[Fin Mars 553] Une carte vers l'avenir

Des choix raisonnables

Au moins l’ai-je sorti de son mutisme. Il s’exprime, mais ne laisse rien lui échapper, se manifester, se traduire de manière palpable. Lesath reste égal dans ses attitudes, là où j’aurais littéralement explosé. Ne serait-ce qu’un rocher. C’est toujours mieux qu’une gueule. Quoique.
Et en parlant de main dans la gueule…

« Vrai, sur le coup ça soulage. » J’ai l’impression de me retrouver devant un ours grognon et pour peu, j’aurai rigolé. Mais je m’abstiens, il le prendrait mal, et ça ne l’aiderait pas. « Serait-ce une invitation à foutre le bordel dans le palais de Narsès ? Ne me tente pas ! »

J’affiche un petit sourire en coin. « Mais oui, bien sûr. À d’autres. »

Je décide quand même de mettre les pieds dans le plat. « C’est à toi de décider. Soit tu retournes au palais pour tout… retourner ou, tu te barres avec moi dans mes emmerdements. »

Deux options raisonnables, non ? Non. Bon, d’accord. « Ou bien tu retournes au Sanctuaire et tu baisses ton froc. »

Je l’observe du coin de l’œil tout en remettant ma veste par-dessus ma chemise, grimace, n’aimant que moyennement la sensation du tissu collé à la peau.

« Dans tous les cas, tu as tout mon soutien. Même si je préférerais que tu évites la prison. Ça la foutrait un peu mal que je doive me taper toutes ces marches pour venir te sauver. »

Je ricane.

« On va au moins s’en jeter un, viens. »

J’ouvre la marche. Nous retournons sur la Rose Sanglante mais ne nous arrêtons pas sur le pont. Je l’emmène directement dans la cabine et nous sers deux gobelets de rhum. Le Scorpion peut remarquer qu’ils ont déjà servi. Comme le fait que la baignoire soit remplie d’eau. Probablement déjà froide.

“Partir avec toi ?”

Les idées se bousculaient dans sa tête. Ne pas retourner au palais était possible. Après tout, il n’avait aucune envie de jouer les archéologistes et passer le plus clair de son temps à toquer contre les murs pour voir s’ils n’avaient pas un double fond. D’autre part, l’option du retour au Sanctuaire était écartée maintenant qu’il savait qu’on l’avait envoyé cueillir des fleurs. Si on l’avait envoyé garder le palais de Narsès, sans le faire en cachette, c’était sans doute pour que l’information remonte et se diffuse. En somme, il était clairement un appât pour les Oracles. La cache d’Apollon n’étant pas en ces lieux, il était toujours utile de déplacer les recherches vers un point qui était vain.

Il haussa les épaules et continua à réfléchir quelques instants. Elle n’attendait clairement pas une réponse tout de suite. Enfin, pas dans la seconde. Du moins c’était l’impression que l’Ibère avait. Soit. Il avait sans doute quelques minutes pour tirer un plan, même imparfait. Montant sur le navire, il se laissa guider jusqu’à la cabine qu’ils avaient déjà utilisé quelques jours auparavant.

“Tu as eu de la compagnie. Endymion ?” Demanda-t-il en enlevant sa chemise en lin, laissant apparaître son tatouage bordélique, où s'entremêlaient animaux, branches d’arbre et autres arabesques. Il la laissa tomber à même le sol et attrapa deux serviettes. Il jeta la première en direction de Satine, puis s’essuya les cheveux avec la deuxième, la laissant sur ses épaules par la suite.

Il attrapa alors un verre et, l’oeil perdu dans l’alcool, répondit enfin à la jeune femme. “Ta proposition est tentante, sur plusieurs plans, mais je risque de passer pour un déserteur si je n’ai pas une raison indubitable. Je pense qu'enquêter sur cette fameuse guerre civile pourrait être suffisant pour m’éviter les geôles. Si j’en reviens vivant. Si j’en reviens tout court d’ailleurs.” S’il était démasqué, il risquait bien pire que la mort, de ce qu’il avait cru comprendre.

“Et si je t’accompagne, c’est en tant que quoi ? Prisonnier ? Garde du corps ? Esclave ? Je suppose que tu as déjà réfléchi à tout cela.” Elle avait au moins pensé à lui proposer de faire le chemin vers l'empire sous marin, c'était déjà ça.

Avertissement

Je réceptionne la serviette lancée et imite le Scorpion en faisant tomber la chemise sans ressentir la moindre once de pudeur. Je lorgne du coin de l’œil les tatouages alambiqués du Saint d’Or. Ils me captivent, chacun d’entre eux. Chaque figure animale ou végétale. Ils tissent un canevas complexe que je ne comprends pas du tout. Perdue dans mes réflexions, je secoue la tête.

« C’est une possibilité que nous devrions ne pas exclure, oui. »

L’emmener avec moi sous les flots. Je le vois bien, tiens ! Déjà si peu à l’aise dans trente centimètres d’eau… je lui adresse un sourire en coin : « Oui, Endymion. Comme tu peux le deviner, ça ne s'est pas si mal passé entre nous... »

Il finit, l’alcool aidant, par me délivrer ce qu’il a sur le cœur. Compréhensible. Je me poserais les mêmes questions à sa place.

« À toi de voir si les risques encourus en valent la peine, ou non. »

Moi, je ne souhaite pas en prendre, pas gratuitement. « Pas en tant que Saint, ça, c’est une certitude. Je ne vois pas l’intérêt. Si ce n’est de plus gros emmerdements. T’avouer cette information est déjà passible, pour moi, d’une peine capitale. Je te suggère donc de ne pas l’utiliser pour sauver ta peau. »

L’avertissement est à peine voilé. « J’ai sauvé ton petit cul en m’incombant l’assassinat des hommes du Dragon des Mers… je te serais reconnaissante de me rendre la pareille. »

Là, je ne plaisante pas du tout. « Mais je constate que la confiance règne et qu’elle semble aller à sens unique. » grondé-je. « Je ne te vendrais pas. »

Je me détourne pour tenter d’effacer la contrariété. Je cherche une nouvelle chemise à enfiler, me donne du temps.

« Lesath n’a qu’à disparaître. Je le fais bien, moi, derrière mon masque de chair. Je ne peux pas décider à ta place de ce que tu dois faire. »

“Je. Quoi ?” Bégaya-t-il. Elle avait clairement mal pris quelque chose qu’il avait dit. Il essaya de rembobiner la conversation et réalisa qu’effectivement c’était possible de mal interprêter ses propos. A aucun moment il n’avait accusé la belle Atlante de vouloir le vendre. Enfin, il n’avait pas voulu le faire. Il avait supposé que d’autres Marinas pourraient avoir le nez fin. “Je crois qu’il y a méprise, Satine.”. Il s’approcha d’elle et l’attrapa par les épaules. Ce n’était pas trop dans son genre, la jeune femme devait s’en rendre compte. Ceci dit, ces dernières minutes, il n’avait pas eu l’air d’être tout à fait lui même non plus, donc ...

Il la regardait ébahi. Elle l’avait plus que mal pris, clairement, et c’était compréhensible. Cela faisait deux ou trois phrases de suite qui pouvaient être interprétées de la sorte, et, après tout ce qui venait de se passer, … “Je n’ai jamais osé prétendre que tu allais me trahir. Déjà parce que si tu avais voulu le faire, tu l’aurais fait depuis longtemps, mais surtout parce que je ne pense pas que ce soit ton genre.” Avoua-t-il. Il essayait d’être honnête. Déjà parce qu’il n’avait aucune envie de blesser la jeune femme - et peut-être un peu parce qu’elle pouvait être flipante quand elle voulait.

Elle avait par la suite parlé de mettre un masque. Virtuel, il comprit, même si, dans le cas de la jeune femme, c’était un peu plus concrêt. La raison était là, bien sûr. “Quand je parlais de t’accompagner, je sous-entendais bien sûr de prendre une nouvelle identité. A priori je n’ai jamais croisé le moindre Marina qui soit encore d’actualité, si ce n’est celle qui était au Sanctuaire. Ariane je crois. Je ne sais pas si elle est encore vivante.”

“Mais je pensais justement à une couverture, du moins assez crédible pour ne pas être soupçonnée. Un garde du corps, cela pourraît s’expliquer, mais il faudrait que je fasse taire mon aura, et que je cache mes tatouages. Cela pourrait le faire.” Il avait lâché les épaules de son interlocutrice depuis un moment, et réfléchissait plus à haute voix qu’autre chose, en marchant dans la cabine.

Il s'approcha de nouveau de son gobelet, et se servit, et fit de même pour Satine. Puis, il s'envoya le contenu cul sec. Il était motivé pour boire pour réfléchir. Ce n'était sans doute pas la meilleure solution, mais il n'en voyait pas d'autre.

“Dans tous les cas, j'y vais avec toi.” Lança-t-il, sûr de lui.

Surfacien

Je pivote sur mes talons, il enserre mes épaules entre ses mains. Son air ne trompe pas. Il a – enfin – comprit le poids de ses paroles, leur portée sur moi et mon ego mal placé. Ma méfiance naturelle.
Je lui destine un grand sourire, soulagée de l’entendre dire ça. Cependant, cette contrariété que je ressens ne se tait pas. Bien au contraire. Lui proposer de venir avec moi est en soi une bien mauvaise idée, surtout quand on prend en compte le contexte actuel, mais qu’il soit un Saint, a fortiori un chevalier d’Or, un simple « humain », n’arrange évidemment pas les choses.

Je hausse des épaules. « Ariane ? Non, je ne connais pas. » Elle n’est probablement pas la première atlante à disparaître dans la nature. Je réfléchis. « Le problème majeur, outre que nous soyons au bord de l’implosion, c’est que t’es un surfacien. Et sans offense… je suis Capitaine, ce serait mal venu d’avoir besoin d’un garde du corps, tu ne crois pas ? »

Non, cette option ne tient pas vraiment la route. « La piste du mercenaire pourrait convenir, mais ça éveillerait des soupçons et… on en a une pléthore sous l’eau, pourquoi te choisir toi qui n’est pas atlante ? Prisonnier, ce n’est pas envisageable, tu te retrouverais tout de suite dans une geôle et je ne pourrais pas t’en sortir. »

Techniquement je pourrais. Je connais une certaine personne capable de ce prodige. Mais impliquer Nessius à mes petites combines me vaudrait une faveur que je ne saurais payer.

« Reste l’usurpation d’identité, ça m’a plutôt réussi pour le moment. Mais je ne connais pas, à ma connaissance, d’atlantes portés disparus, si ce n’est Aoden O’Bannon. Et… »

Je l’observe de haut en bas. « Tu ne lui ressembles pas du tout. » Je viens lui ébouriffer les cheveux. « Faudrait que tu sois roux. »

Je pousse un long soupir. « Tu pourrais être un des membres de l’équipage d’Endymion que j’ai retrouvé à errer. Personne ne s’étonnera des choix et des goûts… douteux du Dragon des Mers. Mais il me semble hasardeux de vouloir tisser un lien avec Éa Tremere, une noble propre sur elle. Ou alors… je peux avoir senti un quelconque potentiel chez toi m’amenant à penser que tu ferais un bon Marina. »

Mes bras s’enroulent autour de moi. « Qu’est-ce que tu en penses ? »

“Effectivement, tu devrais être capable de te défendre… Je reformule. Tu es capable de te défendre toute seule.” Lança-t-il, modifiant en cours de route une phrase qui aurait pu lui valoir les gros yeux. Il ne voulait pas les gros yeux. Non.

“Pas mercenaire. Pas prisonnier, du coup. Clairement pas prisonnier. Je n’échange pas une prison à la surface pour une sous la surface, il en va sans dire. Encore que, la bouffe pourrait être meilleure.” S’amusa-t-il. Il avait vu le contenu de la gamelle des prisonniers du Sanctuaire et il préférait encore manger un lopin de terre. En entier. Elle pensa alors à l’usurpation, tout simplement. D’un autre O’Bannon, au passage. Il aurait été capable de jouer le rôle d’un jeune Marina un peu fou qui aurait eu envie d’en découdre avec tout un chacun, il en était absolument capable. La bagarre, de l’alcool et des femmes, c’était plus ou moins le credo des Irlandais, de ce qu’il avait compris. Mais ce n’était pas possible non plus.

“Une teinture me semble compliquée. On sera sous l’eau, et la couleur ne tiendra pas. Que resterait-il du coup.” Questionna-t-il en souriant. Chaque contact avec Satine lui rappelait qu’il n’était pas si seul, au final.

L’idée du membre d’équipage pouvait tenir la route … quelques minutes. Jusqu’au moment où on lui poserait la moindre question. A cet instant il serait absolument cramé. “Si on me dit d’aller à bâbord, je suis démasqué, Satine.” Il n’y connaissait rien en navires. Il ne savait même pas nager ! Les seules choses qu’il avait mémorisées sur la navigation, c’était qu’on appelait les cordes des bouts. Il ne savait même pas pourquoi. “A moins que.”

“A moins qu’on ne se base sur mes qualités.” Qui étaient nombreuses, à n’en pas douter. La jeune femme semblait dubitative. “Cela fait plaisir à voir !” S’amusa-t-il de sa réaction. “Si on laisse de côté le fait que je sais assassiner des gens, j’ai d’autres capacités, que tu ne connais pas encore.” Elle semblait toute ouïe.

“Je suis herboriste. Je ne sais pas du tout si ça a une utilité quelconque sur un navire, par contre.” Sans doute que non. Après tout, les herbes n’étaient pas forcément les mêmes à la surface que dans l’habitat classique de l’Empire sous-marin. ”Sinon… je fais la cuisine aussi.” C’était vrai. A force de vivre seul il avait passé le plus grand de son temps à cultiver les herbes - principalement l’opium, certes - et à les cuisiner - du coup, pas trop l’opium.

“On est dans la merde.” Lança-t-il avec un soupir, se rendant compte qu’il ne faisait pas vraiment avancer la machine. “Mais il faut trouver quelque chose. Je ne vais pas laisser ta tête finir au bout d'une pique, quand même... Bon d'accord, je suis un peu fataliste. C'est l'alcool. Je n'ai plus l'habitude.”

Sombre humeur

« Je préfère ça. » ricané-je à sa réplique maladroite.

Le reste de la conversation me laisse un goût amer. Nous tournons en rond et on constate que notre projet, en plus d’être bancal, est un rien suicidaire. Une autre alternative doit être trouvée, mais quoi ? J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je me trouve, chaque fois, dans une impasse.

Je finis par souffler : « Oui, c’est foireux. »

Je vais m’asseoir derrière le bureau – mon bureau ? – et attrape le fond de rhum qui traîne encore devant moi. À même le goulot, je fais un sort à l’alcool qui réchauffe mon gosier.

« Je pense que nous pourrions trouver un autre angle, mais… cela implique d’attendre. Et je suis incapable de te dire combien de temps. »

Avec sérieux, j’observe le Scorpion. « Tu vas devoir y retourner, et faire des efforts pour ne pas qu'ils te bottent le cul. Au moins suffisamment pour ne pas te retrouver au fond d’une geôle. Ensuite… »

Me renversant dans le dossier de ma chaise, je croise mes bottent sur les parchemins sans me soucier de les salir.

« Ensuite, tu trouves un moyen pour jouer aux ambassadeurs chez nous. »

Je doute fortement de son attrait pour la diplomatie et la politique, or, pour le moment, c’est l’unique alternative que j’ai trouvée.

« Je n’ai même pas le cœur d’ouvrir une autre bouteille ! » confié-je, contrariée.

Mon humeur, bien sombre, n’augure rien de très bon. Je sais que le temps presse, que je dois pas vraiment tarder à retourner à mes affaires et ça m’ennuie. Profondément.

Lesath, qui s’était rassi quelques secondes auparavant changea encore d’avis et se leva. Il déambulait dans la cabine comme une âme en peine, cherchant une parade, lorsqu’il cru entendre quelques mots. “J’ai du mal comprendre.” Marmonna-t-il. Elle avait parlé de faire de lui l’ambassadeur. Ambassadeur rien que ça. “Pour que je finisse ambassadeur, il faudrait que je sois dans les petits papiers de Childéric, et que les Saints et Marinas ne soient pas particulièrement en froid. Je ne suis pas sûr qu’une seule de ces deux affirmations soit vraie à l’heure actuelle.” Lança-t-il vraiment étonné par la proposition de la Capitaine. Il avait laissé de côté les deux points restants qui étaient sans doute aussi peu crédibles. Que lui ne finisse pas en taule, et qu’il soit capable d’une façon ou d’une autre d’avoir assez d’influence pour se faire déporter dans l’Empire Sous-Marin..

“Mais c’est un plan plus viable que de me faire passer pour Caius Bonus O’Bannon, ou quel que soit le nom de ton cousin disparu, on est d’accord là dessus.” Ria-t-il, jaune. Ils avaient balayé les autres options de toutes manières.

Il se jeta dans le lit défait, le dos en premier, avec un râle. Le sommier était assez dur, comme dans ses souvenirs. Il n’aimait pas ne rien pouvoir faire. L’inaction avait été son quotidien pendant des semaines, des mois, des années, et il l’avait adopté comme une compagne. La monotonie. Les jours similaires, cachés dans la pénombre d’un temple en ruines. Mais s’il avait accepté cette situation, bien au-delà de son aspect émotionnel et mental, c’était car elle n’impactait que lui. Là … c’était différent. Cela retombait sur Satine. Et malgré tout elle n’avait rien demandé. Elle avait retardé sa propre quête pour lui et il n’était pas capable de lui rendre la pareille. Il fixait le plafond de la cabine, dépité, mais se redressa lentement.

“D’accord, c’est un plan. Disons que je serai ton … ambassadeur. A défaut de sauveur, on va dire que c’est un début.” Lança-t-il, d’une voix qui se voulait affirmée. Ils avaient tant de possibilités, et ils devraient se contenter de cela. “En attendant je ferai le bon petit soldat en restant à Ravenna. Je sens qu’ils m’y ont envoyé pour faire office d'appât. Autant jouer ce rôle jusqu’au bout.” Affirma l’Ibère.

“J’ai quand même besoin d’un dernier verre, avant que tu ne disparaisses pour je ne sais combien de temps.” Soupira-t-il.

Mensonge

« À l’heure actuelle. » rebondit-elle avec un clin d’œil. « Ouais, pour le moment je n’ai que ça en stock. »

Et tu m’en vois navrée, a-t-elle envie d’ajouter, mais s’en abstient, voyant dans quel état il se trouvait. Satine peut faire preuve d’un peu de délicatesse, de temps en temps. Parfois. Rarement.
Comme il se jette dans le lit, la pirate vient le rejoindre aussi de la même manière, quoiqu’en mettant un point d’honneur à prendre toute la place. La manœuvre vise à troubler un peu ses sentiments négatifs et il n’y a qu’en cherchant à l’embêter que la O’Bannon pense pouvoir parvenir à ses fins.

« Ambassadeur, sauveur, amant, tu choisis, je ne suis pas bien difficile. » Sur le point de lui indiquer qu’il a pourtant une rude concurrence, elle se mord les lèvres : de la déli-ca-tesse. « Joue le jeu. Et puis prend quelques risques, aussi, ça ne coûte rien. »

Comme explorer un peu plus ce foutu palais. Cuisiner des gens… « Lance des appâts, au lieu de te contenter d’en être un. »

Qu’il voit large, surtout. Sous un autre angle, peut-être ? Un mince sourire étire ses lèvres. Doucement, la rousse se redresse et vient l’enlacer, lui chuchoter :

« Oh, mais, qu’entends-je ? De… non ! Ne serait-ce pas ? De l’inquiétude ? »

Elle dépose fugacement un baiser sur sa joue. « Tu le sais, je suis un véritable nuisible. » La comparaison n’est pas flatteuse, mais suffisamment parlante et elle l’espère, comique, pour le dérider un peu. « Je reviendrai pour te casser les couilles. Tu peux en être sûr ! »

Resserrant son étreinte, elle le fait basculer en arrière. Yeux dans les yeux, Satine lui glisse. « Un verre, une nuit… je ne suis pas à quelques heures près. »

La tempête est déjà là. Et le mensonge qu’elle libère n’est pas très convaincant. Reste qu’elle désire étirer cette parenthèse autant que possible. Autant que leur rôle respectif le leur permet.

Re: [Fin Mars 553] Une carte vers l'avenir Ven 5 Mar - 1:52

Elle avait ce don, elle savait comment toucher le Scorpion, lui qui d’habitude, comme son totem, se réfugiait dans sa chitine. Cela la rendait unique, à sa manière, et dangereuse. Car la vulnérabilité n’était pas plaisante. Jamais. Sauf avec elle. Et étrangement, il l’acceptait.

Lorsqu’elle prit place dans le lit à ses côtés, il ne fut pas surpris. Ni quand elle en profita pour le pousser sans même s’en cacher. “Ambassadeur, sauveur, amant.” répéta-t-il, comme possédé par les paroles. “Jouer le jeu.” Continuait-il. Elle essayait de lui indiquer quelque chose, des messages voilés. Il ne comprenait pas. Peut-être avait-elle raison de ne pas jouer totalement cartes sur table avec lui. La vulnérabilité amenait avec elle la douleur. Et il souffrait déjà assez physiquement pour ne pas laisser la peine envahir son coeur. Peut-être avait-elle raison de taire ses dernières rencontres avec d’autres, avec Nessius. Peut-être pensait-elle le faire pour son bien. Mais dans l’ignorance, il ne pouvait être heurté. Il ne pouvait être blessé. Il ne pouvait souffrir. Il ne pouvait s’en aller. Ne le pouvait-il pas ?

“C’est de l’inquiétude, oui.” Répondit-il honnêtement. Non pas qu’il ne fusse convaincu de sa capacité à se sortir de toute situation, après tout elle avait plus d’un tour dans son sac. Mais une partie non rationnelle de son être, celle qui imaginait toujours le pire, n’était pas sûre. Pas à cent pour cent. Et croyez-moi quand je vous informe que cette partie non rationnelle avait trop longtemps été chargée de son enveloppe. C’était elle qui l’avait dirigée, contrôlée. Avait fixé sa routine. Avait fait de lui pantin. Elle avait encore une emprise non négligeable sur son être. Bien plus que sa douleur.

Un baiser vint le sortir de sa réflexion. Pouvait-il lui répondre qu’elle ne devait pas faire de promesses qu’elle n’était pas sûre de pouvoir tenir ? Il le pouvait, mais, intelligemment, il s’en abstint. Elle essayait, à sa manière et probablement un peu (un tout petit peu ?) contre-nature de le rassurer. Mais comment combler une obscurité aussi dense ? Comment se battre contre une détresse qu’on ne peut comprendre. Perdu dans les yeux de la rousse, Lesath sourit. Sans faux semblants.

A Rome elle avait vu juste, lors de leur "rencontre". La douleur était la ligne directrice de son existence. Et quelques semaines plus tard, avait-il changé ? Probablement pas. Le vide ne se comblait pas d’un coup de baguette magique. Mais peut-être que c’était ce genre de moments qui aidaient à le remplir. Mais elle ne pouvait s'attarder, même si elle le désirait ardemment. Même s’ils le voulaient tous les deux.

Dehors l’eau appelait l’eau. La pluie s’était levée. Un signe pour le huitième gardien, qui avec un sourire serra l’atlante contre lui, doucement, comme pour ne pas lui faire de mal - alors qu’il en aurait sans doute été incapable.

“On sait tous les deux que tu ne peux pas. Tu as une guerre à mener, Satine.” Murmura-t-il après un long moment à contempler sa sauvée, son amante. Il pris quelque instant pour embrasser la belle, puis il sourit à la jeune femme, et se redressa. Se levait du lit. Il espérait vraiment que ce n’était pas leur dernier rendez-vous. Leur dernière rencontre. “Tu as une guerre à gagner” Corrigea-t-il alors qu’il s’éloignait vers la porte. Un instant ! Avant de passer cette dernière, il se retourne un sourire sur le visage. “Je t'ai fait une promesse. Et je compte la tenir.” Lança-t-il, sûr de lui. Tout doute venait de se dissiper, temporairement il en va sans dire, en se rappelant ce fait. Il lui avait PROMIS, et il n'était pas de ceux qui n'avaient pas de parole. “Je ne t'abandonnerai jamais.”. Il ne s'enfuyait pas. Au contraire. Il la forçait à devenir celle qu'elle devait devenir depuis le début.

L’eau tombait drue sur le Scorpion, qui avait laissé la porte ouverte derrière lui. Il regardait au loin. A travers sa chemise trempée on devinait les arabesques d’encre. Et au milieu de cette myriade de lignes trônait un rubis. Il ne se posait qu'une question : aimait-il cette femme ? En fait non, il y avait une deuxième question : était-ce une question ou une affirmation ?

Re: [Fin Mars 553] Une carte vers l'avenir

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