommes, au-delà des exigences des dieux. Pour qu’ils puissent accéder au libre-arbitre et cesser d’être des pantins dont les divinités usent et abusent à leur guise…»

C’est vrai, elle ne pouvait pas connaître l’Achéron. C’était une telle évidence pour moi que j’oubliais à quel point pour des personnes originaires d’autres civilisations et qui n’avaient pas reçu l’instruction basique, ces termes devaient sonner comme une curiosité.

«l’Achéron est un fleuve, un affluent du Styx. Le fleuve que l’on doit traverser pour entrer dans les Enfers. Il faut payer le passeur d’une pièce de bronze ou d’un objet précieux selon la tradition. Pour cela que les anciens les plaçaient sur les yeux du défunt, pour payer le passage…»

« Tu sais, je peux pas prétendre être au courant de tout non plus… Si je n’y avais pas participé, j’en saurais sans doute autant que toi à ce sujet. Mais il y a peut-être des rapports du prédécesseur de Kaleb sur le sujet. Je ne sais pas s’il y avait un Doré de la Vierge. Je n’en ai pas croisé sur le champ de bataille. C’est moi où tu n’as pas très envie de monter au treizième temple ? »

Dana semblait se crisper à chaque fois que je faisais mention du Vieux Lion. Bon, c’était vrai, il ne l’avait pas ratée mais bon… A part les Poissons et peut-être la jeune Lionne, qui pouvait prétendre pouvoir dérider ce vieux fauve mal léché ? Même quand j’avais recours à l’humour de caserne, cela ne lui tirait que des soupirs blasés. Pas le genre de type avec lequel on allait volontiers se taper une coupe. Sans jeu de mot. A croire que la fonction rendait aigrit et psychorigide.

Quand elle évoqua le Connaught, c’était à moi d’être surpris. Une ambassade chez les âmes damnées de l’Empereur des Ténèbres ? Qui avait bien pu être envoyé pour négocier quoi que ce soit avec cette garce de Medb ? Et quand ? Je savais qu’une ambassade avait été envoyée à Camelot pour le couronnement de l’ancien bouquetin doré pendant que je m’emmerdais à courir après les serviteurs de Narsès en Italie.

Déjà qu’il fallait faire avec un rapprochement avec les spectres eux-mêmes... Ce n’étaient pas des choses qui me réjouissaient au plus haut point. Au moins les berserkers, aussi demeurés soient-ils, avaient un certain goût pour la vie. Même si cela se résumait à céder à leurs pulsions et à verser le sang dès que l’occasion s’en présentait.

«Pour qu’on soit réduits à accepter de rencontrer les serviteurs d’Hadès et d’envisager une alliance avec eux, c’est vraiment qu’on a pas beaucoup d’options… C’est un marché de dupe si tu veux mon avis. Le tout est de savoir qui baisera l’autre le premier…»

Bon, je n’avais pas fait dans le détail niveau langage. Mais elle en verrait d’autre ! En revanche, quand elle évoqua le positionnement d’Athéna, je la stoppais nette.

«Tu plaisantes ? S’il y a bien une divinité qui tient farouchement au libre-arbitre des Hommes, c’est bien elle ! Tu me parlerais de Poséidon, le dieu des mers, ou d’Apollon, je te dirais peut-être. Athéna considère que dominer ses pulsions, c’est se débarrasser des fers de la bestialité qui est en nous pour aller vers un monde où les désaccords peuvent se régler par le verbe et la loi, sans effusion de sang et sans prendre en otage des personnes innocentes…»

Tout du moins, c’était de cette manière que j’avais compris le Rêve : bâtir un monde meilleur pour protéger les plus faibles.

« Tu as un toit au-dessus de la tête, tu es nourris, blanchis… Tu es censée recevoir également de l’argent pour couvrir tes frais et éventuellement te loger par toi-même en dehors du Sanctuaire si tu le souhaites. N’est-ce pas avec cet argent que tu as réglé la somme manquante pour Mantios ? Et puis, sans vouloir te manquer de respect, on garde rarement les aveugles parmi les esclaves. Crois-en mon expérience…»

Bon, elle ne pouvait pas le savoir mais, malgré ma grande gueule, il y avait quand même des sujets sensibles. L’esclavage en était un. Après tout, combien de mes frères et sœurs d’armes étaient nés en étant considéré au même titre que du bétail ? Peu. Et la Coupe ne faisait clairement pas partie de ceux-là. J’essayais néanmoins de ne pas me braquer.

«Excuses-moi mais tu es naïve si tu imagines que le donnant-donnant fonctionne avec tout le monde. Et encore plus avec le Vieux Lion. Il est là pour diriger notre Ordre. Pas pour jouer les marchands de tapis. Il n’y a pas d’ancien ou de chef parmi les druides ou au sein de ton village ?»

Après tout, on était une armée pas une compagnie d’artistes des rues ou des malandrins. On ne venait pas pour réciter du Cicéron ou jouer une pièce d’Euripide. Quant aux visées de la déesse, il y avait sans doute deux choses que Dana oubliait. La première concernait la notion de croyance. La seconde, la conception du temps.

«Tu confonds croyance et superstitions. La foi n’est pas un souci en soi tant qu’elle ne repose pas sur la peur et sur l’ignorance. Ce n’est pas la diversité des religions qui pose soucis mais quand ces dernières reposent sur la soumission des Hommes davantage que sur leur épanouissement. En plus, si je me souviens de ce que j’ai pu retenir des celtes, vous avez une conception cyclique du temps, c’est bien ça ? La Sagesse voit le temps comme une perpétuelle évolution, il n’y a pas d’aube et de crépuscules mais des sommets et des vallées. Un peu comme une chaîne de montagnes…»

Une notion qui serait peut-être difficile à cerner pour elle à moins que je ne puisse la lui faire ressentir au creux d’une paume. Elle avait beaucoup de questions et moi trop peu de réponses à lui apporter. Après tout, je n’étais ni le Grand Pope, ni un doré.

«Tu sais ce qu’on dit sur la famille. On ne la choisi pas. On fait avec…. Ou sans. J’imagine que ça vaut aussi pour les divinités. Je ne sais pas si on peut tuer un dieu. Peut-être juste son enveloppe d’emprunt ? En tout cas, on peut les enfermer pendant un certain temps pour les empêcher de nuire. Je ne sais pas si on peut encore parler d’alliance avec Hadès. La diplomatie, ce n’est pas forcément ma coupe favorite si tu m’excuses l’expression. Mais ça m’inspire la même chose que toi, à priori. J’ai pas confiance dans les Spectres. Ni hier, ni maintenant, ni demain…»

«Si tu ne sais pas quoi faire de cet argent, il y a toujours des nécessiteux qui en auront besoin… Surtout à Rodorio. Les familles des hommes tombés au combat par exemple… A moins que tu ouvres un dispensaire en ville pour soigner gratuitement les gens. J’ai cru comprendre que cela faisait partie de tes talents, non ?»

Et oui ma cocotte ! J’ai aussi une bonne ouïe ! Et quelques idées à revendre pour venir en aide aux plus démunis. Bon, pour autant, il ne fallait pas oublié que le grand Pope l’avait confinée au Sanctuaire. Rodorio, c’était encore jouable. Au-delà… Je l’imaginais mal se balader dans les rues de Constantinople sans qu’elle sème le chaos autour d’elle. Ou qu’elle se fasse repérer.

L’évocation du rapport aux anciens de son clan me fit esquisser un petit sourire. Oui, j’avais connu ça aussi… Dans une autre vie. Celle des voleurs où la transmission du savoir se fait de cette manière. Mais pas dans l’armée. Cela faisait partie des choses qui pouvaient m’agacer au Sanctuaire. Les donneurs d’ordre et ceux qui pensaient que parce que leur armure était à un niveau plus élevée que celle des autres, cela leur donnait le droit de vie ou de mort sur autrui.

Il était clair qu’il fallait qu’elle s’adapte sur ce point comme sur tant d’autres. Que cela lui plaise ou non.

«Ecoute… Ici, ça ne fonctionne pas comme ça. Nous sommes une armée, tu comprends ? Je suis le premier que ça agace mais il y a ceux qui donnent les ordres et ceux qui les exécutent. Le Grand Pope appartient à la première catégorie, nous à la seconde. Ça ne me plait pas plus qu’à toi, ceci dit. Je me débrouille juste pour trouver les failles et les espaces dans cette organisation rigide pour faire ce que bon me semble sans trop enfreindre les règles. D’où l’importance de bien savoir où l’on met les pieds… »

Compliqué de vivre au sein de l’Empire ? Elle avait l’art de défoncer les portes ouvertes la rouquine. Mais au moins, maintenant, elle y verrait un peu plus claire. Enfin… Façon de parler…

«Bon, c’est pas tout mais j’ai de l’argent à redescendre si je ne veux pas qu’un charpentier tente de me crucifier devant son échoppe. Ma proposition de l’autre jour tiens toujours ceci dit. Si tu as besoin de te défouler… Que le Grand Pope t’agace un peu trop… Il y a une cascade de pierre dans les montagnes. Mon ermitage s’y trouve. Ca fait un parfait lieu de combat… Loin des regards indiscrets…»

Qu’elle sache au moins où me trouver en cas de besoin.

Citation :

Fini pour moi merci bien !

«Techniquement, elles appartiennent au Domaine Sacré. Et il y a une tolérance pour Rodorio… Tu n’enfreindrais donc pas les ordres du Vieux Lion mais… C’est à toi de voir si je puis dire…»

Après tout, si elle restait bien sagement dans le temple de la Vierge, elle allait trouver le temps incroyablement long. Et puis… Si elle n’était pas capable de s’arranger avec quelques règles, elle devenait, pour le coup, bien moins intéressante. Elle cherchait une occasion de quadriller le Sanctuaire pour pouvoir mieux se repérer ? Je la lui servais sur un plateau. Maintenant, le tout était de savoir si elle saisirait cette opportunité on non.

«Ecoute… Tu pourras toujours prétexter m’amener un onguent ou je ne sais quelle potion. Celle pour l’humilité par exemple ? Les gardes ne te poseront pas de question. Et de toute manière, ils seraient bien incapables de t’arrêter. Au mieux pourraient-ils te ralentir pour certains d’entre eux qui ont des prémices d’éveille…»

Une réalité. Aussi novice qu’elle soit dans l’Ordre, seul un chevalier de rang égal ou plus expérimenté pourrait l’empêcher de quitter le Domaine Sacré. Néanmoins, si l’envie lui prenait de risquer une telle folie, ce serait sans doute moi que le Vieux Lion enverrait pour l’exécuter. Ironique.

«Encore merci pour la galette. A une prochaine fois alors, Dana de la Coupe… Mes salutations à ton amie…»

Je m’éloignais donc sans un geste, prenant la direction de l’entrée du temple pour redescendre vers la maison du Lion. J’allais enfin avancer.

Citation :

RP Terminé pour moi merci