[Fin Mai 553] Un vieux compagnon sur le retour

La bataille était terminée, mais la guerre, elle, était loin d’être véritablement achevée. Avec le recule, cette bataille des citadelles n’était pas plus une victoire qu’une défaite. Mais un déplacement du statuquo. La prochaine épreuve aurait lieu sur le Danube et nous pourrons alors résister là de toute notre force. Pour le reste… et bien, c’était entre les mains du destin. Après l’affrontement, le service aux morts avait été rendu. Ça avait été le cas pour les dormeurs. Il avait demandé à ce qu’on attende un peu pour les éveillés. De ce côté-là, les pertes étaient réduites. Seul Silas manquait à l’appel… hélas. Dire que les deux amis n’auraient peut-être pas l’occasion de régler leur différent et qu’ils seraient amenés à se quitter comme ça. Cette pensée peina le vieux lion. Il avait déjà laissé derrière lui trop de deuil incomplet. Il recevait dans sa salle d’audience un groupe d’officier pour régler quelques détails sur la préparation des nouvelles lignes de défense quand quelque chose attira son attention.

Visiblement il y avait du grabuge du côté de l’entrée et le vieux lion leva la tête. Il n’eut pas longtemps à attendre avant de voir ce qui était à l'origine de tout ça. Le chevalier d’or des gémeaux fit son entrée. Childéric finit bouche bée. Non pas qu’il n’était pas préparé à revoir Silas. À vrai dire il l’espérait vraiment. Il s’était juste attendu à ce que tout ça se passe dans de meilleures conditions. Il lui fallut néanmoins une demi-seconde pour agir et se fut visiblement assez longtemps pour les jambes du troisième gardien la trahisse et qu’il ne finisse par poser les mains sur le sol. Celui qui fût lion se mit alors en mouvement et congédia d’abord les officiers avec qui il s’entretenait. Et se dirigea vers son ami pour l’aider à se relever.

« - Ne t’inquiète pas pour les citadelles, occupons-nous de toi plutôt. »

Il passa alors son bras sous l’épaule de Silas et l’aida à se relever. Il traîna le poids mort du chevalier d’or vers les marches qui menaient au trône du Pope et l’installa. Des serviteurs, curieux et inquiet était venu voir ce qu’il se passait ici. Childéric saisit l’opportunité et demanda qu’on amène un siège pour son compagnon d’armes et de quoi lui permettre de boire. De l’eau, il protesterait sûrement, mais s’il trouvait la force de réclamer du vin c’est que tout n’était pas terminé. L’ancien chevalier d’or fut néanmoins choqué par l’impression de froid qui se dégageait de Silas presque… non, comme un cadavre.

« - Putain… qu’est-ce que je suis content de revoir tête de con ! »

L’émotion l’étranglait un peu. Oh, il y a quelques semaines de cela, il avait vu revenir d’entre les morts le chevalier d’or du phénix. Qui n’était pas le premier à avoir accompli un tel miracle dans les rangs des chevaliers sacrés. Mais difficile voire même impossible de savoir si ce genre de prouesse était dans l’ordre de la nature des choses ou simplement exploit de la part d’une âme puissante. Combien de guerriers étaient morts sans jamais revenir ? Mais Silas était là devant-lui… Les serviteurs finirent par arriver et ils aidèrent le vieux lion à installer le troisième gardien sur un siège plus confortable que les marches du trône du Pope.

« - Comment tu te sens alors ? »

Et dans la voix de Childéric une sincère et profonde inquiétude chargé de considération pour celui qui était son ami le plus proche !

Si Silas avait encore la force de faire de l’humour, douteux qui plus est, c’est ce que le pire était sûrement derrière lui. Même s’il était fort mal en point et que son état était passablement inquiétant… L’eau semblait l’aider à aller un peu mieux. Il semblait présenter les symptômes d’un épuisement extrême. Sûrement du corps mais pas seulement. Les rapports qu’il avait eus du combat contre Zvezdant faisaient état d’une lutte violente. Et c’était à prévoir avec un adversaire pareil. Peu sont ceux capable de tenir tête à la voix d’Arès, moins encore ceux capable de le vaincre. Et la réponse de Silas a cette question qui semblait déplacé compte tenu de son état visible, mais néanmoins nécessaire pour obtenir des précisions, vient accomplir son office. Oui, il semblait que son âme elle-même était épuisé. Difficile de se remettre d’un voyage dans le monde des morts comme si de rien n’était.

Xanathos avait semblé moins affecté quand il était revenu. Mais il avait mis beaucoup de temps pour revenir au Sanctuaire et peut-être que son état était similaire lorsqu’il avait rejoint le monde des vivants. Difficile de ce servir du phénix comme exemple, vu sa proximité avec la mort… Manger pourrait l’aider aussi et le vieux lion encouragea sa demande au serviteur chargé d’amener de l’eau d’un signe de tête et ces derniers ne tarderaient pas à ramener de quoi nourrir le troisième gardien et repartir aussi sec. Et une fois qu’ils furent seuls, le byzantin commença alors le récit de ses mortelles péripéties.

D’abord son fameux combat contre le pontife de la guerre. Pour le reste… son sacrifice n’était pas vain, mais il est difficile de cacher le camouflé qu’était cette défaite. C’était la percée qui permettait aux guerriers d’Arès de peser sur les autres Citadelles.

« - Dana a pu récupérer certains civils oui, tu lui as offert du temps et certains de tes hommes ont pu se replier. »

Silas aurait les détails bien assez tôt de toute façon. Mais son histoire ne s’arrêta pas là et c’est cette partie qu’il ne connaissait pas que le vieux lion voulait entendre. Il semblait donc avoir été pigé par un spectre, lui proposant deux alternatives. Se retrouver face au Sombre Monarque, chose pourtant impossible. Ce dernier ne devait pas s’incarner avant plusieurs décennies. La conclusion échappait un peu à Childéric par contre.

« - Ne me dit pas que tu es arrivé devant elle pendant qu’elle prenait son bain ? »

Car c’était bien le genre de chose que le vieux lion pensait avoir compris. Il étouffa un début de rire-rugissement imaginant la tête de la sombre prêtresse en voyant Silas, mal en point et perdu, débarqué comme ça devant elle. Mais il retrouva vite son sérieux.

« - Ce spectre t’a donné son nom ? C’est important car parmi eux il se peut que… certains soient nos alliés maintenant. »

La harpie… oui, elle faisait sûrement partie des spectres qui luttaient sous les couleurs d’Hypnos, du moins d’après les informations que lui avait transmis le juge des enfers durant la bataille. Pour le reste, il avait bientôt rendez-vous avec la mort et il en saurait sûrement plus à ce moment-là. En tout cas, il garda le nom en tête et saurait poser les bonnes questions au bon moment. Le trait d’humour du vieux lion avait au moins le mérite de faire sourire Silas et si ce dernier avait encore assez de sang pour penser avec ce qu’il avait sous la ceinture, c’est que définitivement, il était tiré d’affaire et n’aurait besoin que de temps pour se refaire. Le Pope aurait plutôt employé heureusement, car si la reine sorcière avait preuve de mansuétude en laissant le troisième gardien repartir de sa salle à mangé, il en aurait sûrement été tout à fait différemment dans sa salle de bain.

« - Évite nous les incidents diplomatiques s’il te plaît… Je me vois mal négocier avec elle en lui expliquant que tu n’as pas fait exprès de venir la déranger son intimité. »

Il pouvait comprendre la surprise de Silas. Et s’il ne l’avait pas vécu et bien, il ne l’aurait pas cru lui-même. Mais les spectres, ou du moins, une partie de ces derniers avaient aidé le Sanctuaire dans cette bataille et seraient sûrement une force sur laquelle l’Empire pourrait se reposer à l’avenir, si du moins, les négociations aboutissent.

« - Oui… Pour te la faire courte, il y a une division entre eux. Certains suivent Hypnos, d’autres son frère. Et Thanatos semble vouloir s’allier avec le Sanctuaire, pour s’opposer à son frère qui est l’allié du Dédale. J’ai reçu l’aide de Rhadamanthys en personne… et d’autres spectres nous ont bien aidé. Xanathos doit la vie au Basilic et Dana au papillon. »

Childéric soupira alors profondément avant de reprendre :

« - Athéna et moi devons le rencontrer dans quelques jours, nous verrons définitivement ce qu’il en est alors. Mais ils offrent une balance dont nous ne pouvons pas nous passer. »

Et Silas devait avaler cette réalité comme il avait dû le faire lui-même dans le feu de l’action. Mais cette alliance était nécessaire et une bonne solution, au final, pour le Sanctuaire. Reste à savoir ce qui découlerait de sa rencontre avec le dieu de la mort… Et enfin, le troisième gardien lui raconta son entrevue avec la reine sorcière. Elle semble donc toujours dans cette démarche diplomatique, commencée à Camelot et confirmée ici. L’incident causé par Dana ne semblait pas avoir entamé sa volonté. Le Pope ne partageait pas les avis de Silas. La Sorcière était la prêtresse d’Hades. Malgré tout ce qu’elle voulait dire ou faire, cela ne changerait pas, du moins, pas tant que le Sombre Monarque ne se serait éveillé et aurait émis le souhait de changer de prêtresse. Il devait cependant savoir dans quel camp elle se trouvait dans la danse des dieux jumeaux. C’est sûrement ça qui faisait changer la donner. Childéric lu rapidement la missive.

« - Rien de particulier, c’est une invitation officielle et protocolaire pour l’ambassade qu’elle entend recevoir de notre part. Elle demande toujours Ryme. »

« - Et moi donc... »

Lâcha simplement Childéric en réponse à Silas. Cette alliance avec une faction parmi les Spectres était, en effet, on ne peut plus inattendu. Presque trop belle pour être vraie. Mais on ne crache pas dans la soupe qu’on nous tend et le Sanctuaire en avait trop besoin pour l’ignorer par principe. Sûrement un jeu de dupes auquel Athéna et Thanatos vont jouer à travers leurs éveillés mais… au moins, l’Empire aurait peut-être l’occasion d’enfin se consolider, pour se préparer aux attaques à venir. Rien n’est plus fragile qu’un imposant géant au pied d’agrile. Des fondations friables peuvent tenir longtemps, mais dès qu’elles s’écroulent il n’y a plus rien à sauver. La réplique suivante du troisième gardien arracha un puissant rire-rugissement à Childéric.

« - Bien évidemment ! Elle s’est tapé la moitié des marches exprès pour ça ! »

La suite pris quelque peu Childéric de court et ses yeux s’ouvrirent et se fermèrent rapidement dans le vide quelques fois. La mort semblait avoir apporté un peu de sagesse à Silas ou bien simplement que dans son étreinte glacée, il s’était rendu compte de la futilité de certaines choses. Un peu des deux, sûrement. Le vieux lion pouvait comprendre aussi la blessure que ces mensonges avaient engendrée à son ami. Mais il n’était pas question de lui ici et Silas semblait l’avoir compris ici. Childéric lui répondit alors par un franc sourire, chargé de toute l’amitié qu’il portait malgré son sale caractère au troisième gardien et un hochement de tête qui suivit une puissante tape sur l’épaule.

La suite par contre, le fit s’assombrir un peu. L’idée de voir les forces du Sanctuaire, ses propres forces, tourner près de la famille d’adoption de son fils ne lui plaisait guère, mais il ne pouvait s’opposer aux choix des étoiles et de la déesse. Il aurait aimé épargné tout ça à la sœur de Silas, après l’énorme service qu’elle lui avait rendu. Mais c’était une affaire de famille, celle-là. Alors… Le vieux lion garda le silence quelques battements de cœur et fit quelques pas dans la vide. Il finit par se retourner vers Silas et lui répondre :

« - Ta sœur en sait plus que tu ne le penses. »

Un sourire amusé se dessina alors sur le visage du vieux lion mais il mourut assez vite.

« - Si elle est d’accord pour que son fils nous rejoigne, je ne vois aucune raison de m’y opposer. Mais la décision lui appartient au final, plus qu’à toi. Tant que mon propre fils reste éloigné de notre monde... »

Pourtant… pourtant si comme lui et son épouse le pensait, il avait des dons et possiblement des dons puissants. Après tout, le sang joue parfois pour beaucoup de choses dans l’éveil. Et ses deux parents n’étaient pas les derniers de ce point de vue là. Le pouvoir de Childéric semblait croître sans vraiment connaître de limites, plus rapidement encore que quand il portait l’or. Quant à Nimue, elle n’avait jamais été aussi puissante que maintenant. Alors que deviendrait leur fils ? Mais Athéna le lui avait promis et il comptait sur elle pour tout ça. Et maintenant, et bien, il devait compter sur Silas… L’espace d’un instant il réfléchit et savait qu’il faisait entièrement confiance à cette tête de con. Il espérait ne pas se tromper…

Le destin de guerrier sacré était peu enviable en vérité. Et le vieux avait le cul entre deux chaises dans cette histoire. En tant que voix d’Athéna, il était de son devoir de guider et recruter le plus de chevalier possible, en tant qu’homme, il ne souhaitait de vivre ce qu’il avait lui-même vécu à personne. Pourtant, le choix ne lui appartenait plus ou plutôt, il l’avait déjà fait il y a longtemps pour protéger son fils de cette vie. Une vie où l’existence ne tient qu’à un fil et où la mort est plus présente que la vie. S’il le pouvait, il épargnerait cette fatalité au frère juré de son propre enfant mais il l’avait dit lui-même, ce n’était pas sa décision à prendre. Et s’il avait posé ses conditions à Silas, il les suivrait aussi. Mère et fils seraient ceux qui choisiraient. Un consentement que peu serviteur divin ont eu le luxe d’exprimer ou de refuser.

« - Je fais confiance à ta sœur pour s’occuper de ça oui. Et je gage de pouvoir sans mal lui trouver un poste dans l’appareil impérial sans mal pour l’éloigner plus encore de tout ça. »

Childéric savait comme la chose militaire pouvait être tante pour un jeune garçon et bon sang ne saurait mentir… Il était son fils et celui de Nimue, alors le petit a sûrement l’aventure vissé au corps. Qu’est-ce que la paternité pouvait être difficile… Alors même qu’il avait dû y renoncer pour protéger son fils du mieux qu’il ne pouvait. Le protéger de son propre monde et de lui-même, au détriment de son existence. Un soupir quitta alors les lèvres du vieux lion. Chargé de toute la fatigue qui encombrait son âme et son esprit. Et elle était lourde, très lourde. Plus encore que celle qui pouvait accablait les corps. La remarque suivante de Silas changea le ton et après qu’il eut terminé, c’est un rire puissant que Childéric lui livra.

« - Si ça peut t’aider à reprendre des couleurs, je pense que tu as largement mérité un peu de repos oui. Mais ne tarde pas trop, les vacances que tu t’es déjà octroyées avant en Francie pèse sur ta note. Juste le temps de prendre un peu le soleil et d’arrêter d’être pâle comme le cul d’une nordique ! »

Retrouver l’amitié qu’il avait avec le troisième gardien soulagea le vieux sans vraiment qu’il ne s’en rende compte. Mais quand il plaisantait de la sorte, il comprit. Un petit sourire en coin de se dessiner alors sur son visage après qu’il eut lâché un nouveau puissant rugissement de rire.

« - Tu bois trop Silas ! »

Conclut-il alors sur le même ton de l’ humour. Il avait retrouvé son ami après avoir cru le perdre deux fois. La vie tient vraiment à peu de chose…