[7 Juillet 550] Des explications

J'avais quitté Rodorio, laissant Shay derrière moi après lui avoir demandé de prévenir qui de droit de mon retour. Je ne tenais pas à inquiéter outre mesure. D'autant que je me doutais que Silas devait être profondément hors de lui. Après tout, nous avions convenu d'attaquer ensemble, et je m'étais précipitée tête la première face à Abrarxès. A la pensée du Persan, j'eus un sourire, laissant mes doigts effleurer le bracelet qu'il m'avait offert.

Mon séjour auprès des chevaliers d'Ombre m'avait quelque peu troublée. Je n'oubliais pas ce qu'il s'était passé là-bas, pas plus que je n'oubliais qu'un sceau du Dieu de la Médecine me protégeait et empêchait mon cosmos d'être déstabilisé. Je ne pouvais m'empêcher de penser à tous ces événements. Et en particulier à celui qui avait changé mon cosmos. Contre toute attente, même Pséma avait paru surpris par le phénomène qui s'était produit, comme s'il ne s'était pas attendu à la réaction que cela allait avoir sur moi.

On pouvait qualifier ces hommes de ce que l'on voulait, je n'en oubliais pas moins qu'ils ne m'avaient pas fait le moindre mal. Au contraire, au moment où j'avais perdu pied, ils avaient veillé sur moi. Pris soin de moi. Je pouvais au moins leur reconnaître cela. Oui j'avais été bien traité. Manipulation ou autre? Je ne le pensais pas. Le Persan n'était pas du genre à mentir. Je le ressentais. C'était une personne entière, qui avait veillé sur ma personne. Qui s'était inquiété pour moi.

Avec un soupir, je m'étais donc téléportée en direction de Jamir. Ce n'était pas encore le moment pour moi de retrouver les miens. Et même si j'avais hâte de les revoir, tout en étant inquiète par les nouvelles que j'allais apprendre, je me devais d'abord de me rendre auprès de la personne qui pourrait sûrement m'aider. Du moins je l'espérais.

La vue de la Tour, repère familier, m'apaisa, tout comme la caresse de l'air frais des montagnes sur mon faciès. Un instant, je demeurais là, à contempler le paysage, inspirant profondément, comme pour chasser mes craintes. En effet, je ne doutais pas que j'allais passer un sale quart d'heure avec Hélène. Une intuition en quelque sorte. J'espérais seulement qu'elle comprendrait que j'avais agis de la sorte dans le seul et unique but d'en apprendre davantage sur l'ordre des chevaliers d'Ombre. Et résultat des courses, j'étais encore plus perdue qu'avant. Ma dextre se fit hésitante au moment de pousser la porte, mais je finis par reprendre le dessus et par me glisser à l'intérieur de la bâtisse avant d'interpeller la maîtresse des lieux.

"- Hélène? Tu es là?"

J'avais parlé d'une voix haute et claire. Ne restait plus qu'à attendre la réponse, qui j'en étais certaine, ne manquerait pas de venir bien assez tôt.

Comme je m'y étais attendue, Hélène se trouvait belle et bien présente dans la Tour. Mon Maître sortit de ses appartements privés, lorsqu'elle avait levé le rideau, j'avais pu constater qu'elle travaillait sur plusieurs armures. A sa vue, je réprimais l'envie de me jeter dans ses bras. J'étais vraiment heureuse de la revoir, et je sentais comme le besoin d'être rassurée, de me dire que tout irait pour le mieux. Mais le regard de la Créatrice à mon égard semblait curieux. Ses mots, eux, me semblaient presque ironiques. Je notais la façon dont son regard se porta sur le bracelet qui ornait mon poignet. Et si je n'étais plus la bienvenue ici? Je cachais mon malaise derrière un doux sourire.

"- Tu doutais de me revoir? Je n'ai pas quitté le Sanctuaire, j'ai été enlevé. Par Abrarxès, Ombre du Taureau en personne. Je ne me rappelle pas de tout, je sais juste que j'ai repris conscience quelques jours après."

Je fis une courte pause, observant Hélène avec attention, tandis que je réfléchissais à ce que je devais faire. Lui dire la vérité? et pourquoi pas après tout.

"- J'ai vu Pséma et un autre chevalier d'Ombre. Mais je ne sais pas qui il est. Je crois qu'Abrarxès a deviné, en me voyant, mon statut de réparatrice d'armures. J'ai été enlevé parce qu'ils avaient besoin de quelqu'un avec mon don. Hélène... j'ai réparé l'armure d'Ombre du Bélier. Je l'ai fais, parce que je voulais en apprendre davantage sur ces armures qui sont un mystère pour nous."

Un silence avant qu'elle ne s'approche de son Maître.

"- Mais il s'est produit quelque chose lors de cette réparation. Le contact avec cette armure a changé la nature même de mon cosmos. Pour empêcher que cela ne s'aggrave, le Taureau d'Ombre a fait en sorte que mon état soit stabilisé, puis il m'a renvoyé au Sanctuaire."

Je ne parlais pas d'Asclépios, ni même de mon ami Lykeios, Hélène n'avait pas besoin de savoir cela.

"- Si je suis venue ici c'est pour savoir si je suis toujours en mesure de créer des armures. Oui je veux savoir si cette voie est toujours la mienne."

Au fur et à mesure que je parlais, je pus constater que le teint d'Hélène se faisait de plus en plus pâle. Cela ne me rassura en rien. D'un geste de la main elle m'invita à la suivre, ce que je fis dans le plus parfait silence, afin de mieux prendre place sur les coussins colorés qui ornaient le sol de la cuisine. Un silence qui s'éternisa, lourd et pesant, et qui me sembla durer des heures alors que nous nous regardions toutes deux en chien de faïence. Un silence que mon Maître rompit.

Une part d'ombre en soi...Cela j'étais bien placée pour le savoir pour savoir que nous avions tous, notre part de ténèbres. Mais j'étais certaine qu'il y avait plus que cela. Il suffisait de voir comment agissait mon interlocutrice. Elle d'ordinaire si fougueuse, faisait montre de sympathie, comme si, par cette attitude, elle espérait me faire parler. Lentement je pris le verre d'eau tendu pour le porter à mes lèvres et en avalai quelques gorgées rafraîchissantes, tout en écoutant. Le cosmos d'un Dieu...

Je lâchais alors un soupir. Si elle savait... Le regard perdu dans le vide, je me remémorais la scène qui s'était produite après avoir soigné l'armure du Bélier d'Ombre. Bien que flottant entre conscience et inconscience, je me rappelais encore les paroles de Pséma. J'étais rentrée dans l'elliptique des chevaliers d'Ombre et avais touché l'essence même d'Apollon. Ce qui revenait exactement à ce qui venait d'être dit par Hélène. Manger en cet instant? J'en étais bien incapable. un nouveau soupir avant que je ne reprenne.

"- Après avoir réparé l'armure, je me suis effondrée. Incapable de maîtriser mon cosmos. Hélène, je suis désolée, mais si je m'en réfère à ce qu'a dit Pséma, et à ce que tous semblaient penser, j'ai été touché par Apollon."

Un silence, tandis que j'observais mon verre, jouant doucement avec celui-ci avant de reprendre:

"- Ce sont les Oracles qui m'ont soigné. Enfin...soignée est bien grand mot." Lentement, je portais mes doigts sur le devant de ma tunique pour tirer lentement sur le lacet afin de le défaire. Doucement, j'écartais les pans au niveau de ma gorge jusqu'à la naissance de ma poitrine, afin de lui montrer le sceau d'Asclépios. " Mon cosmos actuel n'est maintenu que grâce à lui. S'il se brise, tout redeviendra instable."

Je refermais les pans, avant de reporter mon attention sur mon Maître, lui laissant quelques instants pour digérer les informations données.

"- Ce n'est pas une simple part d'ombre dans mon cosmos. C'est bien plus que cela. Alors à présent, je te le demande: est-ce que quelque chose de similaire s'est déjà produit par le passé? Et si oui, qu'est-il arrivé aux Chevaliers à qui s'est arrivé?"

Un nouveau silence. Lourd. Pesant. A nouveau, mon regard suivait les moindres faits et gestes d'Hélène qui semblait réfléchir à ce qu'elle allait me dire. Prendre des pincettes n'était pas son genre. Si je n'avais pas déjà compris la gravité de la situation, nul doute n'était plus permis en cet instant. Je lâchais un soupir tout en écoutant les paroles de la gardienne de Jamir. Je n'avais rien d'une Réprouvée, quant au fait que le cosmos du Soleil invaincu était traître, je me permettais d'avoir quelques doutes. Après tout j'avais été en contact avec deux fils d'Apollon. L'un était un ami, l'autre m'avait sauvé alors même qu'il ne me connaissait pas et que j'étais une simple inconnue pour lui. Quant aux chevaliers de l'Ombre, je n'avais rien eu à redire sur Abrarxès, ni même Pséma. L'un d'eux avait agi en protecteur, en ange gardien, et l'autre avait cherché à m'aider.

"- Hélène...Je suis désolée, mais je ne partage pas cette vision des Oracles. Je veux demeurer libre de choisir ma propre fortune."

Mais la suite des paroles de mon maître me fit arquer un sourcil. J'étais parfaitement consciente que si je changeais d'allégeance, je serai amenée à être traquée et poursuivie, plus que n'importe quel autre chevalier du fait que j'avais été bénie par la Toison d'Or. Je m'étais donc contentée d'acquiescer. C'était plutôt la suite qui me faisait tiquer:

"- Tu veux dire qu'il y a un nouveau Grand Pope? Qu'est-il arrivé à Bélisaire? Hélène que s'est-il passé en mon absence au Sanctuaire?"

J'avais bien peur de connaître la raison. Après tout avant de venir ici j'étais passée par la case Rodorio, et j'avais entendu certaines rumeurs. Mais je voulais l'entendre de vive voix. Malheureusement, on obtenait pas toujours ce que l'on désirait. Un cosmos sombre et puissant se faisait ressentir non loin de là. Immédiatement je me tournais en direction d'Hélène. Elle l'avait ressenti elle aussi. Ce qui se passait ici n'était pas bien difficile à deviner. Jamir était bonnement et simplement entrain d'être attaqué, et la force cosmique déployée était tout simplement dévastatrice. je me rappelais la petite réunion au sommet entre Saadyr, Artorius Hélène et moi-même.

"- Serait-il possible qu'il s'agisse des Spectres?"

Vivement, je levais les yeux en direction du dernier étage de la Tour. Là où se trouvaient les dons des Dieux celtes, avant de reporter mon attention sur mon maître, le regard déterminé.

"- Je vous défendrai, toi et Jamir."