[Début Avril 553] The Age of Aquarius [PV Kilian][Terminé]

Qu’il était bon de rentrer à la maison. Même si l’absence avait été de courte durée. Kaleb avait retrouvé avec joie Kalia et Eireen. Il avait pu constater avec soulagement que les travaux dans la demeure de la Vierge avait accéléré à vitesse grand v pendant son absence sous la férule de son intendante qui avait gérer le chantier avec maestria, d’une main de fer dans un gant de velours.

Si bien que quand il redescendit du temple d’Athéna après que le portail les ait ramenés à bon port, la partie privée du temple était déjà fonctionnelle et qu’il ne restait plus que quelques finitions dans les bureaux et l’alcôve de la bibliothèque. Mais le reste du temple était fonctionnel si bien que la Vierge put installer Dana dans ses nouveaux appartements.

Une fois les présentations faites, le chevalier d’or laissa la jeune femme faire connaissance avec l’aide de camp dont il lui avait si souvent parlé ces derniers jours. Il espérait qu’entre ces deux-là, une amitié pourrait se tisser. Il était bon de se sentir entouré.

Le soleil se couchait sur le Sanctuaire. Assis comme à son habitude sur les marches de l’entrée de son temple, le chaman laissait ses pensées vagabonder sur l’intensité de cette délégation en terres Ligure. L’alliance avec le royaume de Logres était-elle une si bonne affaire que ça pour les serviteurs d’Athéna ? Rien n’était moins sûr aux vues des incidents qui avaient émaillé les festivités et du manque de réactivité du pouvoir. Il n’y avait plus qu’à espérer que l’ancien chevalier du Capricorne remédierait rapidement aux errances de ses ouailles en mettant de l’ordre là où les forces du royaume avaient présenté des failles.

Il en était à ces considérations en dégustant une décoction d’herbes lorsque des pas se firent entendre derrière lui. Sans même se retourner, Kaleb apostropha l'homme qui se rapprochait de lui. Il n'avait nul besoin de le regarder. Sa lumière personnelle irradiait jusque là et il l'avait déjà perçue non loin de lui durant le sacre d'Artorius.

«Te voilà bien loin de ton temple… Descendrais-tu à Rodorio pour t’encanailler dans une taverne ? Ou est-ce juste une visite de courtoisie… Kilian du Verseau ? »

Visite

Enfin de retour au Sanctuaire.
L'aventure à Camelot avait été riche en émotions, mais également en problèmes divers.
La malédiction d'Athéna continuait à malmener mon corps et mon esprit, mais de façon plus légère. Comme si l'un des maux s'était envolé. Et je n'allais certes pas m'en plaindre.
Ma nouvelle relation avec Childéric et ce rapprochement fraternel était l'une des plus grandes satisfactions de ce séjour, ainsi que la réussite de ma mission pour affaiblir Mebd.
Bref, j'étais tout de même heureux et soulagé de retrouver le froid de ma demeure.
Sans perdre de temps à me reposer ou à me perdre dans des pensées contemplatives, j'avais rapidement remis en ordre mon laboratoire. Ou du moins ce qu'il en restait.
Ce nouveau refuge ne pouvait soutenir la comparaison avec l'ancien, mais après la visite d'Hermès je me voyais mal reproduire les mêmes erreurs. Aussi, je concentrais la reconstruction sur un établi d'herboristerie, afin de procéder à la réalisation de potions basiques mais indispensables à mes frères et soeurs d'armes. Et je constatais rapidement une carence en plusieurs herbes médicinales. J'avais épuisé les stocks dans la préparation pour Camelot, et l'une de mes premières tâches devait être de les re fournir.
L'occasion idéale de descendre à Rodorio, afin de prendre un peu de bon temps, de deviser avec les protégés du Sanctuaire, de me poser pour observer leur quotidien, prendre un repas dans une auberge.
Bref, retrouver les plaisirs de la civilisation locale, qui m'avait manqué.
J'entamais donc la descente des douze maisons, curieux de savoir si j'allais croiser la route de certains de mes pairs.
Et la réponse fut rapide, lorsque je parvins à la maison de la Vierge.
J'avais entendu des rumeurs selon lesquelles Aegis avait quitté notre ordre, pour laisser place à un nouveau protecteur du sixième temple. Nous nous étions croisé de loin lors du sacre d'Artorius, mais sans trouver l'occasion de discuter. Et justement, cet inconnu m'apostropha dès mon arrivée, sans même se retourner. Mon aura glaciale pouvait difficilement être confondue avec celle d'un autre chevalier d'or. Mais je fus étonné, et pas en mal, qu'il connaisse mon nom.

Je suis plus du genre à me poser sur le rebord d'une fontaine pour observer qu'à m'enivrer dans une taverne. L'alcool et moi ne faisons pas bon ménage.

Un sourire amical posé sur mon visage encore fatigué, je m'approchais du maitre des lieux afin de le saluer, d'un hochement de tête.

Mes réserves d'herbes médicinales sont épuisées. Je partais donc les renouveler. Notre voyage à Camelot a eu raison de toutes les décoctions que j'avais préparé, au cas où.

Et justement, mon odorat capta la senteur émanant de la boisson de la Vierge. Un connaisseur ?

«Et bien nous devrions pouvoir trouver un terrain d’entente alors. J’aime autant m’enivrer que de déguster une décoction de plantes devant un soleil couchant. L’important étant de le faire en bonne compagnie… »

Ainsi la rumeur disait vrai… Dans le Sanctuaire, parmi les serviteurs, les ragots allaient bon train sur le chevalier du Verseau. On le disait herboriste. Mais on racontait aussi que son temple renfermait un étrange laboratoire. Kaleb s’était promis d’éclaircir ce mystère et de discuter à l’occasion avec son frère d’arme autour de ses activités. Peut-être pourrait-il en tirer quelques enseignements intéressants.

Mais il convenait avant tout d’effectuer une invitation en bonne et due forme. Après tout, le chevalier d’or était censé lui demander l’autorisation de passage. Censé seulement. Car dans les faits, les uns et les autres avaient bien souvent d’autres tâches à effectuer que de valider le passage de leurs pairs. En revanche, l’hospitalité était une valeur sur laquelle la Vierge était particulièrement à cheval. Il y tenait comme à un principe cardinal.

«Oh ? Tu utilises des herbes médicinales ? C’est intéressant. Mon maître m’a enseigné les rudiments de leur utilisation. Je n’ai pas la prétention d’être un expert. Néanmoins, je sais effectuer quelques onguents basiques pour les plaies et les bosses mineurs Pour les insomnies et le regain d’énergie également. D’où mon infusion de ce soir… »

Il fallait dire que le séjour à Camelot avait largement puisé dans les réserves. Même sans combats, les tensions dont le sixième gardien avait été témoin et les interrogations qui demeuraient en suspend l’avaient fatiguées.

«Puis-je t’en offrir une tasse ou es-tu pressé ? J’avoue que je profite du calme après la cohue dans la cité des Ligures… Mais le faire en compagnie d’un frère d’arme serait la bienvenue… »

Il lui adressa un large sourire et se décala ce qui laissait le gardien du onzième temple libre de son choix : passer ou s’asseoir à ses côtés.

Approche

Le nouveau chevalier d’or de la vierge était un homme avenant et doté d’un sens de l’hospitalité appréciable. Une tout autre personnalité que le sentencieux Aegis, son prédécesseur…
Aussi, je me décidais rapidement à accepter son invitation, en venant prendre place à ses côtés.

Je ne serais pas contre une pause, en effet… Nous ne sommes restés que quelques jours à Camelot, mais j’ai l’impression que ce voyage a duré un siècle…

Les évènements s’étaient enchaînés à une vitesse folle, pour le pire autant que pour le meilleur. Et je devais bien admettre que mon corps et mes pauvres nerfs commençaient à atteindre les limites de leur endurance. Ce moment de paix était donc le bienvenue.

Nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de nous croiser depuis que tu as revêtu l’armure d’or de la Vierge. Cela fait toujours plaisir de savoir qu’un nouveau frère d’arme a rejoint nos rangs.

Le regard perdu dans le lointain, je laissais échapper un sourire d’aise. Dieu que cette vue était belle… Le monde recelait bien des merveilles, mais le Sanctuaire possédait une aura, une atmosphère unique.
Machinalement, je jetais un œil à la mixture dont se régalait le sixième gardien, tout en analysant les effluves qui parvenaient jusqu’à moi.

Je suis alchimiste, plus précisément, et médecin. J’ai passé de longues années à mener des expériences, à affiner mes connaissances, donc je m’y connais un peu, en effet. Mais de ce que je constate, ton propre savoir est d’un très bon niveau.

Et j’adressais un léger sourire à mon homologue. Le mélange semblait posséder une bonne texture, et l’odeur indiquait une décoction équilibrée.

Tu as suivi ta formation au Sanctuaire ?

Pour avoir gardé un oeil sur les novices, ces dernières années, le visage de ce chevalier m’était inconnu. Mais peut-être s’était-il fait tout simplement discret parmi les nombreuses jeunes pousses dont s’occupaient nos instructeurs.

«Ce n’est pas moi qui te dirait le contraire… J’ai eu l’impression que la densité de ce que nous y avons vécu nous a apporté une expérience comparable à nulle autre. Comme si nous avions mené une guerre sans combats… »

Tout du moins sans verser le sang ou utiliser leur cosmos. Une guerre psychologique. Une tension diplomatique qui avait mis le mental et les nerfs à rude épreuve. Avec un résultat sur lequel Kaleb n’avait, pour le moment, que peu de visibilité.

Tout moment de répit était, de facto, le bienvenu. Surtout s’il permettait de resserrer les liens au sein du cercle d’or. Il était vrai que la Vierge et le Verseau n’avaient pas encore eu l’occasion de se croiser.

«Je pense que tu devais effectivement être en mission lorsque l’armure m’a choisi et quand j’ai prêté serment devant le Grand Pope. Ensuite, je suis directement entré dans le feu de l’action pour aller réparer les erreurs de Narsès puis à Camelot… J’avoue que je n’ai pas eu vraiment le temps de me poser. Néanmoins j’ai quand même eu l’occasion de rencontrer certains de nos frères et sœurs d’arme. Je crois qu’il ne reste guère que le Scorpion et toi que je n’avais pas croisé…»

Un constat. Les rencontres avaient été bien évidemment d’une qualité inégale. On ne pouvait s’entendre avec tout le monde. Des liens s’étaient tissés de manière quasi instantanée avec Silas. Pour les autres, il ne se prononçait pas encore. Cela avait été trop court et pas assez approfondi pour pouvoir se prononcer plus avant. Il était trop tôt pour savoir ce que cela donnerait avec Kilian. Mais ce qu’il apprit à son homologue de la sixième maison éveilla sa curiosité plus avant.

«Un alchimiste et un médecin ? Intéressant. Quel genre d’alchimie pratiques-tu ? Le genre à chercher la formule de la transformation du plomb en or ou plutôt la quête de la pierre philosophale ?»

Il lui tendit un deuxième gobelet qu’il ne manquait jamais d’emmener avec lui lorsqu’il s’asseyait pour un coucher de soleil et y versa de l’infusion de plantes.

«Non, j’ai été formé au sommet de l’Horeb par maître Eunoia. C’est elle qui m’a enseigné les bases en herboristerie. Je ne suis arrivé au Sanctuaire qu’il y a deux ans, attendant d’être appelé pour montrer mes aptitudes. Je suis chaman. Je communique avec les esprits du vivant. C’est peut-être pour cette raison que la Vierge m’a choisi… Et toi ? Originaire du Sanctuaire ou de Rodorio ? Tu as été formé ici ?»

Alchimie et chamanisme

S'il y a bien une leçon que j'avais retenue de notre séjour à Camelot, c'était celle qui consistait à savoir tenir sa langue quand la situation l'exigeait.
Aussi, je restais volontairement muet lorsque le chevalier d'or de la vierge mentionna une "guerre sans combats". C'était vraisemblablement son cas, et je m'en réjouissais. Mais me concernant, le sang avait coulé en grande quantité, et mes mains portaient encore le stigmate invisible de mes actes assassins.
Au final, c'était peut-être là ma plus grande fierté. Tuer, me salir l'âme pour éviter que les autres n'aient à le faire.

J'avoue que j'ai beaucoup voyagé ces derniers mois, notamment à Jamir, qui est la zone géographique sur laquelle je dois rester vigilant, ainsi qu'à Constantinople, plus récemment.

Un sourire se dessina sur mes traits à la mention des rencontres de Kaleb.

Lesath du Scorpion est longtemps resté enfermé dans son temple... Mais cela fait un moment que je ne l'ai pas vu. Un homme solitaire, abrupt mais franc et simple. Vous devriez vous entendre.

Une rencontre brève que j'avais moi même fort apprécié, lors de sa visite dans mon temple. J'espérais juste que le malheureux ne souffrait pas trop... Une pensée qui me confronta à ma propre malédiction. Bien sur que Lesath vivait un enfer, puisque je le ressentais dans ma propre chair...
Je me saisis du gobelet, et remerciais la Vierge d'un hochement de tête.

Tous les alchimistes sont pour but de trouver la pierre philosophale. Mais c'est une sorte d'utopie, avant tout. Dans mon cas, je suis passionné par les liens entre vie et modification de la matière inerte. D'où mon travail sur la confection d’élixirs, onguents et utilisation de l'herboristerie. Mon rêve serait de trouver une sorte de remède universel... Mais j'ai encore bien du chemin à parcourir pour arriver à un résultat probant.

J'écoutais le récit de Kaleb, en marquant une moue d'étonnement à la mention de son statut de chaman. Voilà une formation rare !

Un chaman ? Tu possèdes donc des capacités peu communes. Communiquer avec la terre, les éléments... Je m'y prête en les façonnant. Nos démarches sont complémentaires, en quelque sorte. Pour ma part, j'ai grandi dans un petit village en bord de la mer Egée, et je suis venu au Sanctuaire après avoir été choisi par mon armure d'or. Cela fait... Trois ans déjà. Peu après la bataille de Jamir.

«Tu es donc en responsabilité de Jamir ? C’est intéressant. Il paraît que c’est un lieu particulièrement mystérieux où, traditionnellement, les armures des guerres saintes passées sont réparées et qui possède une partie des archives du Sanctuaire. C’est une grande responsabilité que la tienne… »

Kaleb avait entendu parler de Jamir lors de sa formation mais aussi à travers les chroniques de ses prédécesseurs. On parlait d’une tour perdue en Orient, dans des montagnes légendaires et inaccessibles. Rencontrer le chevalier d’or qui en avait la charge pouvait s’avérer utile pour l’avenir. La Vierge ne désespérait pas de pouvoir, un jour, consulter les archives que ce soit là-bas ou à Star Hill.

«Le Grand Pope m’a confié la surveillance de mon continent d’origine. J’envisage d’aller bientôt me présenter aux dormeurs qui les administrent. Si tu es là depuis la bataille de Jamir, peut-être sais-tu qui en avait la charge au préalable? »

Profiter du vécu d’un chevalier d’or plus expérimenté était toujours une chance. De plus, cela évitait d’avoir à importuner le Grand Pope avec des questions. Il avait sans doute d’autres lions à fouetter.

Kilian cherchait donc l’elixir ultime. Un sujet passionnant. Même si défier les lois de la nature et prêter vie à l’inerte lui semblait toujours être une lubie étrange à double tranchant. Comme si, quelque part, il cherchait à dépasser les lois de la nature.

«En somme, tu cherches à créer la Panacée… La seule et l’unique… Ambitieux projet que celui-là… »

Il esquissa un sourire en coin à la réflexion de son vis-à-vis.

«Nos démarches sont certainement complémentaires. Je pense qu’il pourrait être intéressant que tu me montres tes travaux. Peut-être pourrai-je me montrer d’une quelconque utilité pour t’aider à avancer. Un tel élixir pourrait être une chance pour soigner les chevaliers blessés au combat et soulager les maux des populations dans tout l’Empire… »

Puis, après un instant de réflexion, Kaleb osa une question qui lui semblait un peu indiscrète.

«Excuse-moi de te poser la question, cela peut te paraître étrange mais comment ton armure t-a-t-elle choisi ? Je suis curieux des lumières qui les animent. Ce sont des âmes qui ont une volonté propre et c’est un phénomène que je cherche à cerner…»

Echange

Jamir n'a pas usurpé sa réputation. Un endroit coupé du monde, empreint d'une aura mystique... J'ai enquêté sur la mort de l'ancienne gardienne des lieux, avec Morwenna des Poissons, et je dois dire que celui qui l'a temporairement remplacé n'a pas été trop coopératif... Mais à l'occasion, je me ferais un plaisir de te faire découvrir les lieux.

Une mission réussie, mais frustrante sur plus d'un aspect. Et dont certaines énigmes restaient encore d'actualité, tant je n'avais pas eu le temps de m'y consacrer.

L'Afrique, donc ? Hum... Cela ne me dit rien. Pour tout te dire, j'étais jusqu'à récemment considéré comme une sorte d'ermite. Je ne suis donc pas vraiment au fait des attributions géographiques de nos compagnons.

Le Grand Pope n'avait peut être pas totalement finalisé ses choix, de toute manière. Surveiller toutes les zones à risque était un travail colossal et nécessitant de nombreux chevalier d'or.

En outre, les rangs de notre ordre ont longtemps été clairsemés... La bataille de Jamir et la guerre contre les Bersekers et les Oracles ont laissé des traces.

La discussion avec Silas me revint en mémoire. J'espérais qu'il avait résolu son problème de formation des apprentis. Car remplacer les disparus restait une priorité absolue, et je savais que le chevalier des Gémeaux y avait mis tout son coeur.

Ce sera avec grand plaisir ! Je suis en train de reconstruire mon laboratoire... Mais dès qu'il sera en état, je partagerais mes derniers travaux et quelques théories médicinales. Je serais heureux d'avoir ton avis et un regard nouveau.

La question suivante me fit hausser un sourcil étonné. Mais rapidement suivit d'un sourire compréhensif.

Eh bien... Je sais juste que mon armure m'a sauvé la vie. Je sortais d'une grotte qui me servait jadis de refuge, quand une flèche empoisonné à fusée vers moi. C'est à ce moment précis que mon habit sacré s'est interposé pour détourner le projectile fatal.

Une tentative de meurtre que je n'avais jamais pu élucidé d'ailleurs. Une opération minutieusement préparée.

«J’imagine que ce doit être un lieu passionnant pour un érudit tel que toi. Si jamais, un jour, tu as besoin de t’y rendre pour affaires et que tu dois être accompagné, je me ferais un plaisir de t’accompagner.»

Dommage, Kilian ignorait qui avait eu en charge le continent africain avant lui. Mais peut-être en savait-il plus sur Carthage ? Kaleb avait bien tenté d’en apprendre davantage lors de sa rencontre avec Diogène.

«Ce qui m’inquiète c’est surtout Carthage. J’ai cru comprendre qu’il y avait eu des combats et que même pacifiée, cela restait une zone stratégique à surveiller de près. Tu en as entendu parler ?»

Kaleb écouta attentivement la description que le Verseau fit de sa première rencontre avec son armure. Cela lui sembla étrangement familier. Lui-même avait été protégé par l’armure de la Vierge lors de son ultime combat dans le coliseum. En revanche, il était surprenant qu’il n’ai jamais tenté de savoir qui avait ainsi tenté de l’assassiner.

«J’ai vécu une scène similaire dans l’arène de combat avec l’armure de la Vierge. C’est comme ça que j’ai su que j’avais été choisi. Même si j’ai mis du temps à réaliser… »

Kaleb s’étira. Ses muscles lui paraissaient endoloris. Il fallait dire qu’il n’avait pas combattu depuis sa mission avec Xanathos et Argus. Et les derniers jours avaient surtout été l’occasion de se reposer. Il se promit de s’y remettre dès le lendemain. Pour autant, une question le taraudait et il tenta sa chance en la posant.

«Tu n’as jamais cherché à savoir qui a décoché cette flèche et pourquoi ?»

Souvenirs amers

Oh, je ne doute pas que ce jour viendra bien assez tôt. La situation est encore instable sur la zone de Jamir, et je suppose que je serais contraint d'aller y faire un tour, dans les prochains mois.

Au moins pour constater si le nouveau gardien des lieux avait pris ses fonctions. Sympathiser avec lui et me présenter me semblait la moindre des choses. Sans parler du besoin de garder un œil sur les défenses des lieux. Assurément, Kaleb serait un bon compagnon de route. Je ne prenais donc pas de risque à accepter sa proposition.

Carthage... Oui, j'ai entendu de vagues rumeurs. Une altercation aurait eu lieu entre des marinas et les troupes menées par l'ancien amiral Narsès. Mais Childéric y a mis bon ordre, avant notre départ pour Camelot.

Je n'étais pas vraiment au fait de toute l'affaire, mais cela avait causé un bon chaos.
La dernière question de la Vierge m'obligea à prendra quelques secondes afin de trouver la réponse adéquate. Je ne le connaissais pas assez pour lui dévoiler ce secret. En outre, je gardais en mémoire la prudence imposée par la malédiction qui coulait dans mes veines.
Le regard perdu vers l'horizon, je lui offris donc la réponse la plus sincère possible, au vu des circonstances.

Si, bien sur. J'ai même une idée mais... Mon devoir de chevalier d'or passe bien avant mes problèmes personnels. Et depuis que j'ai endossé mon armure, les évènements se sont enchaînés à toute vitesse...

Ce qui était l'exacte vérité.
Je soupçonnais mon père ou un agent d'Atlantis d'avoir été à la manoeuvre pour éliminer un batard gênant. Mais, cela remontait déjà à trois ans, et je n'avais pas vraiment eu le temps et l'envie de creuser le sujet.
en outre, j'avais promis à Nimue et à Childéric de me tenir le plus éloigné possible du peuple de l'océan.

«Une altercation à Carthage avec des marinas… Hum… Je vois…»

Kaleb se souvenait que le Grand Pope était resté particulièrement évasif sur le sujet. Et il n’avait pas le droit de tenter d’atteindre Star Hill sous peine de châtiment. Pourtant, il savait que cette zone sous sa protection pouvait s’avérer des plus dangereuses. Tout comme Jamir devait l’être pour le Verseau. La moindre information serait bonne à prendre. D’autant qu’il n’avait pas eu, à sa connaissance, de réponse de l’exarque pour le moment.

«Sais-tu par hasard qui a fait partie de cette intervention ? J’ai besoin de sources de première main car mes connaissances, je le crains, ne sont que parcellaires »

Pouvait-il décemment lui dire que les seules informations en sa possession étaient celles que lui avait transmis Childéric lorsqu’il avait prêté serment ? Probablement pas. Mais au jeu des secrets, Kilian se défendait également. Car, la mission en tant que chevalier d’or était une chose mais la Vierge avait du mal à croire qu’en trois ans, il n’avait pas eu l’occasion, avec les moyens à sa disposition, de retrouver un archer, aussi prudent soit-il. Mais Kaleb acceptait que chacun puisse avoir ses secrets. Il ne servait à rien de brusquer le onzième gardien. Peut-être qu’un jour, quand ils se connaitraient davantage, il lui confierait ce qu’il avait sur le cœur. Pour le moment, c’était sans doute prématuré.

Il se contenant donc de reprendre une gorgée de la mixture avant de poursuivre.

«Au fait, as-tu déjà eu un apprenti ? Je forme actuellement une jeune femme et c’est vraiment la toute première fois. Tout conseil d’une personne plus expérimentée serait la bienvenue…»

Bien évidemment, il aurait pu aller poser la question à Silas. Mais la diversité des regards était une chose importante pour le gardien de la sixième maison. Aussi tenta-t-il sa chance auprès du Verseau.

Disciple

Malheureusement, je fus contraint d’émettre un signe de négation à la question de la Vierge.

L'histoire de la chute de Narsès et de ses causes est restée assez confidentielle. Ou du moins, peu d'éléments ont fuités jusqu'à moi. Il faut dire que je suis resté peu de temps au Sanctuaire le début de l'année. Mission sur mission...

Jamir, la grotte d'Hermès, Constantinople puis Camelot... Oui, le rythme avait été effréné, après une longue pause salutaire depuis la précédente guerre.
En outre, solitaire et éloigné des tavernes et casernes de nos soldats, je captais uniquement les ragots et rumeurs en écoutant les serviteurs, au détour d'une promenade. Une source d'informations intarissable, mais également relativement chaotique.

Le Grand Pope est un homme accessible et à l'écoute. N'hésite pas à lui poser toutes les questions que tu jugeras nécessaire pour t'aider dans ta future mission. S'il a pu me supporter, il devrait pouvoir faire de même avec ta soif légitime de connaissance.

Un sourire accompagna mon trait d'humour, afin d'en masquer l'aspect véridique. J'avais eu le don de mettre la patience de Childéric à rude épreuve plus d'une fois. Impossible que Kaleb parvienne à l'agacer plus que je l'avais fait.

La question serait plutôt... Quel apprenti voudrait d'un mentor comme moi ? Enfermé dans son laboratoire des nuits entières à expérimenter des théories alchimiques fumeuses. J'ai tenté d’entraîner Nymphea du Lotus, voilà quelques semaines... Et disons que je ne l'ai pas ménagé... Je doute donc qu'il serait judicieux de renouveler l'expérience.

Et puis qu'aurais-je pu apprendre à une jeune pousse ? L'assassinat ? Pas besoin d'un disciple pour partager mes connaissances en herboristerie, au besoin. Je me jugeais trop immature pour prendre sur mes épaules une telle responsabilité.

Et comment se passe l'apprentissage de ton élève ? Est-elle déjà porteuse d'une armure ?

«Je vois… Je comprends la nécessité de la discrétion. C’est juste que je voudrais remplir ma mission au mieux. Et cela me paraît bien plus difficile s’il me manque des éléments…»

Kaleb restait circonspect. Bon, Kilian n’était peut-être pas le plus à même de lui fournir les informations escomptées. Après tout, ne lui avait-il pas dit qu’il avait vécu dans une grotte puis plus ou moins en ermite dans son temple ?

«Accessible et à l’écoute, je n’en doute pas. Mais aussi fortement sollicité. Et il a déjà pris la peine de me recevoir à ce sujet. Je ne voudrais pas me montrer impoli en insistant outre mesure…»

Mais également éviter de passer pour un incompétent. Il avait bien demandé à l’Exarque de Carthage un rapport détaillé sur l’état de la cité et des rapports des forces diplomatiques en présence.

La remarque suivante du Saint du Verseau l’interpella. Il semblait ne pas avoir une estime personnelle particulièrement affirmée. A priori, il s’était déjà essayé avec la Saint d’argent du Lotus, sans grand succès. D’ailleurs, Kaleb ne se souvenait pas avoir croisé cette dernière depuis qu’il était entré au service d’Athéna. Kilian l’aurait-il fait fuir ? Le chevalier de la Vierge tenta juste de faire prendre du recul à son homologue.

«Chacun d’entre nous peut transmettre. Si tu tombes sur un apprenti plutôt secret, plutôt solitaire, studieux, cherchant la connaissance… Il pourrait être comblé de t’avoir comme mentor. Après, effectivement, si on t’assigne un élève tête brûlé, aimant se battre au grand air, c’est certain qu’il va souffrir… Mais La Sagesse sait généralement à qui elle confie la génération future, non ?»

Kaleb en était persuadé. D’autant plus depuis sa rencontre avec Dana.

«Elle porte l’armure d’argent de la Coupe. Un éveille spontané. Elle doit apprendre les rudiments du combat et la vie au Sanctuaire. Sa cécité ne facilite pas l’entraînement physique mais je suis certain qu’à terme, elle lui sera utile. Elle voit au-delà des apparences. Elle saura en faire une force. De plus, je peux compter sur l’ensemble de ma maison pour l’aider. Mon intendante et mon aide de camp se montrent d’une aide précieuse dans la résolution des petits tracas du quotidien et me facilitent grandement la vie…»

C’était pour lui comme une évidence. La solitude n’était pas faite pour lui. Et peut-être que Kilian avait juste besoin de franchir le pas ?

«Peut-être devrais-tu te faire aider pour reconstruire ton laboratoire et gérer ta demeure. Cela te permettrait de te concentrer pleinement sur tes recherches…»

J'écoutais avec attention la réserve exprimée par Kaleb, et je ne pouvais que comprendre sa retenue envers le Grand Pope. Moi aussi, j'avais jadis eut peur de le déranger ou de lui offrir une image défavorable.
Mais les actes pesaient bien davantage que trop de questions.

Si tu devais te montrer impoli, Childéric te le dirait directement. C'est un homme direct et un ancien soldat. Il est donc pragmatique, avant tout.

En outre, obtenir un maximum d'informations avant une mission me semblait tout à fait légitime.
L'affirmation qui suivit sur le type de disciple qui me correspondrait me fit éclater d'un léger rire. La Sagesse possédait parfois un certain sens de la dérision, et pouvait faire rencontrer des caractères bien opposés... En outre, contrairement à l'image d'absolue omniscience auquel s'apparentait le Dieu catholique, je pensais que nos immortels ne disposaient pas d'un tel impact sur la destinée. Il la subissait autant que nous, mais en tant que joueur et non marionnette.

Nous verrons bien. Mais en effet, un disciple adepte d'études et doté d'un tempérament... Discret et calme pourrait trouver un intérêt à ma façon de transmettre. Je ne me suis pas vraiment posé la question, à vrai dire.

Ainsi donc, c'est la Coupe qui s'était placé sous la protection de la vierge ? C'était un fait loin d'être anodin.

D'après la légende, le protégé de l'armure de la coupe serait en mesure de lire l'avenir. C'est une haute responsabilité. Mais vu comme tu en parles, je suis certain que tu sauras la guider au mieux.

Cette nouvelle génération promettait. Une conclusion rassurante quant on songeait aux nuages sombres visibles à l'horizon de notre avenir.

Peut-être, oui... Mais certains produits que je manipule sont hautement toxiques, et j'aurais toujours la crainte qu'un innocent se blesse par une mauvaise manipulation ou un geste maladroit.

Une façon polie de sous-entendre que je ne cultivais pas seulement des produits médicinaux... Les poisons étaient légions dans mon antre. Et je ne voulais pas qu'un malheureux se retrouve blessé, voire pire, par ma faute.

«Sans doute…»

Pour autant, le Grand Pope devait bien avoir d’autres lions à fouetter. Même si le retour de Camelot s’avérait être un moment de repos pour les chevaliers, il n’en était certainement pas de même pour le premier représentant d’Athéna. La suite des liens et des informations récoltés dans la cité des Ligures devait occuper ses journées et probablement une partie de ses nuits. Kaleb ne souhaitait donc pas aller l’importuner avec une affaire qui n’avait rien d’urgent et pour laquelle il n’avait aucun argument solide à avancer pour obtenir davantage d’informations.

Kaleb n’avait pas encore eu le temps de mener des recherches poussées sur l’armure de la Coupe. De plus, il n’avait pas accès à l’ensemble des documents du Sanctuaire. A son grand damne. Les archives de la Vierge, quoi que bien renseignées, n’en demeuraient pas moins parcellaires. Après tout elles n’étaient que la vision subjective des différents chevaliers qui, au cours des siècles, avaient consciencieusement narré les missions auxquelles ils avaient participé. Kaleb perpétuait cette tradition. Mais pour autant, cela ne suffisait pas toujours à avoir une vision juste des choses. L’échange lui paraissait donc essentiel.

«Dis-moi, comment sais-tu autant de choses sur la Coupe ? Aurais-tu dans ta bibliothèque privée des ouvrages traitant du sujet ? Je suis preneur de toute information à son sujet… J’avoue que je rêve d’accéder aux archives de Star Hill mais c’est un privilège qu’il ne m’a pas encore été arrogé. J’imagine qu’il doit aussi y avoir pas mal d’informations à Jamir. A l’occasion, si tu m’autorise à y jeter un œil, ce serait un honneur pour moi. La quête de la Connaissance est longue et je pense qu’une seule vie n’y suffira pas…»

Lorsque Kilian évoqua les produits toxiques et les risques encourus, Kaleb posa sa main sur l’épaule de son frère d’arme.

«Tant que tu ne caches rien des risques encourus, tu laisses aussi libre d’autres de faire leurs choix en pleine connaissance de cause. Il y a sans doute à Rodorio des jeunes gens qui seraient honorés de t’assister malgré les risques encourus. Et je te crois suffisamment capable de les protéger s’il devait y avoir un accident. Ne te chercherais-tu pas des excuses pour éviter de te lier à quiconque plutôt ? »

Une réelle interrogation quoi que très personnelle. Kilian lui faisait penser à maître Eunoia. Cette distance. Cette réserve vis-à-vis d’autrui. Ce mystère qui l’entourait. Avait-il des secrets à cacher ?

Aveu

Le temple du Verseau recèle quelques ouvrages écrits par mes prédécesseurs. Et en trois ans, j'ai eu le temps d'en explorer la plupart. Je t'en concède l'accès avec grand plaisir.

Car, la connaissance pouvait prendre les traits d'une arme le moment venu. Et je ne voyais aucun intérêt à conserver pour moi de précieux témoignages des guerriers d'antan.

Concernant Jamir, il faudra voir avec le futur gardien. Même si cette zone est sous la protection du Sanctuaire, les héritiers du peuple de Mü sont assez... Réticents à nous ouvrir la porte de la tour.

Le souvenir amer de mon dernier voyage vers l’Himalaya me fit grimacer. Que de négociations uniquement pour atteindre le rez de chaussée...
Je fus alors surpris de sentir la main de mon compagnon sur mon épaule. Ainsi que des paroles qui suivirent. Mais loin de m'en offusquer, je lui répondis par un sourire triste.

Je suppose qu'il y a un peu de ça... C'est l'un de mes travers. Pendant longtemps, ceux qui ont eu le malheur de m'approcher ont eu tendance à périr ou à souffrir terriblement. Pour tout te dire, j'ai perdu mon meilleur ami, en début d'année, et cela ne m'a pas vraiment aidé à m'ouvrir aux autres. Mais de ce point de vue là, notre séjour à Camelot m'a fait du bien.

J'avais à la fois retrouvé une soeur pleine de vitalité et un beau-frère bourru. Et même si ce périple avait commencé de la pire des manières, le bilan restait positif.

Et puis, tu sais... Les dernières guerres ont fait couler le sang de nombreux chevaliers. Côtoyer la mort de la sorte laisse des traces. Je suppose que tu t'en doutes, mais la période de paix relative que nous vivons ne durera pas. Nos ennemis fourbissent leurs armes, et peuvent frapper à tout moment.

«Merci beaucoup. Sache que la réciproque est également vraie. Celle de la Vierge te sera ouverte si jamais je peux t’aider dans tes recherches. »

Un prêté pour un rendu. Kaleb espérait ainsi pouvoir sortir son vis-à-vis d’une certaine forme de solitude. Tendre des perches, construire des passerelles pour ne laisser personne derrière, pour construire une cohésion. Pour que la fraternité au sein du cercle d’or ne soit pas qu’une simple expression. Eunoia lui avait enseigné que la confiance dans l’homme qui tenait l’épée à ses côtés sur le champ de bataille pouvait parfois faire la différence entre la victoire et la défaite. Aussi le chevalier de la Vierge tentait de tisser du lien en cette période d’accalmie car il savait que la tempête ne manquerait pas de venir frapper à leur porte. Puisque telle était leur Destin.

Les mots du Verseau refroidir quelque peu le gardien de la sixième maison au sujet de Jamir. Effectivement, si cela ne dépendait pas de lui, il serait beaucoup plus compliqué d’avoir accès aux archives de la tour. Kaleb décida de prendre la nouvelle avec légèreté et optimisme.

«Ca c’est parce qu’ils n’ont pas encore goûté à mon ragout de mouton aux olives… Je pourrais toujours en apporter ainsi qu’une amphore pour faciliter les négociations. Qui sait ? »

Et il appuya ses mots d’un simple clin d’œil. Pour autant, il redevint sérieux lorsque Kilian évoqua sa solitude passée. Kaleb acquiesça en silence, d’un air emplit de compassion, laissant le Verseau terminé son explication avant de reprendre la parole.

«Tu as raison, la paix ne durera pas. Mais c’est pour cette raison que nous devons nous serrer les coudes. Combattre aux côtés d’un semblable est une chose. Combattre aux côtés d’un ami en est une autre. J’aime à considérer que nous pourrions nous inscrire dans la seconde option. Nous savons les risques encourus. Mais après tout, nous devrons tous mourir un jour, non ? Autant que cela le plus tard possible et de la manière la plus utile au plus grand nombre…»

Une réalité qui n’effrayait pas Kaleb. Après avoir visité la maison du Cancer, il avait émis une théorie quant aux lumières et aux feux follets qu’il avait pu y croiser, sans pour le moment pouvoir vérifier sa véracité.

On voyait bien que Kaleb n'avait jamais eu à faire avec Arietis, le gardien temporaire de Jamir...
Une espèce de golem, mêlant indifférence, détachement et débit minimum de paroles. En sa présence, Nimue et moi avions eu le plus grand mal à garder notre calme.

Tu peux toujours essayer, mais je me demande même s'ils se nourrissent d'autre chose que d'herbe et de tisane...

Loin de moi l'envie de doucher les espoirs de la Vierge d'or, mais autant qu'il ne nourrissent pas d'illusoires intentions envers Jamir. J'avais moi même nourrir les mêmes ambitions, pour un résultat décourageant et frustrant. Je répondis à son clin d’œil par un sourire légèrement taquin.

Au pire, tu pourras toujours camper en bas de la tour. Avec un peu de chance, après quelques semaines, le gardien se lassera de ton insistance et finira par céder à tes souhaits de connaissance.

Une perspective qui me fit éclater de rire. Entre Arietis et Kaleb qui pouvait être le plus borné ?

Tu as parfaitement raison. Il est bon de profiter de notre champ d'action à chaque jour qui passe. Car l'avenir est incertain. Camelot l'a démontré... Ma performance lors du tournoi a été décevante, même si nos pouvoirs étaient biaisés. Le Pontifex est un tacticien redoutable... Et même en combat réel, je ne suis pas certain de le vaincre. Une bonne motivation pour poursuivre un entraînement digne de ce nom.

Car la connaissance et le savoir ne compensaient pas les prouesses martiales.
Je posais un oeil scrutateur et compréhensif sur le jeune membre du cercle d'or.

Entre ton apprentie et tes recherches, trouves-tu encore le temps de développer tes propres forces ?

«Ca nous fera toujours un sujet de discussion… Les herbes…»

Bon, effectivement, s’ils ne mangeaient pas d’animaux, ça allait être plus compliqué. Avec son don, Kaleb avait appris à respecter le vivant. Lorsqu’il était amené à prendre la vie d’un animal pour se nourrir, il posait toujours un rituel de grâce et de remerciement pour celui qui donnait sa lumière afin que celle des autres se perpétue. Il savait que ce sacrifice devait rester exceptionnel pour ne pas déséquilibrer la balance vitale du monde. La mort d’un autre vivant n’était pas une chose à prendre à la légère. Fusse-t-il le plus petit des insectes.

Lorsque le Verseau lui proposa de camper aux pieds de la tour de Jamir, il éclata de rire. Non, il avait une autre solution bien plus rapide si jamais la persuasion par la nourriture ne fonctionnait pas.

«Non… Si je veux que ça aille plus vite, j’amènerai mon aide de camp avec moi… Eireen a une façon bien à elle de convaincre les gens…»

Kilian ne connaissait certainement pas la jeune femme et son caractère trempé dans l’acier en fusion. En tant qu’émissaire de la Vierge, elle s’était déjà taillé une petite réputation parmi la garde du domaine sacré pour avoir répliqué de manière considérée comme peu féminine à des réflexions grivoises. Kaleb lui ayant enseigné quelques techniques de combat, les soldats avaient vite compris qu’il valait mieux éviter de s’y frotter.

Néanmoins le onzième gardien avait raison. Il fallait se préparer à la guerre. Et Camelot avait à priori révélé la puissance des Berserkers et des Marinas. Enfin… Au moins de certains d’entre eux. Il fallait donc rester affûté.

«Oui, j’arrive à trouver le temps pour m’entraîner. Je fais généralement ça le matin, tôt. Avant la levée de la maisonnée et l’arrivée des serviteurs. En solitaire donc. Et toi ?»

Entrainement

Eh ben… Kaleb semblait entouré de personnes aux caractères très marqués.
Si cette Eireen était doté d’une autorité naturelle, de ce qu’en disait la Vierge, je paierais cher pour assister à sa confrontation avec l’insensible Arietis.

Les gardiens de Jamir ne fonctionnement pas vraiment comme des personnes normales. On dirait que rien ne les atteint. Un pied ici, un autre ailleurs, pourrait-on dire… Mais peut-être gagneraient-ils à être un peu secoués.

Un léger rire m’échappa à cette seule pensée. Le pauvre Childéric risquait de s’arracher les cheveux s’il devait gérer un tel incident diplomatique avec Jamir.
Le sujet revint alors sur l’entraînement de Kaleb, puis du mien.
Scrutateur, j’étudiais l’aura de mon interlocuteur, afin de visualiser son degré de maîtrise actuel.

Pour ma part, je préfère m’entraîner la nuit ou me réserver des séjours loin du Sanctuaire uniquement dédiés à parfaire mes techniques. Après… De mon expérience, rien ne vaut un affrontement réel pour apprendre de ses erreurs et pouvoir les corriger, une fois au calme.

La dernière guerre était l’illustration parfaite de cette philosophie martiale. Entre deux combats ou meurtres discrets, j’avais mis à profit mes points forts à aiguiser ou mes carences à compenser, lors de journées dédiées à l’analyse de mes prouesses face à mes adversaires.
De ce point de vue là, même le tournoi de Camelot m’avait fait prendre conscience de la dangerosité des Bersekers, et de ma limite à pouvoir défaire certains d’entre eux, malgré mes efforts.

As-tu déjà combattu un adversaire digne de ce nom ?

Une dénégation restait possible vu la promotion récente de Kaleb au rang de chevalier d’or. Dans ce cas, peut être serait-il intéressant de croiser le fer avec lui, afin de visualiser son niveau actuel. A lui de voir si la perspective sous-entendue l’intéressait ou non.

«Pas comme des personnes normales, hein ? Tu m’en diras tant…»

Kaleb esquissa un sourire. La normalité avait un sens tout relatif pou les Eveillés. Après tout, n’étaient-ils pas eux-mêmes « anormaux » si l’on se plaçait du point de vue des dormeurs ? La Vierge avait entendu parler du peuple de Jamir. On leur prêtait une lointaine descendance avec le mythique peuple de Mü. Ceux-là même qui avaient forgé, pour Athéna, les armures sacrées.

Mais dans l’hypothèse follement improbable où Eireen serait amenée à les secouer, la scène serait certes cocasse mais pas moins dangereuse pour la jeune aide de camp. On les disait détenteurs de certaines capacités exceptionnelles y compris parmi les Eveillés. Il ne mettrait jamais son aide de camp en danger. Question de principe. Il ne rebondit donc pas davantage sur cette projection.

En revanche, le Verseau semblait particulièrement curieux quant à ses prouesses martiales. Kaleb regarda au loin vers l’horizon. Il ne pouvait bien évidemment pas prétendre à une expertise dans ce domaine. Il n’avait mené qu’un seul combat pour le moment, lors de sa mission aec Argus et Xanathos. Et il avait défait l’Oracle pervertie par Narsès. Etait-ce ce que Kilian entendait par adversaire digne de ce nom ? Il voulait en avoir le cœur net.

«Je suis bien loin d’avoir ton expérience des combats. Excepté ceux dans l’Arène du Sanctuaire, je n’ai combattu qu’à une seule reprise lors d’une mission au large de la Dalmatie avec l’Oiseau de Paradis et le Phénix. Une Oracle qui avait sombré dans la folie suite aux sévices de l’ancien Exarque de Ravenne. Son niveau avoisinait celui d’un membre du cercle d’or. Mais j’imagine que j’aurais bien d’autres occasions d’acquérir de l’expérience dans ce domaine. Tout du moins, il faut l’espérer »

Néanmoins, il devait admettre que s’entraîner à l’écart, loin du Sanctuaire pour peaufiner ses techniques était une riche idée à laquelle il n’avait jamais songé. Peut-être pourrait-il retourner auprès d’Eunoia sur l’Horeb pour imiter le onzième gardien. D’ailleurs, où pouvait-il bien aller pour s’endurcir ?

«Tu as un lieu privilégié pour tes entraînements en solitaire ?»

Échange amical

Ainsi donc Kaleb était véritablement novice dans les combats en circonstances réelles. Pourtant, atteindre son rang de chevalier d'or n'était visiblement pas immérité. Comme il le soulignait les occasions de se confronter à des ennemis sérieux ne manqueraient pas, mais une pointe d'inquiétude ternit mon sourire.
J'avais déjà vu des guerriers prometteurs se retrouver face à des adversaires trop redoutables et périr avant d'avoir pu démontrer leur plein potentiel.

Eh bien... D'ordinaire, je rends visite à ma mère sur la côte de la mer Egée, et j'en profite pour m’entraîner en m'éloignant de la rive. Cela m'oblige à maintenir un cosmos passif pour geler l'eau sur laquelle je me déplace, et je ne risque pas de blesser quiconque au milieu de l'immensité aquatique.

Impossible de trouver meilleur environnement afin de profiter de ma solitude, mais aussi pour pouvoir déployer mon potentiel sans retenue.

Sinon, la plupart du temps, un entraînement dans mon temple est suffisant. Notamment dans ma pratique de la maîtrise subtile du cosmos. Je fais en sorte que mes déflagrations ne dépassent pas la frontière de ma demeure, et rien que cela demande un effort conséquent.

Semer la destruction aveugle, se moquer des conséquences que peut avoir son propre pouvoir sur l’environnement... C'était simple. mais contrôler, rester vigilant, voilà un tout autre défi.
Après quelques secondes d'hésitation, je finis par me décider à lancer ma proposition.

Serais-tu intéressé par un petit entraînement entre nous ? Manière de bénéficier du regard de l'autre sur nos techniques et éventuels points perfectibles ?

J'avais rarement eu à croiser le fer avec d'autres chevaliers d'or. Autant profiter de l'occasion, si Kaleb y voyait un intérêt.

«A ta mère ? Destination intéressante. Je n’ai pas revu mes parents depuis l’âge de dix ans et le moment où j’ai été conduit sur l’Horeb. C’est certain qu’au milieu des eaux, tu ne risques pas de blesser grand monde. A moins de tomber sur un marina en goguette… »

Une idée saugrenue. Kaleb esquissa un sourire en imaginant un des fiers atlantes que lui avait décrit Eunoia bloqué dans un bloc de glace flottant au-dessus de l’Egée. Un spectacle grotesque et qui ne manquerait certainement pas de réveiller la colère de l’ébranleur des mers.

Il n’en avait jamais croisé. Pas encore tout du moins. S’il vivait suffisamment longtemps, cela ne manquerait pas d’arriver. Après tout, Poséidon était dans le trio des ennemis les plus fidèles de la Sagesse. C’était d’ailleurs face à lui qu’avait eu lieu la première guerre sainte.

Ainsi Kilian s’entraînait régulièrement dans sa demeure. Un classique. Veiller à ne pas ruiner tout ce qui les entourait était un exercice quotidien pour tout chevalier d’or digne de ce nom. Kaleb n’avait pas la prétention de pouvoir raser le temple de la Vierge en utilisant son plein potentiel mais il avait pu constater lors de son entraînement contre Argus qu’il valait mieux être vigilant s’il ne voulait pas se retrouver dans un chantier perpétuel.

Lorsque le Verseau lui proposa de s’entraîner ensemble, la Vierge accepta cependant sans rechigner. Il n’aurait certainement pas le dessus, n’ayant pas l’expérience de son frère d’arme. Néanmoins, il était toujours utile de connaître les capacités de chacun en vue des missions à venir.

«Pourquoi pas… Après tout, je pourrais être un partenaire d’entraînement acceptable pour un chevalier d’or expérimenté. Et puis, cela me permettra de voir tes techniques à l’œuvre… Suit-moi… »

Il rentra dans le temple et l’amena dans les jardins des Saules Jumeaux, franchissant les lourdes portes de bronze situées derrière l’autel du Paradis où trônait l’armure d’or de la Vierge. Une fois dns le jardin, Kaleb se mit en garde.

«Je suis prêt. »

Citation :

Kaleb défie Kilian

>Un coup de froid

Je fus heureux de voir Kaleb accepter cette proposition d’entrainement. Le but n’était en rien de prouver la supériorité de l’un ou de l’autre, mais véritablement d’apprendre de nos expériences.
J’avais déjà combattu Nimue dans une illusion, du temps où elle portait encore l’identité de Morwenna. Et cet échange fratricide avait été douloureux émotionnellement pour nous deux.
De ce que j’en savais, les chevaliers d’or de la Vierge possédaient des facultés cosmiques redoutables, et savaient faire usage de pouvoirs mentaux puissants. La confrontation avec mon propre domaine de prédilection serait indubitablement prometteur.
Je suivis donc le maître des lieux dans un magnifique jardin, dont je n’avais jamais eu le privilège de fouler la terre fertile.
Et l’espace d’un instant, je restais immobile à savourer la splendeur des lieux.

Incroyable… Quel havre de paix et de sérénité…

Pourtant, cet Eden terrestre allait voir un affrontement peu commun. Car les chevaliers d’or n’avaient pas pour habitude de se confronter, même pour de simples entraînements. Fierté mal placée peut être ?

Je pense qu’il est inutile de déployer nos arcanes les plus dévastateurs. Pour autant, par respect pour toi, je ne te ménagerais pas, Kaleb.

Une annonce faite avec un sourire sincère, aussi léger sur mon visage qu’un nuage dans le ciel. Je tenais à faire de ce combat amical un souvenir de franche camaraderie, sans qu’une quelconque animosité ou excès martial n’emporte cette volonté.
Toutefois, afin de ne pas sous-estimer mon adversaire, je lançais l’assaut en usant d’une part de ma vélocité naturelle. Ma silhouette se voilà soudain, au moment où je me matérialisais sur le coté de la Vierge, bras recouverts d’une gangue de gel acéré. Un coup et la température chuta brutalement, recouvrant le sol avoisinant d’une fine couche de glace.
A chaque mouvement, des éclats cristallins se séparèrent de ma création, jusqu’à venir voleter tout autour de nous, prenant de la consistance au fil des secondes. Et lorsque je quittais le corps à corps d’un bond gracieux, un ordre mental projeta une dizaines de projectiles de glace sur Kaleb.
Une diversion mortelle, le temps que je pose ma paume sur le sol, enclenchant le dessin d'un pentagramme. Et le froid ambiant gagna encore en intensité, prêt à blesser n'importe quel être peu habitué à des températures aussi extrêmes.

«Oui, c’est préférable. Je viens tout juste de terminer les travaux de modification du temple. Si tu égratigne la moindre pierre, tu auras à faire à mon intendante. Et je peux te jurer qu’il n’y aura pas de lieu sur terre, sous la mer ou dans les cieux ou tu ne saurais échapper à son courroux… »

Une manière ludique de prévenir du tempérament des femmes de la maisonnée. Pour autant, il ne le ménagerait pas ? Au moins les choses étaient claires. Et Kaleb comptait bien là-dessus. Il se doutait qu’il ne faisait pas le poids devant l’expérience de Kilian. Le but n’était donc pas de remporter cette joute mais bien de tenter de tenir le plus longtemps possible. Après tout, ce serait déjà honorable de ne pas se retrouver au tapis au second assaut venu.

Le chevalier du Verseau commença très fort. Un enchaînement que la Vierge bloqua dans un réflexe bienvenu. Cependant, le gardien du onzième temple passa rapidement à la vitesse supérieure. La température chuta brutalement. C’était un froid qui dépassait l’entendement humain et ce que la nature pouvait elle-même produire.

Kaleb se trouva donc obligé d’user du labyrinthe stellaire pour se protéger. La distorsion spatiale avala le froid mordant en un clin d’œil.

«Effectivement, tu as décidé de me donner une leçon, dis-moi… Cependant, j’aimerai que tu évites de geler mes fleurs. On est juste au début du printemps. Elles pourraient ne pas apprécier le traitement…»

En deux mouvements successifs, le gardien du jardin des Saules jumeaux s’attaqua à son adversaire. Ses bras se croisèrent d’abord devant lui, libérant la Vague Sacrée de la Vierge avant que, joignant ses deux mains au niveau de sa hanche, il ne déclenche le Soleil éternel.

Puis, calmement, avec un sourire mêlant défiance et bienveillance, l’Axoumite se remit en garde, observant son homologue.

«Je n’ai pas la prétention de te battre. Juste celle de faire bonne figure en te donnant un peu de fil à retordre…»

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