[Début aout 550] Retour au bercail (PV Nereus)

Contact humain. Ce qu'elle pouvait détester cela, plus que tout. Sans doute préférait-elle encore sentir une lame froide entailler sa peau. Pourquoi ? Elle n'aimait pas le froid pourtant ? Seulement, le métal lui semblait moins "sale" que ces mains qui avaient si souvent parcouru son corps de poupée. Mais Nereus n'était pas comme ça. Elle le savait. Mais pourtant, sentir sa main enserrer la sienne crispait chacun de ses muscles, embrouiller son esprit. Il lui fallait trouver quelque chose pour ne plus y penser. Car de ses fines phalanges, guidées par l'angoisse, pouvait en sortir une puissante décharge électrique.

Alors, Tihana choisit ce qu'elle savait faire de mieux : l'intrusion. L'intrusion dans l'esprit de son interlocuteur. Cela ne se faisait pas, mais la jeune martyre ne s'en souciait guère. Et puis, le Kraken semblait si faible mentalement à cet instant, elle pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert. Il lui exposait son âme, ses pensées. La future Générale des Lyumnades se concentra sur cet esprit perturbé, pas autant que le sien bien sûr. Et elle trouva l'objet de cette faiblesse. Le général se sentait indigne de son écaille. Sans détour, la jeune atlante exposa ce qu'elle avait pu lire, se fichant du fait que son vis à vis pourrait très bien se fâcher ou le prendre mal.

Son regard d'améthyste perçait la pupille unique, restant fixé sur celle-ci. Grâce à cela, la nymphe en oubliait presque les soins que lui prodiguait Nereus. Apparemment, il ne lui en voulait pas, lui signifiant qu'il appréciait la franchise de la jeune femme. Ressentant une légère douleur, elle grimaça, évitant de porter ses pupilles sur sa main. Mais elle continua de l'écouter, elle n'était pourtant pas vraiment une personne très attentive aux autres, mais le Kraken semblait voir en elle une confidente. Ses réponses furent évasives, tentant même une nouvelle boutade pour certainement l'attention de la jeune femme, mais elle n'était pas dupe.

Retirant sa main de la sienne, elle observa les bandages qui recouvraient sa main blessée, le sang tâchant déjà celui-ci. Et de façon distraite, elle reprit la parole, sans cesser de fixer ses phalanges bandées. "Tu m'as aidée moi." Elle marqua une pause avant de poursuivre. "Personne ne veut m'aider d'habitude. Les gens me dévisagent, me rejettent. Ils ne soutiennent pas mon regard. On m'a dit qu'il était aussi vide que le néant lui-même." Puis elle fronça les sourcils comme pour se souvenir de quelque chose. "J'ai d'ailleurs tué l'homme qui m'a dit ça ..."

Puis brusquement, elle se leva, sans doute parce qu'elle commençait à se livrer malgré elle. Cet homme, elle l'avait tuée. Et malgré sa mémoire profonde, elle ne pouvait remettre un visage sur celui-ci. Sans doute car malgré ce néant qu'il avait décelé dans ses yeux, ce que lui voyait lui était plaisant, bien trop plaisant, puisqu'il n'avait pas hésité à poser ses mains souillées sur elle. Alors, elle avait goûté à son sang en plongeant sa dague dans son abdomen, le laissant agoniser au milieu d'une ruelle sans demander son reste.

Parfois, Tiha semblait déconnectée, ne comprenant pas sa propre cruauté. Un rare instant de lucidité qui avait lieu à ce moment même. Son regard soudainement perdu chercha celui du Kraken.

"J-Je dois partir ... Je peux partir ?"

"Tu as la langue bien pendue aujourd'hui. Et si tu te servais de ta fameuse dague pour te la trancher ~"

Sa main tremblante bifurqua ainsi sur l'étui de sa dague.

Ses doigts se crispèrent sur le manche froid de sa chère dague, cette lame ayant tranché de nombreuses gorges, souillant le sol de maintes et maintes entrailles. Mais cette fois, l'esprit tordu s'en prenait à son propre hôte, voulant retourner cette fidèle arme contre sa porteuse. Instant de folie, instant de lucidité, tout se mélangeait à cet instant. L'esprit le plus fort gagnerait. Ses phalanges se mirent à trembler alors que ses paupières se fermer, cherchant un certain calme intérieur. Ce fut Nereus qui la fit revenir à la réalité, lui qui était revenu avec un coffret en main. Alors, les pupilles d'améthyste se posèrent sur l'objet, avec curiosité, intrigue, avant de croiser de nouveau le regard du Kraken, incertaine, peut-être même un peu perdue.

Alors qu'il lui sommait d'ouvrir le coffret, sa main s'éloigna de l'étui de l'arme, venant caresser du bout des doigts le couvercle de l'objet. Hésitante, elle fixait tantôt le Général, tantôt la boîte. Son présent se trouvait à l'intérieur et une envie brûlante de le découvrir la parcourait. Mais avait-elle le droit d'accepter le cadeau d'un être qu'elle avait méprisé au plus haut point, d'un être qui l'avait jalousée et qu'elle-même avait également jalousé pour certaines choses de son côté. Ou plutôt, le méritait-elle ? Méritait-elle d'entretenir une relation privilégiée avec ... un homme ? Tels un frère et une soeur de sang ?

"On ne peut aimer un monstre, une meutrière de sang froid ~"

A cet instant, la jeune atlante était comparable à une enfant tiraillée par une curiosité maladive, une enfant innocente et insouciante, ce qu'elle n'avait pas été depuis longtemps. Un dernier coup d'oeil vers Nereus et la Nymphe à la chevelure d'ébène ouvrit précautionneusement le coffret, respectant ainsi ce qui semblait être le trésor de son frère. Inspectant le contenu, Tihana se demandait ce que chaque objet pouvait représenter avant de le constater d'elle-même. Le seul mystère restait ce livre, la martyre n'avait aucune idée du pourquoi celui-ci en particulier était aussi précieux. Suivant les instructions données par le Kraken, la future protectrice du pilier de l'Antarctique se saisit de la bourse qui lui était destinée.

En desserant les liens, elle y plongea deux doigts, récupérant un fil fin et froid avant de le sortir du petit sac de soie. L'amenant à hauteur de son visage, la belle fixa sans comprendre le bracelet de fil d'or, dégageant une étrange sensation de froid, provenant certains des trois petites breloques de glace. Et comme le jeune homme le lui signifa, des ombres semblaient vivre à l'intérieur des petits lézards leur donnant une certaine vie en quelque sorte. Ses dernières paroles parvinrent à l'émouvoir, serrant quelque peu la gorge de la jeune martyre.

Pourquoi le lui offrir à elle ? Pourquoi ne l'avait-il pas offert à celle qui envahissait son esprit ? Pourquoi elle ?

Tihana soupira, déposant le bracelet au creux de sa paume, silencieuse, encore une fois empreinte de réfléxion. Non, elle ne comprenait pas la signification de ce cadeau. Elle ne comprenait pas comment Nereus avait-il pu le garder en attendant son retour. Qu'avait-elle de si spéciale pour que l'ancien esclave se prenne d'affection pour elle. Car oui, elle parvenait à faire le rapprochement. Un présent signifiait la plupart du temps l'attachement et en l'espace d'à peine une heure, le Kraken lui en avait fait deux. Le regard dans le vide, elle s'exprima enfin par des mots soufflés, presque murmurés.

"Je n'ai jamais accordé ma confiance à aucun homme. Je les méprise tous autant qu'ils sont. Ils sont vils, cruels." Fronçant quelque peu les sourcils, toujours dans l'incompréhension, elle finit par croiser le regard du Général. "Pourquoi es-tu différent d'eux ? Pourquoi penses-tu aux autres ? Et pourquoi crois-tu en moi ? Toutes personnes connaissant mon passif n'osent s'approcher de moi, me montrent du doigt. Jusqu'à maintenant, seule Calista daignait me considérer comme ... un être humain."

Contemplant le bijou au creux de sa main, elle le tendit à Nereus, avant de lui tendre son poignet.

"Est-ce que ... tu peux ... l'attacher ?"

Tihana semblait partager la même idéologie que le Seigneur des Mers et des Océans d'après ce que le Général du Kraken lui révélait, attirant ainsi toute son attention. Nettoyer ce monde des pêchés, était-il capable de le recréer de façon à éviter toute cruauté, toute injustice ? D'un autre côté, la jeune martyre n'était guère contre s'occuper d'eux, les faire souffrir comme ils avaient pu en faire de même envers autrui , détruite leur vie pathétique comme ils avaient pu détruite l'innocence d'une jeune atlante. La brune voulait en être, elle aussi voulait participer à cette purge et si elle pouvait, elle s'occuperait personnellement de chaque ordure peuplant cette Terre.

Mais la future porteuse de l'écaille des Lyumnades se questionnait. Pourquoi le jeune homme à la tignasse d'émeraude se préoccupait ainsi d'elle, comment pouvait-il la considérer comme sa petite soeur ? Elle qui n'était vue que comme un monstre par de nombreuses personnes. Et elle ne pouvait renier ce côté sadique, monstrueux, ce plaisir de tuer, torturer. Nereus avait raison, sur toute la ligne. Ils ne savaient pas. Ils ne connaissaient en rien les sévices qu'ils avaient tous deux subis. Et à chacune des énonciations du Kraken, Tiha se souvint douloureusement de ce passé, de la morsure du fouet, du tracé de la lame froide sur sa peau de porcelaine et ... du reste.

Le Général ne poursuivit pourtant pas, laissant la jeune abusée baisser les yeux, ses pupilles sans éclat se teintant d'angoisse. Tendant le poignet vers son frère, laissant pendre entre ses fins doigts le bracelet d'or, elle lança une requête à celui-ci, gardant pourtant les yeux rivés sur le sol. Elle le laissa attacher le bijou à son poignet, tressaillant tout de même au moindre effleurement. Cette sensation la quitterait-elle donc un jour, cette crainte à chaque toucher ?

Une fois ceci fait, la future gardienne du Pilier de l'Antarctique laissa retomber son bras le long de son coeur, acquiesçant d'un léger signe de tête aux paroles de Nereus. Relevant ses pupilles d'améthyste vers lui, elle l'observa longuement.

"Je ... Je reviendrais te rentre visite." Reculant de quelques pas sans cesser de le fixer, elle lança d'un souffle un "Au revoir Nereus.", avant de détourner les talons et quitter le Pilier de l'Arctique.

"Tu en deviens si pathétique ... Mais je serais au première loge lorsqu'il te trahira, lorsque tu perdras de nouveau toute foi en l'humanité."

Se stoppant un instant, Tiha expira doucement, contemplant ce ciel si particulier. Un simple hochement de tête de gauche à droite en réponse à cette petite voix qu'elle occulta, et la belle prit la direction de la prochaine zone dans l'espoir de retrouver une vieille amie.