[Avril 553] L'oiseau noir et l'oiseau blanc (Gabriel)

Quelques minutes suffirent aux deux maîtres des vents pour reprendre suffisamment d'aplomb. Un bain de soleil, une agréable conversation, et un peu de cosmos partagé. Une fois assurée que Gabriel avait retrouvé son acuité, la petite mais néanmoins endurante princesse des oiseaux avait déployé ses ailes une fois de plus, pris élan d'un petit bond et stabilisé son vol au-dessus du sol. Le trajet ne serait pas bien long, mais Célestia prenait toujours grand plaisir à profiter du royaume aérien que les Éminences étaient seules à pouvoir parcourir de cette manière en ces lieux. Elle en profita pour expliquer en chemin au nouveau venu cette règle tacite, et surtout le danger que cela représenterait pour les autres, la garde minutieuse assurée par les vents et les esprits de la Tour.

Ils se posèrent devant un grand édifice, directement sur la route qui menait vers les lieux plus sacrés qu'ils protégeaient. On trouvait là encore des artistes, des serviteurs, mais aussi des Éveillés de moindre niveau et des Dormeurs initiés au culte d'Apollon en plein exercice des armes. Des soldats sur lesquels ils pourraient compter et qu'ils devaient entraîner en cas de crise.

"Bienvenue au Temple des Quatre Vents. Vous êtes la deuxième Éminence à y poser les plumes. Rowena du Cygne est actuellement en mission diplomatique chez les Berserkers... L'ancienne Corbelle n'a pas eu le temps d'y venir et l’Épervier... de même. Vous êtes donc libre de choisir quels appartements occuper. Les miens sont là-bas."

Elle désigna un couloir au rez-de-chaussée d'où glissait en silence un large rai de lumière. On devinait sans mal l'éclatante clarté qui devait régner à l'intérieur au matin, les fenêtres orientées vers l'Est. Et s'il s'en tenait à triste vision de la fatalité, elle se doutait qu'il irait à l'opposée.

"Je vous laisse visiter tranquillement ?"

Question

Un décor enchanteur, un vol apaisé après ce combat palpitant.
Décidément, mon entrée dans la Tour des Vents prenait des airs d'ode à une histoire épique.
Élève attentif, j'écoutais les explications et conseils de Celestia avec attention, me contentant d’acquiescer sans l'interrompre.
Et une fois au coeur du temple des quatre vents, je fermais les yeux, de manière à m'imprégner de l'atmosphère saisissante des lieux. Tel un retour dans un foyer que l'on n'a jamais connu.
Des appartements ? La mention me surprit l'espace d'un instant, avant que je ne me remémore mon statut. Je n'étais plus seulement un saltimbanque solitaire, mais une... Éminence. Le terme pompeux à mes oreilles n'en restait pas moi une réalité.
Celestia me désigna alors son lieu de repos, fidèle à l'image que j'avais d'elle.

Un refuge parfaitement choisi. L'aube à l'Est. Donc, le crépuscule ira se lover à l'Ouest.

A l'opposé, bien entendu. Mais avant de prendre possession de ce nouveau chez-moi, une question me vint.

Ainsi donc, nous sommes trois éminences éveillées ? Pouvez-vous me parler de cette dame Rowena ? Vous entendez-vous bien ?

Avoir un point de vue sur une homologue était intéressant, pour pallier mon ignorance. J'en profitais donc pour faire étalage d'autres interrogations.

Qu'est-il arrivé à cet épervier ? La guerre a eu également raison de lui ?

"Il est possible que d'autres Éveillés se trouvent toujours en Itinérance. Ou que d'autres missions les retiennent au loin... Je n'ai aucun moyen de le vérifier, c'est pourquoi la Tour est notre repère à tous."

Une Tour qu'elle avait aidé à relever. Et si jusque-là le souvenir de cette mission s'était vu assombri par la dette contractée auprès d'Ingvarr, elle retirait maintenant une certaine fierté d'avoir pu permettre l'édification de ce phare d'Apollon au milieu du brouillard. Car grâce à lui, les rangs se reformaient doucement. Et quand ils seraient assez vaillants, les Oracles pourraient reprendre leur dieu des mains des Saints et briller de nouveau.

"Rowena est l'autre ancienne dont je vous parlais tout à l'heure. Ce qui fait que nous nous connaissons depuis quelques années maintenant. Elle est discrète, douce, très compréhensive. Comme vous, elle est plutôt une Marcheuse de la nuit, mais elle ne recherche pas la mort. Nous sommes amies, bien entendu !"

Un franc sourire marqua les lèvres de la nymphe, vite fané par les questions suivantes.

"Pas la guerre... mais il a été retrouvé mort. Je ne sais pas vraiment comment, ni qui l'aurait tué... C'était lui aussi un ami proche."

Abrarxès n'avait pas donné beaucoup de détails à ce sujet. Voulait-il en quelque sorte la protéger d'une vérité trop crue ou ne possédait-il tout simplement pas l'information ? En attendant d'en savoir plus au sujet du Taureau noir ou des Tuathas, elle devrait se contenter de ce qu'elle avait là. Python dirait sûrement qu'il avait manqué de foi, et sur ce point elle ne pouvait totalement le contredire. Les doutes de Lykeios sur sa fonction avaient perduré longtemps. De là à le tuer ?

Apollon

Au final, l’aspect qui revenait le plus était l'indépendance de chacun.
Une grande liberté sous-jacente qui correspondait bien à mon caractère.

J'ai hâte de rencontrer cette ancienne, dans ce cas. Peut-être qu'un beau jour, notre quatuor sera enfin réuni.

Une perspective intéressante. Nul doute que nos armées en seraient ravivées.
Je haussais un sourcil à la mention du sort de l'épervier. Un funeste destin... Une tragédie, dans toute son horreur et son mystère.

Je suis sincèrement désolé pour cette perte. Mais à travers vous, il reste encore un peu parmi nous.

Difficile de trouver les morts pour consoler un deuil. Ils demeuraient imparfaits, insuffisants. Pour autant, ils permettaient d'exprimer de la compassion. Un élément essentiel pour tisser des ponts entre deux cœurs, même aussi opposés que les nôtres.

Et... Comment dire... Et le seigneur Apollon ? L'avez-vous déjà... vu ? Enfin, je veux dire... Pensez-vous que les dieux s'incarnent ou ne s'expriment-ils qu'à partir d'interventions ?

Ce monde était bien nouveau pour moi. Et j'ignorais encore jusqu'où croire. Comment les divinités agissaient, se comportaient.

"C'est aussi pour cela que je dois vous aider à devenir plus fort. Nous ne pourrons former un quatuor solide que si chacun d'entre nous survit aux épreuves qui nous attendent. Et pour cela, nous devons chacun être aussi solides que les vents qui nous portent. Je n'aime pas me parer de l'image de guerrière, mais le fait est que j'en suis une... Peut-être la plus puissante de l'Ordre actuellement, sans vantardise... alors je veux bien prendre sur moi la responsabilité d'entraîner tous ceux qui le voudront ! Si je peux éviter des morts ce faisant... !"

La nymphe pinça les lèvres, gênée de tenir un discours de combattante quand son cœur aspirait à la paix. Il lui fallait se trouver une utilité dans ce nouveau cycle, et comme le disait si bien Gabriel, persister pour qu'à travers elle les autres aussi. Être ce phare que l'on pouvait suivre même dans la nuit la plus obscure. Qu'en dirait Python ? Elle n'en savait rien.

Un timide sourire releva son visage face à l'Hiver.

"Je veux faire quelque chose pour lui rendre hommage. A lui et à tous ceux qui sont tombés pour l'ancienne Tour, pour l'ancienne ère... Je réfléchis encore à la forme que cela va prendre. Je vous remercie pour votre soutien, Gabriel."

Et soudain la lumière. Malgré Ses silences et Ses signes flous, malgré l'incompréhensible reddition qui avait été la Sienne, les châtiments passés, Apollon demeurait le centre de la vie de Célestia. Créateur et père à la fois, guide et tourmenteur, dont la radiance attirait inévitablement tout un chacun à Lui. Si l'homonculus lui en voulait, cela ne durait jamais bien longtemps, et c'était toujours en Son nom qu'elle voulait œuvrer. Sans cela, sa vie n'avait plus de sens.

L'éclat de l’Été augmenta en conséquence, des étincelles de pouvoir dansant dans ses iris d'émeraude comme autant de feux de joie.

"Il existe ! Bien sûr, Il ne déambule pas tous les matins au milieu des jardins comme un simple humain, et L'approcher peut aussi bien être un honneur qu'un danger... Et surtout, en ce moment, Il est scellé quelque part, retenu aux mains des Saints d'Athéna suite à notre défaite dans la guerre d'Italie... mais je peux vous garantir qu'Il existe ! Mes mots sont bien faibles en comparaison de la réalité, mais imaginez une voix qui ne cesse de chanter à votre oreille... une présence chaleureuse, attirante comme l'est la lumière pour les insectes... des mains pour lesquelles aucun art n'est étranger, des yeux qui percent tous les maléfices jusque dans les profondeurs de l'océan. A ma connaissance il n'y a que les Enfers pour stopper Son regard, et même le cœur d'un Homme peut être lu par Lui. Ses ailes englobent facilement les nôtres..."

Réalisant qu'elle s'emportait, la jolie blonde s'empourpra quelque peu et se racla la gorge une seconde.

"Les Olympiens existent, oui. Apollon, Athéna, Arès, Poséidon, pour citer ceux auxquels nous avons affaire le plus fréquemment affaire... A partir de là, on peut imaginer qu'Ils existent tous. J'ai même croisé Odin, donc les Scandinaves ne sont pas exclus. Cela paraît fou, mais c'est vrai. Et l'une des règles d'or de tout Éveillé en ce monde est justement de taire leur existence aux yeux des Dormeurs. Ordre absolu de Zeus."

Zone d'ombre

Les dieux...
Le concept en lui même dépassait mon entendement. Comment imaginer déambuler dans un lieu aux côtés d'Apollon en personne ? Je buvais littéralement les paroles de Celestia, laissant mon imagination se perdre dans son immensité.
Toutefois, un détail me fit aussitôt réagir.

Sceller ? Par les Saints ? J'ai du mal à imaginer comment un dieu aussi puissant, aussi clairvoyant subir une telle chose...

La guerre avait dû être terrible pour engendrer un résultat aussi désastreux. Entre la destruction de ce havre de paix et de beauté et l'emprisonnement d'Apollon, les stigmates restaient vivaces.

Mais comment est né ce conflit ? Je n'ose imaginer ce que vous avez dû traverser... Comme dit le dicton : malheur aux vaincus.

Bras croisés, je laissais mon regard se perdre dans ce qui allait devenir mes futurs appartements. A peine arrivé, et déjà je sentais poindre une revanche à prendre pour nos forces. Car comment accepter la captivité du soleil ?

Et cet Augure dont vous m'avez parlé... Python. Que pouvez-vous me dire sur lui ? Je suppose qu'il doit œuvrer pour rendre aux Saints la monnaie de leur pièce, notamment en négociant avec l'ambassadrice des Bersekers... Rien que leur nom me parait étrange... Il évoque une sauvagerie bien éloignée de nos natures profondes.

Grâce à la bonne volonté de l'ange de lumière, je commençais à concevoir une vision d'ensemble de la situation. Rester juste ces quelques zones d'ombre.

"Oui..."

Le Héron chercha les mots. Comment lui expliquer le silence qu'Apollon entretenait avec Ses serviteurs au sujet de Ses grands desseins ? Autant être honnête dès le départ : après tout si Gabriel avait rejoint les Oracles, c'est qu'il avait tout de même été touché d'une manière ou d'une autre par le Soleil.

"En fait il... s'est rendu. De même que notre Augure. Je veux dire, Cuchulainn, notre précédent Augure, qui est toujours lui aussi dans leur prison, au Sanctuaire. Je ne sais pas pourquoi. Personne ne sait. Ou peut-être que Python le sait mais n'a pas encore eu le temps de nous l'expliquer, mais ses visions sont parcellaires, il l'ignore sans doute autant que nous... Mais le fait est qu'Apollon a érigé cette nouvelle Tour à la suite d'une mission que Rowena, l'ancienne Pythie de la Peinture et l'ancien Épervier avons menée. Sitôt notre rôle terminé, nous avons senti sa présence, entendu sa musique, ce ne pouvait pas être une coïncidence... Peu après Python est arrivé, coupant court à une longue incertitude. Il faut encore qu'il prenne ses marques et que nous nous accoutumions à lui, mais si Apollon n'avait pas vu tout cela en amont, si Sa décision de se rendre n'était pas dû à tout cela, alors je veux bien cesser de chanter pour de bon."

Elle espérait juste que cet aveu ne donnerait pas au nouveau venu une opinion trop sévère sur les anciens et leur échec, jusque-là, à protéger les leurs. Depuis qu'Adonis lui avait reproché d'être absente pour guider les nouveaux Oracles, Célestia culpabilisait toujours un peu quand il fallait expliquer à l'un d'eux à quel point la situation était délicate actuellement. Au moins Gabriel semblait prendre la chose avec calme et compréhension, et elle serait là pour répondre à ses questions s'il en avait.

"Disons que justement le fait que nos natures profondes soient si éloignées ne rendra probablement pas les négociations faciles. Mais Python fera de son mieux oui, surtout qu'il a été emprisonné par les Saints lui aussi pendant la guerre. Et qu'Apollon l'en a libéré. Il n'a pas donné grand détail à ce sujet, aussi je pense que c'est encore bien trop frais dans son esprit... comme le nôtre."

Rien que d'y penser, la sensation fantôme des coups de fouet dans son dos, et de la chute au moment où les anciennes chlamydes s'étaient fanées firent frissonner la nymphe.

"La cause de tout ceci semble être une rancune des Saints, ou d'Athéna elle-même, par rapport à des actions passées, mais je dois avouer que l'on peut remonter tellement loin quand il s'agit de guerres saintes que je préfère tout simplement me dire que nos idéaux sont incompatibles. Et à mon grand dam, la seule façon de faire comprendre à cette déesse qu'elle s'égare est de réduire son empire en pièces. Et qu'il y aura forcément des victimes collatérales..."

Réflexion

La situation dépeinte par Celestia offrait donc tous les aspects.... De la Tragédie. Et je ne pus lui offrir qu'un sourire de compassion. Sa gêne apparaissait palpable, mais je tenais à ce qu'elle comprenne que ce récit ne me choquait point. Vivre les évènements n'est pas la même chose que les conter.
Apollon s'était donc rendu à l'ennemi.
Difficile de croire à une erreur du dieu qui voit tout. Le fils de Zeus devait avoir une vision, un plan dont les aspérités échappaient au commun des mortels.

Le moins que l'on puisse dire... C'est que notre foi est mise à l'épreuve.

Car Apollon semblait avoir gardé pour lui ses visées. A nous d'avancer en aveugle, en quête de sa lumière.
J'écoutais avec attention, hochant la tête de temps à autre.
Ma place m'apparaissait de plus en plus légitime dans ce grand tableau. Le déclin avait un objectif : Les Saints d'Athéna.

Sans force, la justice n'est que poussière au vent. Athéna verra ses actes aveugles recevoir le châtiment du soleil, en ce cas. Pour le bien de tous. Peut être même pour le sien.

Car si la Sagesse divine s'était égarée, elle faisait peser sur l'ordre de ce monde un réel danger.

Je pense avoir matière à méditer, grâce à vous Celestia. Si cela ne vous dérange pas, je vais prendre possession de mes appartements et prendre un peu de repos.

Car entre le combat et les réflexions posées par l'ange de lumière, j'allais devoir rassembler mes esprits.

Le Corbeau l'écoutait avec patience et mesure là où d'autres auraient pu, déjà, protester sur le bienfondé des actions des uns ou autres, remettre en cause les Augures, Apollon , l'alliance avec les Berserkers. Il y avait tant de points d'incertitude que Célestia n'en aurait pas pris ombrage si cela avait été le cas, mais pourtant non. Mieux encore, il lui offrit un sourire qui signifiait autre chose que de la tristesse, sans s'en rendre compte peut-être, comme elle l'avait demandé à la fin de leur combat.

Alors même si la situation semblait désespérée, la nymphe sourit à son tour. Étrangement, elle avait l'impression d'avoir été reçue en confession et bénie par un prêtre supérieur, au lieu de recevoir et de bénir elle-même au sein des lieux de cultes catholiques. Quelque part, cela faisait du bien de pouvoir parler à cœur ouvert sans se sentir jugé, critiqué ou objecté. Cet Hiver était doux et calme.

Lorsqu'il demanda à pouvoir se reposer, la belle blonde se rendit compte qu'elle le monopolisait depuis bien longtemps déjà, et que si elle-même se sentait fatiguée, il devait être à bout de forces. Elle s'inclina précipitamment et s'écarta de quelques pas, les lèvres toujours étirées.

"Bien sûr, faites ! Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, vous savez où me trouver. Au plaisir de vous revoir pour un échange un peu plus calme."

Sur une simple impulsion, elle renvoya son plumage, lui adressa un petit signe de la main puis fit demi-tour. Une petite sieste ne lui ferait pas plus de mal qu'à lui, aussi prit-elle tranquillement le chemin de ses propres appartements.

Citation :: Merci pour le RP !

Re: [Avril 553] L'oiseau noir et l'oiseau blanc (Gabriel)

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