[Début Mai 553] Bad News (PV Childéric)

Eireen avait frappé à la porte de Kaleb aux aurores. Ce qui ne manqua pas de surprendre ce dernier. Son aide de camp, levée à cette heure ? Il allait l’accueillir avec une petite boutade mais à la tête de trois pieds de longs de la jeune femme qui se trouvait devant sa porte, il se ravisa. Elle avait l’air de méchante humeur. Etait-ce le fait de ne pas avoir eu son quota habituel de sommeil ? Ou autre chose ?

Quoi qu’il en était, elle lui tendit d’une manière brusque un rouleau de parchemin en grommelant quelque chose d’incompréhensible. Le billet portait le sceau du treizième temple. Le Grand Pope. Son envoyé avait dû aller réveiller la jeune femme jusqu’à la porte de sa chambre. Ce qui pouvait expliquer sa mauvaise humeur. A moins qu’elle ait déjà eut une discussion avec Dana concernant les événements de la veille… Il devait essayer d’en avoir le cœur net.

«Il semblerait que le Grand Pope me mande de toute urgence. Pourras-tu avertir Dana que notre entraînement matinal est remis à plus tard ? Je crains d’en avoir pour un certain temps. Surtout si nous devons évoquer la Francie… »

Eireen ne releva pas et s’inclina respectueusement avant de prendre congé. Pas dans ses habitudes. Enfin si. Lorsqu’elle était contrariée et qu’elle boudait. Kaleb haussa les épaules et soupira. Il n’avait pas le temps de se préoccuper des états d’âme de la maisonnée pour le moment. Cela viendrait plus tard. Pour le moment, il devait passer sa tenue protocolaire.

Il embrasa alors légèrement son cosmos, appelant à lui l’armure de la Vierge qui quitta son urne sacrée sur l’autel du Paradis pour venir recouvrir le corps de son gardien en un éclair. Il était prêt.

Le temple était plongé dans le calme. Eireen devait avoir retrouvé sa chambre. Seules les cuisines s’afféraient à préparer le déjeuner du matin. Kaleb prit la direction du temple de la Balance. Ce dernier était vide depuis la disparition de Diane. Le Scorpion aussi avait été déserté. L’armure trônait à l’intérieur, Lesath semblait avoir quitté, pour une raison inconnue, le domaine sacré. Au Sagittaire, Kaleb entendit des bruits en provenance de l’atelier de Dédale. Comme à son habitude, le gardien du neuvième temple devait avoir fait nuit blanche.

La Vierge pressa le pas. Le Capricorne et les Poissons furent traversés sans autre forme de procès. A peine avait-il pris le temps de saluer Kilian lorsqu’il traversa le temple du Verseau. Déjà les portes de la treizième demeure se présentèrent devant lui. A sa vue, les gardes les ouvrirent avec une célérité qui n’augurait rien de bon. Avançant sur le tapis carmin, il s’approcha du trône du Grand Pope et plia le genou.

«Kaleb de la Vierge au rapport, Votre Excellence… »

Les choses sérieuses pouvaient commencer. Mais où pouvaient bien être les Gémeaux ?

Encore et toujours une question de temps. Tout n’était qu’une simple question de temps. Le vieux lion ne savait pas vraiment combien il en avait devant lui et il devait rapidement faire avancer certaines choses. Il avait demandé à Kaleb et Silas de rentrer de leur mission en Francie après une conversation profonde avec le chevalier de la vierge. Il leva la tête du rapport extrêmement pénible qu’il venait de lire sur les détails de la logistique militaire. Il était cent fois plus simple de survivre au chaos du champ de bataille que de s’occuper de ce genre de choses. Enfin, il avait pris quelques heures dans la nuit et avait repris son travail, mais il n’arrivait vraiment à rien. Bien, il devait passer autre chose. On l'avait informé que le chevalier de la vierge était de retour au Sanctuaire et il prit son temps pour le convoquer. Le moment venu, il envoya un messager pour le faire venir dans son temple le plus vite possible. Il devait expédier les détails de cette mission maintenant.

Pas de nouvelle de Silas, par contre. Ce n’était pas vraiment étonnant. Ce dernier avait du profiter de la fin de la mission pour écumer encore quelques tavernes et quelques bordels. Sa façon à lui de fuir vers l’avant. Cette pensée fit simplement soupirer le vieux lion. Il jouait ici doucement avec la limite, sans vraiment la dépasser. Heureusement pour lui qu’il avait ses capacités de déplacement rapide. Le vieux lion aurait du, le cas contraire, aller le chercher par la peau du cul s’il avait refusé l’ordre de rentrer. Ce qu’il ferait s’il avait le malheur d’abuser un peu trop. Mais pour l’heure, il avait un rapport à entendre. Le chevalier de la vierge entra donc dans le temple, vêtu de son armure, toujours très protocolaire à son habitude.

« - Bonjour à toi Kaleb, approche. »

Lui répondit alors le vieux lion un sourire en coin sur le visage. Ce dernier n’était pas installé sur son trône bien en place comme il pouvait l’être dans les rencontres officiels. Non, il était installé dans un siège, un peu plus loin dans la salle avec face à lui, un autre siège et entre ces deux-là, une table. Sur cette dite table, de quoi prendre un petit-déjeuner solide. Pain, fromage, viande séchée, fruit et même quelques petites pâtisseries au miel.

« - Je suppose que tu n’as pas eu le temps de déjeuner et que tu pourras me faire ton rapport en détail tout en mangeant non ? »

Le vieux lion pourrait ainsi lier l’utile et l’agréable et ne perdrait pas trop de temps dans sa journée en s’arrêtant pour manger. Et l’ambiance ainsi créer serait d’office plus cordiale que pouvait l’être les rapports officiels, très guindés.

Kaleb se releva et s’exécuta sans autre forme de procès. Il s’était attendu à un cadre extrêmement rigide et protocolaire pour ce rapport de mission. Surtout si on tenait compte de la catastrophe qu’avait été le pendant britannique de cette dernière.

Ecarquillant les yeux d’étonnement, il s’avança et prit place sur le fauteuil se trouvant de l’autre côté de la table. Il aurait été impoli de refuser cette invitation. Pour autant, il avait l’estomac noué et il savait pertinemment qu’il ne pourrait rien avaler. Tout du moins, tant qu’il ne saurait pas sur quel pied danser avec le Grand Pope.

«Je vous accompagnerai bien, Votre Excellence, mais je ne crains que mon estomac ne soit resté au fond de mon lit… J’imagine que votre journée risque d’être chargée… »

Une évidence en temps habituelle qui se trouvait sans aucun doute amplifiée par les rumeurs de guerre qui couraient au Sanctuaire. Cependant, une question taraudait l’esprit de la Vierge. Enfin deux. Et il était sans doute temps de les poser.

« Veuillez me pardonner, Grand Pope, mais il y a près d’une semaine que je suis rentré au Sanctuaire. Je pensais que vous me demanderiez de venir vous rendre compte plus tôt. Je m’inquiète également pour les Gémeaux. Silas n’est pas encore revenu. Son temple est vide. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de fâcheux… »

Une façon de s’enquérir de son ami en voyant ce que Childéric en dirait. Après tout, il devait faire avec deux facettes : celle de l’ancien chevalier du Lion qui avait trahit la confiance de son frère d’arme et celle, plus protocolaire, du Grand Pope devant donner ordres et consignes au troisième gardien. Un exercice d’équilibriste que Kaleb ne lui enviait pas.

Le chevalier de la Vierge attendit patiemment les informations et les premières questions de son supérieur pour savoir à quoi s’en tenir.

Le vieux lion observa rapidement la nervosité de la vierge. C’était déjà un bon début. Il était responsable de la formation de l’équipe britannique de cette mission et c’était, de sa part, en tant que maître et en tant que chevalier d’or, un échec. Mais il n’avait pas à porter cet échec seul. Silas aussi, en était responsable et ce dernier avait préféré fuir plutôt que de faire face à son échec, encore une fois. Une mauvaise habitude que le troisième gardien n’arrivait pas à perdre. Même s’il avait gagné en maturité et qu’il devenait un peu plus le vétéran qu’il devait être, le byzantin avait encore beaucoup de chemin à parcourir. Childéric soupira profondément intérieurement et hocha simplement la tête quand la vierge annonça être trop nerveuse pour manger. Ce qui ne l’arrêta pas le moins du monde, lui de continuer son petit-déjeuner.

« - Oui, surtout en ce moment, comme tu le sais. J’ai beaucoup à gérer pour préparer cette bataille, sans véritablement savoir où et quand elle aura lieux. »

Cette fois, c’est bruyamment que le vieux lion soupira. Avait-il été trop gentil avec le troisième gardien pour conserver leur amitié ? Restait-il seulement quelque chose à conserver ? La voix d’Athéna n’en était pas vraiment certaine. L’avenir aurait cette réponse, comme tant d’autres. Il prit le temps de finir le morceau de fromage qu’il avait en main avant de répondre à son chevalier d’or :

« - Silas agit comme il le fait d’habitude. Il n’a rien d’inquiétant là-dedans, il finira par rentrer, quand il aura fini de bouder. Silas fait en sorte que tout tourne autour de Silas, alors qu’il n’est pas le centre du problème. »

Un nouveau soupir et le vieux lion bu quelques gorgées d’eau avant de mordre à pleine dent dans une des pommes qu’il aimait tout particulièrement. Cette dernière venait du jardin de son ancien temple et il en était grand consommateur. Puis, il reposa le fruit et planta son regard dans les yeux de Kaleb :

« - Je voulais voir quelques choses avant. J’attends donc maintenant, Kaleb. »

Plus question de tourner autour du pot, il était maintenant temps pour le chevalier d’or de sauter. Le vieux lion n’avait pas l’air particulièrement courroucé, agacé au pire. Mais difficile à dire s’il l’était à cause de , cette mission ou Kaleb ou peut être un mélange des trois.

Donc, à en croire le vieux Lion, Silas n’était pas rentré car il boudait comme un enfant en raison… En raison de quoi au fait ? Parce qu’il était toujours en colère des mensonges de celui qu’il considérait comme son ami ? Ou était-ce le fait d’avoir fait chou blanc en Francie qui l’avait contrarié ? Probablement un peu des deux. Kaleb comprit donc qu’il ne pourrait compter sur son acolyte pour partager les potentielles foudres.

Mais la Vierge n’était pas du genre à se défiler. On pouvait lui reprocher bien des choses mais pas son manque de courage. Aussi, après avoir pris une profonde inspiration, il entreprit d’assumer ses responsabilités.

«La mission en Francie a été un échec. Nous n’avons trouvé aucune trace de la prêtresse ou d’éveillés pouvant laisser penser qu’elle se trouvait dans les environs. Nous avons cherché dans le royaume des Burgondes et dans celui de Reims. Nous avons mis de côté l’Aquitaine en raison de l’influence que la déesse de l’Amour semble y exercer. Nous ne voulions pas rajouter des soucis diplomatiques à ceux déjà existants… »

Il prit un instant pour voir si le Grand Pope avait une question à poser sur ce qu’il venait d’énoncer avant de poursuivre.

« A Reims, notre seule réussite a été de croiser la route de mercenaires du Nord avec lesquels les Gémeaux a passé un marché pour qu’ils continuent les recherches. Mais je pense que ce marché est un marché de dupes et que, même s’ils trouvent quelque chose, il y aura certainement une surenchère venant d’Asgard même ou d’autres factions. Je dois avouer que ma couleur de peau ne nous a pas vraiment permis de nous fondre dans la masse et de délier les langues. J’aurai dû… J’aurai dû faire autrement…»

Il était certain que Childéric avait eu vent des mésaventures de l’autre binôme en Britannia. Aussi Kaleb prit-il les devants. Tant qu’à faire, autant jouer carte sur table dès le départ.

« J’aurai dû accompagner Dana en Britannia et laisser Xanathos suivre Silas en Francie. Peut-être que le Phénix serait encore en vie à l’heure actuelle. J’ai eu tort de penser qu’il serait capable de mener cette mission. Que son expérience, son désir de se racheter et le fait de le responsabiliser lui permettraient de surpasser ses tendances à faire cavalier seul et son insubordination chronique. La Coupe a commis des erreurs de par son inexpérience, en raison de l’incapacité à se comprendre et à agir de concert avec Xanathos. Et j’ai été incapable de la guider comme il se doit face à ces écueils. Même si je ne suis pas coupable de ce qui s’est passé dans le royaume de Logre, j’en suis responsable. Aussi suis-je venu, Votre Excellence, dans l’attente de votre décision me concernant… »

Le chevalier de la Vierge garda la tête droite, le regard fixé sur le premier serviteur d’Athéna. Il fallait du courage pour obtenir une victoire. Mais il en fallait bien davantage pour conserver sa dignité dans la défaite.

Quand Kaleb commença, enfin, son récit, le vieux lion se cala au fond de son siège, une pâtisserie dans la main, qu’il mangea au fur et à mesure que ce dernier avançant dans son discours. Les grandes lignes de cette histoire, il en avait déjà vaguement eu vent lorsqu’il s’était rendu lui-même en Francie, via le Rêve, pour discuter avec le chevalier d’or de la vierge. Il était sage de la part du duo dorée d’avoir évité les terres d’Aquitaine. Bien qu’il s’agisse d’une possible piste future pour continuer cette mission. Mais vu la monté violente des tensions avec le Dédale et la bataille imminente, il était certain que la venue de deux chevaliers d’or dans le domaine de la concubine d’Arès aurait sûrement agacé cette dernière.

« - Sage décision oui, d’éviter d’en rajouter. »

Kaleb rentra ensuite dans le détail des dénouements qui semblaient avoir eu lieu à Reims. Ainsi, le duo avait fini par mettre la main sur des hommes d’Asgard et terminant par la signature un marché avec eux. Reste à savoir à qui allait l’allégeance de ces hommes : la prêtresse déchue, le grand-prêtre actuel ou simplement à la bourse ? Deux de ces trois options pourraient éventuellement être utiles au Sanctuaire. Le dernier serait, en effet, un marché de dupes dans lequel Silas et à travers lui, le Sanctuaire, serait le dindon de la farce.

« - Quelles sont les termes du marché qu’a passé Silas avec ces mercenaires ? »

Pour le reste, un sourire plus compatissant passa sur son visage. Il est vrai que, dans un monde où les voyages sont difficiles, on ne voit que peu des hommes comme Kaleb. L’avantage du monde des éveillés était sa diversité et son cosmopolitisme.

« - Tu ne pouvais pas trop faire autrement je pense. Mais comment vous vous y êtes pris exactement et comment aurais-tu fais différemment ? »

Et avant qu’il n’ait sa réponse à la question, le sixième gardien sauta à pieds joints dans le plat dans lequel l’attendait le vieux lion. Le problème n’était pas tant que lui et Silas n’avaient pas trouvé la prêtresse. À vrai dire, il ne s’attendait pas vraiment à ce qu’il la trouve. S’il avait du disparaître, traqué par les restes de sa faction déchiré, il aurait trouvé d'excellents endroits pour se cacher, surtout s’il avait encore à ses côtés des partisans. Mais le volé britannique de cette mission était un fiasco complet. Échec retentissant qui retombait entièrement sur les épaules de Dana. Bien que Xanathos, encore, avait son lot de responsabilité, il avait payé ses erreurs dans la mort. Un prix bien suffisant aux yeux de Childéric.

« - Oui, tu n’es pas coupable, c’est Dana qui l’est. Mais tu as, comme tu l’as dit, à ta façon, participer à ce fiasco. C’est échec en tant que commandant et tant que maître également. »

Le vieux lion se tut alors. Laissant le temps à Kaleb d’avaler la pilule. Pourtant, sa voix n’avait pas fait preuve d’autre chose que de l’agacement qui ne semblait pas le quitter depuis le début de cette conversation.

« - Comment entreprendrais tu donc de corriger tout ça ? »

Et de la réponse du sixième gardien, dépendrait les conséquences de cette affaire, pour l’un comme pour l’autre. Silas aurait également à faire face aux siennes, après tout, il était l’égal de Kaleb dans tout ça et il était trop facile pour lui de se débiner de la sorte comme un lâche et d’envoyer son compagnon affronter seul le résultat de leur opération. S’il revenait d’entre les morts dans une moindre façon, Xanathos aurait aussi à payer le prix de ses échecs qui commençaient à devenir nombreux…

«Outre l’argent, il leur a offert la protection de l’Empire et la possibilité d’être intégré à des unités extérieures de l’armée… tout ce dont je me souviens au sujet de son contrat précédent, c’est qu’il parlait d’un « employeur » régulier et qu’il se faisait appeler Sokkolf… »

Kaleb n’avait pas plus d’informations sur cet homme aussi se garda-t-il de toute supposition ou de toute conjoncture hasardeuse. Après tout, c’était un compte-rendu, pas une série d’extrapolations.

Lorsqu’il évoqua les possibilités dont ils auraient pu bénéficier pour améliorer leur discrétion, Kaleb afficha une mine circonspecte. Il ne voyait pas vraiment comment il aurait pu agir mieux qu’il ne l’avait fait.

« Vous voulez dire, à part anticiper ce problème et ne pas me rendre en Francie ? Ou rester dans les auberges en attendant que Silas fasse tout le travail ? Je me suis fait passer pour son serviteur et cela n’a pas suffi… Et je n’ai pas la capacité de certains de nos frères d’armes à me fondre dans la masse comme une ombre… C’est pour cette raison supplémentaire que j’aurais dû envisager d’accompagner Dana en Britannia…»

Pas l’essentiel mais effectivement une raison de plus. Le Grand Pope entra enfin dans le vif du sujet. Sans complaisance aucune, comme Kaleb avait pu s’y attendre. Cela ne rendait, néanmoins, pas l’expérience moins désagréable. Et suscitait chez la Vierge une forme d’agacement qui lui était rare.

« Merci de souligner davantage mes défaillances, Votre Excellence. Je crains malheureusement que ce ne soit inhérent à ma formation. Voyez-vous, jamais je n’ai été préparé à mener d’autres personnes, à être un chef de guerre. Ce n’est pas l’enseignement que j’ai reçu de l’ancien chevalier de l’Aigle. Elle m’a appris à être un combattant, un Eveillé. Pas un général. Cela, je dois l’apprendre par moi-même semble-t-il. Et je n’ai pas la prétention d’être un virtuose chez qui cette capacité est innée. Je n’ai pas d’excuses. Juste des explications. Quant à ce que je prévois…»

Kaleb prit un temps de silence, autant par réflexion que pour capter pleinement l’attention du Grand Pope. Après tout, il avait sans doute mille pensées qui lui traversaient l’esprit à cet instant précis.

« Je pourrais vous présenter mon renoncement, quitter mon rôle de Gardien pour laisser à un autre l’occasion de porter plus dignement que moi l’armure de la Vierge mais ce serait une forme de lâcheté et de fuite face à l’adversité. A vrai dire, je ne sais pas comment réparer. Aller dans le royaume du Connaught en ambassade pour tenter d’éteindre le feu diplomatique allumé ? Je ne suis pas certain que le remède ne soit pas pire que le mal. Je peux veiller à ce que la Coupe ne parte en mission que sous ma supervision pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise et vous demander de m’appliquer les sanctions que vous aviez prévu pour elle..»

Une façon comme une autre de chercher à protéger son élève tout en s’assurant que l’honneur du Domaine Sacré soit sauf…

Le contrant que semblait avoir passé le troisième gardien avec les mercenaires nordiques n’avait rien de particulier. L’empire raisonne dans le monde pour bien des raisons et son influence est encore forte de par le monde. Il a toujours besoin d’épée et d’âme, il en dévore sans arrêt. Reste à voir ce qu’il pourrait ressortir de cette histoire.

« - Ce qui n’est pas étonnant pour un mercenaire, d’avoir un employeur régulier. Nous en employons nous-même beaucoup quotidiennement et ils travaillent avec nous, presque comme l’armée régulière. »

Et des épées de plus auraient leurs utilités. Le vieux lion écouta ensuite comment Kaleb aurait fait pour changer les choses. L’idée de jouer le rôle du serviteur du troisième gardien était en soit une bonne idée. Mais il doutait que Kaleb soit véritablement capable de tenir ce genre de rôle d’être un véritable subordonné. D’avaler les couleuvres qu’une personne de sa condition devrait avaler. Ce n’est pas un exercice facile à faire, le vieux lion en serait incapable.

« - Et penses-tu qu’en Britannia les choses auraient été différentes ? Camelot est une chose, mais elle ne représente pas l’ensemble de l’île. Tu aurais eu les mêmes problèmes. Pire même, seule avec une jeune fille du cru. »

Alors il te faudrait trouver une autre excuse, un autre prétexte. Le vieux lion ne mordait pas dans celui-là. Certes, l’exotisme de sa naissance représentait une difficulté, une difficulté qu’il était difficile de surmonter. Mais pas derrière laquelle il fallait se cacher. La suite plus amère, fit se dessiner sur le visage du vieux lion un sourire ironique :

« - Nous sommes là pour parler de toi après tout. »

Il écouta ensuit ce que Kaleb avait à dire. Et visiblement, il avait beaucoup de choses à raconter. Sur sa formation d’une part. Un manquement qu’il semblait avoir dans sa propre formation. Mais le commandement n’est pas vraiment une chose qui s’apprend. On a beau avoir appris, justement, la réalité viendra toujours briser ce genre de leçon. On n’apprend pas à être un chef, on le devient, sans jamais vraiment le vouloir. Et ceux qui ne veulent pas de ce pouvoir, font les meilleurs chefs souvent. Du moins, c’était ce qu’il croyait personnellement et comment il voyait son propre pouvoir. Il n’en avait jamais voulu véritablement, mais il avait dû le prendre. Et c’est de ça qu’il devait parler avec le sixième gardien.

« - On n’apprend pas à devenir un commandant. Il n’y a pas véritablement de leçon. On devient celui qui mène les autres. L’apprentissage d’une telle chose est toujours creux et forme, selon moi, de mauvais commandant, particulièrement chez nous. Comment surmonter les échecs, voilà ce qui fait la trempe d’un véritable élu. Pas de fuir à la première occasion. Silas, aussi têtu qu’il soit à sa liste d’échecs, comme tous les membres du cercle d’or et tu n’es pas une exception. Moi-même, il faudrait du temps pour tous les lister. Mais j’avance, j’en fais quelque chose. Je ne fuis pas. Par contre, personne ne t’as forcé à prendre une disciple alors que, visiblement, tu ne t’en sens pas près, ayant toi-même encore à apprendre. Pourquoi alors as-tu fait ce choix ? »

Puis, vient ses propositions quant aux régalements des situations. Sa première fut rapidement écartée par lui, et heureusement, au regard ce que venait de lui dire Childéric. Le sixième gardien n’était pas passé loin du coup de pied au cul. La diplomatie dans le royaume de la prêtresse des enfers n’était pas non plus une solution. Et quant à prendre sur son dos les sanctions réservées à Dana ce n’était pas non plus une option pour Childéric.

« - Je ne ferais pas de commentaire sur ta première proposition, je pense que tu t’es rendu compte toi-même et de son absurdité. »

Commença-t-il sèchement avant de reprendre plus doucement cette fois.

« - Pour la diplomatie, c’est un exercice difficile, auquel je n’accorde pas beaucoup de confiance mais qui peut, malgré tout, nous êtres profitables. C’est ça qui a permis à Dana de rentrer en vie. Alors j’en parlerais avec Ryme, car c’est elle qui est réclamée comme ambassadrice et c’est elle qui devra donc faire face aux erreurs de Dana. »

Il se tût alors laissant le temps à Kaleb d’assimiler tout ça puis il reprit pour finir :

« - Et elle doit faire face aux conséquences de ses actes. Clairement, elle n’est pas prête. Si son pouvoir est celui d’un chevalier d’argent son comportement en est très loin. Elle n’est rien de plus qu’une aspirante. »

Un soupir de ponctuer sa réponse.

« - Mais je ne peux vraiment me passer de personne, à l’aube d’une bataille à venir et sans vraiment savoir. Mais après ça, il lui faudrait longtemps, très longtemps, avant de repartir en mission et encore plus pour qu'elle prétende à quelque responsabilité. Elle sera traitée comme une aspirante, même si elle possède une armure et peut-être que passer du temps parmi les aspirants lui fera du bien. Je l’ai entraîné tu sais, au Rêve, et une partie des problèmes, viennent de son caractère. Elle n’a pas compris sa place dans l’ordre des choses, le rôle qu’elle avait à tenir. Et bien entendu, j’aurais sûrement une liste de corvée considérable pour elle. »

Il se tut une nouvelle une seconde avant de reprendre :

« - Quant à toi et bien, je dirais que tu as eu le courage de faire face, là où d'autres ne l'ont pas eu et je serais bien plus tenté de m'occuper de ces derniers. »

«Je ne sais pas, Votre Excellence. Mais sans doute que la présence et le statut de Dana auraient simplifié les choses. Après tout, en Francie, nous étions deux étrangers. Quelles raisons auraient-ils eu de nous faire confiance ? »

L’analyse du chevalier de la Vierge n’était sensiblement pas la même que celle du premier représentant d’Athéna à priori. Pour autant, il n’avait pas la prétention ni la certitude d’avoir raison. Tout juste celle d’avoir une vision peut-être plus optimiste et moins désabusé. Naïf ? Peut-être.

Lorsqu’il évoqua les manques dans sa formation, le fait qu’il n’avait pas été préparé pour diriger, Childéric sembla balayer l’argument d’un revers de main, arguant que c’était la manière d’appréhender les échecs qui faisait un bon commandant. La Vierge resta circonspect quant à cette remarque. Quand bien même rien ne remplaçait l’expérience de terrain, il fallait au moins avoir un cadre, une philosophie sur laquelle s’appuyer, non ?

La remise en cause de son choix d’avoir pris une disciple crispa Kaleb. Etait-ce un choix de sa part ? Oui et non. Avait-il choisi la personnalité de Dana ? Certainement pas. Le Grand Pope remettait en question certains principes, certaines croyances qui étaient attachées à cette situation. Ce n’était pas quelque chose d’anodin pour l’Axoumite.

« Le Destin l’a mise sur mon chemin, Votre Excellence. Que vouliez-vous donc que je fasse ? Que je fuis mes responsabilités en confiant sa formation à un autre sous un quelconque prétexte ? J’ai fait ce qu’il me semblait juste. Ne venez-vous pas vous-même de dire que l’important était d’apprendre à surmonter ses échecs ? Ce qui est vrai pour le commandement doit l’être aussi pour la transmission, non ?»

Kaleb ne pensait pas avoir autant de points de divergence avec le vieux Lion. Il commençait à soupçonner ce dernier de chercher à le pousser dans ses retranchements. Il ne lui donnerait pas ce plaisir. Se souvenant de l’ire de Silas et de celle de Ryme lorsqu’il les avait rencontrés suite à une entrevue douloureuse, il se focalisa sur sa Lumière personnelle pour retrouver sa sérénité et aborder la suite de l’entretien. Puisqu’ils en étaient aux amabilités, Kaleb allait rentrer dans la danse.

« Je ne vous l’ai présenté que pour réaffirmer ma volonté d’avancer, Votre Excellence. Mais je conçois que ma formulation ait été obscure à une heure si matinale. Mes deux premières hypothèses sont celles que j’ai écarté d’office durant ma réflexion mais je voulais que mon cheminement puisse être clair et transparent…»

Kaleb prit une inspiration. Il n’était décidément pas d’accord avec Childéric.

« Si la Coupe l’a choisi, c’est que notre Déesse l’a sans doute jugée prête, ne vous en déplaise Votre Excellence. Que vous vouliez la priver temporairement de mission pour qu’elle s’aguerrisse ici, au Sanctuaire, qu’elle prenne le temps de comprendre notre fonctionnement est tout à fait logique. Cependant, la renvoyer chez les aspirants serait un message contre-productif envoyé à ces mêmes apprentis. En plus du danger qu’elle pourrait représenter pour eux, ayant un niveau largement supérieur au leur… »

Il fixa le grand Pope avec une détermination rare. C’était son rôle de maître de veiller sur son élève. Même si son caractère était certainement un écueil avec lequel il lui faudrait travailler. N’en avait-il fait les frais pas plus tard que la veille ?

« Laissez-moi plutôt compléter sa formation avec d’autres aspirants prometteurs et des chevaliers de bronze tels que Pégase ou l’Oiseau de Paradis dans le sixième temple. Peut-être est-ce de vivre avec certains de ses pairs, de créer du lien qui lui fait défaut ? Cela valoriserait et galvaniserait les aspirants choisis plutôt que d’humilier un chevalier d’argent, ne croyez-vous pas ?»

Childéric regarda Kaleb se débattre et discuter, plus face à sa propre personne que face au Pope. Mais il était intéressant de le voir ainsi évoluer dans sa propre rhétorique. Il avait au moins ce point commun avec sa disciple, les chiens ne font pas des chats et l’un comme l’autre ont la tête plus dure qu’une pierre. Mais il apprenait beaucoup de choses sur la façon de penser du sixième gardien à la façon qu’il avait de se défendre ainsi, d’une attaque qui n’avait pas été portée. Ce sujet lui tenait à coeur, trop peut être ? Mais il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, il aurait probablement réagi de la sorte s’il avait été question de Ryme.

« - Tu es celui qui a remis en question tout ça, Kaleb. Pas moi. Je n’ai fait que poser la question, puisque tu avais l’air de douter. Si je t’en pensais pas capable, je ne t’aurais pas laissé prendre de disciple. Tu doutes, pas moi. »

La suite arracha un hochement de sourcils surpris au vieux lion. Kaleb frôlait ici l’insolence. Ce qui changeait avec l’attitude très exaspérante de soumission dont il se paraît habituellement. Pour le reste, il est présomptueux de sa part de penser que les armures ne se trompent jamais, de même que la déesse. Elle juge les destinées, pas les formations. Porter l’armure ne veut pas dire être près. C’est une part du chemin, pas le chemin entier et Kaleb devrait aussi apprendre cette leçon. Inconsciemment, il porta sa main sur son ventre, où se trouver les trois marques parallèles de trident qui l’avait durement frappé au ventre pour qu’il retienne cette leçon. Oui, décidément, Kaleb était comme Dana :

« - Et je t’ai expliqué ce que moi, j’aurais fait de ces hypothèses. Il est important que nous nous comprenions l’un l’autre sur ça. »

Il écouta ensuite ce qu’il avait à dire sur la situation de Dana. Et quelques petits détails gênaient le Pope. Notamment celui qu’il avait d’absolument vouloir éviter de confronter Dana à ses responsabilités. Pourtant, ici il n’était pas question d’un petit échec, mais de la mort d’un homme. Un fait que Kaleb semblait avoir oublié. Il aurait pu concevoir ce genre de chose s’il n’était pas question de ce genre de conclusion tragique. Quand bien même le phénix trouverait un chemin de retour dans le monde des vivants… Passer par la Route Ténébreuse ne laissait jamais personne inchangée.

« - Et encore une fois, tu souhaites soustraire Dana à sa responsabilité. Un homme est mort à cause d’elle. Elle ne peut s’en sortir avec simplement ce qui aurait été son quotidien habituel. »

Il se tût alors, laissant le temps à Kaleb de se recentrer sur ce fait. Ce n’était pas par gaieté de coeur que le vieux lion devait prendre ce genre de décision.

« - Et je dirais que c’est plutôt elle qui aurait à apprendre des deux autres que l’inverse. Paros et Argus ont fait face à des situations bien plus délicates que Dana et en sont, eux, sorties avec les honneurs. »

Peut-être que Kaleb aurait aussi à apprendre d’eux. L’expérience ne connaissait pas les limites du rang.

« - Dana et Argus ont déjà commencé à s’entraîner ensemble et j’entends à ce qu’elle continue, quant à Paros, il n’a plus besoin de formation à vrai dire. »

L’idée de voir Paros donner des cours à Dana l’amusait au plus haut point ! Mais il conserva son sérieux.

« - Mais j’écoute ton avis, en tant que maître, Kaleb. Ta disciple a contribué à la mort d’un chevalier, que faire donc ? J’espère que tu comprends qu’il doit y avoir une sanction. Ce n’est pas évitable. »

«Alors il semblerait qu’il y ait méprise Votre Excellence. Je ne doute pas de mon rôle. Je reconnais juste que je n’ai pas réussi à guider ma disciple comme je l’aurai souhaité. Cela ne se reproduira pas…. »

Le début d’un dialogue de sourd ? Il fallait espérer que non. Kaleb avait décidé qu’il n’en démordrait pas. Que Dana apprenne de son erreur était une chose. Lui faire porter seule la responsabilité de la mort de Xanathos par une humiliation publique en était une autre. Une méthode à laquelle la Vierge ne pouvait adhérer.

« Vous vous méprenez également sur mes intentions, Grand Pope. Je ne souhaite pas la soustraire à ses responsabilités. Mais il ne faut pas pour autant mettre les morts sur un piédestal. Xanathos aurait pu la suivre dans sa fuite qui était avant tout stratégique. Un autre chevalier moins entêté l’aurait fait. Que la Coupe soit sanctionnée pour son manque de discernement et de solidarité dans une situation de crise est une chose. Qu’elle le soit pour avoir provoqué un incident diplomatique avec le Connaught, je ne peux qu’y souscrire. Mais la considérer comme principale responsable de la mort du Phénix… C’est une perte tragique. Cependant, lui aussi a fait des choix qui se sont avérés désastreux. Il a également manqué de discernement. Et le fait de l’avoir payé de sa vie n’efface pas ses actes pour autant… Il connaissait les risques. Et il les a ignoré…»

La Vierge tâchait de considérer les choses dans leur ensemble, sans complaisance. Dana avait eu le tort de protéger sa propre vie après avoir commis une erreur stratégique. C’était un fait. Mais n’était-ce pas ce qu’il lui avait appris ? Que la fuite était une option envisageable pour revenir plus fort ultérieurement. Que ce n’était pas la bataille qui comptait mais l’ensemble de la guerre ?

Quand Childéric expliqua que c’était sans doute à elle d’apprendre de Paros et d’Argus, Kaleb ne put qu’acquiescer. Il avait exprimé sa pensée précédente maladroitement mais c’était dans cette intention qu’il espérait l’accord du Grand Pope pour les réunir. Néanmoins, il fallait convenir que cela pourrait être un affront pour Pégase et l’Oiseau de Paradis d’être amenés dans une telle situation. Aussi le Gardien de la sixième demeure n’insista pas sur ce point.

Il venait de lui demander quelle sanction lui semblait la plus appropriée pour Dana ? Il avait quelques idées à soumettre.

« Peut-être l’envoyer accompagner Ryme au Connaught pour y présenter ses excuses et son repentir ? Lui intimer l’ordre d’organiser les rites funéraires en l’honneur de Xanathos pour rendre hommage à sa mémoire ? Lui donner des tâches à remplir auprès des membres du Cercle d’Or qui nécessitent de passer outre son caractère flamboyant ? Mais penser que l’humiliation peut être une manière de la faire rentrer dans le rang ou plier est une erreur stratégique, croyez-moi, Votre Excellence. Ce n’est pas par le rapport de force que vous obtiendrez quoi que ce soit d’elle. Et je suis certain que vous avez, avec votre expérience, des méthodes bien plus convaincantes… »

Une façon de faire comprendre que tout ne pouvait se gérer par la coercition. Et que l’humiliation semait la plupart du temps les graines de la soumission et de la rancœur. Du peu dont la Vierge pouvait juger des rapports interpersonnels du Pope avec ceux qui lui étaient proches, c’était loin d’être son point fort.

Le vieux lion adressa un signe de tête à Kaleb. Bien, vu l’étendue du désastre, il espérait que cela ne se reproduise plus. S’il pouvait passer l’éponge sur un fiasco du genre, après quelques sanctions, il ne pourrait pas le faire une deuxième fois. La suite le fit grimacer et il trouva même que la vierge, se revendiquant comme un sage, jouait ici avec les limites de l’hypocrisie. Il pouvait comprendre l’implication des liens personnels qu’il avait avec Dana. L’importance qu’elle avait pour lui, mais il devait être capable de faire la part des choses. Ce que Childéric avait fait dans ses propres relations, souvent à son propre détriment. Mais c’était parfois une nécessité, d’avoir une étrange forme d’objectivité. Il n’avait pas grand-chose à commenter, tant ce pamphlet était à charge pour celui qui ne pouvait pas se défendre. Le vieux lion se contenta alors de rappeler :

« - Et s’il n’avait pas payé de sa vie ses propres erreurs, il aurait été dans le même bateau que Dana. Il est mort, pas elle. Elle a enfreint bon nombres des règles de l’ordre. Ses erreurs ne peuvent pas être restées impunies avec des tapes sur les doigts et des cours particuliers. J’espère que tu le comprends. Ses actes doivent impliquer des conséquences. »

Et c’est maintenant qu’on touchait enfin au vif du sujet : les suggestions sérieuses de Kaleb. Il ne commenta rien sur le fond de sa première proposition, mais il trouvait l’idée de l’envoyer chez Mebd pour s’excuser bien plus humiliante que ce qu’il avait en tête. Mais il était hors de question de la mêlée de près ou de loin à cette mission. Le reste était un peu plus intéressant et il retiendrait cette idée, si jamais le phénix ne revenait pas parmi les vivants rapidement. Mais il constata sur Kaleb n’avait pas vu son point sur le passage chez les aspirants. Une sanction bien gentille au vu de ce qu’elle avait fait au final. Il se devait donc d’expliciter un peu plus son propos. Après tout, Kaleb non plus, n’avait pas vécu parmi les aspirants du Sanctuaire.

« - Hors de question qu'elle participe de près ou de loin à cette mission. Pour son apprentissage chez les aspirants, tu y vois humiliation, j’y vois de l’humilité. C’est peut-être ça qui lui manque au final. Reprendre les bases qui lui manque et suivre l’apprentissage que tous les chevaliers ont reçu tu trouves ça humiliant ? Ryme, ma propre disciple, est passé par là. Paros également et bien d’autres. Reprendre à zéro lui sera sûrement profitable. Elle n’a pas eu la chance de subir cet entraînement, parfois rigoureux mais formateur. Et je pense qu’il pourrait l’aider à grandir. À comprendre certains des choses qui peuvent lui manquer. Elle est encore jeune. Quel âge a-t-elle ? Quinze ans ? C’est encore une enfant. Mais nous vivons dans un luxe où les enfants n’ont pas le luxe de l’enfance à partir du moment où ils acceptent leur destin. Elle a certes une armure d’argent, mais elle n’a pas la formation d’un chevalier. »

Il laissa le temps à Kaleb d’assimiler son point de vue. Mais il n’était pas certain que la vierge ait justement la sagesse nécessaire pour prendre se recule. Il était chef de l’ordre et son devoir était de sanctionner la coupe. Il n’appréciait pas sa particulièrement. Mais c’était une nécessité militaire et disciplinaire. L’ordre était avant tout était une faction armée et devait se comporter en tant que tel.

« - Mais elle doit et sera puni pour ce qui s'est passé. Si Xanathos revient, il n'échappera pas à quelques corvées bien musclé. Je te rassure aussi, puisque tu trouves qu'il est placé sur un piédestal . »

Le ton du vieux lion était cette fois plus amusé.

«Je comprends…»

Que pouvait-il ajouter de plus ? Kaleb avait tenté de défendre son point de vue avec les éléments qu’il avait. Ceux que Dana avait bien voulu lui donner en l’occurrence. Sans doute le Grand Pope avait-il une vision moins parcellaire que la sienne et qui expliquait son positionnement ?

Sans doute. Pour autant, la Vierge avait fait un serment. Celui de protéger ceux dont il avait la responsabilité. Et cela incluait la Coupe aussi bien que son intendante, son aide de camp ou encore les serviteurs qui œuvraient dans sa maison. Cela avait-il échappé au premier représentant d’Athéna ? Peut-être. Kaleb sentait une tension s’installer. Et ce n’était pas son objectif. Cela n’irait ni dans l’intérêt personnel de quiconque se trouvait autour de cette table, ni dans l’intérêt général du Domaine Sacré. Aussi entreprit-il d’apaiser les choses en explicitant clairement son ressenti. Il ne voulait pas sombrer dans la mauvaise foi et l’hypocrisie.

« Je suis désolé si je semble tenir tête à Votre Excellence. Je sais que la décision vous reviendra quoi qu’il arrive et je l’accepterais. Mais j’ai promis à son Clan, à ses parents, de veiller sur elle. Et je n’ai pas su anticiper l’incompatibilité d’humeur entre elle et Xanathos. Je me sens responsable comme je vous l’ai déjà dit. C’est moi qui l’ai mis dans les conditions propices à son erreur… »

Quand il remit sur le tapis l’envie de l’envoyer parmi les aspirants, la Vierge prit le temps, cette fois-ci, de considérer la chose avec davantage de recul. Les propos de Childéric étaient loin d’être dénués de sens et d’intérêt. L’humilité… Lui-même n’en avait-il pas manqué en pensant que ses choix stratégiques seraient les bons et en ne voyant pas les tensions qui pouvaient exister entre sa disciple et le Phénix ? Peut-être n’avait-il pas su lui inculquer les bases que lui-même n’avait pas reçues. Après tout, elle comme lui avaient grandi loin du Sanctuaire et de leurs frères d’armes. La seule différence était qu’il avait été formé jeune par un chevalier. Dana était déjà une femme. N’en déplaise au Pope. Cependant, elle avait encore des réactions infantiles. Comme cet entêtement qui la poussait à se moquer aussi bien de l’avis des autres que des convenances. Quitte à tout jeter aux orties, y compris ce que pouvaient lui dire ceux qui cherchaient à l’aider. Sur ce point, elle devrait progresser. La coopération n’était pas une option au sein du Domaine Sacré. C’était un devoir. Et ça, ni Xanathos, ni elle ne l’avaient vraisemblablement compris.

« C’est une jeune femme votre Excellence… A son âge, bon nombre de dormeuses sont mariées et mères de famille… Mais je comprends ce que vous voulez dire. Je n’ai pu lui transmettre ces choses, ayant moi-même grandit seul avec mon maître, loin du Sanctuaire. Même lorsqu’Eunoia m’a envoyé ici, je suis resté à l’écart… Peut-être est-ce une partie de la solution pour l’aider. J’espère juste que cela ne génèrera pas plus de problèmes qu’il n’en existe déjà. Si votre décision est réellement de l’envoyer dans les baraquements, permettez juste que mon aide de camp se joigne à elle pour l’aider à trouver ses repères et que l’armure de la Coupe reste sous ma garde sur l’Autel du Paradis… »

Childéric se souvenait-il de la cécité de la jeune femme ? Probablement. Kaleb voulait aussi profiter de l’occasion pour qu’Eireen puisse recevoir cette formation qu’il semblait, à priori, incapable de dispenser. Peut-être devrait-il, à l’avenir, choisir ses apprentis parmi ses jeunes gens qui s’entraînaient en contrebas ? Après tout, ceux qui ne parvenaient pas à devenir chevaliers et survivaient néanmoins devenaient garde ou serviteurs au sein du Domaine Sacré. Le lien serait donc toujours là.

Mais comprenait-il vraiment ? Le vieux lion n’en était pas certain. À vrai dire, à la place de Kaleb, il n’aurait pas vraiment compris lui. Il avait été une forte tête à son époque, bien qu’il y eut pire que lui. Mais on ne saisit vraiment les nécessités du commandement que quand on y est confronté. La disciple et l’ordre doivent régner parmi les chevaliers. Si tout ça venait à voler en éclats ce sont les chances de victoire des armées byzantines qui se briseraient également. Le Rêve d’Athéna, leur rêve à tous, n’aurait aucune chance de se réaliser. Il n’était pas content de sanctionner ses chevaliers mais parfois, il est nécessaire de les confronter à leurs actes et à leurs décisions. Il laissait suffisamment de seconde chance, trop peut être même parfois. Alors Childéric adressa un simple signe de tête et un sourire au sixième gardien.

La seconde réplique de la vierge montra qu’enfin, il mettait un peu d’eau dans son vin et Childéric comprenait bien la façon qu’il avait de se comporter de la sorte. Mais remplissait-il fatalement la promesse qu’il avait faite à la famille de Dana en l’empêchant ainsi d’évoluer ? Le vieux lion n’en était pas certain, mais c’était toujours plus facile avec le recule qui était le sien dans cette histoire. Mais il n’était pas le seul responsable de cette affaire. Childéric était celui qui avait mis Xanathos dans la boucle. Après tout, l’ancien phénix était le seul chevalier encore en exercice à avoir pu voir la prêtresse de près il était normal qu’il participe à cette mission. Mais l’un comme l’autre n’aurait pas dû être envoyé seul. Ils ne sont pas faits pour partir seul en mission, mais il est difficile de le savoir avant d’y être confronté.

« - Tu n’es pas le seul à avoir participé à ça. J’ai mis Xanathos dans la boucle. Silas aussi, aurait pu y penser. Mais un chevalier de bronze très expérimenté et une guerrière d’argent aurait du et savoir mener à bien ce genre de mission. Du moins sans avoir causé autant de chaos. »

Childéric se tut un instant, le temps pour Kaleb d’assimiler tout ça. Puis, il reprit brièvement :

« - Pour le reste… les sanctions sont parfois nécessaires et à trop protéger quelqu’un, on finit par lui causer plus de problèmes. Il faut parfois apprendre à serrer les dents. »

C’était parfois le rôle d’un maître, comme d’un parent d’être celui qui punis. Les actes ont des conséquences et c’est une dure réalité qu’il faut enseigner. Une réalité qui peut être faite sans violence, contrairement à ce qu’avait subit Childéric et sa légion de cicatrices en témoignait. Ses actes avaient tous eu de lourdes conséquences lors de sa formation.

« - Oui, son âge est celui d’une jeune mais son comportement est souvent celui d’une enfant... »

Mais au moins, le sixième gardien comprenait au final l’objectif qu’avait Childéric derrière cette possible sanction. Il n’était encore sur de rien, mais c’était une des idées qu’il privilégiait pour le moment.

« - Je n’ai encore rien décidé à vrai dire. Je dois trouver quelque chose à la mesure de l’erreur. »

Et ce n’était pas une mince affaire.

« - Bien, maintenant, si tu n’as rien à rajouté, deux options pour toi. Soit ton estomac est suffisamment dénoué et tu prends ton petit déjeuné avec moi soit tu es libre de te retirer. Je pense que nous avons fait le tour de la question. »

Et cette fois, c’est le puissant rire rugissement de Childéric qui vient ponctuer sa dernière réplique.

Le Grand Pope semblait reconnaître sa part de responsabilité dans cette affaire. Il était vrai qu’il était celui qui avait suggéré d’intégrer Xanathos. Néanmoins, au même titre que les deux chevaliers d’or, il n’avait pas pu prévoir les mésententes entre la Coupe et le Phénix qui avaient mené à ce fiasco.

Las, il était trop tard pour avoir des regrets. Ce qui était fait était fait. Et il était vrai que cette mission avait été largement à leur portée. Dana n’échapperait pas à la sanction. Quelle qu’elle soit. Kaleb avait tendance à oublier qu’ils étaient une armée. Et que, comme dans toute armée, la discipline était de mise. Mais il ne renoncerait pas à faire valoir son point de vue pour autant.

« Oui, les sanctions restent nécessaire, je suis d’accord. Le tout étant, comme vous l’avez dit Votre Excellence, qu’elles permettent d’apprendre de ses erreurs et de progresser… »

Il ne croyait pas à la sanction bête et méchante. Un échec n’était-il pas l’occasion d’apprendre ? Il en demeurait persuadé. Parce qu’il croyait profondément en la capacité de l’être humain à tendre vers la bienveillance. Et qu’il n’y avait pas toujours besoin du bâton pour l’y mener.

Lorsque le Grand Pope lui proposa à nouveau de partager son petit déjeuner, Kaleb déclina à nouveau poliment l’invitation. Il lui fallait retourner au temple. La journée venait seulement de commencer mais il préférait prendre son premier repas avec Kalia afin de visualiser les missions de la journée et de programmer les actions des jours à venir.

Le chevalier de la Vierge se leva donc et s’inclina respectueusement devant la Voie d’Athéna.

« Je vous remercie Grand Pope mais les impératifs de ma maison m’appellent. J’ai demandé à mon intendante de repousser notre entretien matinal quotidien. Je ne voudrais pas la faire attendre outre mesure. Prendre son petit déjeuner en retard la met de fort mauvaise humeur… »

Il esquissa un sourire amusé. Une manière supplémentaire de montrer l’importance qu’il portait au respect des membres de sa « maison ». Il porta une dernière fois la main à sa poitrine avant de faire demi-tour et de sortir de la Grande Salle.