[Début avril 553] Quand on déracine une aveugle (Kaleb)

«C’est une source sacrée et sous-terraine. A ma connaissance, il n’est jamais arrivé qu’elle se tarisse. Il semblerait que le cosmos qui protège le Domaine Sacré y pourvoit. Cependant, je n’en ai pas l’absolue certitude et je ne pourrais guère t’en dire davantage, n’ayant jamais eu l’occasion d’aller voir la source par moi-même… »

Des questions précises, pointues. La jeune femme avait soif de connaissance. Ce que Kaleb considérait comme une qualité. La vierge tenta de lui répondre au mieux au sujet de l’hypocauste. Il n’était pas ingénieur et ses connaissances n’étaient certes pas à la pointe. Il ne savait que ce que les traités historiques sur la Rome antique avait bien voulu porter à la postérité.

«L’hypocauste est un système de chauffage par le sol. C’est aussi une manière de chauffer les tuyaux de l’eau en circulation par le biais de fours dans lesquels les tuyaux en terre cuite passent en serpentin…. Il doit bien exister des ouvrages d’ingénierie romaine qui traitent de la construction des thermes. Mais j’avoue que je n’ai jamais eu l’occasion d’en lire… »

Un regret ? Pas forcément. On ne pouvait tout savoir sur tout. Il fallait rester humble face à l’immensité des connaissances que les différentes civilisations avaient pu léguer à leurs héritiers. Pour autant, il n’y avait aucun doute que le génie de l’être humain et sa capacité à trouver des solutions à ses problèmes était une de ses forces. Et il n’y avait pas besoin d’être un Eveillé pour cela.

Elle avait à nouveau esquivé son attaque avec grâce dans un mouvement de roulade particulièrement bien venu. Kaleb se releva et se remit immédiatement en garde. Elle tenta de le frapper à nouveau, en visant l’estomac. Le chevalier d’or détourna son coup d’une seule main, immobilisant le bras de son élève puis amenant ses articulations dans le sens opposé à celui de leur déploiement physiologique.

«Lorsque tu frappes, prends garde à ne jamais te retrouver bloquée. Car dans ce cas précis, tu es à la merci de ton adversaire….»

Puis, profitant de la saisie, il la repoussa vivement en arrière sans la frapper pour autant, attendant le prochain assaut de la Coupe.

C’est une posture bien étrange que celle que choisit d’adopter Dana pour contre-attaquer. Dos contre son torse, bassin contre bassin, il y avait de quoi se méprendre. Prit dans le combat, Kaleb n’en prit conscience que lorsqu’il vit le regard interloqué d’un serviteur qui se dirigeait pour vérifier l’eau du caldarium. Cela ne manquerait pas de revenir aux oreilles de Kalia et d’Eireen. Il n’aurait probablement pas fini d’en entendre parler.

Pour autant, il essaya de rester focalisé sur la situation. Elle tenta de lui faucher les talons et de le faire basculer sur le sol à nouveau. Il ne put s’empêcher une réflexion taquine.

«Décidemment, tu tiens à me mettre à l’horizontale. Dois-je y comprendre un message caché ?»

Une manière de voir s’il pouvait la déstabiliser mentalement pendant un affrontement au corps à corps. D’ailleurs sa réflexion sur sa langue lui donna une idée. Etait-ce un conseil ou une provocation ? Il optait davantage pour la première solution, du peu qu’il connaissait son élève. Cependant, il ne pouvait pas totalement écarter la seconde, le combat ayant parfois un effet euphorisant sur les harangues et autres défis verbaux.

«Mon verbe t’importune-t-il ma chère Dana ? ou crains-tu que je m’en serves à des fins déloyales ?»

Il esquiva les fauchages de talons en pivotant avant de placer une clef de bras sous sa gorge, de revenir en place et de l’obliger à descendre sur ses genoux en exerçant une pression au creux de ces derniers. S’agenouillant d’abord derrière elle, il l’enserra ensuite, immobilisant ses deux mains avec son bras libre et ses jambes en les enserrant avec les siennes. Il ne restait que deux choix possibilités à la jeune femme : lui casser le nez ou déclarer forfait. A moins qu’elle ne trouve une faille à laquelle il n’avait pas pensé.

Il se pencha à son oreille et lui dit calmement.

«Tu as de très bonnes bases. Davantage que ce que j’espérais. Cela va grandement accélérer ta formation martiale. Tu peux être fière de ta capacité de réaction… Il n’y aurait aucune honte à abandonner maintenant…»

«Et si je te mord l’oreille ce sera tant pis pour toi…»

Elle tentait de se débattre mais Kaleb tenait bon. Il savait qu’elle s’épuiserait avant lui. Il encaissa les coups et les morsures, se contentant d’esquiver le coup de tête dans le nez en décalant son visage. Sa sérénité n’était pas mise à mal. Il attendait.

Il attendait que la jeune femme abandonne. C’était son rôle de maître que de la pousser à sa limite. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle avait de l’énergie à revendre. Correctement canalisée, cette dernière serait sans doute un atout. Mais pour l’instant, Dana s’éparpillait beaucoup trop pour que ses coups puissent être efficaces.

Il devait lui montrer. Lui expliquer. Ce serait sa première leçon. Celle qui différenciait le combat avec un éveillé du coup que l’on pouvait asséner à un groupe de dormeurs pour se dégager d’une fâcheuse situation.

«La colère est mauvaise conseillère dans un combat, Dana. Elle a souvent tendance à nous aveugler. Ne la confond pas avec la détermination nécessaire à la poursuite de la lutte…»

Il Resserra son étreinte. Il sentait parfaitement le pouls de son apprentie désormais, le parfum de son corps en nage aussi. La Vierge se sentait quelque peu troublé. Jamais il n’avait été si proche physiquement d’une femme. Pour autant, il restait concentré sur la formation. Il réitera donc sa proposition.

«J’ai pu voir de quoi tu étais capable. Tu peux lâcher prise maintenant, Flamboyance… »

Il venait de lui trouver ce petit surnom. Au même titre qu’il appelait parfois Eireen Feu Follet. Une marque d’affection et d’admiration mêlée.

«Je te le précise à toute fins utiles, Dana… Il est parfois des missions où l’on doit conserver sa ouverture coûte que coûte… Le cosmos n’est donc pas toujours une option…»

Elle déclencha son cosmos comme un baroude d’honneur, une dernière bravade avant de baisser les armes et de reconnaître sa défaite. Kaleb la laissa faire et desserra son étreinte sans la lâcher pour autant. Il diffusa alors son cosmos doré, soulageant les ecchymoses et autres petites douleurs qui ne manquaient certainement pas d’avoir envahi le corps de sa disciple.

Il se releva alors et lui donna la main pour l’aider à faire de même.

«Tu t’en sors admirablement pour le moment. Je n’ai aucune inquiétude quant à ta capacité à te défendre face à des dormeurs. Face à des éveillés, ce sera néanmoins une autre pair de manches. Mais nous y viendront une autre fois si tu le veux bien…»

Il lui avait fait une promesse. Elle voudrait certainement se délasser après cette séance de pugilat. Il replaça la natte ébouriffée de la jeune femme dans son dos et lui serra délicatement la main pour lui signifier le sourire qui s’affichait également sur son visage.

«Je t’ai promis de tester le caldarium. Veux-tu y aller maintenant ou aimerais-tu faire autre chose entre deux ?»

Il réajusta ses propres vêtements et épousseta la poussière qui se trouvait dessus. La roche des montagnes du Domaine Sacré, poussée par le vent, apportait fréquemment ce genre de cadeau à l’intérieur du temple. Une façon pour la nature de signaler sa présence.

Il la regarda avec amusement. Elle se souciait de la bienséance. C’était touchant. Kaleb lui s’en moquait éperdument. Et il le fit parfaitement comprendre à Dana.

«Il n’y a pas vraiment de règle dans ce domaine dans les maisons du Domaine Sacré. Chaque Gardien y instaure les règles qui lui conviennent tant que cela ne nuit pas au calme, à l’ordre et au bon fonctionnement du Sanctuaire… Pour moi, la nudité est la chose la plus naturelle qui soit… C’est l’état originel de l’être humain. Il n’y a pas de honte à avoir. Pour moi, le corps humain est quelque chose de magnifique… Et puis, ce n’est pas parce que l’on prend un bain ensemble que l’on a forcément des intentions grivoises, tu ne crois pas ? »

Kaleb avait déjà eu l’occasion de prendre des bains en tout bien tout honneur avec d’autres personnes comme Argus. Il avait déjà eu aussi l’occasion de le faire avec Kalia ou Eireen voir les deux en même temps. C’était souvent l’occasion d’échanger de manière informelle sur la vie de la maison, de trouver des solutions aux petits tracas du quotidien dans une atmosphère plus détendue et moins protocolaire. Cela pouvait peut-être choquer vu de l’extérieur. Mais tant que le Grand Pope ou Athéna en personne ne venait lui signifier quoi que ce soit, il considérait que c’était son choix de vie et que nul n’avait à y redire.

Il prit donc la main de son élève et la guida jusqu’au bord du bassin.

«Après si la nudité est un problème pour toi, tu as toujours la possibilité de te baigner en chemise. C’est ce que fait Kalia. Eireen m’a dit qu’en tant que fille d’Hibernia, elle ne conçoit pas de se baigner autrement que nue. Un avis que je partage. C’est bien plus commode pour les ablutions.»

Sans plus de cérémonie, Kaleb ôta sa chemise et ses sous-vêtements avant de se glisser dans l’eau. Il envoya un peu d’eau sur Dana et lui dit d’un ton enjoué :

«Les escaliers sont juste devant toi. Et puis, si tu y tiens, je peux toujours te frotter le dos pour me faire pardonner la rudesse du combat.»

«Qui t’a parlé de voir ? Il y a bien d’autres manières de profiter des dons que la nature nous fait… »

Il s’était peut-être un peu précipité en se jetant aussi vite à l’eau. Mais après tout, il avait bien senti que la guider par la main relevait davantage du superflu que du nécessaire. Aussi avait-il cru qu’elle saurait se débrouiller seule pour rentrer dans le bassin.

Néanmoins, ses questions étaient des plus pertinentes. Elle ne connaissait pas encore les us et coutumes de la maison et n’avait pas pu voir les signes de tête qu’il avait fait en direction des serviteurs, leur signifiant sans un mot qu’ils devaient leur apporter les linges de sortie de bain ainsi que les vêtements de rechange.

Il entreprit donc de corriger son erreur afin de guider sa disciple mais en prenant soin, cette fois-ci de ne pas la toucher pour respecter sa volonté d’autonomie..

«Des serviteurs vont t’amener du linge pour te sécher ainsi que des vêtements propres. Tu peux laisser tes vêtements ici, ils viendront les chercher pour les nettoyer. L’eau n’est pas forcément profonde, tu auras pied et de l’eau jusqu’au sternum si cela peut t’aider à te repérer. Suis le son de ma voix, je suis juste devant les escaliers qui permettent de rentrer dans le bassin…»

Il espérait lui avoir donné suffisamment d’indications pour qu’elle puisse se débrouiller seule. Il prit soin de se retourner pour lui permettre de se déshabiller. Ce n’était pas parce que la Coupe était aveugle qu’elle ne pouvait pas sentir les regards sur elle. Et Kaleb ne voulait pas se montrer irrespectueux. Il crut cependant bon de le préciser si elle se repérait au son.

«Je vais te tourner le dos le temps que tu rentres dans l’eau. Dis-moi si jamais tu as besoin d’aide…»

Il attendit alors d’entendre le bruit caractéristique des pas descendants les escaliers jusqu’au fond du caldarium pour se retourner.

«C’est exact… Tout du moins tant que tu n’arriveras pas à moduler le cosmos dans ce sens. Après, avec ce dernier, je pense que ce sera une toute autre paire de manches…»

Kaleb avait pu lire dans les archives de l a Vierge des propos mystérieux sur la perte de sens. Il était tombé sur des passages énigmatiques avant de partir à Camelot. Il s’était promis de les relire. Car il présumait que cela pourrait s’avérer d’une utilité quelconque dans l’apprentissage de Dana. Pour autant, il n’avait aucune certitude. Peut-être pourrait-il en toucher deux mots à la Balance, si tenté qu’elle lui réponde.

Il attendit patiemment que la jeune femme descende dans l’eau et lui donne le signal pour se retourner. Sa longue chevelure flamboyante flottait à la surface de l’eau. La Vierge lui prit délicatement la main pour signaler sa présence. Lorsqu’elle lui fit la remarque sur la différence avec l’eau de la rivière, le gardien du sixième temple ne put s’empêcher de s’esclaffer.

«Ah ça !!! C’est certain que ça change des torrents gelés ou des baquets ! Personnellement, j’ai une préférence pour le caldarium mais bon, une bonne baignade sous une cascade au milieu de l’été n’est pas non plus désagréable. Ce qu’il manque ici, c’est le lien avec la nature : entendre les oiseaux, sentir le vent ou le parfum des fleurs…. »

La réflexion sur le savon amusa Kaleb. Dana n’était pas une sauvageonne. Donc bien loin des images de barbares que les auteurs antiques avaient fait de son peuple. La Vierge savait qu’il fallait prendre certains textes avec précaution. La caricature était facile et visait souvent à légitimer une invasion en discréditant une civilisation. Sans doute ce que les romains avaient voulu faire avec les Celtes.

« Il y a du savon de Gallipoli sur le bord un peu plus loin à droite A côté du strigile et des huiles parfumées. Tu n’as que l’embarras du choix… »

Kaleb avait conservé certaines habitudes d’Axoum, héritées elles-mêmes de l’empire romain. Notamment les ablutions quotidiennes et le nettoyage aux huiles parfumées avant de racler son corps. Une pratique qui avait paru étrange à Eireen et qui ne manquerait sans doute pas d’intriguer Dana.

Pour autant, il n’avait presque pas transpiré. Mais l’hygiène était un point sur lequel la Vierge ne transigeait pas, que ce soit pour lui ou pour les gens de sa maison. Serviteurs inclus. Il y voyait une manière de prévenir les maladies et autres vermines.

«Pourrais-tu m’en dire plus sur ton peuple ? Sur votre vie quotidienne ? L’hygiène par exemple ? Quelle place joue-t-elle dans votre vie de tous les jours ? Je sais ce qu’en disent les auteurs romains ou grecs mais je ne pense pas qu’ils constituent une source objective pour autant…»

«Je voulais dire, dans le caldarium… J’attends les beaux jours pour installer des baquets sous les Saules jumeaux histoire de se délasser en plein air le soir…»

Kaleb tint sous silence le fait qu’il était un peu frileux de nature bien que sa formation au sommet de l’Horeb l’ait relativement endurcit de ce côté. Tout chaman qu’il était, il préférait néanmoins le grand soleil du printemps ou de l’été aux pluies automnales pour profiter des extérieurs.

«Le Domaine Sacré a été construit dans une zone montagneuse et relativement difficile d’accès pour éviter que les dormeurs ne s’en approchent de trop près. Il y a cependant sans doute des jardins aménagés comme celui de notre temple dans d’autres demeures. Si tu cherches des fleurs, tu pourrais toujours t’aventurer dans la maison des Poissons. Les roses y sont magnifiques. Mais ce serait à tes risques et périls…»

C’était d’ailleurs un questionnement qui taraudait la Vierge. Comment diable fonctionnait ce jardin, dernier rempart entre les douze maisons du Sanctuaire et la demeure du Grand Pope ? Lorsqu’il s’était rendu aux différentes entrevues, jamais il n’avait eu à le considérer comme une menace. Peut-être n’était-il actif que lorsque le Cosmos de son Gardien s’en mêlait. Il faudrait qu’il pose cette question à Morwenna à l’occasion.

Quand Dana l’interrogea sur la ville de provenance du savon, Kaleb se contenta de hausser les épaules, quelque peu embarrassé. Il n’avait pas la prétention de tout savoir.

« Je ne sais pas… Je ne m’y suis jamais rendu. Je sais juste que leurs savons sont réputés dans tout l’empire comme étant les plus agréables. Ils sont à base d’huile d’olive… »

Il l’écouta attentivement raconter la manière dont l’hygiène était considérée par les différentes classes de son peuple. Bien évidemment, il y avait des choses qui devaient être communes à l’ensemble des humains. Les chasseurs souhaitant se fondre dans la nature, les enfants rechignant à se laver parce qu’ils ont mille et une choses plus importantes à leurs yeux à faire… Le sens pratique l’emportait sur l’esthétisme. Une logique on ne peut plus naturelle en somme.

«Je viens d’Axoum, un empire situé encore plus au sud. Il y fait particulièrement chaud. C’est un terre de hauts plateaux où une nature luxuriante côtoie des étendues arides, baignée par les sources du Nil, sans doute l’un des plus grands fleuves du monde connu… Je suis né et j’ai grandi dans la capitale. C’est une ville prospère, aux couleurs chatoyantes où se croisent des marchands de toutes origines, venant avec leurs richesses toutes plus exotiques les unes que les autres comme la soie ou encore les épices qu’ils viennent échanger contre de l’or ou des pierres précieuses… J’imagine que ce sont des choses que tu n’as pas forcément eu l’occasion d’avoir entre les mains…»

De tels produits arrivaient-ils jusqu’aux druides de Bretagne ? Kaleb en doutait. Mais après tout, peut-être était-ce des préjugés de sa part…

«Pas tant que tu ne t’attaques pas à sa cave si j’en crois sa réputation… Cependant, tu dois savoir que ses roses sont empoisonnées. Mais effectivement, il te faudra traverser son temple pour te rendre aux convocations du Grand Pope. Pour autant, je n’imagine pas cette chère Morwenna te bloquer le passage… »

La Sainte des Poissons lui avait paru une personne plutôt discrète. Pas forcément le genre à faire des histoires ou de la rétention de chevalier. Il regarda son élève. Elle ne connaissait pas les olives. Logique compte tenu de son lieu de naissance mais pour autant, Kaleb aurait cru que ce genre de denrée particulièrement conservable faisait l’objet d’un commerce jusque dans les régions les plus septentrionales.

Il fallait absolument qu’elle en fasse l’expérience. C’était l’une des bases de la vie à la grecque donc de celle du Sanctuaire. Kaleb s’esclaffa devant la remarque de la Coupe.

«C’est peut-être l’arbre le plus typique de la région. Les olives servent effectivement principalement pour tout ce qui est alimentaire mais pas uniquement. Les huiles de massages ou les produits de beauté en sont constitués. Pour autant, non, je ne te conseille pas de manger le savon. Sauf si tu veux te rendre malade bien évidemment…»

Parler d’Axoum avait fait naître chez lui comme une nostalgie de l’époque bénie de l’enfance. Celle où l’insouciance lui permettait de vivre l’instant présent sans se préoccuper de ce que serait le lendemain. Ces années-là passaient tellement vite…

La question de Dana le sorti de sa rêverie. Pourquoi il avait quitté Axoum ? Il allait répondre à son interrogation par une autre pour qu’elle comprenne, pour qu’elle se projette.

« Pourquoi as-tu quitté ta maison ? Pourquoi as-tu accepté de me suivre ? L’aurais-tu fait si l’armure n’était pas venue à toi ? »

Il était toujours intéressant d’aller explorer les motivations profondes de chacun. D’autant plus quand il s’agissait de sa propre disciple. Pour autant, il n’allait pas non plus la laisser mariner. Il entreprit donc de lui expliquer son propre parcours.

« Enfant, je conversai avec les lumières qui m’entouraient. Mon père avait une mission importante, secrète, mystique. Aussi étais-je habitué à ressentir des choses qui dépassaient l’entendement de la moyenne des humains. Un jour, un envoyé de la Sagesse m’a trouvé. Et il m’a dit que j’étais un éveillé. Il m’a laissé le choix. Je rêvais d’aventure et je voulais me rendre utile au-delà de la mission qui était celle de ma famille. Alors, je suis parti. C’est aussi simple que ça …»

«C’est tout à fait possible… Je n’ai eu l’occasion de la croiser que lors de notre séjour à Camelot. Tu pourras toujours lui poser la question cependant. Je pense qu’elle te répondra certainement, si sa santé le lui permet…»

Kaleb resta un instant pensif. Sa sœur d’arme lui avait parue bien souffrante lors de leur entrevue. Il n’avait pas eu l’occasion de prêter attention à son état de santé lors du sacre. Il espérait juste que le retour au Sanctuaire lui aurait permis de retrouver une meilleure condition.

«Non, ce n’était pas idiot. Après tout, on sait toujours ce que l’on perd. Jamais ce que l’on va découvrir. C’est souvent avec cette prise de risque que l’on avance dans l’existence… Comme toi, je savais « utiliser » le cosmos sans en avoir conscience. Cela me paraissait naturel. Ma famille était persuadée que c’était un don de Dieu. Pour moi, Athéna appartenait aux mythes grecs et je ne connaissais rien des chevaliers sacrés. J’ai tout découvert auprès de mon maître sur l’Horeb. Le Sanctuaire, la Chevalerie d’Athéna, ses règles, ses protocoles… J’ai passé près de dix ans au sommet de cette montagne sacrée avant de venir ici. Et crois-moi, entre la théorie et la pratique, il y avait une grande différence. J’ai attendu deux ans, seul, dans une petite maison un peu à l’écart dans la zone du Colisée, que l’on vienne me chercher pour prouver que j’étais digne de revêtir une armure. Et je ne pensais pas que ce serait une armure d’or qui me choisirais comme porteur… Alors crois-moi, j’imagine sans doute un petit peu ce que tu peux ressentir..»

Il prit avec délicatesse la main de la jeune femme pour lui transmettre son sentiment de compassion et de soutien. Il savait qu’elle avait tout à apprendre. Mais il était persuadé qu’elle y arriverait brillamment.

En revanche, la question qu’elle lui posa ensuite le crispa légèrement. Dana pu d’ailleurs sans doute s’en apercevoir en sentant les muscles de la main de son maître se contracter très légèrement. Il garda le silence quelques instants afin de chercher une réponse entendable et surtout pertinente.

«Je l’ignore… D’autres éveillés t’auraient sans doute trouvé… Et s’ils avaient été des ennemis d’Athéna, tu ne serais sans doute plus des nôtres aujourd’hui. Il serait aussi fortement probable qu’ils s’en seraient pris aux druides pour récupérer l’armure comme prise de guerre. Quant à moi, il m’aurait fallu signaler la localisation de l’armure au Grand Pope et le fait que son porteur ait refusé de me suivre. Je ne peux présager des directives qu’il aurait alors données… »

Lui aurait-on demandé de ramener l’armure coûte que coûte ? Kaleb l’ignorait. Et à vrai dire, il ne préférait pas y penser. Heureusement, elle était venue de son plein gré et barbotait ainsi dans le caldarium. Pour rompre à cette question embarrassante, la Vierge posa une simple question à son élève.

«Veux-tu que je te rince les cheveux ou préfères-tu rester avec ton champignon sur la tête ? »

«J’ignore les raisons de son mal. Mais j’imagine qu’il serait complètement absurde que le chevalier d’or des Poissons ne soit pas immunisé au poison de ses propres roses. Sinon, il ne pourrait survivre à ses propres techniques. Un comble…»

Kaleb fut touché par l’empathie de sa disciple. C’était une belle qualité. Pour autant, il estimait que si ce mal n’était pas soigné pour le moment, c’est que les choses ne devaient pas être aussi simples ou alors que Morwenna elle-même s’y opposait pour une obscure raison.

Il considéra la réflexion suivante de la Coupe avec gravité. Elle sous-estimait clairement la puissance de certains éveillés. Et c’était une erreur qu’il ne pouvait laisser passer. Sa vie à elle en dépendait. Il se montra néanmoins calme et mesuré dans sa réponse.

« Sans vouloir faire offense aux capacités des tiens, Dana, ne sous-estime jamais la puissance d’un Eveillé. Je suis loin d’être le plus fort de tous. Et pourtant, je suis bien parvenu à te trouver. Alors imagine quelle formalité vos charmes représentent pour un dieu ou une déesse… Ceci dit, je suis heureux et honoré d’être celui qui t’ai trouvé, Flamboyance…»

Le soulagement l’étreignit. Le Destin avait été clément sur ce coup-là. Il espérait juste que l’Avenir le serait tout autant pour la jeune femme. Perdu dans ses pensée, il ne se rendit compte que trop tard que ses yeux se posaient sur le corps nue de son élève en train de se savonner.

Il eut un instant de flottement. Dana était une très belle jeune femme. Elancée, aux formes harmonieuses, des traits fin et un teint d’un blanc immaculé rehaussé par sa flamboyance capillaire. Un sentiment de douceur et de vivacité mêlées se dégageait d’elle… Il restait là à la regarder, l’air absent, comme subjugué…

Jusqu’à ce que son esprit réinvestisse son corps et prenne conscience de l’embarras dans lequel il l’avait probablement mise à rester le regard dans sa direction de cette manière. Immédiatement, il se retourna et se confondit en excuses.

« Pardon… Désolé… J’étais… Perdu dans mes pensées… Attention en plongeant, le bassin n’est pas profond… Il serait fort dommageable d’abîmer un si beau visage… »

Il se mordit la langue. Encore prit dans sa rêverie précédente, cette phrase venait de lui échapper. Il espérait juste que la Coupe ne lui en tiendrait pas rigueur…

« Et si tel était le cas ? Que préconiserais-tu ?»

Une simple question pour répondre à une autre. Kaleb était particulièrement embarrassé. Mais pour autant, il ne voulait pas mentir à sa disciple. Il la trouvait attirante physiquement certes. Mais trouver une personne désirable n’était pas en tomber amoureux. La première était une condition nécessaire mais pas suffisante pour déclencher la seconde. La Vierge avait déjà trouvé des femmes attirantes sans pour autant qu’il se passe quoi que ce soit. Mais d’habitude, il ne le laissait simplement pas paraître.

Etait-ce parce que Dana percevait les choses de manière différente? Etait-ce en raison de sa cécité ? Peut-être. Mais il s’était surtout trahit tout seul comme un grand. Il n’avait aucune excuse, vraiment. Mais, il voulait aussi savoir ce que la Coupe en pensait. Cela changerait-il le discours qu’elle avait tenu précédemment ? C’était pour savoir cela qu’il lui avait posé la question.

Heureusement, un événement inattendu vint lui sauver la mise.

« Poussez-vous… J’arrive !!!!»

A ces mots, une tornade rousse pénétra dans le caldarium. Une toge, une cape et des sous-vêtements s’envolèrent dans les airs tandis qu’un boulet de catapulte humain les éclaboussa tous deux, mettant fin à la discussion.

Eireen ressorti la tête de l’eau recrachant un jet au visage de Kaleb avait un air malicieux puis vola furtivement une accolade dans le dos de Dana avant de s’éloigner pour s’ébattre bruyamment dans le bassin. Puis, elle revint vers eux, le sourire aux lèvres.

« Ça change des bains dans les rivières, non ? Je te l’avais dit !!! Hum… J’ai interrompu quelque chose ?»

Kaleb lui adressa un sourire amusé et bienveillant avant d’appuyer sur la tête de son aide de camp pour la lui mettre sous l’eau. Il espérait que la diversion involontaire et l’irruption d’Eireen aurait le mérite de détourner l’attention de Dana.

Citation :

Fin pour moi ^^

Elle lui avait renvoyé sa question comme on renvoie une attaque cosmique. Kaleb garda le silence. La sagesse ? Elle n’avait malheureusement pas grand-chose à faire là-dedans. Il s’agissait plutôt d’instinct en l’occurrence. Se taire restait encore la meilleure réponse possible aux vues de la situation même si elle était également la moins satisfaisante.

Il ne voulait pas avoir une parole qui pourrait mettre à mal une initiation à peine entamée. De plus, se sentir troublé par le corps de sa disciple n’était pas non plus une catastrophe en soi. Il n’avait pas posé d’acte ou de parole portant à conséquence. Il fallait du temps. Du temps pour savoir s’il s’agissait juste de l’émotion provoqué par la découverte qui déboucherait forcément par une forme de banalisation et de routine au fur et à mesure. Ou s’il y avait…plus.

Etait-ce juste une question d’apparence ? Il ne connaissait pas encore suffisamment Dana pour savoir si ce trouble était passager ou non. Mais si ce n’était pas le cas, une autre question ne tarderait pas à faire son apparition. S’il y avait plus… Etait-ce acceptable entre un maître et sa disciple ? Eunoia n’avait jamais évoqué ce genre de situation lors de sa formation. D’un autre côté, il n’était pas sensé la voir sans son masque donc encore moins complètement nue. Là, il allait devoir se débrouiller seul et avancer avec ses élans et ses contradictions.

Mais pour le moment, il restait figé dans l’eau, regardant la jeune femme s’éloigner sans un mot. Ce fut Eireen qui rompit le silence, le sortant de ses tergiversations.

« Tout va bien, maître ?! Tu crois que je l’ai effrayée ? Je suis désolé, je voulais juste me montrer amicale…»

Kaleb passa sa main dans la chevelure de son aide de camp pour la rassurer.

« Non, Feu Follet. Je crois que c’est moi qui l’ai mise mal à l’aise. Les choses se sont construites tellement rapidement et naturellement avec Kalia et toi, que j’oublie que parfois, il faut du temps… »

La jeune femme vint se blottir dans les bras de son maître, comme pour le réconforter. Un geste que la Vierge apprécia comme un baume sur une égratignure.

« Tout ira bien. Tu seras un excellent professeur pour elle. Comme tu l’es pour moi… ».

« Je l’espère, Eireen… Je l’espère… »


Kaleb priait surtout pour ne pas avoir profondément heurté la jeune femme d’une manière ou d’une autre. La suite en dépendait.

Citation :

RP terminé pour moi aussi