[MD 08] Plonger avec les étoiles [feat Kilian]

=> Constantinople

La Vie face à la Mort. Je me souviens qu’après la guerre, après ce cauchemar qui hante encore mes nuits, j’ai retrouvé Asclépios. Auprès du médecin j’ai pu trouver un peu de réconfort, lui ai confié le prénom de mon enfant à naître. Jack. Je lui ai exposé mes craintes, mes hontes et mes minces espoirs sans ressentir de gêne.
Je n’ai plus jamais revu Asclépios après cela. Et sa sagesse me manque, surtout maintenant que nous arrivons, Kilian et moi, à proximité de Jamir.

Sur la route, nous sommes restés prudents, évitant un maximum les sentiers les plus fréquentés. Partagés, quand des voyageurs égarés se sont présentés à nous, nos denrées. Attentive à leurs maux, j’ai continué à prodiguer des soins, récolté des plantes pour les utiliser ou en conserver les graines pour les destiner à mes serres. J’ai toujours avec moi un herbier que je complète avec assiduité, des notes de ma main ou de celle de Lucius que je n’ai pas eu le cœur d’effacer.
J’y cherche toujours des indices. En vain. Les mots sont devenus fades à force de les lire et de les retourner dans tous les sens.

Je crains de n’avoir pas été d’une très bonne compagnie et j’espère secrètement que Kilian ne me reproche pas trop mon mutisme. Je suis troublée et je crois voir qu’il l’est tout autant. Préoccupés par la mission, nous nous interrogeons sur le silence de Jamir.
Cette dernière, alors que le soleil est haut dans le ciel, nous apparaît enfin. Mes mains se resserrent autour des rênes de ma monture. Je mets pied à terre.

« Laissons les chevaux ici, ce sera plus prudent pour eux. »

Assurée qu’ils ne souffriront pas en notre absence, je flatte une ultime fois l’encolure du destrier noir, affectueusement renommé « Aodhan » en référence à mon paternel et à son caractère fougueux.

« C’est ici que les choses sérieuses commencent. Et… avant que tu m’assommes encore avec tes mises en garde de grand-mère : je serai prudente et… comment dit-on déjà ? Oui ! C’est ça, rai-so-nnable ! »

Sur ce trait d’humour destiné à nous détendre, nous nous mettons en route. Notre objectif, la tour. Tient-elle encore seulement debout ?

Et voilà, ça commence ! Moi qui pensais éviter un sermon, voilà que le frangin s’improvise grand protecteur ! Je l’imite dans sa posture, sur la défensive, prête à lui rentrer dans le lard pour lui faire comprends à quel point il avait tort. Mais je me surprends à penser tout autrement. Là où quelques années auparavant je me serai montrée obstinée, je décroise les bras et pousse un long soupir. Je… m’avoue vaincue ?
Ou bien suis-je simplement fatiguée de devoir entrer en conflit avec un frère d’armes ? Sur le point de réagir, Kilian ne m’en laisse pas le temps et se détourne. Ah ! C’est qu’il pense me connaître l’animal ! Cette tactique est intelligente, je dois bien lui accorder.
Pourtant, je le rattrape sans mal, me mets à sa hauteur pour lui glisser :

« Tu as raison, j’ai conscience que je peux être une gêne. Alors je serai réaliste, à défaut de pouvoir être raisonnable ! »

Reste que je ne compte pas rester les bras ballants dans cette affaire. Je garde mes pensées pour moi tandis que nous nous engageons dans le Cimetière des Armures. Je fais un signe à Kilian de s’arrêter. Il serait dommage de rater quelque chose dans notre mission.
Le calme ambiant n’est pas pour me rassurer. Et j’ai en tête l’éveil d’Océanos et la perte de la Stella Rubius. Encore un cuisant échec, un souvenir qui me fait baisser la tête. Parmi les gravats, je frôle la psyché de mon demi-frère :

« Tu as déjà connu la Guerre, Kilian ? » Ma main se pose sur ce qui devait être un pan de mur. « Cet endroit porte un silence trop assourdissant pour être réel, moi, j’entends la clameur des guerriers tombés au combat. »

Pas comme le Saint du Cancer, je parle bien des souvenirs. Ma mémoire invoque des chants d’un passé pas si lointain. Je projette ma conscience aux alentours, ferme les yeux pour chercher… quelque chose dans ce néant ? Percer une quelconque illusion de l’esprit. Le mien, ou celui d’un autre. Je rouvre les yeux, une fois les lieux inspectés, je prends la direction de la Tour.
Sur son seuil, je lève la tête vers les hauteurs.

« Si monsieur le protecteur veut bien se donner la peine d’entrer… »

Je m’incline de façon exagérée, ricane dans son esprit. C’est pour tromper le malaise que le silence m’impose. Il fait écho au mien, au poids des secrets que je porte.

Il avait donc participé à la guerre d’Italie. Kilian n’est donc pas un novice parmi les chevaliers d’Or. Il sait, à présent, quel rôle nous échoit à nous, protecteurs de l’Humanité. Même si cela devait passer par les tumultes de la Guerre.
Je garde mes réflexions pour moi. J’ai eu mon lot de bataille, de larmes et de sang versés. Je ne suis pas de celle à tout solutionner par la violence. Quand bien même il semble que j’excelle dans cet Art. Mes piètres tentatives pour la diplomatie se sont trop souvent soldées en catastrophes. Je soupire. J’oublie ça, pour l’heure.

Après une réplique qui me fait sourire, je vois Kilian se heurter le premier à une protection. Troublée, je m’avance à mon tour pour l’éprouver. Sitôt ai-je posé mes mains dessus qu’une voix nous interpelle. Mon visage masqué se lève dans la direction d’où cette dernière provient. Et, pour toutes réponses, j’enjoins mon armure à me recouvrir.

Je salue l’adolescent d’une manière très martiale, poing frappé contre le plastron, dos bien droit. Puis, rompant cette attitude protocolaire, je fais quelques signes, couvrant ma bouche de fer entre mes doigts puis ma gorge, lui signifiant par là mon incapacité à m’exprimer de vive voix. Mon index se pointe dans sa direction. Je veux moi aussi savoir à qui je m’adresse.

Ma tête se penche vers Kilian que j’encourage, d’un regard, à se présenter sans tarder.

Il semblerait que Jamir ne soit pas sans défense, finalement. Soyons prudents, mais tout porte à croire que ce protecteur possède des dons que je crois reconnaître.

Et c’est pour moi un soulagement. Ce mur de cristal, ne serait-ce pas… ? Ne cherchant pas à le brusquer en m’introduisant dans sa tête, j’attends de connaître la sentence de l’adolescent. J’espère qu’il saura nous aiguiller sur le silence de la Gardienne.

Ne lui pose pas de question pour l’instant, attendons de savoir s’il nous autorise à entrer. Il parlera peut-être de lui-même.

Les présentations sont faites. Et le personnage quitte son perchoir pour nous accueillir, moins sur la défensive. Je reste quelque peu en retrait, attentive à notre environnement. Il se présente comme étant le Gardien de cet endroit, ne prenant même pas la peine de nous donner son nom. Un retour de politesse, que diable ! Je grimace, sous le couvert de mon masque. Et je finis par m’en amuser. Depuis quand suis-je portée sur le « protocole », moi ?
Son attitude laisse transparaître à la fois une aisance à se tenir devant nous et une certaine maladresse, due à un manque d’échange. J’avise de la Tour avec un soupçon de curiosité. La solitude doit le peser, s’il est effectivement seul en ces lieux…

« Dis-lui que nous cherchons à en apprendre plus sur la disparition d’Hélèna. »

Selon mon souvenir de la Gardienne des lieux, elle aussi a eu tendance à autant de froideur et a été peu encline à nous laisser entrer. Jamir a ses propres règles que je n’entends pas transgresser. Je l’ai vue être le théâtre de sanglants combats. Rien d’étonnant à ce qu’il nous refuse l’accès. J’hoche simplement la tête en guise de compréhension.

« Et les dernières nouvelles de Jamir, si ont peut être utiles en quelque chose puisque nous sommes là… »

Je n’ai pas spécialement envie de l’entendre dire que nous nous sommes déplacés pour rien. Quoique, cela aura au moins eu le mérite de me dégourdir les jambes ! Et de croiser le cosmos de notre Déesse en plus d’avoir apaisé les craintes nichées dans mon cœur.

« Et éventuellement son nom, que je puisse faire un rapport plus détaillé à notre cher Grand Pope. Quelque chose me dit que la paperasse n’est pas ta tasse de thé ! Oh et propose-lui de manger un morceau avec nous, ça nous détendra... »

Je souris, j’ai une bonne raison de demander un tête-à-tête avec Childéric, une fois que nous serons rentrés.
Pourvu que nous ne fassions pas chou blanc.

Je croise les bras et octroie une pichenette cosmique contre l’esprit de Kilian. Sans mon masque, si j’avais pu lui montrer mon visage, il aurait pu apprécier une grimace tout enfantine et certainement pas puérile ! Un rire mesquin résonne dans sa tête avant de ne le laisser s’exprimer. Le sérieux est de rigueur et notre hôte, enfin, nous accorde son nom.
Arietis. Cela fait du sens et j’incline la tête dans sa direction. Les ronds de jambe ne sont pas de mises et il ne tarde pas à nous demander de le suivre. Je lui emboîte le pas non sans répondre à mon frère d’armes :

« Attendons de voir, j’ai un mauvais pressentiment. Et c’est possible, en effet, suivons-le. »

Là-dessus, je laisse Kilian fermer la marche. Une appréhension me gagne et ne fait que peser de plus en plus fort contre ma conscience. Je ne désire pas en faire part au Verseau, mais je devine qu’il s’interroge également. Je ne pense pas que nous ayons fait tout ce chemin pour rien.

Mes doutes se confirment lorsque je saute à la suite du jeune garçon, calquant ses gestes, mes pas dans les siens. Je suis prudente et je me concentre sur mon environnement.
Il nous guide sur un chemin de brume. Je suis en alerte, de peur de voir surgir des ombres malfaisantes. Des fantômes d’un conflit dont j’ai été témoin. Coupable d’avoir libéré Océanos… Je serre les mâchoires. Redresse la tête.

Un cimetière. Mes muscles se crispent davantage. Je me fige. Et les mots tombent comme des couperets. Ici, dans la terre retournée repose la Gardienne de Jamir. J’adresse un coup d’œil à Arietis qui ne semble pas éprouver quoi que ce soit à ce sujet, comme si cela ne le l'atteignait pas. Cette fois, je m’adresse à lui directement, libérant une « voix » qui n’a rien d’organique et qui s’approche volontiers plus à une mélodie. Rien d’intrusif et de pernicieux, donc. Probablement plus étrange aux oreilles des éveillés.

« Que s’est-il passé ? Comment Helena est-elle tombée ? » Morte… Childéric ne sera pas heureux de l’entendre. « Devons-nous comprendre que vous êtes bel et bien le nouveau Gardien de Jamir ? Celui qui la remplace ? Je ne sais pas comment se transmet cette charge, ce titre. »

Je marque une pause. Mon cosmos se teinte de mélancolie. Les notes déclamées sont plus lentes et appuyées. Elles volent dans l’air, un instant avant que le silence ne revienne, musique bien plus éloquente :

« Vous n’aviez pas moyen de nous contacter avant ? Nous aurions pu vous porter assistance… »

Parce que l’expérience du terrain m’a appris la prudence, je sonde les environs. Je veux être certaine de ne pas être tombée dans un quelconque piège. Ou que quelqu’un d’autre ne nous observe pas de loin, caché. Mais je n’ai jamais été très forte pour débusquer les ombres.

Arietis, donc ? Un nom bien choisi, au vu du personnage.
Sans autre forme de procès, le gardien des lieux nous demanda de le suivre, ce que nous fîmes, avec promptitude. Morwenna en tête. D'abord surpris par son impatience, je restais donc légèrement en arrière, l’œil aux aguets, et les perceptions à l’affût du moindre danger. La prudence restait au centre de mes préoccupations. La route fut loin d'être une partie de plaisir, et je pris garde à ne pas faire une mauvaise chute. Mais rapidement Arietis stoppa notre course dans un lieu à l'atmosphère atypique.
J'étouffais un soupir, lorsque je compris la nature de la destination de notre guide improvisé. Ma compagne d'aventure se décida enfin à prendre "la parole" pour exprimer le fond de sa pensée.
Que la gardienne de Jamir soit morte était en soit une nouvelle tragique, mais comment expliquer le silence de son remplaçant ? Trop jeune ? Désinvolture ? Attente d'un message quelconque du Sanctuaire ?
Les questions posées par Morwenna répondaient à celles que j'aurais pu poser. Je restais donc silencieux, les yeux posés sur cette tombe muette. Qu'allait penser le Grand Pope du sort de cette malheureuse ? Des combats s'étaient-ils déroulés ici ? Ou avait-elle succomber à une maladie quelconque ?

La sépulture est récente. Mais assez ancienne pour rendre ce silence bien long... Je me demande s'il veut seul.

Bras croisés, j'observais les alentours, prêt à noter le moindre mouvement suspect. Même si notre hôte n'était pas spécialement menaçant, mieux valait conserver un brin de vigilance. Surtout au vu de l'état de santé précaire de mon amie.
Ce cimetière attaqua rapidement mon moral. Ces tombes anonymes... A perte de vue, quel drame. Tous ces défunts dévoués à la déesse Athéna, ou du moins à Jamir et son héritage, et pas un nom visible. Pourquoi ne pas avoir conçu des sépultures en pierre ? Pour conserver d'eux un vague souvenir, une reconnaissance ? Mon cœur se serra en pensant à ces vies dont nul ne connaissait plus le nom.

Je suis sincèrement désolé pour la perte d'Héléna.

Elle a brûlé. Un frisson frappa Nimuë O’Bannon qui ne pouvait que faire un lien sordide entre ces deux histoires. La sienne et celle-ci. La première était un mensonge, et la seconde une vérité bien difficile à croire. Comment une femme comme Helena avait pu trouver la mort de cette manière ? Un combat ?
Toute à ses spéculations, la jeune femme croisa les bras sous sa poitrine. Difficile à croire et pourtant elle ne percevait pas de duplicité chez ce jeune garçon. Selon ses dires, il était arrivé et l’avait trouvée ainsi avant de la mettre en terre. Depuis, le garçon patientait pour que quelqu’un prenne sa place. Haussant un sourcil sous le couvert de son masque, la Sainte des Poissons ne partagea pas les états d’âme de son demi-frère.
La mission restait prioritaire, les morts seraient pleurés plus tard.

« Pourquoi vous a-t-on envoyé ici, et qui ? » s’enquit-elle avec autant de détachement que lui. « C’était une femme redoutable, j’ai peine à croire qu’elle ait… simplement « brûlé ». Nulle trace de lutte, un indice ? »

Nimuë soupira. Peut-être que quelque chose lui avait échappé.

« Je souhaite voir où vous l’avez trouvée, oui. »

La jeune femme ressentait non pas de la méfiance envers les dires d’Arietis or, quelque chose la perturbait. Et elle comptait bien creuser la question. Enquêter plus avant dans l’espoir de voir quelque chose jusque là invisible.
Car depuis le début de leur voyage Kilian et elle ne composaient qu’avec des miettes. Des petits riens et elle escomptait bien faire germer la fleur de la vérité. Concentrant un instant son cosmos entre ses mains, l’atlante fit naître une rose rouge. Avec déférence, mettant un genou à terre, elle la déposa sur le sol retourné, pria pour confier son âme à Athéna.
Ils trouveront qui était responsable de son trépas. Nimuë s’en fit le serment. En mémoire à la Gardienne de Jamir.

« Comment cela se passe-t-il donc pour élire un nouveau Gardien à la tête de cet endroit ? » fit-elle, curieuse. Elle s’était toujours demandée comment ces lieux étaient régis. « Et plus important encore, êtes-vous seul depuis tout ce temps ? N’avez-vous croisé personne ? »

Beaucoup de questions et elle espérait des réponses.

Plus nous obtentions d'informations, et plus l'affaire semblait se corser.
Brûlée ?! Cette seule évocation du sort de la malheureuse gardienne me fit frissonner. Quel destin atroce... Mais surtout mon instinct d'assassin reprit vite le dessus, alors que j'analysais les différentes possibilités.

J'ai du mal à croire à une combustion spontanée. Soit Héléna a succombé à un assaut cosmique, soit on l'a brûlée pour éviter une étude des stigmates de son corps. J'ai déjà utilisé ce procédé sur certaines de mes victimes, par le passé... Pas de corps identifiable, pas de moyen de déceler la cause réelle de la mort. Ou même son identité...

Cette possibilité n'était pas à exclure. Héléna pourrait-elle avoir simulé son décés, pour une raison quelconque ? Ou un assaillant quelconque aurait pu l'enlever, manière de lui soutirer des informations, en simulant sa perte définitive ? Au moins, nul ne songerait à venir à son aide...Où qu'elle soit retenue.

D'ailleurs, comment peut-il être certain qu'il s'agissait bel et bien d'Héléna ? Puisqu'il vient d'admettre qu'il ne la connaissait pas.

Une question qui méritait réponse. Non que je soupçonnais ce nouveau gardien de quoi que ce soit, mais l'affaire sentait le souffre. Je laissais Morwenna poser ses judicieuses questions, tout en continuant mon observation des alentours. Et une fois qu'elle se fut exprimée, je pris la parole à mon tour, suite à la question de notre hôte.

Non, je ne l'avais jamais rencontrée. Mais son sort m'inspire de la compassion. D'ailleurs... Pardonnez ma question, mais comment avez-vous su qu'il s'agissait bel et bien du corps calciné d'Héléna ? Vu qu'elle était sensée être seule en ce lieu, il serait logique de déduire l'identité de la défunte. Mais avez-vous d'autres preuves ? Marques distinctives ? Signature cosmique ? Ou autre élément ?

Je m'étais exprimé sans aucune agressivité. Juste une retenue témoignant de mon désir d'analyser la scène, et surtout de ne pas nous laisser berner par un piège quelconque, que ce jeune homme n'aurait pas pu déceler. Or de question de quitter les lieux, sans obtenir une vision globale la plus juste possible.

Nimuë garda pour elle ses réflexions, celles du Verseau faisant écho aux siennes. Mal à l’aise, elle était d’accord avec lui, partageait ses doutes. Et malgré toutes les interrogations énoncées, aucunes ne vinrent satisfaire la jeune femme. Un certain agacement ne tarda pas à poindre dans son attitude. Elle avait l’impression de perdre son temps et la personnalité d’Arietis n’aidait pas vraiment non plus. Sa méfiance restait présente, malgré tout. Mais pas envers le jeune garçon. Jamir était à part et elle ne fut pas étonnée non plus qu’il en appelle au sceau du secret.
Pour le Gardien des lieux, il n’y avait aucun doute à avoir. Helena était décédée. Brûlée.
Et la seconde suivante les voici tous trois transportés dans la Tour, sur les lieux du… crime ? Si le voyage ne fut pas très agréable, celle qui se faisait appeler Morwenna n’en montra rien, se contentant d’acquiescer.

Et elle commença par inspecter l’endroit où s’était trouvé le corps. Sous le masque, la jeune O’Bannon eut une grimace. Il ne se trompait pas. Un soupir et déjà elle fouilla le reste de la pièce à la recherche d’un indice qui aurait pu échapper à la vigilance de l’adolescent, toujours engoncé dans ce comportement froid, presque sans une once d’humanité. Helena, dans son souvenir, n’avait pas possédé un caractère facile mais… pas de cette façon. Nimuë mit de côté son analyse de leur chaperon et se focalisa sur les détails. Si un combat avait eu lieu, peut-être trouverait-elle… autre chose ? En se concentrant, elle sonda l’endroit de son cosmos.

« Hm… » rompant sa transe après quelques minutes, Nimuë préféra passer la pièce sous son regard acéré. « Kilian, tu as trouvé quelque chose ? »

Finit-elle par demander en se penchant vers le sol, là où s’était affaissé le corps de l’ancienne Gardienne. Cette enquête commençait à tourner en rond et avoir raison de sa patience !

Un véritable langage de sourds...
Les secrets de Jamir commençaient à former un mur sur lequel Morwenna et moi ne cessions de nous briser. Mais je ravalais un début de frustration, pour me cacher derrière une expression mesurée. Toute cette histoire sentait le souffre, et la confirmation de l'identité de la défunte par notre interlocuteur ne fit qu'aviver ce sentiment. Des forces se jouaient de nous, et le gardien temporaire était trop "ailleurs" pour nous aider à réellement y voir plus clair.
Mes cogitations furent interrompues par une téléportation peu agréable, qui nous fit atterrir au coeur de la scène du crime. Et mes sens d'assassin me poussèrent à confirmer que la thèse de l'accident devenait de moins en moins crédible.
Alors que Morwenna débutait déjà une recherche, je restais figé au centre de la pièce, les sens en éveil, parfaitement calme et observant de ma position la scène dans son ensemble, avant de passer au moindre détail. Je me mis à envisager tous les scénarios possibles. La réponse se trouvait sous nos yeux.
Une brusque envie de fumer la pipe et de jouer du violon me traversa, mais je la repoussais, pour mieux me concentrer et ne rien louper.

Laisse-moi réfléchir...

Ne pas brusquer, ne pas se laisser distraire et observer... Ressentir.
Toujours immobile, je me décidais à parcourir la pièce avec la plus infinie lenteur, en espérant que mon œil d'expert finirait par capter un élément intéressant. Outre mon seul regard, je laissais mes perceptions s'étendre pour capter une source de cosmos, un résidus quelconque. Capter un souvenir imprégné dans les murs peut-être ?

Elle ne s'est pas enflammée toute seule, quand même...

Attaque surprise ? Expérience ayant mal tournée ? Combat s'étant achevé ici ? Je n'excluais aucune piste, et le moindre indice pouvait être décisif. Hors de question de rentrer au Sanctuaire bredouilles !

S’accrocher et ne rien lâcher, il devait bien y avoir un détail qui leur aurait échappé. Morwenna arriva très vite à la sordide conclusion qu’Helena était bien morte de la main d’un ennemi. Une personne qui était entrée là, invitée ? La jeune femme fronça des sourcils, subitement alertée par une odeur épouvantable. Humant l’air, elle eut une moue écœurée. Heureusement, le masque était là pour camoufler son dégoût.
La Sainte stoppa ses pas devant une lourde armoire, l’ouvrit, n’y découvrit rien de très intéressant. La fragrance de mort était toute proche. Alors, mue par une idée nouvelle, elle se prit à déplacer seule le meuble sans trop d’effort. Sa condition physique n’était pas si mauvaise, n’en déplaise à son compagnon de voyage, toujours sceptique à ce sujet.
Elle lui adressa d’ailleurs un petit signe, l’invitant à la rejoindre.

« J’ai trouvé quelque chose, oui. » annonça-t-elle à Kilian et Arietis. « Des… corbeaux morts. »

La jeune femme s’accroupit devant les cadavres des deux animaux. Vu leur état de décomposition avancée, cela coïncidait avec le décès de la Gardienne. Plus étrange encore, lorsqu’elle trouva le courage de manipuler les oiseaux, ce furent des inscriptions qu’elle reconnut.

« Du druidique. »

Elle en était certaine. Les Roisin Dubh ? Penser à eux de prime abord était légitime, surtout pour elle. Lui… Lucius ! Un grognement dans sa « voix du cosmos » résonna quelques secondes avant de mourir. Prélude à un orage qui passa très vite. Elle devait se ressaisir.

« Je ne sais pas le lire. »

Mais peut-être pourrait-elle trouver quelqu’un qui le pourra. L'Augure, peut-être ? « Vous n’aviez pas senti cette odeur horrible, Arietis ? »

Elle l’observa un moment avant de revenir sur le Verseau : « Et toi ? Tu sembles avoir des choses à nous dire aussi… Et… je vais garder les corbacs. »

Plus l’enquête avançait, plus la fille O’Bannon voyait une Ombre se déployer tout autour d’eux. Encore, une appréhension la gagna. Plus vite elle quitterait cet endroit, mieux elle se portera.

« Je suis d’avis de ne pas nous attarder. Le Sanctuaire doit être mit au courant rapidement des faits. Arietis, il se peut que nous revenions. Mais en attendant si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-nous parvenir un message. Si c’est possible ? »

Une fouille minutieuse donnant enfin des résultats probants !
J'avais beau retourner le problème en tout sens, le meurtre de la malheureuse gardienne devenait une évidence. De face, ce qui pouvait suggérer un assaillant familier ou assez sûr de sa supériorité pour ne pas utiliser la vulgaire ruse. Un coup violent, des flammes... Terrasser ainsi la maîtresse de Jamir n'était pas anodin. Un fait que je partageais aussitôt avec ma consœur.

Nous n'avons pas à faire à n'importe quel soldat. Un combat dans une pièce aussi étroite aurait forcément dû causer davantage de dégâts. Or... Héléna semble morte face à son agresseur, et donc sans effet de surprise. Le connaissait-elle ? L'a-t-elle invité à entrer ? Ou la puissance du meurtrier était-elle à ce point supérieure qu'il se soit autorisé un unique coup fatal ? Serait-il seulement venu avec des intentions meurtrières ?

Peut-être que l'inconnu en question n'était même pas venu pour s'en prendre à la gardienne, à l'origine, mais qu'une dispute entre eux avait éclaté. L'accès à Jamir restait fortement réglementé. Un refus concernant une visite des lieux aurait pu expliquer cette agression. En réalité qui était visé ? La personne d'Héléna ou la structure de Jamir ?
Ce fut à ce moment que je remarquais la présence de minuscules bout de verre. Les restes d'un récipient bien familier...

Regarde ! On dirait les débris d'une fiole... Selon toi, Héléna se servait-elle de ce type d'outil ?

Un indice sur l'identité de l'agresseur ? Morwenna trouva alors un élément odorant pour le moins remarquable.

Attends ! Laisse-moi voir ces symboles mystiques. C'est un peu ma spécialité... Un rituel aurait-il eu lieu dans cette pièce ?

Durant mes nombreuses années de recherches, en avais-je déjà vu de semblables ? La voix d'Arietis me tira alors de mon observation.

Oui, quelques éléments intéressants. Par curiosité, qu'avez-vous déplacé dans la pièce ? Qu'avez-vous mis à l'abri exactement ? Il est possible que la personne qui s'en est pris à Héléna ait visité la structure même de Jamir. La question est : pourquoi ? Si je m'en réfère à ce que nous venons de trouver, il devait s'agir d'un érudit, ou d'une personne maîtrisant des arts occultes.

Des chiens et des chats en plus des corbeaux ? Quel genre d’individu utilisait des animaux contre ses adversaires ? Des druides noirs ? Pour Morwenna, le mystère restait entier malgré quelques maigres suppositions. S’il n’avait pas de traces de passages ailleurs, peut-être que l’ex-Gardienne des lieux avait téléporté son agresseur jusqu’ici, ignorant tout des intentions de ce dernier. Quelle triste fin… et puis, il y avait ces bris de verre que Kilian devait analyser.
Beaucoup de choses détonnaient, en particulier l’attitude d’Arietis dont la nonchalance devenait de plus en plus décalée. Si Morwenna n’en faisait pas grand cas, une partie d’elle nota ce comportement pour le moins atypique. Elle préféra mettre cela sur le compte du personnage, après tout, il ne semblait pas mentir et ses réponses liées au peuple de Jamir paraissaient concorder. Quelle affaire !
Poussant un léger soupir, la jeune femme prit le temps de balayer encore la pièce du regard. Ils ne trouveraient probablement rien de plus. Et elle était pressée de retourner au Sanctuaire pour prévenir Childéric.

« Autant de questions que nous allons devoir creuser, mais nous avons des pistes intéressantes, à nous d’en tirer des conclusions, désormais. Je vais essayer de me renseigner sur ces symboles, de ton côté, je te laisse faire tes salamalecs d’alchimiste. » Elle secoua la tête. « Pour te répondre, non, je n’ai pas souvenir qu’elle utilisait ce genre de trucs. Et ce qu’il en est d’un éventuel rituel… j’ai l’impression que l’agresseur possède des dons d’invocations. Cela m’étonnerait qu’il trimbale avec lui toute une ménagerie, tu ne crois pas ? »

Puis, se tournant vers Arietis.

« Bien, j’en ai terminé ici. Je vais faire un dernier tour dans les environs avant de m’en aller. Kilian ? »

Elle le regarda, attendant de savoir ce qu’il voulait faire. Il était évident que la Sainte des Poissons ne désirait pas s’éterniser.