[Début avril] Sous les bons soins d'un voisin [PV Kaleb]

Un soupir s'échappa d'une paire de lèvres rosées, invisible à l'œil, perceptible au delà-de son masque. Ces derniers jours, Ryme avait fait loup solitaire. Sa mauvaise humeur avait rongé ses songes et ses journées durant leur retour, la renvoyant à la controverse qui avait éclaté entre elle et Childéric.

"Quel beau bal de merde", aurait pu songer l'ancienne Disciple en restant fidèle à ses valeurs. Mais les choses étaient en réalité plus subtiles, moins tranchées. Et elle le savait. Ryme ne pouvait exclure les moments de camaraderie qu'elle avait passé en compagnie de Findabair, voire les moments plus raffinés et libres que Paros lui avait accordé. Ces instants étaient bien trop précieux à ses yeux pour que la Sainte en renie leur existence.

Malgré ces songes plus doux, son esprit cogitait à chaque minute. Les révélations n'avaient pas été bonnes pour la jeune femme : le secret et le mensonge d'un couple avait touché son cœur, ses émotions. Son maître avait menti. Sceller ses lèvres, hocher la tête pour sauver une vie au prix d'un risque incommensurable. Au prix de milliers de vie, si le pire des scénarios venait à s'accomplir. Mais la Sainte connait ses raisons. Qui n'aurait pas sauvé sa bien-aimée au bord de la mort? L'amour échappe à la logique et au bon sens. Alors, la Lionne tiquait, ronchonnait en silence. C'était peut-être cela, le pire. D'y voir une justification dans ce méli-mélo de décisions vouées à l'infortune, mais d'être également capable d'y déceler le risque et le danger qui planait désormais au-dessus du Sanctuaire.

Oui, aujourd'hui plus que jamais, Ryme craignait les retombées. Et pourtant, il fallait bien briser la glace avec son Maître. Un jour, au moins. Aujourd'hui, Demain, après-demain, peu importait, quoique le plus tôt serait pour le mieux.

A pas rapides, Ryme avait gravi les marches une à une. Sa direction ? Le Temple du Pope mais avant, celui de son voisin, la Vierge. Kaleb, et non Aegis. Cette succession avait été si rapide, une étrangeté qui continuait encore à étonner la belle. "Les Chevaliers vont et viennent", lui avait dit Tharros durant son apprentissage dans le colisée. Un léger sourire de nostalgie s'était emparé de son visage. Ces disparitions soudaines lui rappelaient désormais à quel point il avait raison...

Ces rêvasseries auraient pu durer des heures si sa marche n'avait pas été si rapide. Lorsqu'elle releva le regard, la Lionne brisa le contact qui liait ses pensées à l'armure qu'elle revêtait pour observer, une nouvelle fois, son environnement. Clignant des yeux, elle tiqua. Devant elle, se dressait déjà le temple du Sixième Gardien.

"Le temps vole si vite, parfois..."

Ryme n'eut pas conscience de son murmure, unique aveu de son état d'esprit actuel. Fermant les yeux, son attention se porta sur l'énergie qui crépitait en son sein. Son cosmos brûla une petite fois, dans l'espoir de signer correctement sa venue. Cela fait, elle pénétra lentement dans le Temple ou plutôt, dans l'allée principale. Ryme ne craignait pas tant de perturber le sommeil de son homologue que de l'irriter dans ses activités : le soleil se dressait haut dans le ciel, mais l'air se faisait doux. S'approchant, le silence accentua les cliquetis de son armure. Les tons métalliques recellaient en eux une certaine magie que Ryme n'aurait pu expliquer. Il la renvoyait à cette nuit, à cette invitation que lui avait lancé la Vierge lorsqu'ils s'étaient perdus à trois autour d'un feu à Camelot. Elle, Kaleb et Morwenna. Ou plutôt, Nimuë.

De nouveau, l'aura de la Lionne se fit maussade. Après quelques secondes d'attente, la jeune femme stoppa sa marche, et prit le risque de prendre la parole.

"Kaleb ? " Un instant s'écoula. En prenant son courage et son énergie en main, Ryme reprit la parole. "Je ne veux pas te déranger mais...Je me suis rappelée de ton invitation. Il est peut-être temps oui, de faire ample connaissance. "

Dans les bonnes formes, cette fois-ci. Entre voisins et Gardiens de ce Sanctuaire.

«Nous ne sommes qu’un battement d’aile de papillon dans l’immensité du temps... Je suis ravi de te revoir, Ryme...»

Kaleb sorti de derrière les colonnades, les mains recouvertes de terre. Il avait senti l’arrivée de sa sœur d’arme avant même qu’elle ne franchisse le seuil du sixième temple. Alors qu’il était en train de finir d’effacer lui-même les traces de son affrontement avec Kilian, il l’avait senti gravir les marches séparant leurs deux demeures. Une visite qu’il attendait depuis leur rencontre à Camelot.

Vêtu d’une chemise comme pouvaient en porter les paysans des alentours et de braies empruntées aux peuples du nord qui s’avéraient plus confortables pour la pratique des activités agricoles. Un grand linge accroché à sa ceinture lui permis de nettoyer grossièrement ses paumes. Ainsi paré, la Vierge n’avait rien d’un chevalier d’or. On aurait pu aisément le confondre avec l’un des serviteurs de la demeure.

«Pardonnes mon accoutrement. J’étais en train de m’occuper du jardin. La période est propice à la croissance de la vie. C’est une occasion à ne pas rater. »

Mais il y avait quelque chose de changé dans sa lumière personnelle. Une ombre. Comme si elle était plus…terne. Elle lui avait semblée bien plus flamboyante même si leur rencontre n’avait été qu’une brève entrevue. L’énergie qui se dégageait de la Lionne semblait troublée.

«Je t’avais dit que les portes de ma demeure t’étaient ouvertes. Cette invitation vaut à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. La maison de la Vierge est ouverte à tous ceux qui sont à la recherche de la Paix, de la Connaissance ou tout simplement quand on cherche un peu de baume à l’âme…»

Une façon délicate et bienveillante d’inviter la jeune femme à s’épancher. Mais le gardien de la sixième demeure savait qu’il fallait un cadre s’y prêtant pour offrir cette opportunité. Regardant l’angle que prenait le soleil au-dessus de l’horloge zodiacale du domaine sacré. Ils seraient sans doute plus à leur aise à l’ombre tempérée des Saules jumeaux. Aussi une invitation en bonne et due forme lui sembla plus appropriée.

«Que dirais-tu d’aller boire un petit verre de vin à l’ombre des Saules jumeaux ? Tu pourras ainsi me narrer tes aventures depuis notre retour du royaume de Logre… Enfin, si tu le désires et que tu en as également le temps, bien entendu… »

Kaleb lui adressa un sourire doux et calme. La lionne avait le choix. Il ne la forcerait pas à parler ou à le suivre. Il lui offrait juste l’opportunité de partager un simple instant de camaraderie. Le reste lui appartiendrait.

Un battement d'ailes. Des images se succédèrent. En à peine deux mois, certains Saints étaient venus, et s'en étaient allés. Pour disparaître aussitôt. L'idée qu'ils le furent à jamais lui donnait une étrange impression, mais tout le monde finissait par disparaitre, un jour ou l'autre. Et pourtant, aussi égoïste que ça puisse l'être, c'était bien celle de Tharros qui hantait ses pensées. Le reste n'était qu'un détail parmi tant d'autres...

Quand Kaleb sortit de l'ombre, son raisonnement se métamorphosa. Il était vrai qu'elle faisait encore partie de la nouvelle génération : ceux qui, justement, remplaçaient les hommes tombés. Kaleb réussit bien à lui soutirer l'ombre d'un sourire, ainsi vêtu chichement.

"Bah, c'est pas moi qui vais te réprimander. C'est ton temple, et tes habits. Et je préfère encore les voir sur toi plutôt qu'autre chose."

Deux trous laissaient entrevoir ses prunelles de Jade sous son masque. Ils jaugèrent un instant la Vierge de la tête au pied, souriant et mutins, visiblement prêts à déboussoler le pauvre homme. Distraits par le beau temps et le chant des oiseaux, ceux-là observèrent finalement le ciel. Ryme appréciait la chaleur du printemps, et la joie qu'il devait normalement inspirée en ce bas monde.

Intérieurement, elle espérait que ce soit le cas.

"Hm, c'est vrai qu'on est déjà en avril. Le temps passe si vite !"

Si vite, que les arbres reprenaient leurs couleurs et qu'elle pouvait déjà espérer faire une récolte fructueuse ! Avec un peu de chance, Silas ne viendrait pas dérober ses pommes. Ni Childéric. Ni Paros. Ni...Tout le monde, en fait. A cette pensée, Ryme eut pourtant l'agréable surprise de voir que le nouveau Saint n'était pas si différent d'Aegis. Les Vierges avaient-ils le sens de l'hospitalité innée ?

Peut-être bien !

"Tout le monde peut être occupé, ou vouloir un peu de solitude à un certain stade. Mais je suis contente de savoir que je suis toujours la bienvenue." Après tout, ne venait-il pas de rentrer d'un long voyage, lui aussi ? Ses yeux s'agrandirent au même instant. Kaleb venait d'emménager dans son temple. "T'as eu le temps de prendre tes marques ici ?"

Dans ce temple, dans ces lieux, dans ces colisées, dans tous ces endroits potentiellement si différents de son pays natal ? De ses traditions ? De son vécu ? De ses impressions ? de ses relations ? Etrangement, Ryme pressentait que la réponse allait être courte. Pourtant, même dans la nouveauté, il y a beaucoup de choses à révéler, à discuter. A échanger, également. Mais peut-être se montrait-elle parfois trop pipelette avec ses collègues ?

Et dire qu'auparavant, on la décrivait peu apathique et aussi muette qu'une tombe...

Alors non. Avec ce verbe, ce franc parler et ces nouvelles habitudes, ce n'était pas le temps qui lui manquait.

"Après avoir enchaîné une mission en dehors du Sanctuaire et Camelot, non, je suis plutôt libre." L'ironie marque ses propos. Son insatisfaction, prendrait-elle seulement fin un jour ? Il y avait pas plus de deux mois, elle se plaignait de ne pas en vivre assez..."Je ne sais pas si je vais te partager les meilleures aventures du monde, mais il y a bien quelques poings que j'ai dû échanger dernièrement. Ca m'a rappelé...Mon bon vieux chez-moi."

La Sainte étira ses bras légèrement, avant d'interroger en silence son hôte. Puis elle haussa des épaules, et lui accorda enfin sa réponse.

"Je te suis."

«Certes ! Imposer mon anatomie sans l’autorisation d’autrui ne fait pas partie de ma conception de l’hospitalité…»

Kaleb se fendit d’un grand sourire à l’intention de la gardienne de la cinquième maison. Il n’était pas du genre à prendre offense des réflexions un peu directes qui semblaient être la marque de fabrique de la Lionne. Au contraire. Il affectionnait particulièrement ce type de personnalité franche et directe. Au moins, on savait à quoi s’en tenir.

Elle semblait se soucier de sa capacité d’intégration et d’acclimatation. Il aurait pu lui expliquer qu’il y avait bien longtemps qu’il avait quitté Axoum et que, de par sa formation, il était sans doute désormais davantage un sujet de l’empire romain. Et si sa question tournait plus spécifiquement autour du Domaine Sacré, il crut bon de lui préciser qu’il n’était plus tout à fait un novice au Sanctuaire.

«Tu sais, même si cela ne se voit pas, cela fait près de deux ans que je suis arrivé au Sanctuaire. Même si, je te l’accorde, j’ai plutôt vécu à l’écart jusqu’à ce que l’armure de la Vierge ne me choisisse… Après, si tu parles du temple, j’ai eu l’occasion de faire quelques remaniements depuis que j’en suis le Gardien. Mais j’ai essayé de garder à l’esprit ce que mes prédécesseurs avaient désiré…. »

Sans doute Ryme avait-elle eu des liens avec certains d’entre eux. Peut-être Aegis dont j’avais épluché les chroniques dans la bibliothèque. Il lui semblait avoir eu l’occasion de la voir apparaître dans ces dernières mais il n’en était plus tout à fait sûr.

Il préféra néanmoins se concentrer sur les faits d’arme de son homologue. Une mission juste avant Camelot ? Avait-elle un lien avec celle que lui-même avait menée ? Il espérait en avoir le cœur net.

«Moi aussi je suis parti en mission avant Camelot. J’ai accompagné deux chevaliers de bronze d’ailleurs. Argus et Xanathos, peut-être les connais-tu ? Quoi qu’il en soit, je serai ravi que tu me racontes tes faits d’armes lors de cette mission ou la façon dont tu as vécu notre ambassade à Camelot.»

Ils passèrent les portes du jardin, laissant derrière eux l’autel du paradis où trônait l’armure d’or de la Vierge qui salua la Lionne d’or d’un frémissement de cosmos signifiant probablement qu’elle était heureuse de la revoir.

Puis, ils se dirigèrent vers les Saules sous lesquels Kaleb s’assit à même l’herbe. Un serviteur se présenta alors avec deux coupes de vin ainsi que l’amphore dont le nectar avait été extrait. Le gardien du sixième temple leva son verre en direction de son invitée.

«A la tienne ma chère. Et au Cercle d’Or…»

Kaleb ne prit pas ombrage de son comportement, ni même de ses répliques. Elles n'avaient pas pour objectif de froisser son hôte, mais plutôt de lui montrer son véritable comportement. L'honnêteté ponctuait le plus souvent ses paroles. Au Sanctuaire, comme à l'extérieur. Ryme en avait conscience, mais depuis sa récente expédition à Camelot, elle craignait un jour que cela ne la mette à mal...

"Je dois avouer ne pas avoir vu les différences...Après, je n'ai connu Aegis que pendant un mois. On était les plus jeunes du Sanctuaire.", avoua-t-elle, détaillant pourtant la décoration de ses yeux de jade avec la plus grande curiosité. "Je suis surprise, pour être honnête. J'ai toujours l'impression que les successeurs sont en quelque sorte nouveau, mais j'oublie qu'il y a d'autres voix..."

Cela étant, Kaleb demeurait une inconnue malgré deux années passées au Sanctuaire. Cette question trotta dans son esprit au moins aussi longtemps que ses pas ne la guidaient vers l'intérieur de cette bâtisse. Les piliers du Temple ne différaient pas du sien dans le fond. Quelques détails incrustées ça et là dans le marbre blanc ainsi que plusieurs ornements personnels et identitaires continuaient néanmoins à marquer les lieux ainsi que les esprits.

Kaleb avait mis son empreinte.
Ce n'était pas un mal.

En présentant les Saules, Ryme resongea à son propre jardien et à l'ombre que lui procurait son Pommier. Seulement, il n'y avait présentement ni pommier, ni drame ; seules les coupes de vin dansaient dans les mains du Gardien avant de lui permettre de partager une véritable célébration. Assise à son tour, elle leva le verre, et suivit plus généralement la tendance de la Vierge.

"Et au cercle d'Or."

Lorsque le son s'entrechoqua, le goût du vin s'écoula et s'imposa dans sa bouche. Ryme céda.

"Dis-moi, t'as eu l'occasion de rencontrer le Grand Pope?"

Son ancien maître. Elle omit de le repréciser. Plus que jamais, Ryme était confuse par les récents aveux de Childéric. La Sainte du Lion le tenait pour responsable de ces mensonges, une histoire qu'elle n'osait pourtant faire remonter. D'un sourire, elle ravisa ses mots.

"Pardon, t'as sûrement déjà dû le faire, si tu étais des nôtres à Camelot. Peut-être que tu es même parti en mission, depuis." A ces mots, Ryme se permit une seconde gorgée. "C'est très gentil à toi en tout cas de m'accueillir en-dessous de ces Saules, j'oublie trop souvent que le Temple de la Vierge est aussi un temple fleuri..."

Un temple plein d'histoires. Le sien avait vu beaucoup de scènes se dérouler, sous son maudit pommier.

«Oui, j’ai cru comprendre que la Vierge avait été particulièrement remuante ces dernier temps. Trois porteurs en trois mois… C’est un phénomène plutôt rare, j’imagine. Je sais qu’elle s’est sentie abandonnée par mes deux prédécesseurs et qu’elle aspire à plus de stabilité… »

Une façon détournée de parler de sa relation à son armure. Lorsqu’elle l’avait choisi, Kaleb ne l’avait pas compris tout de suite. Mais la lumière de la sixième armure d’or était ternie. Bien sûr, il n’avait pu le voir immédiatement, subjugué qu’il était par l’aura qu’elle dégageait. C’est au fur et à mesure des premiers jours, des premières semaines qu’il l’avait compris. Elle s’était sentie trahie, délaissée par ceux qu’elle avait choisi avant lui. Aussi s’était-il promis de ne pas lui faire revivre ce traumatisme. Du moins, pas de son plein gré.

Lorsqu’elle lui posa la question sur le Grand Pope, Kaleb lui adressa un sourire surpris. Même s’il y avait peu de temps qu’il était chevalier d’or, Ryme devait se douter que c’était la première chose que l’on faisait en entrant en fonction. Elle se corrigea d’ailleurs de manière quasi immédiate. Pour autant, cette interrogation devait revêtir un sens caché. Aussi la Vierge entreprit-il de creuser.

« Oui, bien sûr. Le lendemain de mon intronisation. Pourquoi ? Tu veux connaître mon avis sur ton maître ? »

Car elle semblait oublier qu’elle avait mentionné ce lien lors de leur première rencontre au coin du feu avec Morwenna. Ryme semblait être une jeune femme franche et directe. Des qualités que Kaleb appréciait.

« C’est tout à fait normal. C’est un honneur doublé d’un plaisir. Je te l’avais promis, tu te souviens ? Et j’aime à croire qu’il faut honorer ses promesses…»

Une valeur à laquelle Kaleb croyait fortement. L’importance de la parole donnée. Source de confiance et de fiabilité. De sagesse également. Car, mesurer ses mots et ne pas prononcer de paroles en l’air rendait ces dernières d’autant plus précieuses. Lorsque la Lionne vanta la présence de la nature dans la maison de la Vierge, son Gardien se perdit en contemplation un instant sur le paysage qui les entourait.

« Oui… Pour moi, le contact avec les plantes, les animaux est essentiel… Autant que de respirer, de manger ou de boire… Je ne suis pas chaman pour rien !»

Puis, laissant les bruits de la nature prendre quelques instant la place qui leur était due, il jeta sur sa sœur d’arme un regard plus grave, oscillant entre bienveillance et inquiétude.

« Ryme… Je ne voudrais pas me montrer indiscret… Mais je vois une ombre dans ta lumière personnelle… Est-ce qu’il y a quelque chose qui te tracasse ? Quelque chose dont tu aurais besoin de parler ?»

La stabilité n'est pas un maître mot pour qualifier ces derniers mois de tiède saison. Ces changements, ces évolutions ou transformations -qu'en savait-elle, du véritable mot pour qualifier le triste dessein que leur dressait les Dieux?- Ryme les entendait bien. Au beau milieu du Temple de Kaleb, elle prêtait son oreille, laissait son Frère d'armes murmurer ses premières paroles, colorées, visibles et affables. La première approche est toujours la plus maladroite d'entre toute ; elle se trompait, trébuchait sur ses idées et la Sainte se demandait s'il fallait tuer le mal à ses racines pour tenter de se défaire de ce titre qui lui collait à la peau. Une Lionne pataude.

Et qu'en était-il de Childéric ? Maintenant qu'une froide distance les séparait, la réputation de ce dernier restait son plus proche aveu.

"Ca m'intrigue toujours. Surtout ces derniers temps."

Et la Sainte avait ses raisons. L'ironie de sa situation ne s'arrêta pourtant pas en si bon chemin et un sourire manque de déraper sous la blanche froideur de son masque. Intérieurement, le geste de Kaleb la toucha pour son symbole de fraternité. D'un autre côté, il remuait des problématiques plus profondes, des déceptions à peine digérées par la Lionne d'Or, qui le remercia néanmoins d'un ton plus posé, en croisant les mains.

"C'est très gentil de ta part...En tout cas, ça inspire la confiance. Ton prédécesseur aussi, était intègre comme toi. D'ailleurs, ça me fait penser qu'il faudrait que t'enseignes ces mots à quelqu'un dans ce Sanctuaire. Il en aurait grandement besoin..."

Kaleb n'avait pas idée de toute l'ampleur et de tout le poids de ses promesses ouverte, de sa confiance déjà acquise et de la fiabilité dont il s'attribuait déjà les qualités, telles des titres de noblesse. Quand elle s'avança et que ses prunelles détaillèrent les branches tombantes et les feuilles longues des saules, ce ne fut que pour interroger son frère d'arme.

"Chaman ? Ca existe ici ?" Son œil réveillé croisa la sien. Il y avait dans les airs une réminiscence qui la renvoyait à des interdits autrement plus profond que la simple religion. Des chaînes contre lesquelles son esprit rebelle avait lutté dès son plus jeune âge. "Je suis intriguée. Deux titres et deux charges à la fois...Mais c'est quoi exactement, ton rôle de chaman ?"

Cette question posée, Kaleb eut toute son attention. Jusqu'aux "soucis" et "tracasseries" qui la rendait moins spontanée. Aussitôt, les sourcils de la belle se froncèrent, son visage s'ombragea et son nez se retroussa, furibond, avec tant de véracité que l'on devina sous son masque une ire assumée, au moins aussi profonde et forte qu'une bourrasque de vent. Lentement, Ryme reposa sa main sur son coude et le tissu froissé contre sa paume. Son soupir s'envola dans les airs, car elle savait qu'il ne comprendrait pas.

"Comme tout le monde, beaucoup de choses me tracassent. Mais plus que jamais, je veux que cet endroit est peuplé d'usurpateurs, de menteurs et de faux-culs et ça me met hors de moi. Je ne parle même pas de mes propres devoirs, on clamse dans mes pattes au moindre faux pas. Très honnêtement, ça me dégoûte."

Ce venin craché, ses paupières trouvèrent un peu de repos et imposèrent le calme. Il lui fallait faire du tri, dans ses pensées chaotiques, entremêlées aux conclusions moroses qui la dévoraient depuis le Bal, mais peut-être un peu moins maintenant.

"J'essaie de ne pas prendre toutes ces histoires à cœur, mais c'est très difficile de constater que les Enfers, le Sanctuaire et peut-être même les Marinas ont un fonctionnement politique finalement presque similaire." Un fonctionnement de complots, de coups bas et de sacrifices trop injustes, à son sens. "Et je peux rien dire...A moins que ça se sache déjà ? Si oui, mon avis doit être pimenté par rapport à la moyenne, car il n'y a pas foule pour protester."

Quand elle passa enfin une main contre sa nuque, son corps est encore tendue. La faute aux secrets qui venait d'imploser et de lui montrer que son entraînement avait probablement bien peu d'importance. Et puis il y avait les Enfers, l'invitation de Mebd, la mort de Tharros, l'odieux mensonge de Childéric, le choix d'Athéna et un Paros trop innocent pour son propre bien. Les émotions étaient si fortes que Ryme ne savait par où commencer.

Que Strénia et ces étrennes la gardent de laisser ses mauvaises pensées la submerger...

«Vraiment ? J’imagine que si tu me dis cela, c’est que tu as des noms en tête… »

Un sourire en coin s’afficha sur le visage de la Vierge. Il ne savait pas quels rapports Ryme entretenait avec ses frères et sœurs d’arme. Mais il était certain que, comme Kaleb, elle avait des accroches plus faciles avec certains qu’avec d’autres. La Balance, par exemple, restait pour lui une énigme. Pour autant, les autres membres du cercle d’or qu’il avait eu l’occasion de rencontrer s’étaient montrés courtois voir amicaux.

Elle semblait se questionner sur la possibilité d’être à la fois chaman et chevalier d’Athéna. Kaleb lui répondit le plus naturellement du monde.

«Ce n’est pas un titre ou une charge. Plus un don et un chemin de vie… Je vois les Lumières du vivant. J’écoute les esprits des animaux et des plantes. J’essaie de faire de mon mieux pour vivre en harmonie avec eux et pour veiller à ce que l’être humain fasse de même avec le monde qui l’a vu naître…»

La simplicité de la Vierge dénota cependant avec la réplique suivante de la Lionne d’or. Il y avait une colère maîtrisée mais non moins réelle dans ses paroles. De la rancœur, de la tristesse, de la culpabilité aussi… Kaleb lui adressa un regard compatissant. Elle devait avoir vécu des événements particulièrement désagréables voir même traumatisants. Il convenait donc d’y aller avec délicatesse pour lui permettre de se libérer du poids qui semblait assombrir son cœur.

« J’ignore de quel mensonge tu parles. Ton maître t’aurait-il caché des choses importantes à tes yeux pour que ta lumière se voile de la sorte ? Je ne le connais sans doute pas aussi bien que toi et Silas. Cependant, j’imagine qu’il n’a pas le luxe de tout dire… »

Il n’y avait pas besoin d’être sorti de la bibliothèque d’Alexandrie pour faire le rapprochement entre sa question initiale et ce mensonge qu’elle évoquait. Pour autant, les choses étaient rarement toutes noires ou toutes blanches. Les nuances de gris avaient aussi leur importance. Autant sans doute que les intentions au-delà des actes. La Lionne semblait avoir un caractère entier qui devait cependant mal s’accommoder des compromissions.

Cependant, ce qui inquiétait davantage la Vierge était cette perte qu’elle avait subie. Comme un trou dans sa radiance. C’était là que se trouvait sa noirceur initiale, nourrie par la culpabilité et les remords. C’était sans doute cet abcès qu’il fallait percer en premier.

« Tu… Tu as perdu un être cher ? Une personne dont tu avais la charge ?»

Kaleb se rendait compte qu’il ne savait pas grand-chose de la vie de sa voisine de temple. Ni de ses joies, ni de ses peines. Un manque auquel il fallait remédier s’il voulait espérer la soulager.

«Je comprends un peu ce que tu dois ressentir. Il n’est jamais agréable de se rendre compte que notre maître n’est, en définitive, qu’un être humain avec ses qualités mais aussi…ses défauts. Crois-moi, j’en ai eu l’expérience avec mon propre maître. »

Kaleb n’avait pas eu à souffrir de mensonges mais des mystères et des silences d’Eunoia. Il n’était jamais parvenu à savoir si elle avait souhaité le préserver d’une vérité quelconque ou si c’était juste une volonté de prendre ses distances et de marquer la différence entre un maître et son élève.

Mais, au final, le résultat était sensiblement le même. L’impression de ne pas être digne de confiance, la remise en cause de ce qui semblait acquis, le doute sur les autres choses que son maître aurait pu lui cacher. Le mensonge par omission était sans doute l’une des pires choses qui soit. Car la confiance mutuelle était sans conteste le ciment des chevaliers sacrés.

Mais lorsqu’elle évoqua les morts laissés en chemin, Kaleb senti son cœur se serrer pour la Lionne. Cela faisait partie des risques encourus. Ils le savaient tous. Pour autant, cela devait être un déchirement auquel, pour le moment, la Vierge était heureux d’avoir échappé. Il n’y avait que trop peu de temps qu’il était chevalier.

Il posa calmement sa main sur celle de sa sœur d’arme. Il essayait d’imaginer ce qu’elle avait dû ressentir. Un abandon ? Une autre trahison ?

«J’ai entendu son nom au détour d’une conversation entre gardes… Tharos, c’est bien ça ? Tu te sens responsable de sa disparition ? De ne pas avoir pu le préparer suffisamment à ce qui l’attendait ? C’est ce que je ressens en tout cas vis-à-vis de Dana. Elle est sous ma responsabilité et j’essaie de la préparer au mieux à cette vie qu’elle n’a pas choisie… »

Il n’émettait que des suppositions. Pour autant, il projetait sur elle ses propres peurs vis-à-vis de Dana. Il craignait de la mettre en danger et d’être un piètre maître en ne la préparant pas suffisamment aux missions et aux risques qu’elle allait devoir affronter.

Quand Ryme aborda la question du don de Kaleb, ce dernier senti une forme de chaleur lui monter aux joues. Il n’était pas vraiment habitué à rentrer dans ce genre de détails. Pour autant, il lui répondit avec le plus de naturel possible.

« C’est quelque chose qui fait partie de moi. Je ne l’ai pas choisi mais je le chéri. J’arrive à communiquer avec les animaux. C’est quelque chose de surprenant. Je le fais souvent avec les oiseaux. En revanche, je n’ai jamais eu l’occasion de le faire avec une lionne… Jusqu’à aujourd’hui… »

Il lui adressa un clin d’œil complice. Essayer d’alléger un peu l’ambiance pour aider Ryme lui semblait une stratégie tout à fait honorable.

Certains contacts ont l'effet d'un coup de fouet ; ceux de ses congénères ne créaient nulle exception à cette règle. Cette main qui vint s'écraser avec douceur sur son épaule la tira de ses pensées. Dans un sursaut, Ryme s'imaginait déjà être l'une de ces créatures trop blessées pour s'adonner à de tels gestes fraternels. Alors la Sainte avait béni son masque, puis ferma les yeux, dans l'espoir de ne pas répondre dans un geste brusque et instinctif.

Elle ne savait pas si le nom de Tharros était devenu une malédiction
Elle ne savait pas si le reproche l'insultait de tous les noms.

Quant à Kaleb, Ryme n'en connaissait qu'une moitié de réponse. Celle qui serrait les dents, rendait sèche sa gorge.

"Ouais, c'était Tharros.", mâcha-t-elle dans un marmonnement incertain, sourd, blasé. Un souffle qui crachait la colère silencieuse d'un soldat trop brute avec ses émotions. "On s'est entraîné ensemble...Donc c'est peut-être différent de ta relation avec Dana. Je n'étais pas son maître, je n'aurais pas pu le préparer mieux que ça aux futurs combats. Le Petit Lion était un crétin, certes, mais aussi...un petit frère colérique? Et un peu pervers aussi ! Quand on était apprentis, il m'avait suivi à travers le colisée. Il voulait me prendre de court en me neutralisant à terre afin de tester mes limites. Ce jour-là, j'avais mal mis mon masque et j'ai fini par le perdre durant son assaut. Tsss....je suis encore certaine qu'il l'a fait exprès pour voir mon visage. Mais voilà, c'était un crétin."

Sa main réajusta son masque dans toute sa réalité. Nul anonymat derrière ce geste: il y avait la fierté d'être une femme-Chevalier, celle qui œuvre de longues années avant de revêtir son Armure et qui espère tout bas pouvoir qualifier la couleur de ses efforts. Et enfin, il y avait le goût du risque ; une pointe de romantisme à peine avouée pour celle qui se complaisait dans ses secrets.

"Je n'ai pas envie de t'imposer quoique ce soit, mais si t'as une bouteille, ce serait pas de refus. J'ai besoin d'oublier. De dépasser l'ennui... Et c'est pas Childéric qui va me réprimander si je pue l'alcool. Il est sensible aux lions haha."

Dans un soupir, Ryme tenta de dépasser sa gourmandise pour terminer de relater les terribles événements de Nauplie, de Camelot, et le poids des questions. Des regards inquisiteurs et interrogateurs.

"J'ai une sensation d'inachèvement. C'était notre première mission, à nous deux. Alors, quand j'ai dû annoncer à Silas et à Paros qu'il avait disparu...Oui, je me suis sentie responsable. On pourrait m'en vouloir qu'on ne se soit pas serré les coudes. Qu'on s'en soit pas tiré tous les deux."

Suite à quoi, son estomac grogna. La Sainte avait faim. Une faim de loup, une dent creuse, un estomac vide qui en appelait aux douceurs de la vie pour oublier ce qui lui pesait sur le cœur. Ryme n'osait pas imaginer les tenants et aboutissants de sa disparition, préférant ainsi tester l'humour de son nouveau frère d'armes lorsqu'elle fit volte face.

"Cela dit, c'est sûr qu'il y a une sacré différence entre un oiseau et une lionne ! Quoiqu'elle ne soit pas très animale, ta fameuse première lionne..." Ryme ferma les yeux lorsque leur différence s'amorça telle une solution évidente dans son esprit. Il traitait de la nature et de ses besoins ; elle traitait de l'Homme et de ses instincts. "T'en tires quoi, de cette communication avec la nature ? Ca t'apporte des réponses ?"

Par pragmatisme ou curiosité, Ryme posait calmement ses questions, d'une précision qui, l'espérait-elle, n'alarmeraient pas son jeune voisin. Il était vrai que sa lionne détenait souvent certaines clefs entre ses pattes fictives et cosmiques. Etait-ce le cas pour Kaleb ?

«Effectivement… On ne peut pas forcément comparer. Vous étiez davantage partenaires. C’est une relation bien différente. … Même si en tant que chevalier d’or, nous nous sentons responsable de ce qui peut arriver aux chevaliers de bronze ou d’argent placés sous notre commandement…»

Kaleb repensait à son propre positionnement vis-à-vis d’Argus. Même si là encore, ce n’était sans doute pas une comparaison judicieuse. Il essayait de se mettre à la place de la Lionne pour comprendre ce sentiment d’inachèvement.

«Pourquoi voudrais-tu que Silas t’en veuille ? Il est mieux placé que quiconque, en tant que vétéran, pour savoir à quel point chaque mission est périlleuse. Je suis sûr que tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir… L’important n’est pas toujours de réussir mais de faire de son mieux à chaque instant. Tu ne crois pas ? »

Lorsqu’elle évoqua l’incident du masque avec l’ancien petit lion, Kaleb ne put s’empêcher un sourire en coin avant de laisser son esprit vagabonder à haute voix.

«Ah ! Ce fameux masque des femmes-chevaliers… Il intrigue autant qu’il questionne… Je ne l’ai pas imposé à Dana dans l’enceinte du temple. Je considère que chacune peut, ici, avoir le choix de le porter ou non selon sa préférence sans avoir à trucider ou à épouser quiconque… »

Il n’allait pas s’étendre sur le sujet davantage sans voir la réaction de Ryme. Il savait parfaitement que, sur ce point précis, il prenait des libertés avec l’étiquette du Sanctuaire. Il n’avait de toute manière pas la prétention de la perfection ou du respect absolu du protocole. La nature prenait parfois des libertés avec l’ordre établi.

Ryme se montrait curieuse de ce que cette communication pouvait apporter à la Vierge. Il lui répondit donc sans ambages.

«De la sérénité. De l’humilité. Parce qu’au final, je découvre chaque jour de nouvelles choses. Et que je me rends compte à quel point je suis tout petit face à l’immensité des mystères qui nous entourent. Il y a tant de connaissances à découvrir. Par exemple, savais-tu que les oiseaux aussi peuvent ressentir de la joie, de la colère et de la tristesse ? Qu’ils souffrent de la perte de l’un de leurs congénères et se chamaillent parfois pour une branche d’arbre ? Qu’ils s’émerveillent du levé du soleil chaque matin ? Ils ont des sentiments. Comme nous… Et j’imagine que les lionnes ne sont pas si éloignées des volatiles dans ce domaine non plus… D’ailleurs, je suis curieux de savoir comment se passe ta propre communication avec l’âme de ton armure au passage…»

Perdu dans ses pensées, Kaleb les laissa vagabonder un instant avant de redescendre sur Terre lorsque Ryme lui demanda une bouteille. Il lui adressa alors un sourire franc et amusé.

«Tout dépend ce que tu veux boire autre que le vin que nous avons déjà... J’ai bien quelques bouteilles de liqueur d’un de mes prédécesseurs. Ou je peu demander à des serviteurs de te faire un jus de fruit si tu préfères… »

Quand Kaleb lui proposa plus que du vin, Ryme sourit. Ces expressions invisibles et impalpables n'atteindraient peut-être pas le cœur de son voisin, mais la Lionne aspirait à plus. A mieux. Plus elle l'observait, et plus la Vierge lui apparaissait être le visionnaire qu'elle n'avait pas toujours eu en face d'elle. Dans ses propos, la Raison illuminait ses concepts et faisait peut-être le lien entre son empathie et ses ressentiments.

Un petit jeu aussi attendrissant qu'effrayant, selon cette Saint qui n'espérait pas plus qu'une nouvelle bouteille entre ses mains pour oublier la froideur de ses remords.

"Peut-être. Mais Silas aurait pu m'en vouloir. C'était son élève."

La personne qu'il avait désiré entraîné. L'élève qui avait patienté longtemps avant de recevoir ce même privilège qu'il lui avait reproché de nombreuses fois. Dans un soupir, la jeune femme baissa le nez, croisa des bras, et explicita finalement sa demande.

"Une bouteille, genre, un truc potentiellement plus atypique haha...", réitéra la jeune femme, en soulignant le poids de ses mots en haussant son index. "Mais garde le jus de pommes pour les autres petits nouveaux, ils en auront besoin."

Avec paresse, Ryme passa une main sur son épaule, froissa et plissa ses vêtements. Etonnamment, Kaleb semblait être de ceux à se rebiffer contre le masque des femme-chevaliers. Elle comprenait, néanmoins, qu'il tente de se mettre à leur place.

Et elle ?

Son avis était à la fois traditionnelle et atypique.

"La loi ayant été établie par Athéna, je ne crois pas être en mesure de déroger à la règle, personnellement. Et puis, j'ai beaucoup de fierté à le porter. Je sais que certaines Saintes ne le portent pas dans le coeur, maiiiis..." Avec un peu d'hésitation, la jeune femme songea à son masque. Une partie d'elle-même l'avait toujours vu comme un trophée. La source et la représentation de tous ses efforts pour en arriver là où elle était : Chevalier d'Or. Une autre partie lui susurrait néanmoins que cette vision était certainement trop romancée. Dans son anonymat, cette pensée révéla sur ses lèvres un sourire pâle."Pour être très honnête, je crois que j'aime bien le prétexte que ça peut me donner. Avec, potentiellement, le petit côté romantique construit tout autour et qui a de prime abord peu de sens, haha."

Mais Ryme était prête à donner à cette règle beaucoup de sens. Ces contraintes l'amusaient et elle espérait pouvoir les contourner en la suivant à la lettre. Après tout, elle se voyait mal s'enticher du premier Saint venu...

Toutefois, Kaleb semblait au-dessus de ce genre de préoccupations. Son rôle de druide l'amenait certainement à se tourner vers d'autres préoccupations ; celles qui

"Des émotions à travers l'animal...C'est un point de vue que je peux comprendre. Mais je suis un peu surprise qu'on puisse comparer un oiseau à la lionne mais pourquoi pas!", répondit-elle en levant légèrement les deux mains. "Childéric a insisté sur notre lien, entre l'armure et moi. Du coup, on est plutôt en harmonie, mais je ressors de...loin. C'était compliqué du fait de notre nature. Le Lion représente l'état sauvage et les instincts, et c'est un enjeu de taille pour qui en devient l'heureux possesseur... "

Ryme leva une main devant son visage. Sur le bout de ses doigts, des petites étincelles lumineuses et aussi vives que l'éclair se manifestèrent avec une maîtrise honorable.

"Mais j'ai l'habitude de dire que ma lionne est plutôt douce et docile malgré tout."

Ce fait représentait un heureux hasard...Ou un entraînement quotidien ou drastique.

«Le mieux ne serait-il pas que tu lui poses directement la question afin de ne pas laisser planer un quelconque malentendu ? Mais je le crois suffisamment direct pour venir dire à qui de droit quand quelque chose lui déplait….»

C’était tout du moins la vision que la Vierge avait de son ami. Il ne lui semblait pas que les Gémeaux s’embarrassait de fioritures lorsqu’il s’agissait de dire les choses. Il avait pu l’expérimenter lors de leur ambassade auprès des asgardiens. Ce qui, à plusieurs reprises avait manqué de faire échouer les négociations soit dit en passant. Mais il se garda bien d’évoquer cette aventure auprès de la Lionne. Elle n’était pas venue pour cela. C’était elle qui avait besoin de parler. Pas l’inverse.

Lorsqu’elle évoqua une bouteille plus atypique, Kaleb ne put s’empêcher de lui adresser un sourire amusé. Bien sûr. Ryme ne semblait pas être le genre de femme à donner dans la mesure si cela ne s’avérait pas nécessaire. Aussi la Vierge se leva-t-il, se rendit jusq’aux lourdes portes des Jardins avant de revenir quelques minutes plus tard avec une amphore de dimension plus modeste. Il l’ouvrit et la tendit à la gardienne de la cinquième maison afin qu’elle puisse en apprécier les effluves.

«Et voilà, m’dame ! Je pense que ça faisait parti de la réserve d’Aegis. Ou peut-être même de Rahi, l’un de ses prédécesseurs… quoi qu’il en soit, je ne l’avais pas encore ouverte. C’est l’occasion. Je te propose de boire en même temps. Comme ça, nous aurons tous deux la surprise… »

Un jeu moins enfantin qu’il n’y paraissait. Une manière de cultiver de la complicité et de tisser du lien. Ryme accepterait-elle le défi ? Kaleb avait l’impression qu’elle était plutôt joueuse de nature. Mais peut-être se méprenait-il.

Lorsqu’elle évoqua le romantisme du masque, le gardien du sixième temple la regarda avec compréhension et bienveillance. Il n’avait jamais perçu les choses sous cet angle. Mais après tout, pourquoi pas ? C’était une manière intéressante et peu commune de voir le masque

«J’ignorais que tu étais romantique. J’aurais plutôt parié sur le côté impétueux que l’on associe fréquemment au cinquième gardien. Tu es une femme pleine de surprise, Ryme du Lion. »

Puis, prenant un instant pour considérer avec calme le rapport que la jeune femme entretenait avec son armure, il entreprit de poursuivre avec une pointe de malice.

«Je serai curieux de savoir ce que te dit ton instinct… Et comment se matérialise ton lien à ta constellation… Si ce n’est pas trop indiscret, bien entendu…»

Kaleb avait probablement raison. Ryme s'en faisait trop. Elle cogitait trop, s'emportait dans des sentiments qu'elle attribuait aux autres alors même qu'il s'agissait des siens. Non sans exprimer son embarras, ses doigts vinrent triturer ses cheveux et les lisser. Ressasser la disparition de Tharros n'avait probablement pas d'utilité, pas plus que de présupposer une quelconque malice de la part d'un frère d'arme. Cela n'avancerait à rien.

"Par Strenia, ou plutôt Athéna, tu as peut-être raison!"

Sa main s'empara de la bouteille avec avidité et malice.

"Tu me verras désolée de vider tes stocks. Ou ceux de tes prédécesseurs. Une chose est sûre, Aegis était habitué à nourrir quelques estomacs et je doute que sa charité soit à remettre en question."

Et la Dame prit ses aises dans son siège, prête à paresser plus longuement sous l'influence de leur sacro-sainte Mère alcool. C'est alors qu'un rire léger résonna dans le temple. Les autres Saints aimaient parfois lui attribuer une pensée révolutionnaire. Toutefois, si Ryme ne mâchait pas ses mots, elle avait hérité d'un certain goût pour l'ordre. Aussi, esquissa-t-elle un léger mouvement de verre, le levant poliment en direction de Kaleb avant d'en apprécier le goût et de laisser libre court à sa vision du masque.

"Je pense qu'il faut savoir être joueur dans la vie. Le Masque, c'est un peu cela au final. C'est le fait de savoir prendre des risques une fois qu'on l'enlève. D'avoir raison, ou de se tromper. On engage le combat, ou on forme des véritables vœux avec celui qui a su réussir à voir au-delà du masque. Une Sainte ne peut pas être plus honnête et plus réfléchie dans ses choix. Pour toutes ces femmes qui ont renoncé à une vie de famille pour mener un combat universel, je crois qu'elle représente l'effort colossal et le sacrifice auquel nous nous soumettons chaque jour pour voir et penser comme Athéna. Car si nous sommes ici, c'est bien parce que nous servons une déesse vierge parmi les faits de guerre, non ?" Et le chemin pour une femme était long, corsé. Il fallait faire ses preuves pour cheminer vers le Cercle doré. "Prison doré, ou charme protecteur? Je suppose que ça dépend des points de vue mais j'aime me rappeler mes promesses avec ce masque. Le Jour où je montrerai de nouveau mon visage, c'est que je le penserai vraiment. Alors oui, j'accorde un peu de respect pour celles qui portent et croient aux masques. C'est un choix dont nous avons le luxe."

Dans le plus grand sérieux, la jeune femme reprit une gorgée dans une sérénité imposante, quand soudain, ses lèvres s'étirèrent et révélèrent quelques crocs mutins.

"Et puis, qui sait ? Je suis peut-être un laideron qui aime être cachée par son masque et quelques mots mielleux !"

Suite à quoi, un fameux rire éclata en digne héritage du Grand Pope...Car la Sainte avait le don de transformer toute forme de sagesse en plaisanterie.

"Silas m'a appris que nous avions tous une étoile pour nous protéger et nous observer. Dans notre constellation, l'une d'entre elle résonne tout simplement plus que d'autre. Je crois être lié à Dénébola. Mais je crois surtout qu'en chacun de nous, nous avons une Bête."

Au creux de sa main, elle fit éclater son cosmos en quelques petites vagues, se dissipant à leurs tours en plusieurs ondes dorées. L'instant suivant, le silence revint et les petites foudres de l'ancienne Disciple cessèrent. Le fantôme d'une créature se matérialisa à côté d'elle, et une lionne s'affirma avec d'autant plus de véracité sous leurs regards. Ses prunelles d'un blanc laiteux, l'apparition semblait néanmoins très consciente de son environnement, mais sereine et proche de Ryme. Son regard s'attarda vers Kaleb, à la recherche d'une réaction. Une main vint pourtant épouser son front et ses oreilles, la faisant soupirer lourdement.

"Pour être honnête, je me sens mieux quand je la matérialise. Un Saint du Lion doit canaliser sa force et ses crocs et...Je le fais un peu à ma manière grâce à elle. Je ne lui ai pas donné de nom, car nous sommes un peu pareilles, elle et moi. Ca n'a pas été simple mais la voir aussi ainsi est...rassurant."

Ryme laissa le doute planer. Cette lionne était une création de sa part, un fragment d'elle. Son Maître aussi, luttait contre sa Bête et la craignait. Elle savait que ce privilège était une chance dont tous n'avait pas joué au cours de leur vie de Chevalier du Lion. Quant à ses crocs, ils avaient gardé la capacité de réveiller les colères enfouies.

Mais ces détails étaient une chose plus difficile à comprendre.

«Ils sont là pour ça, non ? Je préfère les vider en bonne compagnie. Boire seul est d’une tristesse infinie. Et la vie est trop courte pour ressasser désillusions et regrets…»

Il s’était fait son avis. Décidemment, il aimait bien la Gardienne de la Cinquième demeure. Franche, directe, bonne vivante. Il était donc cerné par deux oppositions parfaites. La Lionne et la Balance. Il se souvenait de sa rencontre avec Diane qui lui avait laissé une drôle d’impression. Il se sentait davantage sur la même longueur d’onde que Ryme pour le coup. Être joueur dans la vie ? Il aurait presque pu en faire son crédo ! Il esquissa un grand sourire à son homologue, laissant apparaître la blancheur de ses dents qui contrastaient avec sa peau d’ébène.

«Joueuse donc… Je note… Voir au-delà du masque… C’est surtout une question d’aura si tu veux mon humble avis. Je regarde ton éclat personnel depuis tout à l’heure. C’est mon pouvoir à moi. Ressentir les énergies du vivant. La tienne est chaude, joyeuse et flamboyante. Presque aveuglante. Comme un feu ardent. Mais je sais aussi qu’un feu peut devenir un incendie. J’en déduis donc qu’il vaut mieux éviter de se frotter à la colère de la jeune femme entière qui se trouve devant moi. Et puis la beauté physique est une question éminemment subjective. L’important c’est d’être agréable au regard de l’être aimé, non ? »

C’était la conviction de la Vierge. Les goûts et les couleurs variaient autant qu’il y avait d’individus et de sensibilités. Il avait pu l’éprouver en écoutant les avis des hommes dans les tavernes mais aussi ses propres inclinaisons. Lorsque Ryme évoqua les étoiles protectrices, Kaleb opina du chef. Il avait également eu cette discussion avec Silas quelques temps auparavant.

«Il semblerait que la mienne soit Syrma. Je ne sais quelle bête peut m’habiter. Mais comme tout chaman, j’ai un animal totem… »

Une chose dont il ne parlait que rarement. Une croyance animiste dont il ne savait si elle avait sa place au Sanctuaire. Mais la gardienne de la maison du Lion, bien qu’elle semble attachée à certaines traditions telles que le masque, lui donnait aussi la sensation d’être à même de comprendre. C’était d’ailleurs un fait étrange. Car l’animal qu’il avait pu voir ne lui était pas connu. Il n’avait jamais eu l’occasion d’en croiser un réellement. Seulement dans ses rêves. C’était Eunoia qui lui avait donné le nom de ce dernier lors de son entraînement. Une bête des forêts du nord, habituellement paisible mais qui devenait particulièrement combattif quand il s’agissait d’amour et de vie.

«Un cerf… J’en ai vu un de mes propres yeux pour la première fois lors de notre mission à Camelot...»

Mais il n’insista pas sur ce point tandis que Ryme matérialisait une lionne de cosmos. Kaleb resta ébahit. C’était un spectacle époustouflant.

«C’est… magnifique… Dois-je comprendre qu’il y a une férocité cachée dans chaque chevalier du Lion passé ou à venir ? Notre Grand Pope compris ? Rassurant ? Te sentirais-tu…menacée ici ?»

Pour la première fois depuis un long moment, Ryme délaissa ses arguments pour les mettre en suspens. Il était vrai que les désillusions frappaient le plus souvent les esprits pessimistes et...Ce n'était pas un défaut qu'elle s'attribuait automatiquement. Alors, peut-être fallait-il y resonger à deux fois face à une bouteille qui n'attendait qu'à être ouverte !

"Bon, si c'est la volonté des prédécesseurs et si c'est pour la bonne cause, je n'en ressentirai pas de remords." Un semblant de sourire se devinait sous le masque de la jeune femme, lorsque celle-ci devint visiblement gênée lorsque Kaleb termina de décrire son aura et d'expliquer l'importance. "Ah, c'est comme ça qu'on me perçoit ? Eh bien...merci ? Même si je suppose que t'as raison ! C'est difficile pour une femme Chevalier de penser vraiment au-delà de la règle, on oublie facilement ce genre de choses...alors on en rit. "

Elle qui pensait se cacher derrière l'ironie et les bonnes blagues, là voilà gêner désormais. Sa main passa alors nonchalamment dans une mèche de cheveux, permettant à la jeune femme de prendre un peu de recul parmi toutes ces flatteries. Elle n'avait pas l'habitude d'en recevoir autant, et ne savait comment le prendre. Avec rire ? Déjà fait. Avec un soupir ? Ce n'était pas son genre. Bien rapidement au final, Ryme se recomposa afin de poursuivre le reste de leur conversation.

"Un cerf. Un animal de la forêt, donc. Intéressant." Plus encore lorsqu'elle savait en réalité que les définitions des bêtes qu'elle percevait et réveillait différaient quelque peu selon son savoir à elle. "Ca définit probablement une bonne maîtrise de soi, quoiqu'il pourrait être un peu farouche. Enfin, de manière générale, j'aurais l'occasion de croiser des créatures moins nobles et plus féroces en dehors du Sanctuaire..."

Ses pensées s'égarèrent brièvement vers Nauplie et la bête humaine face à qui elle avait perdu. Finalement, c'était déjà fait. Qui que ce soit, ses crocs avaient percé son armure et réveiller l'âme qui habitait dans cette illusion. Hélas, les illusions étaient trop nombreuses ces derniers temps ; quelque chose - le Destin, peut-être ?- aimait tromper ses convictions, ces derniers temps. La lionne mit pourtant un point d'honneur à utiliser les mots les plus pertinents pour cerner un fragment de vérité sur ce qui régnait à la fois pacifiquement et cruellement dans le cœur des Lions, indépendamment des ressentis de son maître quant au chemin qu'ils empruntaient.

"Je crois qu'on se sent toujours menacé chez soi. Entre nous, c'est d'autant plus véridique quand on incarne la Bête du Sanctuaire. C'est un travail de tout instant, quelque chose que le Grand Pope a également l'occasion d'expérimenter depuis des années désormais, en effet. Dans le Cinquième Temple, on vit sa propre férocité mais on rêve tous d'être le plus pur des Crocs." A ces paroles sages, un froncement de sourcils sa manifesta comme un nuage sur son masque blanc, lequel illustra parfaitement les détails additionnels qui se mêlaient à ses paroles. "Même si mon maître a plutôt voulu être un salaud'croc récemment."

Et sa rancune serait terrible ! Plus doucement, Ryme ferma cette parenthèse sans oublier le contenu de son verre, en rebondissant sur les événements qui s'étaient déroulés durant les festivités des Ligures.

"Enfin, Camelot a été riche en découverte pour tout le monde. Il faut dire qu'il y avait des invités de choix pour un bon diplomate. Je suppose."

Diplomate. Le titre la fit sourire quant elle songea de nouveau à la proposition que lui avait faite Mebd il y avait de cela quelques jours. Si on lui avait dit qu'elle serait "ambassadrice", elle aurait ri jadis.

Seulement, ce n'était plus une action autorisée désormais.

«Je ne me permettrais pas de parler pour les autres. Juste de ce que je perçois moi. La règle voulant que si une femme chevalier devait être vue sans son masque, elle devrait soit tuer soit aimer la personne qui la surprendrait ? Je dois bien t’avouer que c’est une règle qui me laisse particulièrement dubitatif. Parce qu’on n’a pas besoin d’un morceau d’albâtre ou de métal pour porter un masque. Le rire, la dérision et la colère en sont tout autant, tu ne crois pas ? »

La Vierge senti comme une gêne émaner de la Lionne. Etait-elle mal à l’aise à ses paroles ? Sa franchise naturelle pouvait être dérangeante pour ceux qui n’étaient pas forcément à l’aise avec l’acceptation de leurs émotions. Kaleb le savait. Mais il n’avait pas soupçonné que Ryme pouvait appartenir à cette catégorie. Et même si elle tentait de le cacher avec toute l’habileté et la dérision du monde, il sentait qu’il venait sans doute de se montrer un peu trop familier. Aussi tâcha-t-il de se montrer moins intrusif.

«Excuse-moi si je t’ai mis mal à l’aise. J’oublie parfois que l’on peut être gêné face à ce genre de remarques un peu personnelles…»

Puis, cherchant à changer de sujet, il poursuivit à nouveau sur son totem.

«Oui, un paradoxe pour une personne ayant grandi sur les plateaux d’Axoum et formé sur les pentes arides de l’Horeb, non ? »

Mais Kaleb prit surtout soin d’écouter son invitée disserter sur l’âme des Lions. Après tout, c’était non seulement apprendre à la connaître elle, mais aussi le Grand Pope, tout du moins Childéric, par-delà le masque. Après l’avoir écouté silencieusement, il lui adressa un regard bienveillant.

«Nous avons tous notre part de sauvagerie. Elle s’affirme peut-être davantage chez les Lions que chez les autres membres du Cercle d’Or, bien que j’ai cru comprendre que le Taureau n’était pas toujours en reste dans ce domaine. J’imagine que contrôler cette « bête » doit demander une grande discipline et beaucoup de sang-froid. Il est des animaux plus difficiles à dompter que d’autres. Encore plus s’il se tapit au fond de notre âme… »

Il ne put néanmoins esquiver la réflexion sur le Grand Pope mais tâcha plutôt de chercher à la comprendre.

«Tu dois bien être la seule à oser parler de lui en ces termes. Quoi que Silas… Non, pas de cette manière… Enfin, bref… Je ne sais pas ce qui est pire, les mensonges d’un maître ou ses silences. La mienne a opté pour la seconde option, vois-tu… Une autre façon de faire mais un même objectif : mettre de la distance. C’est ce que font les gens qui ont peur de souffrir… »

Kaleb finit sa coupe et, constatant que celle de la jeune femme était vide également, il entreprit de les remplir toutes deux.

Kaleb n'était pas favorable à la loi du masque. Oh, Ryme ne lui en voulait, c'était une pensée bien loin d'être unique au Sanctuaire et qui s'accompagnait d'un tas d'arguments, tous plus différents les uns que les autres. Certaines femmes détestaient cette règle, et le masque qui l'incarnait plus encore en prenant son port comme une insulte. La lionne pourtant faisait partie du camp adverse : ça ne la gênait pas. Ce n'était pas très important dans le fond. La rhétorique que posait Kaleb valait néanmoins la peine d'être approuvée.

"Non non, tu as sûrement raison d'un côté. Il y a tout un tas d'expression pour masquer ce qu'on ressent mais..." Mais. Et c'était là le problème. Ce "mais" ne changerait pas une règle ancestrale, qui plus est si cette dernière était affiliée au culte d'Athéna. La seconde suivante, la jeune femme reprit le fil de ses pensées. "Le masque est l'incarnation de notre devoir. Et puis, j'ai déjà un comité d'apprentis aux yeux brillants quand je descends avec l'armure du Lion pour les entraîner, alors imagine sans ce masque, à en juger nos dernières conclusions haha!"

Un rire expressif s'empara de la salle. Une bonne oreille aurait pu pourtant y voir une tentative d'évasion à travers l'humour. Elle se retint pourtant de justesse d'affirmer que, si le masque venait à tomber, c'était aussi un bon prétexte pour frapper qui elle voulait sans que Childéric ne puisse l'en interdire. Sa main se colla mollement à son menton afin de se concentrer sur les propos de Kaleb. A en juger son origine, Ryme ne put s'empêcher de réfléchir plus longuement à cette question. Sans pour autant dénicher la moindre solution ; après tout, c'était peut-être au Chevalier de la Vierge de trouver cette réponse...

Pour autant, Ryme n'avait pas envie d'abandonner ses réflexions. Pourquoi une biche, alors qu'il venait d'aussi loin ? D'ailleurs, une biche était-elle seulement apparaître et survivre en plein désert?

"Un paradoxe...T'es sûr qu'il n'y a pas une raison derrière tout ça ?"

D'un geste de la main, elle l'observa remplir son verre de nouveau et le remercia d'un petit geste de la main, sans pour autant se détacher de l'énigme que représentait la lecture des cosmos et des âmes. Dans le fond, ils en étaient probablement plus conscients que la plupart des combattants du Sanctuaire.

"Certainement...Je pense sincèrement que nous avons tous nos ombres et nos désirs au fond de nos âmes. Ce n'est pas une notion simple à cerner, mais je pense que je peux tenter de la comprendre chez autrui, à l'avenir. Un peu comme toi avec les auras, d'une certaine manière...Je suis sincèrement intéressée par ta technique. Qui sait, elle pourrait bien m'aider à finaliser une de mes techniques. Tu pourrais me montrer ça lors d'un entraînement, un jour ? Je ne dis jamais non à un bon échauffement."

Sous son masque, un charmant sourire à pleine dents fut plus que perceptible, à en juger la manière particulièrement enjouée avec laquelle elle avait joint ses deux mains, avant de la tendre. Oui ou non. Tout dépendrait de la volonté de Kaleb. Cette simple mais honnête proposition détonna néanmoins avec les manigances de son maître, qui ne purent d'ailleurs que lui tirer un soupir navré...Toutefois, Kaleb semblait parler par expérience, ce que la jeune femme ne manqua pas de relever.

"Peut-être.", consentit-elle à répondre en agitant son vin de son autre main. "Je ne crois pas avoir eu l'occasion de rencontrer ton élève. Elle est comment ?"

Chaque femme Chevalier s'était montrée plus ou moins unique en son genre, dans ses souvenirs.

«Disons que si ton visage est aussi agréable que ta lumière personnelle, tu risquerais de beaucoup trop distraire tes apprentis et de les exposer au danger. Après tout, le charme est aussi un moyen de perturber un adversaire, non ? »

Il lui adressa un grand sourire entendu. Son instinct lui murmurait que sa voisine était décidément une personne digne d’intérêt. Sa franchise avait quelque chose de réconfortant et de vivifiant à la fois. Ryme était une bonne rencontre. Il en avait la conviction. Même si, comme chacun, elle devait posséder une face sombre et des blessures qu’elle dissimulait derrière un rire retentissant et un langage qui ne s’embarrassait pas de ronds de jambes et autres fioritures.

Lorsqu’elle questionna à nouveau Kaleb sur le sens de son totem, ce dernier répondit d’un air songeur.

«Sans aucun doute. Seulement, pour l’instant, je n’en ai pas encore perçu le sens. Il faut laisser le temps aux vents de jouer leurs partitions…»

Tout à cette pensée, le gardien de la sixième maison ne laissa pourtant pas échapper la demande de sa sœur d’arme. Avoir l’occasion de s’entraîner avec un autre membre du Cercle d’Or était toujours une occasion à ne pas rater.

«Ce serait un grand honneur. Je n’ai jamais eu l’occasion de l’enseigner à quiconque. J’espère juste être à la hauteur pour transmettre ma connaissance à la Gardienne de la cinquième demeure ! »

Il se frotta la nuque de la main gauche, geste inconscient montrant à la fois une joie non dissimulée associée à une certaine gêne. C’était la première fois que l’un de ses pairs lui demandait de lui apprendre quoi que ce soit. Il éprouvait à la fois une certaine fierté mais aussi, comme à son habitude, un léger sentiment d’imposture.

Mais lui aussi estimait avoir des choses à apprendre de la Lionne Ardente. Aussi, la Vierge lui fit-il une proposition qu’il espérait honnête et amicale.

«Voilà ce que je te propose. Je t’initie à la vision des Lumières du vivant et tu m’apprends comment matérialiser mon totem comme tu le fais avec ta Lionne. Est-ce envisageable ?»

La discussion finit par dériver sur Dana. Que pouvait bien dire Kaleb à Ryme au sujet de la jeune druidesse. Un sourire malicieux vient éclairer son visage.

«Je pense qu’elle te plairait. Un caractère flamboyant et une âme sincère. Elle a beaucoup à apprendre mais sa cécité ne l’empêche pas d’être une combattante efficace. Même si elle a encore des progrès à faire en ce qui concerne le protocole.»

Il assorti cette dernière remarque d’un air amusé et bienveillant. Sa marque de fabrique.

Spoiler:

«Je suis dans le même cas, je te signale… La Dame de la sixième demeure ne m’a choisi qu’il y a quelques mois…»

Même si de nombreuses choses avaient changé en peu de temps au Temple de la Vierge et qu’il y avait probablement déjà laissé sa marque, Kaleb ne pouvait pas prétendre être autre chose qu’un chevalier débutant. Les années passées auprès d’Eunoia étaient bien plus nombreuses que celles au Sanctuaire. En encore plus que le temps comme membre du Cercle d’Or. Même s’il semblait à Kaleb que ce dernier était bien plus dense, bien plus intense.

L’explication de Ryme le sorti pourtant rapidement de cette considération. Elle voulait utiliser sa capacité pour… éveiller la bête dans le cœur de son adversaire ? Qu’entendait-elle par-là ? Elle semblait vouloir se servir de cette capacité comme d’une arme. Ce qui n’était pas un problème dans l’absolu mais demandait d’approfondir la question. Afin de ne pas générer plus de problèmes que cela n’en résoudrait. De plus, il fallait qu’elle comprenne les subtilités de la chose.

«Je ne suis pas sûr que cela soit possible… A ma connaissance, les lumières de vie des humains ne se manipulent pas… Peut-être celles des plantes et des animaux… Et encore. Tout dépend de leur niveau de conscience, je dirais. Ma technique te renseignera sur l’intensité, la couleur, l’odeur, le son voir la forme que peut avoir l’aura d’une personne mais je crains que ce que tu cherches à faire ne soit pas accessible par ce biais…»

Il prit une courte pause et une gorgée de vin avant de reprendre.

«Je suis curieux néanmoins… Comment éveillerais-tu le cerf en moi ? De manière purement rhétorique, bien entendu…»

Il laissa la question en suspens, pour permettre à Ryme d’y réfléchir à sa convenance. Sa propre technique semblait aller de pair avec un prix à payer. Comme si la matérialisation de la Lionne avait quelque chose de dangereux et allait bien au-delà de la simple expression cosmique. Avant de se lancer dans l’aventure, la Vierge voulait savoir dans quoi il mettait réellement les pieds.

«Pourquoi mon instinct me dit-il qu’il y a un coût à l’apparition de ton totem ? Est-ce lié au fait de libérer la bête qui est en toi ? Est-ce elle qui se matérialise ? Pardon, je ne veux pas me montrer indiscret. Mais tout ceci m’intrigue, tu comprends ?»

Le visage de la Vierge demeurait empreint de sérénité mais il sentait que la Lionne Ardente ne lui racontait pas tout. Il ne pouvait l’en blâmer pour autant. Ils étaient compagnons d’armes. Pas amis. Elle ne pouvait s’ouvrir à lui aussi facilement. Il éluda volontairement le sujet de Dana pour se concentrer sur cette histoire de techniques à échanger. Elle rencontrerait la Coupe bien assez tôt.

Sans détour, Kaleb lui affirma que ses techniques ne l'aideraient pas à atteindre son objectif.

En était-il seulement sûr?

"Oh. Bah c'est fâcheux...." Quelque chose dans ses gestes et sa posture traduisaient une certaine déception, quoique Ryme n'en était pas si certaine dans le fond. Tout en haussant les sourcils, la Sainte expliqua brièvement l'enjeu de ses recherches. "Mais je crois être en bon chemin, je dois juste stabiliser ma technique d'une manière ou d'une autre, mais je ne sais pas comment le faire. En réalité, il faut que j'arrive à cerner et à comprendre davantage mes adversaires."

C'était là un objectif qu'elle n'espérait pas atteindre de sitôt. Toutefois, elle gardait bon espoir de trouver une solution à ce souci mineur qui faisait de ses combats un véritable enfer pour son adversaire. Au final, c'était également le cas pour elle. Il était parfois préférable de maîtriser sa force plutôt que de la laisser consumer entièrement son adversaire sans pouvoir en tirer d'avantages. Bien évidemment, ce n'était pas une difficulté compréhensible pour Kaleb. Il ne l'avait jamais vécu, et elle espérait qu'il ne la connaîtrait jamais. De nouveau, la jeune femme porta les lèvres à son verre en écoutant les interrogations de son frère d'armes. La surprise la gagna aussitôt quand il affirma haut et fort ses attentes. Un réveil par son oeuvre? Un cerf?

Ô, il se méprenait...

"J'imagine que je n'aurais pas l'opportunité de réveiller un animal en particulier. Pour être honnête, elle t'apparaitrait surtout grossière et hostile, et je n'aurais aucune emprise dessus. Tu passerais littéralement un sale quart d'heure à défaut de voir un cerf...Je crois qu'il n'y a que toi qui puisse le faire, avec quelques conseils en amont de ma part." Avec plus de convictions, ses paroles clarifièrent son raisonnement et le léger danger de ses propres techniques. "Mes techniques sont avant tout offensives. Je te ferais du mal à agissant directement. Mais en t'accompagnant sur la précision, la maîtrise et ton mental, alors tu devrais en tirer avec quelque chose de plus..."sympathique.""

Oui, avec un peu de travail et une simple bonne maîtrise du cosmos, quelques Chevaliers du Sanctuaire s'étaient montrés capables de manipuler l'incarnation de leur armure, ou une silhouette à peu près semblable à ce qu'elle démontrait. Pensivement, la jeune femme imaginait qu'elle pourrait sans doute l'aider à s'approcher de cet objectif, plutôt que sa nouvelle -et future- technique ne ressemble au Croc des Lions. Quelque part, c'était pour son bien. D'une autre part, le questionnement de Kaleb ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde.

Et Ryme hésita quelques secondes à parler. Ce n'était pas une chose qu'elle aimait raconté au premier ven ou plutôt, à quique ce soit. Dubitative, ses doigts tapotèrent le bout de ses lèvres avant de s'en détacher, sans jamais se décoller de son masque néanmoins.

"Sans entrer dans les détails, à l'origine, j'ai éveillé mon cosmos en même temps que cette chose, c'était ma destinée. Mais je te l'ai déjà dit, je veux devenir le plus pur des Crocs, le premier de tous les Lions! Alors..."

Alors voilà. Cela ne le regardait pas, et lui-même était dubitatif.

Elle avait commis une erreur.

Comme si la Sainte s'était souvenue d'un détail crucial, son visage blêmi automatiquement sous son masque. Les mots lui manquèrent. Ils lui filaient entre les doigts, si bien que Ryme sentit son assurance être désagréablement balayée d'un revers de la main par tant de questions.

"...Alors oublie peut-être ma proposition...C'était bête. Désolée."

Toute bonne humeur semblait s'être éclipsé. Non vraiment, il avait raison. Quand bien même sa Lionne était l'incarnation d'une maîtrise très précise du Croc, cela ne faisait pas d'elle la personne la plus à même de lui apprendre ces rudiments.

Et si cet enseignement, même réarrangée, était tabou?

Avait-elle seulement demandé à Childéric les retombées d'une telle initiative, même faite de bon coeur?

Ah, quelle crétine!

Sa main déroba aussitôt son verre de vin pour le boire à grande gorgée, cul sec. Le sourire qui s'ensuivit accompagna sa volonté de se dérober. Ce n'était pas son truc, les interrogatoires. Sans nul doute, elle en avait déjà trop dit.

"Ce fut fort bon! Merci de ton hospitalité et encore désolée pour cette proposition irréfléchie, mais j'ai beaucoup de choses à faire ailleurs. Ce fut un plaisir!"

Etait-il seulement possible de fuire la maison avec autant d'énergie et de rapidité? A en juger les talons bien tournées de la jeune femme, cette dernière était prête à s'en aller

«Attends… Ne pars pas maintenant… S’il te plaît…Ta proposition est loin d’être stupide…»

Kaleb aurait pu dire ne t’enfuie pas comme ça tant la réaction de la Lionne semblait être une dérobade face à un obstacle, à une situation qui ne se déroulait pas comme elle l’avait imaginé. Des ténèbres à fleur de peau. Désormais, la Vierge les voyait dans sa lumière personnelle. Cette même bestialité qu’il ressenti derrière le ton protocolaire et le masque de Grand Pope que Childéric s’évertuait à présenter.

« Cela ne coûte rien d’essayer, non ? Au pire nous aurons perdu un peu de notre temps . Mais nous pouvons aussi trouver d’autres choses plus intéressantes. Je ne l’ai jamais pensé comme un élément d’attaque. Mais, avec ton aide, peut-être que cela peut évoluer. Pour moi, l’essentiel reste de protéger la Vie…»

L’important n’était pas l’arme. Mais celui qui la détenait et la manière dont il l’utilisait. Et puis… Peut-être que cela permettrait à Ryme de lutter contre ces ténèbres qui semblaient tant l’inquiéter ? Elle semblait avoir besoin de lien et d’écoute. Comme l’animal qu’elle représentait, il était sans doute difficile de l’apprivoiser. Sa réaction en disait sans doute plus long sur les blessures dont elle souffrait que tous les mots qu’elle aurait pu poser.

Afin de l’inciter à se rasseoir, le Gardien de la sixième demeure remplit à nouveau sa coupe.

« Donc, si c’est toi qui éveille la bête en moi, je risque de passer un sale quart d’heure… Venant de toi, je ne prends pas la menace à la légère. En revanche, avoir un allié sur le champ de bataille, pouvoir matérialiser mon cosmos de la manière dont tu le fais peut être utile à plus d’un titre. J’aimerais que tu me guides… Je suis prêt à prendre le risque…J’ai confiance en toi… Vraiment…»

Kaleb se releva pour se mettre au même niveau que la jeune femme. Ses yeux turquoises se posèrent sur la nuque de la Lionne Ardente pour lui montrer à la fois sa sincérité et sa détermination. Mais le choix lui appartenait. Il le savait. Et il ne dérogerait pas aux règles de sa propre maison.

« Sache qu’ici tu es libre de faire ce qu’il te plaît, d’être celle que tu veux. Avec ta Lumière et tes Ténèbres. Tant que cela ne porte pas préjudice aux autres. Aussi en ai-je voulu de la sixième demeure. Qu’elle soit celle de la θέλημα, la Volonté… »

Son départ fut stoppé à la dernière minute. Les choses n'étaient-elles pas suffisamment claires ? Ryme ne comptait certainement pas s'embêter avec un trop plein de questions. Ce ne fut qu'après quelques secondes d'hésitations qu'elle resta près de la chaise, sans se rasseoir pour autant. Elle devina que cette réaction décevrait peut-être Kaleb, mais elle ne comptait, de toute évidence, pas rester ici plus encore alors qu'elle devait crever dans l'oeuf toutes les mésententes qu'elle vivait avec le grand manitou de ce Sanctuaire.

Toutefois, l'attention de la jeune femme lui fut toute accordée. Aussi, sa demande et ses motifs ne tombèrent pas dans l'oreille d'une sourde. Dubitative, un silence s'imposa une seconde. Puis deux. Pour finalement tomber comme un couperet.

"Je peux essayer. Mais ça dépendra aussi de toi hélas...Je ne peux garantir un résultat impeccable, mais ce sera sûrement faisable avec un peu de confiance."

Toujours. D'un regard par dessus son épaule, elle observa Kaleb silencieusement, dans un mélange entre scepticisme, compassion et ennui. Elle ne croyait pas que la lumière ou les ténèbres aient à faire quelque chose dans son histoire. Les détails étaient plus compliqués que cela, mais lui accorder la chance d'apprendre à mobiliser ses forces et faire appel à un Allié était, peut-être, un objectif plus simple à atteindre qu'elle ne se l'imaginait.

"Ce n'est pas un non, au cas où, et on aura le temps de prévoir cela plus tard. Et puis, j'ai failli oublier que j'ai peut-être besoin d'un peu de force pour faire cette fois-ci face au Grand Pope et éviter de me défiler à chaque fois...J'en suis un peu désolée. A bientôt, j'imagine."

Elle n'avait pas envie de boire, ni même de se sentir à son aise dans un autre temple que le sien. Elle n'était pas tout à fait d'accord avec les paroles de Kaleb, mais elle en comprenait sa portée. Ses pas la portèrent ainsi vers la sortie, non pas vers là où elle pourrait méditer en toute tranquillité, mais vers le Temple de son ancien maître.

Childéric.

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