[Fin mai 553] Kronstadt - les marques du voleur (Mission profane Kilian/Euryan)

Point de repos pour les braves.
Sitôt parvenu au Sanctuaire, j'avais reçu pour mission d'escorter une bande d'alchimistes de Constantinople vers les forêts du Siebenbürgen. Et plus précieusement, les sous-sols de la citadelle.
Or, depuis bien longtemps déjà, je ne croyais plus aux coïncidences. Et pour avoir moi même mener une petite enquête au coeur des fondations du bastion de Klausenbourg, je me doutais qu'un travail identique attendait mes confrères.
Mon objectif ? Assurer leur sécurité, les mener à bon port et éventuellement leur apporter mon expertise. Pour l'occasion, un chevalier d'argent, assez discret au Sanctuaire, s'était porté volontaire afin de m'assister. Qui était-il donc ? Ma curiosité était piquée.
Le jour J de notre départ, je dirigeais mes pas vers un campement militaire, établi à la frontière naturelle du Danube. Je fus accueilli par des sentinelles vigilantes, visiblement au fait de ma venue.
Je saluais strictement les soldats, et m'avançais vers la tente de l'officier supérieur.
Dans un souci de praticité, j'avais revêtu une tenue byzantine pratique pour se déplacer furtivement et rapidement. Ma cloth box sur le dos, seul signe de mon identité pour qui ne m'avait pas vu au front, j'attirais vraisemblablement l'attention générale.

Seigneur Kilian ?

Étonné par l'interpellation, je me tournais vers un jeune homme visiblement enthousiasmé par mon apparition. Pourtant, son faciès m'était inconnu. Une toge claire, une sacoche de cuir en bandoulière, il se trouvait au centre d'un cercle d'hommes d'âges divers, qui posèrent leurs regards attentifs et scrutateurs sur ma personne.

Oui ? Vous êtes ?

Je me nomme Julien, et je suis un disciple de maitre Epirus ! Il m'a longuement parlé de vous !

Le souvenir du vieil alchimiste que j'avais croisé lors de ma quête de traduction du Jamirien me revint aussitôt. J'adressais alors un sourire à sa pupille, visiblement enchanté de notre rencontre.

C'est donc vous qui mènerait notre troupe sur les terres ennemies ? Quel honneur !

En effet. Je serais en charge de votre sécurité, principalement. Mais je ne serais pas seul pour mener cette tâche à bien...

Euryan, hein ?
Voilà bien une arrivée dont la teneur me laisse circonspect.
Étonné par l’intervention abrupte de mon coéquipier, j’hésite à le remettre directement à sa place. Mais un regard aux mines inquiètes des alchimistes suffit à me pousser vers l’apaisement.
Un sourire amical se dessine sur mes traits, dans un effort louable de corriger la mauvaise première impression que vint de me faire le chevalier d’argent.

A chacun ses compétences, Euryan. Nos amis ici-présents feront de leur mieux pour faciliter notre tâche de protecteurs, je n’en doute pas. Tout en préservant leur énergie afin de mettre en pratique leurs compétences d’érudits. A nous de veiller à leur sécurité, lors du trajet en terre hostile.

Face à mon intervention, le jeune Julien m’adresse une moue soulagée. Et au vu de l’attention portée par ses pairs, je devine que malgré son âge, il est considéré comme le meneur de leur groupe. Probablement un prestige dû à son mentor, en vue à la cour impériale.

Toutefois, Euryan a raison sur un point. Essayez de revêtir des tenues plus pratiques et discrètes. Pour votre confort, mais également afin de passer le plus inaperçu possible.

Un sourire encourageant et la troupe d’alchimistes se retire sous une large tente colorée.
Je me retourne alors vers mon compagnon de route et lui tends la main, pour lui adresser un salut de guerrier, paume contre avant-bras.

Je suis Kilian du Verseau, comme tu peux t’en douter. C’est un plaisir de te connaitre, même si j’aurais préféré le faire en de meilleures circonstances… La bataille contre les chiens d’Arès n’a pas été de tout repos. Y-as-tu participé ?

De ce que j’en savais, les chevaliers d’or avaient été envoyé au front pour la plupart, ainsi qu’une poignée de guerriers de rang inférieurs. Euryan comptait-il parmi nos recrues lors du conflit récent ? Si oui, sa survie plaidait en faveur de ses compétences.
Toutefois, je crus bon de rectifier un point important, en tournant mon regard vers la tente dans laquelle se tenait notre troupe d’érudits mondains.

J’ignore si tu as souvent participé à des missions auprès de dormeurs, mais il serait contre-productif de les affoler plus que nécessaire. J’aimerais éviter que l’un d’entre eux s’enfuit dans les bois au premier danger venu. Ces hommes sont des notables, non des soldats. Et maintenir leur moral sera une tâche tout aussi pénible que de les protéger contre les menaces éventuelles.

Non une morale mais un conseil amical, né de mes expériences précédentes. Espérons que mon opinion ne froisse pas le chevalier d’argent… Sinon, le périple risquait d’être bien long.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce chevalier ne s’embarrasse ni de manières, ni de marque de respect.
Le voilà qui me tutoie librement, me traitant comme un pair. Que cherche-t-il ? A tester mon caractère ou à m’imposer le sien ? Pourquoi Childéric m’a-t-il mis un individu de cette trempe dans les pattes ? L’espace d’un instant, je m’imagine le rire tonitruant de mon beau-frère, et je relâche un soupir navré.

Dans ce cas, pourquoi es-tu venu ? Par obligation ? Ou le sort de ces homme t’importe-til un tant soit peu ?

Mon sourire laisse place à un visage plus fermé, mais non hostile. Une manière de mettre un frein à l’agressivité et au mépris qui sourde de l’attitude de cet homme bien abrupt.
Ou alors est-il peut-être juste susceptible ou peu sur de lui ? Sa manière de m’exposer ses faits d’armes me fait froncer les sourcils. Mais je juge inutile d’entrer dans un concours de prestige avec lui. Aucun de nous n’y trouverait avantage.

Je vois… Dans ce cas, tu seras le plus habilité à prendre en charge la sécurité de nos alchimistes. Pour ma part, je m’occuperais de jouer les éclaireurs et de neutraliser les éventuelles menaces afin qu’elle n’entrave pas notre progression.

Autant éviter de confronter nos protégés bien peu expérimentés à des dangers réels. Avec un peu de chance, Euryan se contentera de jouer les guides.
Une fois les érudits revenus, parés de tenues plus pratiques, je revêtis mon armure, avant de prendre la tête de notre petit groupe. Nul doute que l’affichage de mon éclat doré risquait de faire tiquer l’ombrageux chevalier d’argent. Une manière comme une autre de le piquer gentiment.
Mais dès notre arrivée sur la route prévue, je me volatilisais tel une ombre fuyant le soleil.

N’oublie pas de leur proposer quelques haltes… Ce ne sont pas des soldats.

Un murmure glissait à l’oreille d’Euryan, et je me faufilais en avant de notre troupe, afin de baliser le parcours, tout en veillant à ce que nulle embuscade de nous attende au détour d’un croisement.
Tout à ma vigilance, j’évalue le temps de trajets et note qu’un jour de marche me semble un brin optimiste, vu les qualités physiques limitées des érudits. Mais avec un peu de chance, nous arriverons à Kronstadt dès le zénith du lendemain.
La première matinée se déroule sans encombres, jusqu’à ce que se dévoile les frondaisons d’un bois obscur. C’est là que les choses sérieuses commencent…
Par réflexe, j’appose une marque sur un tronc d’arbre, donnant sur le chemin qui me semble le plus adapté. Peut-être pas le plus rapide, mais visiblement dépourvu de grandes difficultés pour y progresser. Et ceci fait, je m’engouffre sous le couvert des arbres, à l’affut du moindre danger.

Les heures défilent, de même que les arbres et bosquets. Rien ne bouge, et ce fait n’est pas pour me rassurer.
La nature même semble figée. Peu d’oiseaux ou de gibiers. Juste un lourd silence, que je cherche à ne pas rompre par ma progression. D’après mes calculs, je tourne dans un périmètre de quinze minutes autour de nos protégés. De quoi les rejoindre si nécessaire en un rien de temps.
Mais j’ai bien conscience que le plus périlleux est à venir. Et les dangers de la nuit sont à craindre.
J’espère qu’Euryan ne se montre pas trop dur avec ces pauvres alchimistes… Je déplore d’avoir dû laisser un homme doté de si peu de tact en leur compagnie, mais je n’avais pas vraiment le choix.
Tout à ces pensées, je m’avance jusqu’à ce qu’un bruit incongru ne m’oblige à m’immobiliser.
A vue de nez, ils sont sept.
Des éclaireurs au vu de leur équipement, et du campement précaire mais pratique dans lequel ils patientent. Trois d’entre eux somnolent, alors que leurs compères montent la garde. Je coule un regard sur leur râtelier d’armes et y distinguent principalement des arcs, ce qui confirme mon sentiment premier.
Que faire ? Ils se trouvent assez loin de la route principale, et ne sont donc pas un danger immédiat pour les miens. Mais puis-je les laisser ici, en sachant qu’ils pourraient nous rattraper à la faveur de la nuit ? Un sifflement retentit après plusieurs minutes, et les dormeurs s’éveillent comme un seul.
Et dans le ciel se dévoile un corbeau aux yeux sanguins, volant au dessus de ce que je présume être le chemin sur lequel évolue mes compagnons.
Ils sont repérés.
Sans l’ombre d’une hésitation, je frappe vite et fort.
Un pentagramme se dessine tout autour de la clairière, afin d’emprisonner mes victimes dans un carcan voué à leur trépas.
Effrayés par ma sorcellerie, les slaves éructent, tentent d’en sortir mais se heurtent à un froid saisissant qui les figent sur place. Et un à un, ils plongent dans un lourd sommeil dont aucun ne se réveillera.
Ma sinistre tache accomplie, je pénètre dans le campement et entreprends de le fouiller de fond en comble. Et après une recherche minutieuse, je trouve un parchemin chiffonné dans la besace du meneur. L’écriture est fluide, le papier de qualité. Impossible qu’un barbare ait rédigé ce courrier. Il est codé, et je n’en comprends donc qu’un sens succinct. Mais le dessin qui reproduit une partie du chemin par lequel Euryan et les alchimistes doivent passer suffit à m’en faire comprendre la teneur.
Une embuscade…

Filant comme le vent, je pose pied sur l’unique sentier qui traverse la forêt en un rien de temps.
L’oeil aux aguets, j’aperçois dans le lointain un groupe d’hommes en train de courir dans ma direction. Je me rue donc à leur rencontre et le jeune Julien manque se jeter dans mes bras de soulagement. Dans le dos des alchimistes effrayés, je détecte la présence d’une dizaine de poursuivants, lourdement armés. Mon intuition concernant un piège tendu par les slaves se confirme donc.
Pas de trace d’Euryan, ce qui ne manque pas de me troubler.

Seigneur Kilian… Votre ami était en train de combattre un homme redoutable, doté de pouvoirs surnaturels, quand il nous a dit de nous enfuir…

Un frisson d’appréhension me parcourt l’échine, mais je conserve un visage impassible.
Persée sera-t-il à la hauteur de son caractère abrupt ? Malheureusement, je n’ai pas le droit d’aller à son secours, alors que la vie d’innocents est en danger.
Bondissant entre mes protégés et nos assaillants, je les vois freiner des quatre fers lorsque se révèle l’or de mon armure. Mais il est trop tard pour eux.
Une vague de froid mortel les frappe de plein fouet, alors que je glisse de l’un à l’autre, tranchant les gorges sans défense, perçant les coeurs d’un coup unique, ou plantant ma dague de glace dans les gorges vulnérables.
Pas un ne survit à mon ire.
Froid comme une lame, je retourne vers les alchimistes, visiblement impressionnés par mon assaut.

Devons-nous retourner en arrière chercher votre ami, seigneur Kilian ?

Je toise le vieil homme qui vient de s’adresser à moi, et lui adresse un signe de tête de dénégation.

Notre mission est de vous escorter, et pour cela nous ne pouvons prendre le moindre retard… Mais j’ai confiance en Euryan, et je sais qu’il nous rejoindra rapidement.

Une conviction affichée à laquelle je ne crois guère. Les éclats de cosmos perceptibles dans le lointain viennent de s’éteindre, et il n’y a plus aucune trace de celui du chevalier d’argent de Persée.
J’aurais tout le temps de m’apitoyer plus tard. Pour l’heure, un dernier élément nécessite mon expertise. Je sors la carte des lieux et repère un point qui devrait correspondre à mes attentes.

Reprenons notre route… A ce rythme, nous arriverons à la forteresse dès les premières heures de l’après-midi, demain.

Plus vigilant que jamais, je mène notre petite troupe d’un pas énergique, de manière à semer nos éventuels poursuivants. Mais alors que le soleil entame déjà sa décrue, je note un ralentissement, en raison de l’épuisement physique et moral de mes protégés.
La mort dans l’âme, je décrète donc une halte afin de monter un campement de fortune. A ma grande surprise, le jeune Julien prend la direction des opérations, et chacun se retrouve responsable d’une action essentielle : ramassage du bois, réalisation d’un feu, balayage du chemin pour y apposer nos sacs de couchage en tissu, réalisation du repas. Spectateur de cette organisation, je me contente de rester aux aguets.
Point de Euryan en vue, ni d’un adversaire éventuel.
Alors que chacun s’active avec entrain, je grimpe le long d’un chêne mal en point et profite du point de vue pour baliser notre voyage du lendemain.
A cette hauteur, je peux apercevoir la silhouette massive et sombre de notre destination et évaluer la justesse du temps de trajet que j’ai défini.
Mes pensées volent d’une inquiétude à l’autre, quand soudain une intuition me vient. Machinalement, je coule un regard discret sur le campement de fortune, et après quelques longues minutes d’attente, un élément prévisible me fait tristement sourire.
Décidément, l’instinct du tueur est parfois plus à propos que la candeur du juste…
Une heure plus tard, alors que l’obscurité règne désormais en maitresse, je reviens au sol et rejoins le groupe des alchimistes, déjà assis en cercle autour du foyer timide.
Je passe à coté de la marmite qui contient notre repas et vient m’installer sur un petit rocher plat.
Chacun devise calmement, et la terreur de la poursuite laisse vite place à un esprit de camaraderie, teinté d’érudition snob. Les théories sur ce qui les attend à la forteresse fusent, et j’écoute avec attention chaque prévision, cohérente parfois, farfelue souvent.

Seigneur Kilian ? Avez-vous faim ?

L’alchimiste le plus agé de la bande, un érudit répondant au nom de Octavius, s’approche de moi une écuelle en main. Au vu de son état de santé plus fragile, c’est lui qui a été en charge de la préparation du repas, et je l’en remercie avec chaleur en m’emparant de ma ration.
Sous son regard bienveillant, je commence à dévorer le ragout concocté par ses soins, pendant que les conversations s’animent.
Et une fois rassasié, je lui adresse un sourire un brin trop forcé. Le visage de l’alchimiste se fige de stupeur, et nos regards se croisent, plus évocateurs que n’importe quelle conversation.
Il ne tente pas de fuir. Il sait qu’il ne me sèmera pas.

Vous êtes doué, jeune homme…

Vous également, Octavius. Si je n’avais pas trouvé ce parchemin dans les affaires d’un assaillant, vous auriez pu réaliser votre forfait sans opposition.

Saisis par notre échange, les autres alchimistes commencent à se tourner vers nous, interloqués.

Dès notre arrivée à la citadelle, vous serez mis aux fers et traduit en justice. Et n’essayez pas de vous enfuir… La forêt ne sera pas aussi clémente que moi.

Telle n’était pas mon intention.

Le traitre infiltré dans nos rangs tient à rester digne jusqu’au bout. Et malgré la surprise de ses pairs, vite muée en invectives choquées, le vieillard accepte son sort sans protester.

Le reste du trajet se déroule dans une atmosphère pesante.
Le traitre se tient à mes cotés, ses mains jointes par un lacet de cuir fermement serré. Dans notre dos, ses anciens collègues s’indignent à divers degrés, et j’hésite à me retourner pour les faire taire. Cet homme subira le châtiment qu’il mérite, voilà tout.
Conformément à mes prévisions, les portes de la citadelle se dévoilent enfin alors que le soleil entame sa descente. Et c’est un soulagement général qui parcourt nos rangs lorsque nous entrons dans la place, accueillis par des gardes vigilants.
Déjà les alchimistes se disputent l’honneur de rejoindre en premier les fondations, et alors que que je m’autorise un peu de repos, appuyé contre un mur plongé dans les ombres, une silhouette familière s’approche de moi.

Merci pour tout, seigneur Kilian… Sans vous, nous ne serions jamais parvenu ici en vie.

C’était mon devoir. Si vous avez besoin d’un oeil supplémentaire, je serais ravi de…

Vous en avez fait bien assez. Il est grand temps pour nous d’être digne de notre mission.

La sentence me laisse bouche-bée, tant elle vibre d’une farouche détermination. A chacun son combat, en effet. Machinalement, j’observe ce jeune homme partir à la suite des confrères et pousse un soupir inquiet. Euryan ne nous a pas rattrapé… Je présage donc du pire. Encore une nouvelle susceptible d’alourdir le fardeau qui reposait sur les épaules du Grand Pope.
Deux jours plus tard, Julien me remit un parchemin cacheté à destination de Childéric. Le rapport complet d’étude des lieux souterrains. Et c’est l’esprit plus apaisé que les alchimistes entamèrent leur retour vers les terres civilisées, sous ma protection.
Plus vigilant que jamais, je pressens pourtant que notre trajet se déroula sans dommages. Plus de traitres dans nos rangs, ni de slaves embusqués à proximité.
Parvenu dans la zone de l’attaque initiale, j’hésite à partir inspecter les lieux en quête de la dépouille du chevalier d’argent de Persée. Poing serré à m’en faire blanchir les phalanges, je laisse mon devoir s’imposer à mon coeur. Une main amicale se pose sur mon épaule, et en me retournant je croise bien des regards compatissants.
De longues heures après cet épisode amer, nous foulons de nouveau la terre du campement que nous avions quitté quelques jours auparavant. Et les adieux sont faits de manières hâtives, comme si les alchimistes n’avaient qu’une hâte : retourner à Constantinople pour faire coïncider leurs découvertes avec le savoir dispersé dans leur bibliothèque afin d’échafauder mille théories.
De mon coté, je ne m’attarde guère. Et la nuit tombée, telle une ombre agile, je me glisse hors de l’enceinte sécurisée en direction de la Grèce.
Seul.